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Lettre à toi
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Livre électronique313 pages3 heures

Lettre à toi

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À propos de ce livre électronique

Les choix les plus simples finissent toujours par être ceux qui influencent le plus votre vie et même s’ils n’avaient absolument plus rien en commun, en lui envoyant une simple lettre, Samuel va complètement bouleverser la vie de Claire. Elle, jeune Française devant qui tous les éléments de son monde ploient comme autant d’amants. Manhattan, le rock, les hommes. Ne manque de rien. Lui, veuf, sans attache. Survivant d’un génocide aux frontières du Rwanda. Manque de tout. Une seule lettre et c’est l’effet papillon…
LangueFrançais
Date de sortie13 mai 2014
ISBN9791029000256
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    Lettre à toi - Bruno Christian

    cover.jpg

    Lettre à toi

    Bruno Christian

    Lettre à toi

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    © Les Éditions Chapitre.com, 2014

    ISBN : 979-10-290-0025-6

    « Tout ce que l’on prévoit,

    tout ce que l’on attend n’arrive jamais,

    et même si sur le moment on crie à l’injustice

    et que l’on est amer,

    je suis persuadée que quelque chose de meilleur

    nous attend ailleurs. »

    Aurélie Boisvilliers.

    À mes parents, à ma sœur.

    À la mémoire de Gloria.

    À celles qui m’ont donné l’envie d’écrire.

    Et à tous ceux qui m’ont soutenu.

    Des électrons libres. Nous en étions tous d’une certaine manière et elle tout particulièrement. Julia se le répéta. Elle était seule, sans soutien. Le veston qu’elle avait emprunté à un collègue, deux ans auparavant, emprisonnait encore la tension nerveuse de ses épaules. C’était un vieux bout de cuir usé qui s’était parfaitement adapté à sa morphologie filiforme et donnait parfois l’impression d’être une seconde peau. Julia Guibert. Un poids plume qui avait chipé la veste du seul type du service à faire soixante-cinq kilos. À peu près à la même période, elle avait opté pour un style capillaire radical. Cinq centimètres de cheveux sur le crâne, quelques mèches plus longues au niveau des oreilles. Cinq centimètres qui ne présentaient qu’un seul intérêt : vingt secondes devant un miroir au lieu de vingt minutes, avant de commencer sa journée.

    37 ans, s’accrochant à son mégot de cigarette, elle avait brûlé la chandelle par les deux bouts, avait vécu son lot d’embrouilles, mené ses combats et vaincu ses démons, « des » démons précisément. Veste de cuir, un simple trait d’eyeliner noir pour tout maquillage, un grand coup de ciseau en guise de passage dans un salon de coiffure. Une bonne vieille paire de Doc Marten’s aux pieds, des increvables, qu’elle avait chinée au détour d’une ruelle de Barbès. Elle n’était pas vraiment la féminité incarnée et elle s’en moquait. Une démarcation volontaire de son image opposée au possible aux icônes plantureuses des magazines qui l’avait immédiatement poussée à se méfier de Claire Morante, l’évidence de son charme n’ayant d’égale que l’arrogance de sa jeunesse.

    Julia remonta Desbrosses Street.

    Elle suivait son intuition, en électron libre.

    Un petit animal nerveux échappé de sa meute et perdu dans les rues de Manhattan. Une fouine affamée trottinant à la recherche de nourriture. Elle inspira profondément.

    Claire Morante. Se méfier. L’examiner. La piéger.

    Julia s’était méfiée.

    Elle l’avait examinée.

    Et maintenant ?

    Où diable pouvait se trouver Claire, elle l’ignorait. Il ne lui restait rien de ses motivations premières. Aucune crainte de cette grande brune, parisienne expatriée du côté de Brooklyn. Il ne lui restait que des doutes, des idées confuses. Des mots qui pesaient lourdement sur son esprit. Des mots. Et d’où venaient-ils, ces mots ? Julia remonta sa main droite sous sa veste et se crispa. Elle songea à l’étincelle à l’origine de ce brasier de colère dans sa poitrine.

    Elle ne vit qu’un bout de papier entre les mains d’une jeune femme.

    Une lettre.

    La première lettre.

    Tout avait commencé avec elle.

