Les beaux étés

Comme chaque matin, après le passage de son infirmière et du kiné, Raphaël se retrouvait dans son fauteuil, devant la fenêtre – ouverte ou fermée, selon le temps et la température. Il pouvait rester ainsi des heures sans jamais s’ennuyer. La tête penchée, il observait. Qu’observait-il ? Difficile à dire.

Quand on l’interrogeait, il avait un geste vague vers le paysage qu’il avait sous les yeux. Mais peut-être voyait-il au-delà du paysage…

Raphaël avait de plus en plus de mal à s’exprimer et à se faire comprendre, depuis son retour de la maison de rééducation où il avait été admis après un accident vasculaire cérébral. Les séquelles étaient importantes mais, heureusement, son intelligence, sa mémoire, sa passion étaient intactes. Comme son amour de la vie.

Octogénaire depuis peu, c’était, d’après le personnel, un malade facile à soigner. Et d’après ses petits-enfants, un papy toujours prêt à conter les épisodes rocambolesques de son existence. A l’écouter, sa vie n’avait guère été monotone.

Depuis toujours, son passé le possédait tant, qu’il le revisitait sans cesse. Il aimait se raconter d’une voix hésitante, chevrotante. Sa réserve de souvenirs semblait inépuisable. Les étés de sa jeunesse l’obsédaient. « Les beaux étés », comme il les appelait.

– Ah ! disait-il, à l’un ou l’autre des petits-enfants qui l’entouraient bien souvent, c’était une autre époque, celle des beaux étés !

Sans doute porté et emporté par un lyrisme nourri de son talent de conteur, il prétendait qu’autrefois, le soleil était plus brûlant, l’herbe plus verte et plus fournie, la musique des ruisseaux plus cristalline, comme était plus transparente l’eau qui s’y engouffrait.

– Et même, ajoutait-il avec un clin d’œil, les femmes ! Oui, les femmes étaient plus jolies.

Il en parlait si bien, des étés des années 1940 que Lisa, l’une de ses petites-filles qui habitait sous le même toit que lui, dans la maison de famille, n’hésitait pas, de temps à autre, à venir