Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Prisonnière Du Temps
Prisonnière Du Temps
Prisonnière Du Temps
Livre électronique303 pages4 heures

Prisonnière Du Temps

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Un voyage dans le temps et une jeune fille partagée entre deux hommes. Un triangle amoureux qui se consumme à la cour des Borgia entre intrigues, passions et secrets. Elisa est une étudiante avec tous les problèmes habituels d'une jeune fille de son âge: la famille, les garçons, l'école. Mais un beau jour, elle se retrouve catapultée dans une autre époque, la Rome des Borgia, et elle doit apprendre à survivre dans un monde complètement différent du sien. Tandis qu'elle cherche désespérément une façon pour retourner dans son époque, deux jeunes hommes se disputent son amour: le fascinant et cruel César Borgia et l'honnête et loyal Cristiano. Le premier est prêt à tuer pour la posséder, le second donnerait sa vie pour elle. Dans un crescendo de coups de théâtre, Elisa va devoir choisir à qui donner son coeur. Et ce ne sera pas un choix facile.
LangueFrançais
Date de sortie20 déc. 2019
ISBN9781547589593
Prisonnière Du Temps

Auteurs associés

Lié à Prisonnière Du Temps

Livres électroniques liés

Romance pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Prisonnière Du Temps

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Prisonnière Du Temps - Laura Gay

    L’AUTEURE

    CHAPITRE UN

    Rome, mai 2009

    Les corridors de l'école étaient déserts. Élisa se faufila dans les toilettes, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Si on la surprenait à sécher les cours, elle aurait assurément droit à un bon savon.

    « Juste une minute », se répéta-t-elle dans la vaine tentative de trouver une justification à son geste fou. « Une minute de calme, j'en ai besoin ».

    Cela avait été une sale journée à tous points de vue: son réveil avait sonné en retard, elle s’était brûlée avec son café avant de copieusement se disputer avec son père et, pour finir en beauté, son devoir de mathématiques avait été une véritable débâcle. Il lui fallait absolument un moment de tranquillité.

    Elle s'avança vers le lavabo et ouvrit le robinet pour se rafraîchir le visage. L’image que lui renvoya le miroir semblait ne pas lui appartenir: ses cheveux étaient collés contre ses joues et ses yeux barbouillés par son maquillage lui conféraient l'allure d'un panda. Elle essaya de s'arranger du mieux qu'elle pouvait mais un bruit improvisé la fit tressaillir.

    Elle n’était pas seule dans les toilettes.

    Probablement l'un de ces étudiants de dernière année qui s'y était enfermé pour fumer; cela arrivait souvent. De nombreux camarades d'Élisa disparaissaient durant les cours pour une cigarette ou même parfois, un joint.

    Elle était sur le point de faire demi-tour pour se sauver lorsqu'un gémissement la bloqua sur le seuil de la porte. Elle connaissait cette voix. Elle n'en était pas sûre mais pourtant... Son cœur accéléra ses battements. Elle tendit l'oreille en s'avançant vers l'unique porte fermée: un autre gémissement.

    « Allez Matte, dépêche-toi ! » C'est une fille qui parlait. « Je dois retourner en classe, sinon que va dire le prof de biologie ? ».

    « Attends, ça y'est presque ».

    De nouveau cette voix connue. Désormais Élisa n'avait plus aucun doute: enfermé derrière cette porte, il y avait Matteo, son petit ami. Probablement avec une autre.

    Son estomac se rétracta comme si elle avait pris un coup de poing.

    Maintenant les gémissements avaient pris de l'ampleur: on aurait dit un concert de hurlements et de grognements, mêlés à des coups sourds contre le mur.

    « Oui, oui, oui... Matteo, tu es fantastique ! ». La voix féminine qu'Élisa n'avait pas reconnue, se fit plus aigüe.

    « Oh mon Dieu, Valeria... je vais jouir. J'adore ta chatte ».

    Valeria ?

    Élisa eut l'impression que tout l'oxygène disponible s'échappait de ses poumons. Il ne pouvait pas s'agir de Valeria. Cette fille n’était rien d’autre que le croisement entre un phoque moine et un babouin ! Bon, d'accord, elle avait des seins plus gros que les siens, ça elle devait bien l'admettre. Et il était de notoriété publique qu'elle laissait tout le monde jouer avec.

