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L'ombre du crime: Panique sur Brive
L'ombre du crime: Panique sur Brive
L'ombre du crime: Panique sur Brive
Livre électronique367 pages4 heures

L'ombre du crime: Panique sur Brive

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À propos de ce livre électronique

Dans ce polar, la folie meurtrière s'invite à Brive-La­Gaillarde !

La folie meurtrière plane au-dessus de Brive-La­Gaillarde qui s'engourdit sous le poids de la canicule. Bientôt, la terreur s'abattra sur la paisible cité corrézienne. Qui a enlevé Delphine de Combray, première femme maire de Brive ? Qui se cache derrière les mains éroti­quement criminelles attardées entre les cuisses de l'élue corrézienne ? Et qui s'est livré à ce rituel sordide sur le corps d'lrène, gérante d'une boutique? Les deux victimes fréquentaient peut-être le sauna « Les Naïades Coquines», dont on chuchote que les soirées privées seraient un peu ... spéciales. Cassandra Walter - élève-officier stagiaire torturée par un lourd secret - mène sa première enquête, entre le regard protecteur de l'inspecteur Guiliano et les plaisanteries scabreuses du Docteur N'Guyen, médecin légiste peu conforme ...

Qui donc a osé se livrer à un rituel sordide sur la première femme maire de Brive et sur la gérante d'une boutique ? Suivez l'enquête de Cassandra Walter, élève-officier stagiaire torturée par un troublant secret, pour le savoir !

EXTRAIT

La jeune femme courba le dos pour se glisser jusqu’aux battants vitrés. Elle sortit la télécommande de l’alarme dont elle apercevait la Led rouge qui palpitait au fond du magasin.
Sonia s’accroupit pour ouvrir la serrure du battant de droite : la clé résista, refusant de tourner. Gorge nouée, elle constata d’une poussée de la main que la porte était ouverte. Dans un premier temps, elle rejeta l’idée que Vanessa ait pu ne pas la fermer et tenta de chasser la crainte qu’elle sentait l’envahir en pénétrant dans le local obscur.

Comme le disait la gérante « Une boutique sans lumière, c’est un peu comme une star au réveil ! ». La plaisanterie avait amusé toute l’équipe quelques mois auparavant. Depuis, très fière de sa trouvaille, la mère Lagorce la leur servait régulièrement, ce qui avait fini par enlever toute saveur à la figure de style.
Sonia se dirigea droit vers le tableau électrique. Elle abaissa les manettes commandant l’éclairage du rez-de-chaussée. Le cœur en alerte, elle se retourna et se précipita vers la caisse : tout semblait normal. Puis elle balaya la boutique d’un regard expert et constata avec soulagement que rien ne manquait : les portants et les étagères étaient chargés, aussi bien ordonnés qu’à son départ le samedi.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Virginie Anglard est née à Limoges où elle travaille comme conseillère en insertion. Elle a longtemps vécu à Rochefort-sur-Mer et conserve un attachement nostal­gique aux plages de la Charente-Maritime. Grande lectrice, tout lui est bon pour nourrir son goût de l'écriture, de Dante à D'Arzo, en passant par Éluard, Niel ou Gava/da. Pour cette littéraire de formation classique, le roman policier est un choix réfléchi, celui de pointer, sans dis­ cours péremptoire ni censure, les dysfonctionnements d'un système dont trop nombreux sont les complices.
LangueFrançais
Date de sortie4 avr. 2019
ISBN9791035304560
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    Aperçu du livre

    L'ombre du crime - Virginie Anglard

    L’OMBRE DU CRIME

    Panique sur Brive

    Collection dirigée par Thierry Lucas

    © 2019 – – 79260 La Crèche

    Tous droits réservés pour tous pays

    Virginie ANGLARD

    L’OMBRE DU CRIME

    Panique sur Brive

    Ce roman est avant tout une fiction.