    1

    La première lettre

    Traverser l’atlantique à bord d’un minable vol commercial. De longues escales, interminables, à ne rien faire d’autre qu’attendre, dormir accessoirement. Une seule chose comptait, arriver à destination. À Kennedy, s’armer de patience et faire face aux problèmes mécaniques en série, aux officiers des douanes déchaînés et, bien entendu, à une météo des plus exécrables.

    Elle avait fait six, sept, huit mille kilomètres peut-être. Elle s’en fichait. Elle n’avait pas même conscience de ce que cela pouvait être. On l’avait serré fort, très fort dans l’espoir qu’elle puisse délivrer son message sans encombre. Elle était même froissée comme si on l’avait jetée puis récupérée.

    New York, la belle, était déjà bien réveillée lorsqu’elle fut débarquée d’un centre de tri à un autre, des heures de plus ajoutées à son périple. Et ce fut la bonne rue, puis le bon immeuble et pour finir la bonne boîte aux lettres.

    L’adresse exacte : Pierrepont Street, Brooklyn Heights, N. Y. 11201. Claire Morante.

    À ceci près que c’est sa mère qui avait fait suivre cette lettre.

    Claire s’y était installée depuis un peu plus de trois ans. Judith Morante fût la première surprise lorsqu’elle avait découvert l’enveloppe adressée à sa fille mais, tout naturellement, de Paris elle l’avait réexpédiée.

    §

    Le lieu de vie de Claire le voici : un appartement vibrant de sons, de rythme, de musique, ne s’apaisant que pour quelques lectures passionnées. Les sols, les murs, les meubles, n’étaient qu’un patchwork coloré et vivant. Il y avait de tout. Guitares et amplis, partitions, tablatures et autres magazines spécialisés. On y trouvait un canapé rouge, extrêmement moelleux, coincé entre de robustes étagères. Des livres en tous genres y dormaient les uns sur les autres. Eco côtoyait Zola, Caleb Carr était le voisin de Süskind. Garcia Marquez se promenait à sa guise parmi tout ce petit monde. Elroy se tenait dans un coin.

    L’ordre importait peu, Claire ne se formalisait pas pour les rares personnes qu’elle pouvait recevoir. Posée sur un meuble près de la porte d’entrée, une veste trainait. Un accessoire habituel dont elle recouvrait ses épaules les nuits s’annonçant fraiches ou pluvieuses.

    Comme un fil d’Ariane, des jacks traînaient un peu partout, courant d’une pièce à l’autre pour toute personne qui chercherait Claire, sûre de la trouver accrochée à l’une de ses guitares. Au bout de la pièce principale se trouvait le cœur de l’appartement : Une cuisine fonctionnelle, entendons par-là une de celles qui fonctionnaient réellement… une pièce saturée des arômes du basilic au printemps et du chocolat chaud en hiver. Et de chaleur, il y régnait celle de l’âme même de l’hôte des lieux, alimentée par un vieux rock faisant suinter des murs la nostalgie d’une époque où une guitare et une batterie suffisaient à tenir en haleine des milliers de spectateurs deux heures de concert durant, proches de l’admiration religieuse.

    Son appartement était donc exactement comme elle l’avait souhaité, à son image, un brin français, un brin autre chose…

    §

    Vendredi, onze Août deux mille.

    Cette journée s’achevait et avec elle, toute une période de la vie de la française.

    Claire se glissa dans son appartement, fit claquer la porte derrière elle et déposa son sac à main sans même se soucier de son point de chute tout en faisant glisser une large sacoche sur le meuble près de la porte. Elle fit quelque pas en repoussant ses mèches brunes d’une main distraite et demanda tout haut comme si quelqu’un était présent et qu’il pourrait donner suite à sa question : « J’ai eu des messages ? ». Trottant au milieu du salon, elle vint aussitôt consulter son répondeur. Claire tendit une oreille attentive lorsque l’appareil grésilla, il n’y avait rien. Elle revint sur ses pas et s’empara de la sacoche qui contenait son ordinateur portable : une brique de quatre kilos six. Elle se posta à son bureau et connecta son modem. Le lent grésillement de la connexion s’éleva. Quelques minutes d’attentes quasi immobiles face à l’écran de la machine, ses doigts tapotant sa cuisse droite. Elle cliqua frénétiquement sur toute une suite d’icône et patienta une fois de plus le temps que les informations se chargent.

