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Hermès Baby
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Livre électronique221 pages2 heures

Hermès Baby

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À propos de ce livre électronique

Suivez les aventures de quatre femmes issues de générations différentes...


« Hermès Baby », référence à la fameuse machine à écrire couleur menthe à l'eau, c’est le roman choral au féminin de Françoise, Élise, Dora et Adèle. Quatre générations de femmes, artistes et mères que tout rassemble sauf le nombre d’années. Françoise est chronologiquement la plus proche de son lecteur et se lance, non sans les allures d’une Agatha Christie moderne, sur les traces de son passé et de celui des femmes de sa famille. Et si l’objet de sa quête n’est pas l’auteur d'un crime, il n’en demeure pas moins le point de départ d’une lignée de femmes animée d'un désir de création qui ressemble fort à une malédiction qui ne porterait pas son nom. Rendez-vous dans une Vienne prostituée du tout début d’un vingtième siècle dont il sera meurtri, pour faire la connaissance du seul homme de cette histoire.


Dans une langue plus que jamais maternelle où se mêlent l’hier et l’aujourd’hui, Louise De Bergh nous livre un premier roman aussi intime qu’universel et où le grand amour n’est, pour une fois, pas aussi charnel qu’on le croit.


EXTRAIT


J’effleure le cercle ovoïdal sur lequel est inscrit Hermès Baby et laisse courir mes doigts sur les tiges en métal rayonnantes. Une émotion nouvelle me saisit. Comme si j’appartenais enfin à quelque chose. Une lignée. Une famille. C’est la première fois que j’ai entre les mains un objet hérité de ma mère. Un objet qui était tout pour elle, et qui représentait aussi tellement du passé de Dora. Un objet qui, par le prénom que l’une d’entre elles m’avait donné, me reliait fatalement à ces deux femmes.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Louise De Bergh est née en 1994 à Versailles. Après des études d'Histoire de l'art à la Sorbonne et un voyage inspirant à Madagascar, elle se forme à la maroquinerie et s'installe sur les rives du Léman où elle crée l'atelier L&Cuir. En 2018, elle entame la rédaction du blog Mes Petites Chroniques Littéraires. C'est durant sa première grossesse que naît l'idée d'Hermès Baby, son premier roman.
LangueFrançais
ÉditeurRomann
Date de sortie28 avr. 2022
ISBN9782940647231
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    Aperçu du livre

    Hermès Baby - Louise De Bergh

    FRANÇOISE

    Paris, hiver 2018.

    JE porte la frange. Depuis toute petite.

    Ça ne me va pas, je le sais. À vingt-six ans, j’ai l’air d’une petite fille sauvage que le vent ne cesse d’ébouriffer. Mais je n’ai jamais pu la couper.

    Peut-être ai-je l’impression qu’elle me protège. Que ces mèches tombées sur mon front cernent mon crâne d’une bulle parfaitement hermétique, capable de résister à tout. Aux visions de ma mère surtout, qui me viennent régulièrement, comme des flashs. Pendue, exposée nue aux regards de tous, humiliée, affamée, enfermée dans un réduit crasseux.

    Il me suffit alors de fermer les yeux, de baisser la tête et sentir cette muraille qui enserre mon front pour que ces images se floutent et disparaissent.

    ADÈLE

    Vienne, mars 1909.

    UNE semaine qu’il sillonne le quartier. Elle le sait puisque chaque matin, son jupon rouge usé et sa poitrine d’adolescente déjà épuisée l’observent. Il passe devant elle sans la voir, le regard baissé vers les enfants d’ouvriers, sales et déguenillés, qui jouent dans la ruelle sombre et puante.

    Parfois, il se penche sur l’un d’eux, attrape son bras hérissé de cicatrices, dernier héritage d’une petite vérole désormais impossible à oublier, et sombre dans une méditation interminable. D’autres fois, c’est une malformation qui le saisit. Il emmène alors le gamin on ne sait où pour ne le relâcher que quelques heures plus tard.