    Les propos tenus par les personnages ne cherchent pas à choquer le lecteur mais sont justifiés par les besoins de l’intrigue.

    Pour le même motif, certains lieux existent, d’autres non ; certains détails sont authentiques, d’autres moins…

    « Le meurtre est l’ultime échec de la parole. »

    Jean-Michel Bessette, Sociologie du crime.

    À ma fille, ma certitude.

    1

    Une lueur pâle filtrait du soupirail obstrué de l’extérieur.

    Delphine se leva. Elle sentait la poussière épaisse coller à ses pieds nus. Dans l’obscurité du cachot, elle chercha le seau qu’on lui posait le soir. Les remugles de ces toilettes de fortune l’incommodaient tout au long de la journée. Si au moins il y avait eu un couvercle…

    Humiliée par l’inconfortable position, la captive retint dans un hoquet la bile qui lui brûlait la gorge.

    Deux jours plus tôt, Delphine s’était réveillée là, dans le noir, sur un matelas posé à même le sol.

    Au début, l’angoisse avait tétanisé la prisonnière.

    Où se trouvait-elle ? Que s’était-il passé ? C’était le néant.

    Delphine ne parvenait pas à fixer sa pensée. Ses yeux lui faisaient mal, asséchés à force de s’agrandir sur le vide. Une insupportable migraine lui martelait la nuque.

    Puis elle s’était ressaisie : Madame de Combray, maire de Brive à quarante-quatre ans seulement, était femme de caractère.

    La panique passée, les souvenirs avaient surgi en flashes désordonnés. Meryl Streep, éblouissante. Le pop-corn. Le cinéma. La dernière séance. Impossible de retrouver le titre du film…

    Luttant contre la nausée, Delphine s’était rappelée le tampon plaqué sur sa bouche. L’odeur puissante. De l’éther, sûrement. Alors tout lui était revenu. Elle venait de rentrer sa voiture au garage et s’apprêtait à refermer la porte ; la chatte Isis s’était frottée contre ses jambes, comme à chacun de ses retours. Et soudain, un corps puissant contre le sien, ce souffle haleté dans son dos, le bras qui enserrait sa taille et la main qui avait recouvert son visage.

    Delphine ne se souvenait pas de la peur : tout était allé si vite.

    La maison que Madame le maire avait héritée de sa grand-mère était isolée au fond d’un cul-de-sac, entre La Pigeonnie et Ussac. Quand bien même elle aurait eu le temps de réaliser, le réflexe de crier, personne n’aurait entendu son appel à l’aide.

    Allongée dans l’opacité du cachot, Madame de Combray avait d’abord appelé, appelé, crié à s’en peler la gorge.

    Puis elle s’était assise, attendant que le vertige se calme. Elle avait enfin réussi à se lever pour explorer la pénombre en titubant, les tripes tordues par l’angoisse.

    Delphine avait arpenté le local, compté ses pas, recommencé dans l’autre sens, à plusieurs reprises : environ quatre mètres sur cinq. Le cachot était moins réduit qu’elle ne l’avait redouté. Malgré un tempérament bien trempé, Madame de Combray demeurait impuissante face à la claustrophobie dont elle souffrait depuis l’adolescence.

    « Il faudra bien que je me décide à consulter… » se disait-elle, chaque fois que sa phobie l’obligeait à choisir les escaliers plutôt que l’ascenseur.

    À tâtons, Delphine avait examiné chaque pan de mur.

    Pas de fenêtre. Aucun meuble. Juste le seau contre lequel elle avait trébuché.

    À droite du matelas, une grande bouteille en plastique. Delphine l’avait attrapée, avait suivi de l’index le dessin des cannelures : sans doute une eau de source. Elle avait débouché la bouteille, reniflé son contenu, goûté du bout des lèvres. De l’eau ! La bouche pâteuse, elle avait bu à longues goulées.

    Puis la prisonnière avait repris sa visite à l’aveugle.

