Tueurs de papier
La première fois qu’il avait vu, ou en tout cas cru apercevoir, Gabriel Brat, Benjamin Ferreira n’en avait pas parlé à Coralie. Surtout pas. Parce qu’elle aurait ri, au mieux. Et sinon elle l’aurait pris pour un cinglé, ce qu’il n’aurait pu lui reprocher. La connaissant, elle aurait joué le doute, pour l’apaiser, mais n’en aurait pensé pas moins. Et s’il y avait un regard sur lui qui lui importait, c’était bien le sien.
Cela s’était passé un matin, deux semaines plus tôt, alors que Ferreira faisait son jogging dominical. Il aurait pu courir n’importe quel autre jour de la semaine, il le savait, il n’avait pas d’horaires précis, il était patron de son emploi du temps. Mais courir en même temps que les autres, sans forcément les croiser, lui paraissait une méthode qui valait ce qu’elle valait pour se mettre de temps en temps au diapason de la société des hommes.
Il ne la fréquentait guère par ailleurs. Le succès de ses livres lui avait permis d’être écrivain à plein temps, et depuis il ne montrait pas un enthousiasme délirant à frayer avec ses semblables qu’il jugeait si souvent différents. Il n’était pas ce qu’on appelle communément un misanthrope. Disons qu’il préférait apprécier les hommes de loin, comme on peut aimer les chats qu’une allergie nous empêcherait d’approcher de trop près. Ce n’est pas pour autant qu’on leur veut du mal. Contrairement à la majorité des joggeurs du dimanche, il pouvait se dire qu’il travaillait toujours puisque courir lui permettait de mettre ses synapses sur coussins d’air. S’il n’avait pas l’impression de réfléchir particulièrement à son ouvrage en cours, il savait que souterrainement le processus de création, dopé à l’oxygène, travaillait pour lui. C’était la voiture, ou plutôt la fourgonnette, qu’il avait d’abord aperçue garée sur le talus qui longeait la rivière. Il était rare que des véhicules s’arrêtent là, sur le bord de la route, même si la vue en contrebas était plutôt jolie. Ou alors c’était que le conducteur avait voulu de soulager un besoin naturel. Si tel était le cas, le conducteur semblait en avoir
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