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Ces yeux qui restent clos
Ces yeux qui restent clos
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Livre électronique336 pages4 heures

Ces yeux qui restent clos

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À propos de ce livre électronique

Sept femmes disparues et données pour mortes. Affaire classée. Un suspect. Un tueur. Le don du lieutenant Andrew qui lui permet de voir les cadavres des femmes séquestrées. Un shérif qui ne sait pas par où commencer. Un tueur qui n’en est pas un. Une erreur judiciaire.
Elle flottait au bord du lac, comme endormie, couverte de jolies fleurs, en ce jour de printemps, à Castle Lake Hill. Le lieutenant Andrew est plongé dans l’enquête sur des femmes disparues depuis quatre ans. Arrivé sur les lieux de sa découverte, il reconnaît la femme de la photo ; ça ne fait aucun doute, c’est elle. Elle est intacte, nue, et recouverte de pétales. Ses yeux sont clos. Ses paupières sont collées. Sa peau est encore rose et chaude. Mais cette femme est considérée comme morte depuis quatre ans. Ses vêtements et son sang correspondent à ceux d’Ava Cox, la première disparue. Comment est-il possible qu’on la retrouve intacte ? Qui plus est, le tueur a été arrêté et jugé. Parker Atkinson a emporté son secret dans l’incinérateur.
Le lieutenant Andrew possède deux dons : la Prémonition et la Vision à distance. Il peut voir le futur, et grâce à son deuxième don, le lieutenant reçoit des informations sur des choses physiquement très éloignées. Ce sont les voitures abandonnées de toutes les disparues que l’on retrouve sur la côte Est du Maine.
Un labyrinthe de pistes, des questions et des expériences incontrôlées perturbent le lieutenant Andrew à mesure que les cadavres des autres femmes apparaissent.
Un jour, une jeune femme prénommée Clarice pénètre dans le commissariat. Elle déclare avoir été agressée par le tueur. Elle est couverte de sang. Elle peut apporter son aide pour tenter de mettre la main sur ce psychopathe puisqu’elle s’est trouvée face à lui.

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie17 janv. 2019
ISBN9781547566488
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    Ces yeux qui restent clos - Claudio Hernández

    Ces yeux qui restent clos

    Claudio Hernández

    Première édition eBook : juillet 2018.

    Titre : Ces yeux qui restent clos.

    ©  2018 Claudio Hernández

    ©   2018 Illustration de couverture : Francesca MerryBooks

    ©   2018 Illustration de couverture : Vero Monroy

    Code Safe Creative : 1805267191572

    Licence : Tous droits réservés.

    La présente publication, y compris ses éléments de couverture, ne saurait être en tout ou partie reproduite, stockée ou transmise par quelque support que ce soit, qu’il s’agisse d’une transmission électronique, mécanique, optique, par enregistrement, sur Internet ou par photocopie, sans l’autorisation préalable de son éditeur ou de son auteur. Tous droits réservés.

    Je dédie ce livre à mon épouse, Mary, qui supporte chaque jour, patiemment, mes gamineries. J’espère qu’elle ne cessera jamais de le faire. Cette fois-ci, je me suis embarqué dans une autre aventure, une aventure que j’ai commencée dans mon enfance et que, à force d’endurance et avec son soutien, j’ai achevée. Un autre rêve devenu réalité. Elle dit que, parfois, je suis brillant... Parfois... Mais je crois bien que, cette fois-ci, je suis allé si loin dans cette aventure que j’ai réveillé mon côté le plus créatif... Cette lueur... Je dédie également ce livre à mon beau-père / père qui me regarde depuis là-haut, que dis-je, qui est à mes côtés... Chaque jour...