    Au toucher, les parois semblaient nues, parfaitement lisses. La souplesse du revêtement mural rappelait la mousse de mélamine dont son père avait fait capitonner son bureau ; depuis, l’isolation phonique en était parfaite.

    Sur la paroi qui faisait face au matelas, Delphine avait reconnu l’encadrement d’une porte, mais aucune clarté n’en filtrait.

    Et soudain, là, un interrupteur, enfin ! Le cœur agité, Delphine avait tripoté le bouton, s’était agacée sur le carré de plastique. Rien ! Juste l’obscurité qui continuait à l’habiller de sueur froide.

    Delphine avait tambouriné contre le battant : ses poings lui indiquaient que l’issue était également molletonnée.

    Épuisée, la captive avait appuyé son front contre la porte ; sans grande conviction, elle avait à nouveau appelé. Mais à quoi bon ? Il semblait évident que tout avait été conçu pour arrêter le bruit.

    La fatigue et le découragement avaient fini par rejeter Madame le maire sur le matelas. Le couchage sommaire était couvert d’un drap qui sentait bon la lessive. Elle s’y était recroquevillée, les bras serrés autour des jambes, ne sachant ce qui l’effrayait le plus, des ténèbres ou bien du silence.

    C’était bien sa veine ! Pour une fois qu’elle prenait quelques jours de repos, bien mérités. Elle qui pensait se ressourcer, récupérer de toutes ces corvées publiques. Faire « sa sauvage » comme disait sa vieille nounou qui lui reprochait gentiment, mais la voix chargée d’inquiétude, de ne pas donner de nouvelles – ou si peu –, de ne pas prévenir lorsqu’elle partait quelques jours, pas plus que de préciser où elle allait, ni avec qui ni quand. « Et s’il t’arrive quelque chose ? Qui le saura ? » Delphine répondait généralement par un soupir en embrassant les joues défraîchies qui sentaient la lavande, avant de tourner les talons en riant.

    Delphine frissonna. Pas à cause de la fraîcheur du lieu préservé de la chaleur du mois d’août, mais parce qu’elle était entièrement nue.

    Vidée d’avoir trop longtemps lutté contre ses émotions, Madame de Combray s’aperçut qu’elle pleurait.

    Un peu plus tard, brisée par les sanglots, la prisonnière s’était endormie. Mais elle n’avait pu s’interdire une dernière pensée : l’absence d’éclairage, l’insonorisation de la pièce, sa nudité… Non, vraiment, tout cela n’était pas de très bon augure…

    2

    Sonia traversait la place du Quatorze Juillet. Pour une fois, elle prenait tout son temps.

    Sous les pieds de la jeune femme, l’esplanade renvoya un peu de la fraîcheur nocturne. Il avait plu jusqu’à l’aube et la ville s’en trouvait comme rajeunie : les pelouses semblaient plus drues, les massifs fleuris laissaient éclater les rouges et les jaunes ravivés des capucines et des cosmos.

    Un peu plus loin, une brume rosée floutait le dard du château-d’eau – les Brivistes l’appelaient « le phare » –, rendant illisible la banderole blanche « I love BG ».

    Le sol exhalait un mélange d’odeurs que la chaleur et la poussière avaient étouffées durant les semaines précédentes.

    Même le chat Capucin, le persan de la mère Lachaud – cliente fidèle – ne semblait préoccupé que de cette quiétude matinale ; alangui sur le balcon, il ouvrit à peine les yeux au passage de Sonia.

    Après les températures capricieuses de juillet, les Brivistes avaient accueilli les orages d’août avec soulagement. Dans cette région de tradition rurale, tous le savaient : la terre réclamait l’eau.

    Bien sûr, il se trouvait toujours quelque touriste pour râler qu’il n’y avait « plus de saisons », et que si c’était pour voir tomber la flotte, ils auraient mieux fait d’économiser le prix de la location et de rester à Paris ! Ou ailleurs.