    Mais aujourd’hui il erre sans but, le regard vide, son manteau noir ouvert sur son cou pâle. Ses yeux cernés de fatigue sont hantés par un désespoir qu’elle n’avait encore jamais vu. Ses épaules sont basses, ses poings enfoncés dans les poches de son pardessus et ses idées, noires comme le visage des mômes qui fourmillent autour de ses chevilles. Il a l’air jeune, à peine quelques années de plus qu’elle, se dit-elle sur le pas de la porte où, comme tous les matins, elle attend le client, à l’abri du vent.

    L’homme l’intrigue ; il ne ressemble pas vraiment à ceux qui fréquentent habituellement cette ruelle de l’Innere Stadt. Ceux qui marchent le cou tordu, penchés sur le pavé, la mine honteuse et l’œil fuyant. Ces hommes qui, lorsqu’ils se croisent par hasard en montant les escaliers, saturent l’air d’un regard entendu et enfouissent leur malaise sous leurs souliers pressés.

    Mais il a déjà disparu, son manteau noir emporté par les frimas de cette journée printanière.

    Une odeur de tabac brûlé emplit alors les narines d’Adèle. Elle n’a pas besoin de se retourner, elle reconnaîtrait cette haleine entre mille. Un an qu’elle est ici tous les matins, offrant ses seize ans à qui désire les prendre. Sans mot dire, elle monte l’escalier qui mène à sa chambre, suivie par l’ardeur de celui qu’elle appelle « monsieur Johann ».

    Lorsqu’elle en redescend une heure plus tard, faisant danser dans son poing les quelques couronnes ainsi gagnées, son regard se pose sur une chevelure en bataille surmontant un pardessus noir désormais bien connu. Cette fois, c’est elle qu’il regarde avidement. Ses yeux n’ont plus rien des petites perles éteintes qui l’avaient émue ce matin, ils sont fougueux et inquiets. Il esquisse un sourire, son front se plisse d’une dizaine de rigoles comme les vaguelettes d’un océan qu’elle ne verra jamais. Les joues échauffées par une exaltation qu’il peine à dissimuler, il fait un pas vers elle, prend sa main et l’entraine à sa suite.

    Sa paume est chaude et tremblante.

    Effarée.

    Après une course qui lui paraît durer une heure dans les rues d’une Vienne en pleine effervescence, ils s’arrêtent devant une imposante bâtisse grise de quatre étages percée d’innombrables fenêtres. Haletant, il pousse la grille verte qui cerne le bâtiment et la guide dans une volée d’escaliers. Le bruit de leurs talons claque sur les marches de bois, battement d’ailes unanime d’une nuée d’oiseaux. Les étages filent sous leurs pieds, le cœur d’Adèle semble sur le point d’exploser, ses poumons brûlent. Jamais elle n’a senti chez un homme autant d’empressement à faire corps avec elle, autant de fougue.

    Quand ils arrivent au dernier étage, leur sang bat contre leurs tempes. Leurs bouches dessinent un sourire impatient. Aussi fébriles que des jeunes mariés qui franchiraient pour la première fois le seuil de leur maison, ils pénètrent dans une grande pièce baignée de lumière, charpentée de bois sombre et tapissée de draperies colorées. Un peu partout, des feuilles de papier, des coffres débordant d’objets divers, des étoffes cramoisies et des cadavres de chandelles que le temps a oubliés. Pas un seul mot n’a été prononcé. Peut-être est-il muet, se dit-elle. Quoi qu’il en soit, il sait ce qu’il veut. Et cela ne l’inquiète pas outre mesure. Au fil des mois, elle s’est habituée aux folies de clients fantasques et à la bizarrerie de leurs demandes. D’un rapide coup d’œil, elle localise le lit, s’y assoit et commence à dégrafer son jupon. C’est ainsi qu’elle a toujours procédé avec les étrangers, enfin c’est ce que son oncle lui a dit de faire lorsqu’il l’a mise dans la rue un an plus tôt, l’engageant à gagner sa croûte, comme tout le monde.

    D’un œil attentif, il la regarde s’affairer. Il admire la blancheur de sa peau, le velouté de sa gorge. Son front décidé lui plaît, ses yeux noirs – de ceux qui en ont déjà trop vu – sa chevelure de jais légèrement ondulée, ses mains travailleuses, sa peau usée par les caresses incessantes des hommes venus des quatre coins de la ville pour la voir écarter les cuisses et se répandre en elle.