    Ces yeux qui restent clos

    1

    Il avait conservé les clichés des sept malheureuses qu’on avait déclarées disparues puis mortes quatre ans auparavant. Sans savoir pourquoi, il avait ouvert son tiroir, qui avait grincé sur toute la longueur de ses rails, comme une drôle de langue. Il abritait un énorme tas de dossiers verts. Il voulait qu’ils soient verts, c’était l’une de ses manies. Ils se démenaient pour sortir de là, comme poussés par un ressort. Deux de ces dossiers se distinguaient des autres, les premiers du tas, évidemment. Il s’en saisit de sa main potelée. Il sentit à nouveau la rugosité du papier cartonné vieilli ; voilà quatre ans qu’ils étaient trimbalés de tous les côtés puis rangés, le soir, au fond de ce tiroir. À mesure qu’il se remplissait, les dossiers étaient remontés en haut du tas pour pouvoir être manipulés, comme ce fils de chienne les avait certainement manipulées, elles. Ou peut-être pas.

    Ava, Madelyn, Hannah, Emily, Zoé, Kylie et Audrey.

    Tel un collectionneur désabusé, il avait collé leurs photos sur le mur de son bureau avec du Scotch ; la peinture s’écaillait sous les clichés qui noircissaient le mur. Il avait ensuite regagné son fauteuil pivotant pour les observer avec détermination et perplexité à la fois.

    Elles avaient toutes quitté ce monde, et leur tueur pourrissait en prison ; il souffrait d’un cancer en phase terminale et Andrew attendait impatiemment que sonne son téléphone et qu’on lui apprenne que c’était fini pour lui, mais son don de Prémonition lui suggérait de regarder une fois de plus le visage de ces femmes qui n’existaient plus que sur des photos jaunies par le temps, collées comme des chewing-gums. Il ignorait pourquoi, mais il était convaincu que quelque chose d’étrange allait se produire.

    Andrew ne jouissait pas de ce seul pouvoir mental, il était aussi doué de vision à distance.

    Il savait que quelque chose allait arriver.

    Oh oui, il le savait.

    Il avait pour autre manie de lire et relire les rapports d’enquête de toutes les affaires qui étaient passées entre ses mains : meurtres, adultères, disparitions, fillettes qu’on avait... Non, il n’avait aucune envie de penser à ce verbe immonde. Son front reposait lourdement sur sa main fermée.

    C’est alors que ce brave type eut l’idée de ressortir leurs dossiers, à elles et à lui, comme si le passé remontait soudain à la surface. Cette obsession l’avait tenaillé toute la nuit. Il n’avait pas pris ce foutu comprimé. Il n’en avait pris aucun à vrai dire, seul le torrent de bière fraîche qui dévalait sa gorge lui permettait d'oublier ces putains d'images, mais elles ne manquaient pas de resurgir dans son esprit. C’était rare qu’il déglingue autant de bières. Les photos. Le tueur à la dent cassée et au visage de dingue. Les preuves réunies, entre autres les vêtements de ces pauvres femmes, inondées de ses empreintes, de sa salive et de Dieu sait quoi d'autre. Il ne s’en souvenait pas. Mais ce matin-là, tandis que les rayons du soleil restaient piégés entre les lamelles de la persienne, essayant tant bien que mal d’atteindre de leurs longs doigts le bureau à la langue tirée, il savait ce que c’était.

    Du sperme.

    Cette substance lisse et poisseuse, blanchâtre comme du pus, qui contenait des millions d’êtres vivants en devenir qui, à coup sûr, seraient bien meilleurs que lui. Parker Atkinson. Celui qui mourait à petit feu sans jamais révéler l’endroit où se trouvaient leurs cadavres. Jusqu’à ce que le téléphone sonne et, ciao le secret. La bouche qui pouvait postillonner les lieux où elles avaient été enterrées, emmurées ou, qui sait, plongées au fond d’un lac, allait se fermer pour toujours en emportant ce secret dans son dernier soupir.

    Ça aussi, il le savait.

    Sa calvitie naissante fut baignée des rayons du soleil des premiers jours du printemps à Castle Lake Hill, une petite ville du Maine qui abritait d’épaisses forêts et six lacs profonds. Là où, apparemment, les choses les plus étranges pouvaient arriver. Mais elles ne se produisirent que dans trois de ces lacs. Il l’ignorait encore.

    Andrew Moore était proche de la retraite, mais ses manies lui interdisaient de la prendre. Les nanas le regardaient sans le voir et lui les observait avec ses yeux marron.