    Sonia laissait dire et se réjouissait de l’affluence à la boutique : lorsque le temps les décourageait de s’entasser aux abords des lacs, ou les forçait à annuler la réservation des VTT, les estivants colonisaient les bars et les commerces. Une première salve arrivait entre quatorze et quinze heures, sans doute après la sieste ; une deuxième suivait, vers dix-sept heures, lorsque les plus téméraires avaient épuisé leurs réserves de patience parentale dans les nombreux châteaux qui faisaient la fierté des Corréziens.

    Bien qu’il fût presque neuf heures, la ville était encore engourdie.

    Le lundi, la plupart des commerçants laissaient les grilles baissées. Certains choisissaient cette période pour prendre leurs congés ; ils ne reviendraient qu’après le quinze août, pour préparer la rentrée.

    De toute façon, les affaires n’allaient pas fort. La deuxième moitié du mois de juillet avait été médiocre, à Brive comme ailleurs. Le cœur n’y était pas. Après la catastrophe qui avait touché Nice en pleine fête nationale, touristes et Corréziens avaient affiché leur morosité. L’attaque barbare avait ranimé le traumatisme collectif des attentats précédents, renvoyant chacun à un deuil qui n’en finissait pas de ternir l’été.

    À Vos Marques – magasin de prêt-à-porter féminin – ne faisait jamais relâche : c’était le choix de la gérante qui imposait à ses trois vendeuses des départs en vacances par roulement, au gré de ses humeurs qu’on savait fluctuantes.

    Mais Sonia s’en fichait. Dès le début, elle avait choisi de s’épargner la foire d’empoigne en laissant la priorité à ses deux collègues : l’une était mère de famille et l’autre assumait la charge de sa vieille mère aveugle, à Angoulême, durant les absences de l’assistante de vie.

    Pour la jeune vendeuse, ce congé différé n’était pas un sacrifice : chaque année, elle se réjouissait de passer les trois premières semaines d’octobre à Châtellaillon ; sa grand-mère maternelle y habitait une gentille bâtisse à sept cents mètres de la plage que désertaient, à l’automne, les familles bruyantes et le club Mickey.

    En Charente-Maritime, l’arrière-saison était souvent magnifique. Et si la pluie s’invitait parfois, elle ne décourageait pas cette native de la petite station qui partait pour d’interminables balades le long de l’océan devenu gris ardoise et se laissait envoûter par l’explosion du ressac qui avait bercé son enfance.

    Tout en cherchant le trousseau de clés au fond de son sac, Sonia jeta un coup d’œil à la vitrine qu’elle avait décidé de restructurer, au grand dam de sa collègue Vanessa. Elle y avait consacré une partie du samedi précédent. Consciente des conséquences possibles de son audacieuse initiative, elle s’était abstenue de demander sa participation à Vanessa.

    Les deux jeunes femmes s’appréciaient. Au fil d’années d’étiquetage et de mise sur cintres, jambes lourdes et bras endoloris, au gré des confidences échangées à la pause comme on lâche un soupir, dans la fumée des cigarettes aspirées à la hâte, les deux vendeuses étaient devenues plus que des collègues. Pas tout à fait des amies, mais de très bonnes copines.

    À trente-cinq ans, Vanessa élevait seule ses deux enfants depuis bientôt quatre ans, à la suite d’un divorce sans grande émotion. Au début, elle s’était tout de même sentie un peu perdue dans le grand lit sous lequel elle cessa de chercher la deux-ième chaussette sale de son époux. Puis elle reprit la délicieuse habitude de lire dans la chambre jusqu’à tard dans la nuit, sans se préoccuper de la lampe dont la lumière ne gênait plus personne. À présent, Vanessa ne voyait plus que des avantages à ce divorce subi.

    La réserve et la maturité de Vanessa tempéraient le pétulant toupet de sa collègue, de sept ans sa cadette : Sonia était un pétard dont la mèche menaçait en permanence de s’allumer ! La benjamine ne se laissait pas marcher sur les pieds, disait ce qu’elle pensait, tenait tête à la patronne comme personne ne l’osait.