    Mais peut-être était-ce justement la raison pour laquelle Matteo l'avait draguée.

    Pendant un instant, Élisa éprouva une sensation de vertige, exactement comme lorsque sur les montagnes russes, on plonge du point le plus haut et que le cœur remonte au bord des lèvres.

    Elle avait tenté de l'ignorer mais désormais une petite voix sourde lui hurlait la vérité dans sa tête: elle, elle avait refusé de faire l'amour; elle était encore stupidement vierge. Ce n'était donc pas surprenant que son petit copain ait décidé de la remplacer par une fille qui n'ait pas ses lubies de chasteté.

    Mais que pouvait-elle bien y faire si elle désirait que sa première fois fût spéciale ? Lors de toutes les occasions où elle s'était retrouvée seule avec Matte et qu'ils étaient sur le point de le faire, elle avait toujours eu l'impression que quelque chose n'allait pas, qu'il manquait de la poésie. Ce que lui répétaient ses copines de classe était probablement vrai: elle lisait trop de romans et elle s'était faite une idée bien trop romantique de l'amour.

    Les sanglots commencèrent à lui secouer les épaules. Elle tenta de retenir ses larmes mais ce fut inutile: elles se mirent à couler copieusement le long de ses joues et sur son menton. Elle pouvait en sentir le goût salé sur sa langue.

    Puis la porte s'ouvrit.

    Matteo sortit avec la fermeture éclair de ses jeans encore abaissée, le pénis encore à moitié à l'air. Il se bloqua dès qu'il vit Élisa et tenta de dissimuler Valeria à sa vue.

    Pour Élisa, ça en était trop.

    Elle n'allait pas réussir à affronter cette humiliation. Pas maintenant.

    Elle se retourna et s'enfuit à toute vitesse.

    Le scooter filait sur la chaussée. Élisa discernait à peine la route, ses larmes noyaient le paysage. Elle les essuya avec la manche de son blouson, se gara sur le trottoir et ôta son casque.

    Merde, merde, merde !

    Lorsque ses parents apprendraient sa fugue de l'école, elle risquait de passer un sale quart d’heure. Elle n'osait pas penser aux conséquences, mais le mal était fait. Elle ne pouvait pas retourner en arrière et n'en avait aucune envie.

    Dieu, elle ne voulait plus remettre les pieds dans cette école pour le reste de ses jours. Si seulement elle pouvait disparaître, se diluer, être effacée de la surface de la terre ou déménager le plus loin possible, peut-être dans une autre dimension, elle l'aurait fait en toute hâte.

    Elle marcha une bonne partie de l'après-midi dans l'espoir que la douleur se calme un peu, même si elle savait que cette horrible sensation ne la quitterait probablement plus jamais. Le soleil était désormais en train de se coucher lorsqu'elle eut une illumination. Il y avait un seul endroit où elle se sentirait en paix: au Château Saint’ Angelo. Ces murs antiques exerçaient sur elle un grand charme et ce, depuis toujours. Peut-être parce qu'elle s'était toujours sentie attirée par le passé: elle dévorait des romans historiques comme s'il s'agissait de noisettes.

    Elle commença à se diriger vers le pont qui conduisait au château, comme poussée par une force irrésistible. Elle avait quasiment la sensation que les statues qui représentaient des anges l'observaient le long du chemin, voire même qu'elles l'encourageaient.

    Elle était probablement devenue folle.

    Dès qu'elle franchit l'entrée, l'employé de la billetterie l'arrêta. C'était un petit homme chauve avec des lunettes en équilibre sur le bout de son nez et le regard sévère. « Eh, demoiselle », lui dit-il en gesticulant. « L'heure des visites est sur le point de se terminer. Il est temps de rentrer chez nous. »

    Élisa dégaina son plus beau sourire. « Je ne retrouve plus mon portefeuille. Je dois l'avoir égaré dans la boutique des souvenirs, je peux entrer deux minutes pour le chercher ? Je ferai vite, je vous jure. »

    L'homme la fixa afin de mieux l'étudier. Sans doute s'efforçait-il de se souvenir s'il l'avait vue cet après-midi, acheter un billet pour la visite. Élisa retint sa respiration pendant un moment qui lui parut une éternité. « Allez, soyez gentil », l'implora-t-elle en interprétant du mieux qu'elle pouvait le rôle de la jeune fille en difficulté.