    Tout en pensant à ce monstre de Parker Atkinson.

    Il se souvint qu’il avait manqué son rendez-vous avec son meilleur ami, son psychiatre. Un grand type blond, et jeune surtout, qui s’appelait Grayson Lee. Il lui serrait toujours la main tout en lui offrant spontanément un large sourire qui semblait infini. Une ligne que l’on pouvait tracer tout autour de son visage, jusqu’à la nuque.

    Soudain, il vit.

    Quand son cœur lui remontait dans l’œsophage, c’est que quelque chose n’allait pas. Un jour, il avait vu à l’avance le clou qui allait transpercer le pied de sa maman, dans les années quarante, mais il ne lui avait rien dit et elle avait marché dessus si fort que la pointe effilée était ressortie sur le dessus en saignant beaucoup. Il ne se le pardonnerait jamais. Mais à présent, il avait une vision. Derrière ses yeux, là où le nerf optique se connecte à une partie du cerveau, il la vit.

    C’était Ava, et elle dormait. Les fleurs et les mauvaises herbes s’entremêlaient à sa chevelure bleue, comme une fine toile d’araignée qui recouvre tout. Il pouvait percevoir les odeurs et les bruits. On entendait un clapotis en bruit de fond. C’était de l’eau. Mais il y avait autre chose à la surface, une grenouille qui coassait, la gueule ouverte, sa langue ridicule pendant sur le côté. Elle s’était fait mordre la langue par un autre animal quelques temps auparavant, et la pauvre grenouille avait dû s’adapter à tout. Y compris à l’étrange présence d’Ava, dépourvue de toute vie, dont les yeux ne pouvaient s’ouvrir.

    C’était aussi banal que les fois précédentes ; il voyait ce qui arriverait plus tard, mais là, quelque chose avait déclenché tous les signaux d’alarme de son corps. Son cœur battait à tout rompre et ses mains devinrent moites. Une remontée âcre, voire acide, vint lui brûler la gorge.

    Cette fois, c’était différent.

    Mais c’était une fois encore le fruit d’une prémonition.

    Il avait soixante-trois ans, et tout semblait différent.

    Le téléphone sonna soudain. Ça, il ne l’avait pas prévu. C’était le téléphone posé dans un coin du bureau en acajou. Un appareil sans fil, mais qui sonnait comme dans les années soixante-dix. Il était dos au téléphone, ça l’avait pris par surprise. Il sursauta dans son fauteuil, et quelque chose de froid lui monta à la tête.

    Il n’avait pas anticipé la scène. Il n’avait rien présagé. En fait, ce n’était rien qu’un coup de fil, s'était-il dit en faisant tourner son fauteuil. Un fauteuil noir capitonné. Le dossier lui arrivait à la nuque. Il l’avait acheté sur un coup de tête. Il avait lu qu’il disposait d’un dossier inclinable et d’un système de réglage de la hauteur. Une merveille. Le dossier, et l’assise où il poserait très souvent son énorme fessier, étaient rembourrés. Il l’avait vérifié. En plus, la fiche disait qu’on pouvait y passer plus de huit heures chaque jour. À cette lecture, ses yeux avaient brillé, comme quand il avait lu : base stable et roulettes solides. Il était grand et plutôt costaud, pas gros, non, mais costaud. Il devait faire dans les cent kilos au bas mot. Les accoudoirs étaient usés par les frottements constants de ses avant-bras. L’été, quand il se mettait en bras de chemise, sa peau se fondait à ce qui ressemblait à du plastique, mais c’était du cuir.

    Péniblement, il fit glisser, ou plutôt traîner, les quatre roulettes du fauteuil vers le téléphone. Un mètre et demi seulement le séparait de la sonnerie, et il s’était dit qu’il n’allait pas se lever si peu de temps après s’y être confortablement installé, après avoir collé toutes ces foutues photographies.

    À la quatrième sonnerie, il décrocha.

    - Lieutenant Andrew Moore à l’appareil. Qui vient me déranger à cette heure-ci ?