    Depuis son embauche deux ans auparavant, Sonia assurait à elle seule plus du tiers des ventes de la boutique. La gérante, qui n’avait aucune envie de voir cette perle se trouver une autre coquille, tolérait en soupirant les originalités de son impétueuse vendeuse.

    Sonia connaissait son pouvoir sur « la vieille » mais n’en abusait pas. Elle bossait dur, ne regrettait pas ses heures sup’ et s’adressait toujours à la patronne avec la déférence qu’elle pensait lui devoir. En revanche, elle ne demandait pas la faveur d’une RTT pour se rendre chez son dentiste ou son gynécologue : elle informait, un point c’est tout. Elle s’était même payé le luxe de partir à onze heures, un jeudi du mois de mai, pour aller défiler contre la Loi Travail !

    Alors la semaine précédente, après deux jours d’absence injustifiée de la patronne, c’est tout naturellement que le directeur régional lui avait confié la responsabilité d’assurer l’intérim, jusqu’à nouvel ordre.

    Vanessa n’avait rien trouvé à redire ; d’un commun accord, les deux copines avaient décidé d’arriver plus tôt le matin ou de finir plus tard, en fonction des impératifs. Les enfants de la jeune divorcée étaient en vacances avec leurs grands-parents, elle s’en trouvait d’autant plus disponible.

    L’agitation cessa. Les choses rentrèrent dans l’ordre. Les responsabilités assumées par Sonia libérèrent Vanessa de l’inquiétude générée par la défection de la patronne. Vanessa se connaissait bien : elle n’était pas faite pour prendre les décisions mais pour appliquer celle des autres. C’était comme ça qu’elle se sentait bien, qu’elle bossait le mieux.

    Mais de là à refaire la devanture avec Sonia !

    — Écoute, Vanessa, j’assumerai, tu le sais, l’avait rassurée Sonia. Tu n’es absolument pas mouillée dans le truc. Et reconnais que la mère Lagorce est incapable de mettre les fringues en valeur, à l’intérieur de la boutique comme en vitrine.

    — Oui, tu as raison. Mais quand même, elle va te saigner quand elle rentrera !

    — T’inquiète ! Et puis elle ne s’est pas pointée depuis mercredi, alors…

    — Mardi.

    — Ouais, encore mieux. Tu penses bien qu’à son retour, y’aura d’autres sujets de conversation ! Si elle revient un jour…

    Vanessa s’était retournée d’un bloc, les yeux écarquillés.

    — Qu’est-ce que tu veux dire ? Tu sais quelque chose ?!

    — Non. Mais tu ne trouves pas ça surréaliste, toi, de se tirer sans prévenir personne ?

    — Si, bien sûr…

    — Elle est spéciale, Irène, mais tout de même… Et puis la boutique, elle nous le dit assez souvent, c’est toute sa vie ! Alors pour qu’on reste sans nouvelles si longtemps, moi je ne vois qu’une explication : il lui est arrivé quelque chose. Et… quelque chose de grave.

    — Mais que veux-tu que… Si elle avait eu un accident, on nous aurait prévenues.

    La voix de Vanessa suait l’angoisse.

    Sonia avait continué d’enfiler la deuxième manche d’un chemisier sur un mannequin asexué. Puis elle avait rétorqué :

    — Ça c’est sûr. D’ailleurs j’ai appelé son ex-mari hier soir : il n’en sait pas plus que nous.

    — Mais alors… que penses-tu que… ?

    — J’en sais rien, ma grande ! Et pour tout dire, je m’en fous un peu.

    — Sonia !

    — Oh, dis, pas d’hypocrisie, s’il te plaît ! Irène, elle passe son temps à nous pourrir la vie. On n’est pas bien, là, toutes les deux, sans ses commentaires merdiques et ses ragots sur les clientes ?