    Finalement, l'employé accepta. « Mais dépêchez-vous, de grâce ».

    « Je serai rapide comme l'éclair ».

    Elle grimpa l'escalier quatre à quatre comme si elle avait des ailes aux pieds. Elle voulait admirer Rome du haut du château; il ne lui faudrait que quelques minutes pour effacer l'amertume de cette journée pourrie, juste le temps pour respirer à pleins poumons les parfums de sa ville et pourquoi pas, faire semblant d'être une dame de la Renaissance, prisonnière entre ces murs et qui attendrait le prince sur son cheval blanc venant la délivrer.

    Elle avait toujours beaucoup rêvé, quel mal y avait-il à cela ? Lorsque la réalité l'écrasait de tout son poids, Élisa avait recours à son imagination. C'était l'un des motifs pour lequel elle aimait se perdre dans les pages d'un livre plutôt que de sortir pour aller danser avec ses amies.

    La sonnerie de son portable interrompit le cours de ses pensées. Élisa fouilla dans son sac et en sortit son téléphone tandis que les visiteurs se dirigeaient vers la sortie tout en lui lançant des regards curieux. Sur l'écran, le prénom de Matteo clignotait en toutes lettres.

    Elle ne voulait pas lui parler. Pas en cet instant alors que ses pensées étaient encore tumultueuses. Elle écouterait plus tard ses excuses pathétiques, la seule chose qui lui importait en ce moment, c'était d'arriver au sommet de cet escalier. Tout à coup, elle remarqua une porte à laquelle elle n'avait jamais fait attention auparavant. Il y avait un carton avec écrit dessus: ENTRÉE INTERDITE AUX PERSONNES NON AUTORISÉES. Cela suffit à chatouiller sa curiosité innée, d'autant plus que la porte était entrouverte, probablement un oubli du personnel.

    Sans hésiter une seconde, Élisa éteignit son téléphone qui continuait à sonner de manière fastidieuse et entra en refermant la porte derrière elle. Elle voulait juste donner un coup d'œil afin de satisfaire sa soif d'aventure. Peut-être que là-dedans étaient cachés des dossiers secrets, des objets anciens ayant appartenus aux Papes, peut-être même des bijoux et des pierres précieuses. L'imagination d'Élisa courait déjà à bride abattue.

    Elle avança à tâtons dans une pièce plongée dans la pénombre. Peu à peu, sa vue s'habitua à l'obscurité et elle commença à regarder autour d'elle: elle avait imaginé se trouver dans un petit entrepôt ou quelque chose de similaire, au contraire on aurait dit un tunnel. Peut-être un passage secret.

    Un frisson lui parcourut le dos tandis qu'elle avançait lentement. Au fur et à mesure qu'elle progressait, elle se rendit compte que le tunnel se rétrécissait, devenant un boyau étroit et sombre; elle dut se mettre à quatre pattes pour continuer.

    Elle n'était pas certaine que ce fût une bonne idée d'aller jusqu'au bout de ce tunnel. Il pouvait être plein de souris et de cafards, pour ce qu'elle en savait. Mais la curiosité était trop forte et Élisa n'avait pas l'habitude de renoncer face à un défi lorsqu'elle en rencontrait un. Elle ralluma son téléphone pour faire de la lumière et pouvoir avancer de façon plus désinvolte en espérant que Matteo avait cessé ses appels inopportuns.

    Le boyau était poussiéreux et rempli de toiles d'araignée. L'idée de se trouver nez à nez avec une araignée faillit la faire renoncer: elle souffrait d'arachnophobie. Mais de nouveau la curiosité reprit le dessus. Elle continua à avancer prudemment, ses genoux raclant le sol rugueux; autour d'elle, elle sentait une odeur de moisissure mêlée à quelque chose qu'elle n'arrivait pas à définir.

    Au bout d'un moment, elle atteignit une trappe. Elle s'arrêta pour l'examiner avec attention: d'étranges inscriptions étaient gravées dessus en latin. Elle essaya de les traduire, mais elle n'était pas très douée dans cette matière. Sa prof lui répétait tout le temps qu'elle devait s'appliquer davantage, toutefois Élisa trouvait cette langue morte au-delà de ses capacités. Les déclinaisons lui faisaient venir la migraine.

