Un oiseau en cage
Le printemps était dans l’air. Il frappait discrètement à la fenêtre, d’une main faite de brise tiède, intimidé par de longs mois d’absence. C’était ce moment unique qui fait la jonction entre deux saisons, moment hésitant où l’on pressant le changement avant même qu’il ne se produise et qui vous rend à la fois inquiet et impatient, comme si votre vie allait lui emboîter le pas et prendre une destination nouvelle.
Tobey aurait aimé ouvrir la fenêtre de son petit appartement et laisser entrer l’air encore humide de mer, mais il craignait que le bruit de la rue en contrebas n’effraie l’oiseau, tout nouvellement colocataire.
Et surtout il n’aurait plus entendu la voix. Il s’agenouilla près de la bouche d’aération et tendit l’oreille encore une fois. Le chant lui parvenait d’en bas, comme du plus lointain des enfers, en une plainte lancinante d’âme damnée entrecoupée, parfois, de sanglots déchirants qui se mêlaient à la musique comme partie intégrante de celle-ci. La première fois qu’il avait entendu cette voix, quelques mois auparavant, il s’était demandé si ce n’était pas là l’émanation vocale d’un fantôme qui hanterait ce vieil immeuble de Staten Island où il habitait depuis quelques années déjà. Mais pourquoi l’esprit aurait-il attendu tant de temps pour se manifester? Les fantômes prennent-ils des vacances comme tout un chacun, mais aussi longues que le leur permet l’éternité?
Les mélodies qu’il parvenait de temps en temps à reconnaître ne paraissaient pas remonter du fin fond des âges, pourtant. Des berceuses, souvent, ou des ballades mélancoliques aux résonances irlandaises. Jamais rien d’entraînant, en tout cas rien qui laisserait percer une note de gaieté malgré la beauté aux accents lugubres de ce convoi de chants funèbres.
Que de temps passé dans ce fauteuil, à lire ou à rêver. Que de temps laissé au temps qui avait pris la mesure de son inertie et se jouait de lui avec cynisme. Les jours, les mois, les années passaient avec une nonchalance feinte pour mieux lui laisser croire qu’ils lui faisaient encore crédit et que son compte était toujours plein. Et cette voix fantomatique venait lui rappelait qu’il se transformait
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