    — Si, c’est vrai…

    — Bon, c’est un peu dur à deux. Il me tarde que Laetitia rentre de vacances. Mais tu veux que je te dise ? Ben, Irène, elle me manque pas, à moi !

    Vanessa avait détourné le regard ; en reprenant son étiquetage, elle s’était dit qu’elle aurait bien aimé avoir le cran de Sonia.

    *

    Trousseau de clés à la main, Sonia contempla la nouvelle devanture en « propriétaire des lieux », consciente que ce fâcheux contretemps la mettait dans une position qui satisfaisait son ambition. Elle n’avait pas l’intention de suivre l’exemple de cette pauvre Laetitia qui, à cinquante-cinq ans, avait vu défiler trois gérantes à la tête d’une boutique dans laquelle elle finirait très certainement sa carrière, au même poste.

    Sonia marqua un temps d’arrêt : la serrure de la grille n’était pas verrouillée. Pourtant, elle était certaine de… Non, ça lui revenait : samedi, elles avaient fini tard et c’était Vanessa qui avait fermé pendant qu’elle filait commander deux pizzas. Elles avaient ensuite pique-niqué à l’étang de Laborde. L’orage menaçait depuis le début de l’après-midi et aucune d’elles n’avait eu envie de rentrer s’enfermer dans la touffeur de son appartement. Encore valait-il mieux dîner dans la voiture et profiter du spectacle des grosses gouttes explosant en geysers miniatures à la surface du plan d’eau.

    Sonia remonta la grille à moitié : inutile de s’esquinter les épaules, la boutique serait fermée à la clientèle et la grille à nouveau baissée après l’arrivée de Vanessa, puisqu’elles avaient décidé de consacrer cette matinée à la mise à jour de la comptabilité.

    La jeune femme courba le dos pour se glisser jusqu’aux battants vitrés. Elle sortit la télécommande de l’alarme dont elle apercevait la Led rouge qui palpitait au fond du magasin.

    Sonia s’accroupit pour ouvrir la serrure du battant de droite : la clé résista, refusant de tourner. Gorge nouée, elle constata d’une poussée de la main que la porte était ouverte. Dans un premier temps, elle rejeta l’idée que Vanessa ait pu ne pas la fermer et tenta de chasser la crainte qu’elle sentait l’envahir en pénétrant dans le local obscur.

    Comme le disait la gérante « Une boutique sans lumière, c’est un peu comme une star au réveil ! ». La plaisanterie avait amusé toute l’équipe quelques mois auparavant. Depuis, très fière de sa trouvaille, la mère Lagorce la leur servait régulièrement, ce qui avait fini par enlever toute saveur à la figure de style.

    Sonia se dirigea droit vers le tableau électrique. Elle abaissa les manettes commandant l’éclairage du rez-de-chaussée. Le cœur en alerte, elle se retourna et se précipita vers la caisse : tout semblait normal. Puis elle balaya la boutique d’un regard expert et constata avec soulagement que rien ne manquait : les portants et les étagères étaient chargés, aussi bien ordonnés qu’à son départ le samedi.

    Alors Sonia se traita d’idiote : si quelqu’un avait pénétré dans le local, l’alarme se serait déclenchée ! Juste une étourderie de Vanessa, à laquelle il lui faudrait bien faire allusion…

    3

    Delphine s’en voulait. Comment avait-elle pu se laisser piéger aussi facilement ?

    Depuis le temps que sa mère lui conseillait de prendre un chien de garde ! Mais à la seule idée d’avoir la responsabilité d’une autre vie que la sienne, Delphine avait toujours eu des bouffées de panique. Pour Isis, c’était différent : le chaton s’était imposé à elle. Il l’avait choisie, elle. Trois ans auparavant, Delphine avait trouvé la petite chatte décharnée devant sa porte, à moitié morte de faim. Les jours suivants, elle en avait parlé autour d’elle, avait posé une affichette chez le vétérinaire. Mais personne n’avait voulu de la bestiole. Les semaines avaient passé. Isis était restée.