    Rien. Pas de courriels.

    La journée est vraiment terminée, se dit-elle.

    Claire s’approcha d’une étagère et prit une télécommande. Ses doigts glissèrent le long de son audiothèque. Elle fit son choix, alluma le lecteur de CD et pivota vers la salle de bain.

    Lorsque sa silhouette apparut dans le miroir qui occupait les trois quarts de la cloison, sa main fit basculer, une fois de plus, ses cheveux en arrière. La pièce était fraiche et elle s’en délecta lorsqu’elle retira ses vêtements. Elle se mit à inspecter tout autour d’elle sans même s’en rendre compte, passant en revue chaque détail, s’appuyant sur ces petites choses quotidiennes, ses petites habitudes, afin de se sentir parfaitement chez elle. Teinte claire, atmosphère sucrée, mélange de vanille et de fruits rouges. Des parfums totalement artificiels qui l’apaisaient beaucoup, sans qu’elle n’osât réellement se l’avouer. Draps de bain brodés de roses. Baignoire à juste mesure, une de celles qui conviennent tout à fait à une célibataire sans projet de couple.

    Claire ouvrit le robinet et balança une pleine poignée de sel dans la baignoire, une vieille habitude qui lui venait de sa mère et dont elle ne voulait se défaire. Elle patienta en fixant les murs. Il s’agissait de son quart d’heure de détente. Puis elle rejoindrait sa bande au pub.

    Sitôt qu’elle se glissa dans l’eau, ses muscles se relâchèrent. Tension, anxiété, un certain degré de nervosité aussi, s’exfiltraient à travers les pores de sa peau. Du salon, la musique se glissait lentement jusqu’à elle. Les accords de guitare claquèrent. Un concert en acoustique dans le plus pur esprit du rock : une voix, une guitare. Il y avait quelque chose de bohémien dans cette mélodie qui la berçait lentement. Elle suivait chaque note en les fredonnant à peine, Claire se savait pertinemment incapable de les reproduire.

    Elle sourit et déclara au beau et regretté Connor : « See you soon. »

    Elle rêvassait un peu en cet instant. Sa journée avait été des plus banales. Ouverture de la librairie à dix heures. Bonne affluence, bonne clientèle, avec un panier moyen qui tournait aux alentours de cinquante-cinq dollars. Quelques étudiants, quelques passionnés, quelques néophytes mais rien de particulier. La littérature étrangère se portait bien.

    Sa matinée fut ponctuée d’une courte pause déjeuner suivie d’un passage éclair au pub d’à côté pour un capuccino. Elle y régla les détails pour sa prestation du soir. Il s’agirait de « Claire Morante, live acoustic. » Elle y exécuterait une set-list bien rôdée qu’elle modifiait cependant selon son humeur, au grand dam des compères qui formaient son band. Elle fixa le mur face à elle et songea non pas aux immeubles qui jalonnaient Pierrepont Street mais à l’étendue de la ville par-delà. Cette ville qui lui avait offert ce dont elle avait toujours rêvé. Il n’était pas question d’utopie ou de naïveté. Elle avait su garder les pieds sur terre, engager toute son énergie dans cette librairie, dans son poste de conseillère en vente pour lequel elle avait postulé depuis Paris. New York lui avait offert le « Possible. » De beaux amants. Un emploi stable et correctement rémunéré. Des concerts ici et là en grattant quelques accords. Oui, c’est cela qu’elle aimait dans cette ville.

    Elle fit passer son pied gauche par-dessus la baignoire et fit de même avec ses bras en s’étirant au maximum. Au passage, elle fit couler de l’eau sur le sol. Un arpège cristallin surgit tout à coup et lui ferma les paupières. Claire se dit qu’il lui faudrait absolument retrouver les différents réglages sur ses amplis afin de recréer cette perfection sonore.

    Elle se redressa brusquement et tendit l’oreille.

    Sa vie basculait à cet instant.

    Claire ne put s’empêcher d’entendre la mélodie qui emportait la voix de Buckley dans une valse aux sonorités purement et simplement française. Le rockeur poursuivit d’ailleurs en français, une langue qui lui allait fort bien et que sa voix chargée de mélancolie ainsi que son accent ne faisaient que transcender.