    Elle resta un moment à fixer cette trappe comme en transe, indécise si elle devait continuer ou bien faire demi-tour. Et puis une petite voix dans sa tête l'encouragea: si elle était arrivée jusque-là, elle pouvait bien continuer un peu. Peut-être que sous cette trappe se dissimulait un trésor qui n'attendait qu'elle.

    Elle déglutit.

    Courage, Élisa. Vas-y.

    Elle agrippa la poignée des deux mains et tira de toutes ses forces. Un grincement sinistre la fit frissonner une nouvelle fois puis la trappe se souleva; en-dessous, elle vit une échelle recouverte elle aussi de poussière. Retenant son souffle, Élisa se mit à descendre. Tout en bas, elle aperçut une faible lueur qui lui fit supposer qu'il y avait une sortie ou tout au moins un soupirail. Et si elle venait de découvrir un passage secret dont personne n'avait connaissance ? Elle voyait déjà son propre nom en grosses lettres sur tous les journaux: UNE ÉTUDIANTE EN CINQUIEME ANNÉE DE LYCEE FAIT UNE DÉCOUVERTE SURPRENANTE AU CHÂTEAU SANT'ANGELO.

    Ses compagnons de classe oublieraient l'humiliation de la trahison de Matteo et l'éliraient  Reine de l'école.

    Elle descendit le dernier barreau et posa le pied sur le sol. Le terrain était vaseux et recouvert d'épaisses couches de mousse; elle fit quelques pas mais la semelle en caoutchouc de ses tennis tout neufs glissa et elle perdit l'équilibre, tombant et roulant le long du souterrain en pente. Elle éprouva une douleur aiguë au niveau de la nuque tandis qu'elle heurtait un arbre qui, fort heureusement, stoppa sa chute.

    Il lui fallut quelques secondes pour se reprendre. Elle se souleva sur un coude en regardant autour d'elle, dépaysée. Il y avait quelque chose qui ne collait pas avec ce dont elle se souvenait: la végétation était beaucoup plus dense.

    Dans l'intervalle, la nuit était tombée. Elle ignorait combien de temps s'était écoulé, mais il devait sans aucun doute être assez tard. Le moment de rentrer chez elle était arrivé si elle ne voulait pas que ses parents ne lui passent un bon savon. Ce n'était pas la peine de jeter de l'huile sur le feu. Il y avait déjà suffisamment de bonnes raisons pour une punition exemplaire.

    Élisa se releva, le front plissé: elle n'arrivait pas à s'orienter. Elle devait se trouver à l'arrière du château mais il n'y avait aucune route goudronnée, aucun éclairage et aucune voiture qui vrombissait à cette heure de pointe où tous les travailleurs sortaient de leur bureau pour rentrer chez eux. Le paysage qui l'entourait lui semblait inconnu et pourtant Élisa connaissait chaque recoin de Rome comme ses poches.

    Elle décida de retourner vers l'entrée principale mais quand elle y parvint, elle se rendit compte que quelque chose n'allait pas. L'entrée était fermée par une énorme porte en bois avec des grilles de fer et devant celles-ci, les pieds bien plantés dans le sol, deux gardes revêtus d'une lourde armure la fixaient d'un regard menaçant, une lance dans la main. Tout en se demandant d'où ces deux-là sortaient, Élisa se dirigea vers le pont; mais le paysage tout autour d'elle était différent de celui de ses souvenirs: aucun trottoir, aucune voiture ou scooter garé, aucune lumière. Une obscurité totale recouvrait tout, comme si la ville avait été frappée d'un black-out total.

    Même l'air semblait différent: c'était comme si la pollution urbaine se fût brusquement dissoute. En même temps, il lui semblait sentir une odeur nauséabonde difficile à définir. Elle lui évoquait un parfum provenant d'un mélange d'excréments de cheval mêlés à du purin humain.

    Dégoûtant.

    Élisa fronça son nez en jetant un regard perplexe le long du Tibre. Bizarrement, elle ne vit aucun tas de canettes abandonnées ou de sacs en plastique. Même l'eau semblait avoir une couleur différente: un bleu intense, sombre comme la nuit.

    Les doigts tremblants, elle saisit son téléphone pour voir l'heure qu'il était. Seulement alors, elle se rendit compte que son portable n'avait aucune connexion.

    « Merde, aucune réception ! »,  jura-t-elle tout haut. À cet instant, une voix retentit dans son dos, la faisant sursauter.