    Pour le reste… Ni mari, ni enfant. Des amants, oui. Des PCF – plans cul fixes – comme les appelait sa filleule ! Mais un seul à la fois. Éduquée en institution religieuse jusqu’à ses dix-sept ans, Delphine demeurait femme de traditions.

    Madame le maire avait bien été un peu amoureuse, à deux ou trois reprises ; elle en conservait d’ailleurs des souvenirs charmants. Mais aucun de ces émois n’avait valu d’y sacrifier sa liberté.

    On disait Delphine jolie, elle savait qu’elle plaisait. Trouver des types sympas pour partager son peu de temps libre n’avait jamais constitué un problème. Ces aventures fugaces se déclinaient en week-ends torrides au cours desquels sexe, bonne chère et champagne étaient au rendez-vous. Et elles étaient suffisamment satisfaisantes pour que Delphine n’ait envie ni besoin d’autre chose.

    Pour ces parenthèses érotiques, et surtout depuis qu’elle s’était investie dans la vie politique de sa commune, Delphine demandait à sa meilleure amie de réserver des gîtes discrets de classe moyenne, éloignés de Brive d’au moins cent kilomètres.

    Le reste de sa vie, Madame le maire le consacrait à sa passion de toujours : le droit pénal. Le cabinet ouvert sept ans auparavant était florissant. Bien sûr, son élection l’avait contrainte à laisser plus de responsabilités à Céline, son associée. Mais la frustration d’avoir dû limiter ses effets de manches était largement compensée par la gratification des nombreuses manifestations officielles qui la mettaient régulièrement sous le feu des projecteurs.

    Delphine avait toujours aimé être sur le devant de la scène, attirer les regards et la convoitise. Elle savait recevoir, avec la modestie de mise inculquée par les bonnes sœurs, les encouragements et les compliments dont elle était friande.

    Toute petite déjà, Delphine minaudait en ballerines et tutu, le menton haut et le geste gracieux. Dès l’âge de six ans, l’héritière des de Combray organisait des spectacles dominicaux auxquels elle conviait famille et camarades de classe. La starlette du Château obligeait tout son petit monde, domestiques compris, à s’installer sur les sièges disposés en demi-cercle, au salon d’hiver ou en plein milieu du parc à la belle saison. Une fois de plus, son père avait cédé à l’un de ses précoces caprices : faire bâtir une rotonde sous laquelle elle pouvait exprimer toute la gamme des ses dons : danse, chant, théâtre et mini opéras dont elle écrivait les libretti hésitants.

    Delphine avait ainsi connu les premiers éblouissements de son insatiable ego sous les applaudissements d’un public indulgent. Depuis, elle ne s’était jamais lassée de briller.

    Delphine but quelques gorgées d’eau minérale, leur trouva un fond d’amertume, puis se laissa bercer à nouveau par ses souvenirs nostalgiques.

    4

    Sonia avait fait couler le café. La voix enjouée de Vanessa la sortit du réduit pompeusement baptisé par la gérante « salle de pause » :

    — Salut ma belle !

    Vanessa était encombrée d’une grande poche en papier brun : aujourd’hui, c’était son tour. Elle déposa dans le réduit le sac dont le contenu encore tiède emplit l’air de vapeurs boulangères : croissants, pains au chocolat ou aux raisins, suisses, brioches et chaussons aux pommes les invitaient à leur rituel gourmand. Le boulanger leur faisait un prix « commerçant », ajoutant parfois quelques invendus de la veille.

    Chaque matin, les deux vendeuses prenaient un café en grignotant des viennoiseries. Elles persistaient à en offrir à Irène et Laetitia qui repoussaient systématiquement la tentation : les deux aînées redoutaient le stockage des calories sur les hanches, à peine enrobées chez Irène mais généreusement capitonnées chez Laetitia.