    Sa voix grave et lasse à la fois venait de monter d’un cran. Andrew n’était pas ce genre de type à la voix doucereuse, bien au contraire. Il avait une voix forte et tranchante, mais il faisait bien son job.

    - Il est neuf heures et demie passé, Andrew, lui répondit une voix de sifflet à l’autre bout de la ligne.

    Andrew identifia la voix et fronça les sourcils.

    Il savait qu’il allait recevoir une nouvelle, bonne ou mauvaise.

    - Sale fils de chienne, pourquoi tu m’appelles, Colton ?

    Il posa les pieds sur le linoléum et prit de l’élan pour se retourner à nouveau vers le mur. Vers les photos.

    Colton Allen était le directeur du Centre pénitentiaire de Warren, dans le Maine. Une prison qui n’accueillait que 915 détenus. Un vrai luxe pour cet enfoiré de Parker Atkinson. On y trouvait tout le confort moderne, et même la télévision, dans une salle. Un jour, quelqu’un avait dit que les détenus étaient incarcérés pour payer leur dette envers la société, pas pour se faire les muscles et agresser des innocents une fois libérés.

    Andrew avait toujours gardé ça en mémoire.

    - Lieutenant Andrew, j’ai une bonne nouvelle pour vous, répondit joyeusement Colton.

    Andrew eut l’impression qu’il étouffait un rire tandis que son corps malingre se pliait en deux et que ses doigts fins comme des stylos à bille se contractaient sur le téléphone de la prison.

    - Tu m’en diras tant ! Une nouvelle. Et qu’est-ce qui t’amuse autant ?

    À l’autre bout de la ligne, dans un coin reculé du Maine, Colton étira ses lèvres en un sourire contrit, comme un gamin qui vient de se faire enguirlander par son père.

    - Tu m’as entendu rire ?

    - Comme si tu étais devant moi, répondit Andrew en faisant sa tête des mauvais jours.

    Il était toujours sérieux et réfléchi.

    - Désolé, mais vu que nous sommes liés par une certaine amitié, je me suis laissé emporter, je pensais que ça ne t’ennuierait pas...

    - Arrête de geindre et viens-en au fait, l’interrompit Andrew, les yeux rivés sur la photo qu’il avait collée à l’écart de celles des sept femmes ; la photo de Parker prise de face, avec son regard fou.

    Un blanc se fit soudain dans la conversation, seulement brisé par les miaulements étouffés d’un chat qui se frottait dans un coin.

    - Parker Atkinson est mort. Au petit matin. À trois heures et quatre minutes. Et non, il n’a rien dit avant de passer l’arme à gauche. Ça fait un fils de pute en moins dans ce pays.

    Le lieutenant resta abasourdi, et clairement déçu, parce qu’il pensait qu’il tirerait les vers du nez à ce dingue. Qu’il finirait par parler. Qu’il lui ferait cracher tous les endroits où il avait fait disparaître ces sept pauvres malheureuses. Aucune n’avait plus de trente ans, et aucune n’était mariée. Elles n’avaient pas d’enfants non plus.

    Telle une tour qui surgit de terre, Andrew se leva de son fauteuil en faisant difficilement travailler ses muscles et ses articulations qui craquèrent à l’unisson : fémur, rotule, péroné, tibia, cheville et bassin. Un long et mince rayon de soleil parvint à se glisser à travers la persienne baissée et vint lui caresser son énorme bedaine.

    - Quelle merde, lança Andrew, les dents serrées, en raccrochant.

    À l’autre bout de la ligne, Colton regarda fixement le combiné du téléphone, comme s’il espérait y découvrir quelque chose d’intéressant.  

    Andrew s’approcha lentement du mur, les yeux rivés sur la photo de Parker. Il détailla chaque trait de ce visage. Parker Atkinson semblait se foutre de lui avec ce sourire moqueur, les lèvres ouvertes sur son affreuse dentition, face à l’appareil. Ses cheveux sales et poisseux étaient collés sur son front comme une ventouse noire. Il avait les yeux diablement inquiétants. Une certaine folie émanait de lui, la folie d’un pervers et d’un monstre.