    La sonnerie de son poste fixe retentit une fois de plus. C’est cette dissonance qu’elle avait entendue à travers la mélodie qui lui parvenait du salon. Claire sortit immédiatement de l’eau et s’enroula dans une serviette.

    « Bonjour Maman » lança-t-elle sitôt qu’elle eut décroché.

    De l’autre côté de l’atlantique, Madame Morante sourit dans sa cuisine.

    « Comment sais-tu que c’est moi ?

    – La seule qui ose m’appeler lorsque je profite d’un bain chaud, lança Claire en riant pour souligner cette évidence.

    – Très bien. Tu veux que je fasse court ? »

    Claire préféra ne pas se retourner en songeant à toute l’eau qu’elle n’avait pas manquée de répandre sur son passage.

    « On a le temps, comment ça va ?

    – Plutôt bien. Je ne traînerais pas. Il se fait tard chez nous, confia Judith en consultant l’horloge murale de sa cuisine. As-tu reçu la lettre ? »

    Elle tourna la tête par réflexe vers son bureau.

    « Pas encore vérifié mon courrier. C’est quoi ?

    – Samuel Vasseur, ça te dit quelque chose ? »

    Son regard se figea.

    « Oui, répondit-elle d’une petite voix. Un vieil ami de la fac.

    – Bien, je te l’ai envoyée dès que je l’ai reçue, mais j’avoue que j’ai oublié de t’appeler. »

    Ses doigts resserrèrent leur étreinte sur sa serviette.

    « Merci, je te laisse, te rappelle dès que possible. Je t’embrasse. »

    Elle écouta la dernière phrase de sa mère puis se dirigea lentement vers la salle de bain, en prenant grand soin de ne pas glisser. Elle se vit dans le miroir, le visage étiré par la surprise. Claire mit quelques secondes à faire un choix puis elle se sécha rapidement et enfila les premiers vêtements que ses mains rencontrèrent.

    §

    Ce n’est pas la couleur de l’enveloppe qui la surprit, ni l’unique inscription « Samuel Vasseur » au dos de celle-ci sans la moindre adresse, ce fut le papier même sur lequel la lettre avait été écrite. Une affiche publicitaire pliée et soigneusement déchirée. Avant même d’en lire le moindre mot, elle parcourut brièvement chaque feuillet. Aucun doute, il s’agissait bien de « son » écriture ; de belles boucles sur les voyelles en opposition avec les consonnes acérées posées comme des coups de cutter sur le papier.

    Elle entama sa lecture sans prendre le temps de s’asseoir.

    Bonjour, c’est Samuel.

    Le 03/07/2000

    Ne te pose pas de questions sur le pourquoi de cette lettre. Cela fait déjà 7 ans. 7 années depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Lis cette lettre jusqu’au bout, c’est tout ce que je te demande.

    J’espère que tu vas bien. Que ta vie va pour le mieux.

    Je suis fatigué, j’ai peu dormi, pardonne mon écriture et surtout pardonne le papier. Il est très tôt, j’ai un peu froid et je n’ai pas trouvé de librairie. Ici, elles sont rares. Je suis au Burkina-Faso. La plupart des gens ne savent même pas où ça se situe et moi j’y suis depuis un an. Tout ce que je peux en dire c’est que le Burkina-Faso est sans doute le pays Africain qui m’a été le moins hostile. Je suis triste à l’idée de dire adieu à mes amis, mais l’Afrique n’est pas un continent sur lequel un blanc peut s’installer durablement. Nous y sommes tolérés, tant que nous ne faisons que passer. Je t’expliquerai cela plus tard, si je le peux. Nous devons bouger, constamment. Je pars dans quatre ou cinq heures, si mon avion n’a pas de problème.

    J’avais tout juste vingt ans, me semble-t-il, la dernière fois que nous nous sommes vus. Tu connaissais mon désir d’enseigner, mes rêves de pédagogie non pas différente mais « alternative ». Mes beaux rêves… Je me suis levé un matin et j’ai quitté la Fac. Sans me retourner. Sans regrets. Je me suis engagé dans la première mission humanitaire que j’ai pu trouver.