    À la pause déjeuner, les deux copines dégustaient le reste des gâteaux, tant par mesure d’économie que pour le plaisir de rester ensemble, à lire ou à papoter.

    Aucune des jeunes vendeuses n’avait ni les moyens, ni l’envie de suivre les deux autres dans le même resto depuis toujours, pour manger les mêmes plats du jour arrosés du même verre de rosé.

    — Bonjour, Vanessa, répondit Sonia en tendant à sa collègue une joue rosie de blush.

    — Ouh, tu as ton petit air chiffon, ce matin. Mal dormi ? Jérôme t’as encore appelée, cette nuit ?

    — Non, non, cette fois je crois qu’il a compris. C’est juste que… il faut que je te dise : samedi, en partant, tu as oublié de fermer la boutique. J’ai eu la trouille de ma vie en arrivant !

    — Comment, ça, j’ai pas fermé ? Bien sûr que je l’ai fait ! Qu’est-ce que tu crois ? J’ai tout éteint et tout bouclé, comme tu me l’as demandé.

    Sonia se contenta d’une dénégation de la tête.

    — Ah mais si, je t’assure, insista Vanessa. Et après, j’ai attendu devant, jusqu’à ce que tu reviennes avec les pizzas. Tu te souviens ?

    Mains sur les hanches, Sonia tentait de comprendre :

    — Je me souviens que tu m’attendais sur les marches, oui. Mais je te dis que ce matin, aucune des serrures n’était verrouillée.

    — Im-po-ssible ! scanda Vanessa. Je ne suis pas idiote. Tu m’as demandé de fermer, j’ai-fer-mé, un point c’est tout !

    Les joues de Vanessa s’étaient marbrées de rouge; Sonia n’eut pas le cœur d’insister.

    Les journées précédentes avaient été chargées. Au fond, Sonia se sentait un peu responsable : c’était à elle qu’on avait confié la gestion de la boutique, pas à Vanessa. Mais on ne l’y reprendrait plus, elle avait compris la leçon !

    — Écoute, n’en parlons plus, trancha Sonia. On déjeune et on s’attaque à la compta. Dac ?

    — Comme tu voudras…

    Le front soucieux, Vanessa déballait les viennoiseries en marmonnant :

    — Mais quand même, ça m’ennuie beaucoup que tu puisses penser…

    — Je ne pense rien, ma chérie, badina Sonia, Allez, hop, au boulot !

    Vanessa n’attendait que cette cajolerie pour retrouver sa belle humeur. Elle ressortit du cagibi avec le grand plateau chargé de la cafetière et déposa sur le comptoir leurs deux mugs : celui de Sonia, décoré d’une vue du château de Pompadour, et le sien représentant les vestiges de la forteresse médiévale de Ventadour. Cependant, sa préoccupation ne l’avait pas lâchée :

    — Vraiment, ça me perturbe, cette histoire. Il est sûrement possible d’ouvrir des serrures sans clé, et sans laisser de trace. Il suffit d’avoir le bon matériel. Je me doute bien que tu as vérifié mais… Tu es sûre que rien ne manque ?

    — Dis, tu ne vas pas nous laisser manger ?! Non, tout est là. J’ai contrôlé. La caisse n’a pas été forcée. De toute façon, il n’y restait quasiment rien. Et tu vois bien que tout à l’air normal.

    Sonia n’avait pu maîtriser son irritation : Vanessa peinait à reconnaître ses torts et ce manque d’honnête humilité, de la part d’une collègue qu’elle estimait par ailleurs, la décevait plus qu’elle ne l’aurait voulu. Et puis cette perte de temps commençait à l’agacer sérieusement : elles avaient du pain sur la planche.

    Mais Vanessa revint à la charge :

    — Sonia, on n’entre pas dans une boutique pour en ressortir les mains vides !

    — On est bien d’accord ! Donc tout semble indiquer

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