    Le lieutenant passa les doigts de sa main droite sur la surface lisse du cliché, avec une certaine délicatesse, tandis qu’il se concentrait pour exercer son don de Vision à distance. Et il vit quelque chose.

    Il était tendu comme la peau d’un tambour.

    Encore penché, puisqu’il avait collé la photo à mi-hauteur sur le mur, juste au-dessus du meuble de rangement dans lequel étaient classés toutes les affaires résolues et tous les échecs du passé, Andrew se mit à spéculer.

    2

    Quelque part dans le Maine, hors du comté de Castle Lake Hill, un esprit malade écoutait la chanson Life in Mono à plein volume, tandis que trois radiateurs orientés vers son corps produisaient une intense vague de chaleur. Il se caressait, les mains barbouillées de gel, les passant sur son torse, sur son ventre plat, ses côtés, ses flancs, ses avant-bras et même son visage, au rythme de la douce mélodie de la chanson mielleuse et fleur bleue. La folie brillait dans ses yeux, et sa perruque verte déployait ses longues mèches sur ses épaules et lui caressait le dos. Ses mouvements étaient sensuels et collaient à la perfection à la musique.

    Les haut-parleurs explosaient à chaque battement des percussions puis se calmaient quand la voix de la chanteuse murmurait les paroles.

    Cet esprit dérangé était enfermé dans une chambre aux fenêtres condamnées et non ventilée, au plafond de laquelle pendaient trois ampoules rouges qui projetaient un manteau de sang sur son corps et sur les murs.

    Sa main droite descendit vers son sexe et, délicatement, le replia à l’intérieur de ses cuisses. Sa pilosité presque mousseuse faisait office de pubis et, dans le seul miroir qui se tenait devant lui, un miroir en pied, apparut l’image de ce qui ressemblait à un sexe féminin.

    Ses lèvres s’étirèrent en une moue vulgaire et il tendit sa langue rosée vers le miroir, puis se lécha les lèvres en fermant les paupières. Il continua à se balancer au rythme du chuchotement de la musique car, pour cet esprit malade, cette chanson était un doux murmure à ses oreilles, même à plus de quatre-vingt-dix décibels.

    Le lieutenant Andrew allait croiser la route de cet esprit dérangé.

    En attendant, il continuait à danser et à se masturber.

    Au rythme de la chanson qui passait en boucle.

    3

    Andrew Moore avait toujours voulu devenir lieutenant, et il y était parvenu en grimpant un à un les échelons de la police. Il aurait préféré être détective privé, mais aux États-Unis, c’était un mauvais choix, à moins d’aimer n’enquêter que sur des adultères. Andrew voulait mettre sous les verrous les esprits les plus pervers de ce monde. Enfin, de son État ou de son comté. Satisfaisant à l’ensemble des conditions requises pour intégrer les forces de police, il pouvait désormais interroger des témoins, regarder des tueurs droit dans les yeux et résoudre des affaires de meurtre. Mais après avoir passé toute sa vie en état de stress permanent, il en était venu à soupeser l’idée de tout plaquer, à soixante-trois ans. Il avait assez donné. Néanmoins, une petite voix lui disait que le moment n’était pas encore venu. Pas encore.

    Il continua à observer les visages de ces jeunes femmes souriantes, désormais plaqués au mur comme une collection d’autocollants.

    La Police du Maine semblait avoir rapidement et efficacement résolu l’affaire. Cependant, Andrew avait toujours pensé qu’il y avait un vide à combler. Il ressentait parfois les battements effrénés des cœurs de ces femmes. Il se disait qu’il délirait, du moins était-ce ce que lui faisait croire son psychiatre, Grayson Lee, un type aux cheveux blonds frisés et à la mâchoire large.

    Andrew le surnommait « le corbeau » à cause de sa tenue vestimentaire. Le costume noir d’un père meurtri par la mort de sa fille, celui qu’il portait devant le cercueil qu’on avait lentement descendu au fond de la tombe quelques temps auparavant.

    Évidemment, Grayson ignorait qu’il le surnommait ainsi.