    « Vous avez besoin d'aide, madame ? ».

    Élisa se retourna et se retrouva à fixer les yeux bleus d'un garçon qui devait avoir dans les vingt ans. Il était vêtu de façon étrange: un lourd manteau de laine l'enveloppait de la tête aux pieds et il avait une paire de chaussures pointues qui avaient certainement connu des jours meilleurs. Il serrait une torche dans une de ses mains. Peut-être que ce type venait d'un bal costumé même si Mardi Gras était passé depuis un bon moment.

    Élisa cligna des yeux plusieurs fois avant de lui répondre: « C'est à moi que tu parles ? ».

    « Et à qui d'autre ? ». Le jeune homme plissa le front.  « Je ne vois personne d'autre à part vous ».

    « Mais alors pourquoi parler au pluriel s'il n'y a que moi ici ? ». Élisa fut volontairement malpolie. Dans d'autres circonstances, elle n'aurait pas répondu de la sorte, mais là, elle avait passé une trop sale journée. Elle était fatiguée et grincheuse. Au bord de la crise de nerfs.

    L'inconnu adopta un air perplexe. Il se gratta le bout du nez d'un air pensif. « En effet, c'est inhabituel qu'une jeune fille comme vous se déplace en ville sans escorte et de plus, la nuit. Vous vous êtes perdue ? ».

    Élisa ne put s'empêcher de rigoler. « Mais comment diable me parles-tu ? On dirait que tu sors d'un film sur le Moyen-Age ! ».

    « Comment dites-vous ? ». Le jeune homme écarquilla les yeux et Élisa commença à sérieusement s'impatienter.

    « Écoute, tu te fous de moi ou tu as fumé un joint ? ».

    Il ne lui manquait plus qu’un toxico pour compléter cette journée mémorable !

    « Je suis désolé, madame. Je n'arrive pas à vous comprendre. Mais je jure sur mon honneur que je n'ai aucunement l'intention de vous manquer de respect, en aucune façon ». Le garçon avait l'air contrarié. Il semblait confus et, chose étrange, il paraissait sincère.

    Élisa se mordit doucement la lèvre. « Je peux savoir pourquoi tu m'appelles madame ? Tu me trouves si vieille que ça ? ».

    En réponse, elle ne reçut qu'un énième coup d'œil perplexe. L'inconnu fit un pas en arrière, comme si elle incarnait le diable en personne.

    Élisa secoua la tête, désolée. « Ok. Excuse-moi, mais je dois aller récupérer mon scooter. Je ne le trouve pas et il se fait tard; si tu n'as plus rien d'autre à me dire, j'y vais ».

    « De quelle diablerie êtes-vous en train de me parler ? Et vous, qui êtes-vous ? Une sorcière peut-être ? Vos vêtements sont assez curieux ». Les yeux du jeune homme s'étaient écarquillés avec horreur, il ne manquerait plus qu'il ne sorte un crucifix de sous son manteau.

    Élisa était déconcertée. Non, en fait, plutôt furieuse. « Eh sorcière, va donc dire ça à ta sœur. C'est clair ? ».

    « Comment savez-vous que j'ai une sœur ? ». Le jeune homme recula encore. « Donc c'est vrai, vous êtes une sorcière ? ».

    « Laisse tomber ». Encore plus déprimée, Élisa le dépassa. Elle avait les nerfs en boule. « Mais bordel, où est donc mon scooter ? J'étais sûre de l'avoir laissé ici. Bon sang, qu'est-ce qui se passe en ville ce soir ? Il fait noir comme dans un four. On ne serait pas en plein black-out, par hasard ? ».

    Elle ignora le regard stupéfait du jeune inconnu et continua son chemin en jurant à voix basse. Distraitement elle jeta un œil vers le Tibre qui s'écoulait placidement sous elle: quelque chose flottait à la surface des eaux du fleuve. Pas les habituels résidus, quelque chose de différent. On aurait dit un corps.

    Un cri lacéra le silence et un instant après, Élisa se rendit compte qu'il sortait de sa gorge. Elle s'affaissa sur le sol en continuant à hurler, les larmes s'écoulant sur ses joues, impossibles à arrêter. Elle ferma les yeux dans l'espoir de réussir à effacer cette image effrayante qui désormais était gravée dans son esprit.