    Direction le Rwanda.

    Nous étions plusieurs « factions » et celle à laquelle j’appartenais se composait d’une vingtaine de français, d’une poignée d’anglais et de trois Belges. Quelle équipée ! 22 ans pour être précis et en route pour l’Afrique, des médicaments plein les poches. Tu te doutes bien que j’étais le plus jeune de la bande. Des vaccins, des antibiotiques et de l’espoir. Voilà ce que nous avions pour sauver tout un peuple au lendemain d’un massacre.

    Mon cœur, lui n’était pas prêt. J’y ai appris le courage et la dignité, mais aussi l’injustice et l’abandon.

    J’y ai rencontré les êtres humains les plus beaux, les plus forts, les plus fiers. Le cours des événements me les enlevait les uns après les autres. Mon cœur n’était pas prêt. J’étais faible et même plus que ça : j’étais lâche.

    Alors dès que cela a été possible, j’ai rejoint une mission plus tranquille. J’ai pu me reposer et reprendre des forces morales. J’ai pu m’installer dans un petit village. J’y ai appris le rire, le bonheur et l’amour. Le rire d’une femme, le bonheur d’être à ses côtés, l’amour d’une compagne. Je me suis installé pour de bon, dira-t-on. Elle a fait de moi un père comblé. J’ai été le père d’une magnifique petite Aéria pendant dix-sept jours.

    Ma famille a été tuée un matin de Décembre. Je l’ai enterré de mes mains. Pardonne-moi de ne pouvoir écrire le nom de la mère de mon enfant. Je n’en aurai plus jamais la force. Les circonstances étaient ce qu’elles étaient. Compliquées. Un politicien (politicien, militaire tout se confond ici surtout lorsqu’il était question d’un Hutu dit modéré venant en aide à des Tutsies) avait été pris en chasse par ses propres partisans. Ceux-ci ne se sont pas attardés à poser des questions. Ils n’en étaient pas à un massacre près. Je tiens ces mots d’un des hommes que j’ai pu attraper. Ses derniers mots en ce bas monde. J’ai quitté le pays en empruntant une place dans un convoi militaire. J’étais épuisé. Vide. Mort moi aussi. Aéria, ma petite Aéria repose en sa terre natale tout près de sa mère.

    Les années passent et je ne trouve toujours pas la force de quitter le sol Africain.

    Aujourd’hui, j’ai 29 ans. J’ai parfois l’impression d’en avoir le double, même le triple. J’ai comme un étau qui me comprime la poitrine, j’étouffe. Je suis épuisé, je n’ai pas encore d’avenir. Je prends l’avion et puis… et puis on verra. Je n’ai pas d’avenir mais je me souviens d’un passé qui me semble aussi flou qu’un rêve. Cette lettre entre tes mains est la preuve que j’ai eu une vie toute autre avant l’Afrique. Je me surprends parfois à prononcer des mots dans une langue qui me paraît étrangère tant ils me viennent de loin dans ma mémoire. Ma voix me fait sursauter dans ces grands moments de solitude.

    Un événement singulier s’est produit récemment. Je m’étais endormi chez un ami. À mon réveil, j’ai été très étonné de trouver celui-ci assis en face de moi. Il m’avait observé et m’a posé une question : « Qui est Claire ? »

    Cette question m’a surpris. Ce que je ressentais alors était du bonheur. J’avais prononcé ton nom dans mon sommeil. Je fus contraint de reconnaître que je ne t’avais jamais oublié. L’Afrique et moi avons une relation étrange. Plus j’essaye de me poser sur ses terres et plus mon cœur s’en éloigne. Aujourd’hui que je m’apprête à la quitter, je me surprends à vouloir faire marche arrière, poser mon sac.

    Cependant, une chose est sûre. Tu me manques. D’une manière étrange, je le reconnais, mais c’est indéniable. Tu me manques.

    Sam.

    Les dernières lignes étaient écrites d’une couleur différente. Claire en conclut que Sam les avait rajoutées au tout dernier moment :

    Ps : J’ai finalement trouvé un compromis avec l’Afrique. Je quitte le Burkina-Faso. Je vais au Sénégal. L’ambassade de France sera mon prochain point de chute.

    Rien

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