    Le téléphone sonna à nouveau. Cette fois-ci, c’était le portable qu’il gardait dans la poche de son imperméable gris. En été comme devant une cheminée, cet imperméable ne le quittait pas depuis plus de vingt ans.

    Il remarqua que les faibles vibrations soulageaient sa douleur à la hanche. Sa chair tendre, mais plutôt ferme vu son poids, répondit aux vibrations du portable par de légers picotements. Un vrombissement, comme celui de ces énormes mouches vertes qui se délectent de la viscosité des cadavres, semblait vouloir s’échapper de la poche et s’en élevait comme la fumée d’une cigarette.

    Andrew attendit la troisième sonnerie pour plonger la main dans sa poche. Ses doigts le saisirent comme une pince et il se colla l’appareil à l’oreille.

    - J’écoute.

    On l’appelait sur son numéro privé, et peu de personnes le connaissaient. Seulement deux, en fait : le shérif Landon et son psy, Grayson Lee.

    - Bonjour, Andrew, comment allez-vous ?

    C’était la voix rauque du second. Une voix claire et nette. Le portable, un Samsung de 2003, ne comportait que deux touches et n’avait aucune idée de ce que pouvait être Android ; néanmoins, il fonctionnait toujours. Un portable blanc.

    - Bien, Grayson. Je vais plutôt bien, mentit Andrew en se mordillant les lèvres.

    Il avait les yeux rivés sur la photo d’Ava, la première sur la gauche. Ava Cox avait disparu un matin de mars, aux tout premiers jours du printemps 2014. Il avait une bonne mémoire, pour l’instant.

    - Je ne sais pas pourquoi, mais je ne vous crois pas, dit Grayson, du tac au tac.

    Andrew se foutait comme de sa première chemise de ce que pouvait penser Grayson, aussi n’eut-il pas les lèvres sèches ni le front en sueur. Ses yeux restaient concentrés sur le cliché de cette femme aux cheveux bleus. C’était ridicule, certes, mais c’était sous cette allure qu’elle avait disparu. Même si plus tard, cette couleur absurde disparaîtrait sous une autre teinture, mais il l'ignorait encore.

    - Ça, ça vous regarde, rétorqua Andrew en cessant de se mordre la lèvre inférieure.

    Les rayons du soleil pénétraient difficilement par les interstices fins comme des spaghettis entre les lamelles de la persienne, et le temps continuait à défiler en cette matinée du mois de mars, qui coïncidait avec la date de la première disparition.

    Le destin nous réserve à tous des surprises, se dit-il.

    - Vous avez recommencé avec vos manies, Andrew ?

    - Non.

    - Qu’est-ce que vous faites en ce moment ?

    - Je me gratte le cul, répondit-il sans le moindre sourire.

    Ses lèvres ne bougèrent pas d’un pouce.

    - Je vois, toujours aussi convaincant, Andrew. Vous savez pourquoi je vous appelle ?

    - Non, mentit Andrés. Il savait qu’il avait manqué son rendez-vous.

    Il y eut un bref instant de silence. On n’entendait aucun chien aboyer dehors ni la moindre souris gratter derrière les murs.

    - Eh bien, vous avez encore loupé notre rendez-vous. Vous auriez dû vous trouver devant moi avant-hier. À onze heures. Ça vous dit quelque chose ?

    - Mince ! J’ai encore oublié.

    Les doigts de sa main gauche caressaient à présent la photo de la femme aux cheveux bleus.

    - Toujours aussi drôle.

    La voix de Grayson n’avait rien d’aimable. Bien au contraire, il avait l’air furieux.

    Andrew se l’imaginait, dans son costume ridicule, enfoncé dans son fauteuil, derrière son bureau noir. Un bureau grand comme un porte-avion.

    - Je n’y ai pas pensé. Vous savez, nous les vieux, on oublie des choses parfois. En plus, ces foutus comprimés que vous m’avez prescrits me font somnoler toute la journée et, comme vous le savez, j’ai des trucs à faire...

    - Mais vous aviez besoin d’aide il y a quatre ans, et je

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