    Cristiano se hâta en direction des hurlements. À sa grande surprise, il trouva la jeune fille de tout à l'heure assise à même le sol, les genoux ramenés contre sa poitrine et le visage pâle, recouvert de larmes. Dans de telles conditions, elle semblait sans défense; il se demanda comment il avait pu craindre une créature d'apparence si fragile. Si c'était une sorcière... eh bien elle savait drôlement bien faire semblant.

    Il s'avança doucement, en prenant garde à ne pas l'effrayer davantage. « Que s'est-il passé, madame ? Je peux vous aider ? ».

    Elle souleva son visage d'un seul coup et Cristiano se retrouva en train de fixer ses grands yeux bleus. Ils étaient déconcertants, et pourtant d'une beauté incroyable. Tellement beaux que sa bouche s'assécha d'un coup.

    « Il...il y a un cadavre dans le fleuve », dit la jeune fille d'un ton de voix un peu aigu. « Oh mon Dieu, je n'arrive pas à y croire ».

    Cristiano s'accroupit lentement de façon à se trouver à la même hauteur qu'elle. « Ne craignez rien, vous êtes en sécurité avec moi. Personne ne vous fera du mal ».

    « Mais tu as compris ce que j'ai dit ? Il y a un homme mort dans le Tibre. Mort, tu piges ? Nous devons appeler la police, faire quelque chose... Bon sang, mon téléphone ne marche pas, et le tien ? ».

    De nouveau cette marée de paroles sans aucune signification pour lui. Pendant un instant, Cristiano se demanda si en réalité ils ne parlaient pas deux langues complètement différentes, mais de toute manière, cela n'était pas grave. Pas en cet instant du moins. Il ne devait penser qu’à la calmer. « Les gardes s'occuperont du mort. Vous ne devez pas vous inquiéter pour ça. Restez calme ». Il essaya de conserver une intonation de voix calme et rassurante mais il n'était pas certain d'avoir atteint le but désiré. Maintenant elle le fixait, les yeux écarquillés.

    « Il y a un homme mort et tu me dis que je ne dois pas m'inquiéter ? Cela ne te fait rien que quelqu'un se soit noyé dans le Tibre ? Peut-être l'a-t-on tué, du reste, peut-être... ».

    « Il a probablement été tué, oui ». Cristiano acquiesça calmement, interrompant son verbiage. « Cela arrive souvent à Rome, ces derniers jours. Ce sera la énième victime des Borgia ».

    Il la vit sursauter, ses yeux se remplirent de suspicion. « Les Borgia ? ».

    Était-il possible que cette fille n'eût jamais entendu parler de la famille la plus puissante de la ville ?

    Il plissa le front. « Exact, madame. Les Borgia. Mais vous n'avez rien à craindre, vous êtes sous ma protection ».

    Elle cligna des yeux plusieurs fois de suite. Elle semblait déstabilisée, et même bouleversée. « Écoute, arrête de m'appeler madame, c'est compris ? » dit-elle en agitant un doigt sous son nez, « Mon prénom, c'est Élisa ».

    « Heureux de faire votre connaissance, madame Élisa. Moi, je suis Cristiano. Je suis au service des Borgia depuis deux ans et ce n'est certes pas la première victime qui est retrouvée dans le Tibre. Mais vous, d'où venez-vous ? Vous venez de la campagne, j'imagine ? ».

    La jeune fille porta sa main à sa poitrine. Elle soupira en tremblant. « Tu as dit que tu étais au service des Borgia ? ». Sa voix se cassa légèrement. « Mais en quelle année sommes-nous ? Mon Dieu, je vais devenir folle, je ne comprends pas... ». Elle s'interrompit pour planter une nouvelle fois ses yeux bleus dans les siens, le charmant complètement.

    « Nous sommes en l'an de Grâce 1496 ». 

    Élisa fut sur le point de s'évanouir.

    Cela ne pouvait pas être vrai. C'est sûr, ce type devait avoir fumé quelque chose, il n'y avait pas d'autre explication. Et pourtant, les coïncidences étaient nombreuses. Trop nombreuses. L'obscurité irréelle qui enveloppait la ville, l'absence de tout type de voiture ou de véhicule, le fait que les rues ne soient pas goudronnées... elle devait sans doute rêver les yeux grands ouverts. Pour en être sûre, elle se

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1