    Sur cette image se superpose celle de sa petite sœur, qu’il déshabille dans cette pièce presque toutes les semaines depuis des années. Cela choque il paraît, le Tout-Vienne jase. Il s’en fiche. Son corps lui plaît, l’émeut, l’enflamme.

    Mais aujourd’hui, c’est le corps d’Adèle qu’il désire plus que tout, ce sont ses seins qu’il veut réchauffer contre ses paumes, ses lèvres dont il veut se rassasier, son sexe qu’il veut sentir battre contre son ventre. Les bottines de la jeune fille gisent aux pieds du lit, comme terrassées par cette ivresse. Son jupon rouge, trainée sanguinolente sur des draps trop blancs, gît froissé à côté d’elle, insolent.

    DORA

    Résidence Saint-Rémy, janvier 2014.

    JE suis née comme j’ai vécu, facilement. Sans faire de bruit, sans faire de vagues. Je crois même ne pas avoir fait mal à ma mère en sortant d’entre ses cuisses. J’ai à peine déformé son bassin. Et je suis entrée dans le monde en moins de temps qu’il n’en faut pour faire chauffer le poêle, rassembler tous les linges de la maison et prévenir quelqu’un. À qui ma mère l’aurait-elle dit de toute manière ? Elle ne s’y attendait pas. Enfin, disons qu’elle ne s’était même pas rendue compte que la poche des eaux s’était rompue quelques heures plus tôt. C’est en tout cas ce qu’elle m’a raconté. Elle était installée à la table du salon, comme à son habitude depuis la mort de mon père, les cheveux enroulés autour d’un crayon de bois, les mains noircies par le fusain et les vieilles taches de peinture. Elle avait couvert sa blouse en coton d’une ample chemise qui avait appartenu à son défunt mari. Quelques mèches déjà blanches volaient devant ses yeux plissés par la concentration. Le liquide amniotique s’était sans doute échappé au moment où elle finalisait un motif. Une femme peut-être, les jambes écartées. Ou un de ces portraits d’homme émacié que je voyais trainer partout à l’époque, aux traits durs et à la chevelure en bataille.

    Peut-être qu’il n’y avait pas eu de liquide du tout. Il paraît que cela arrive. Le cœur de ma mère était sec depuis si longtemps qu’il était possible que l’aridité ait finalement gagné tout son être.

    Lorsqu’elle avait senti que j’entamais ma descente vers la vie, elle s’était levée de sa chaise, calmement, avait ôté sa chemise maculée de peinture et débarrassé un carré de parquet de ses dessins essaimés partout. Elle s’était accroupie au centre de cet îlot de bois vierge, avait relevé ses jupes et caressé la petite tête pleine de cheveux noirs qui pointait déjà. Elle m’avait raconté qu’elle n’avait poussé qu’une seule fois, qu’il n’y avait pas eu besoin de plus. Mes épaules étaient sorties quelques secondes plus tard et mes cris effarés avaient envahi le salon. Adèle avait ouvert sa blouse, m’avait offert son sein que j’avais tété quelques instants avant de me regarder m’endormir épuisée, la tête posée dans la paume de sa main charbonneuse.

    Dora, avait-elle murmuré.

    Et elle s’était remise au travail.

    ÉLISE

    Paris, le 27 octobre 1970.

    MAL aux os. Une douleur terrible. La même tous les matins et depuis plusieurs mois maintenant. Quelque chose d’indéfinissable.

    Se lever, bouger, il le faut. Mais elle a l’impression de couler. De se noyer sous les litres de sueur qui inondent ses draps sales. S’asseoir, se mettre debout, descendre les escaliers. Elle doit retrouver Marco. Peut-être même qu’il l’attend. Mais ces nausées ! Elle parvient à se retourner, s’appuyer sur son bras gauche abîmé, faire tomber ses jambes au bas du lit. À peine s’est-elle mise en position verticale qu’un puissant torrent de vomi s’échappe de sa bouche et se déverse sur le sol de la pièce. Élise ouvre les yeux, balaie l’espace du regard. Il fait encore sombre. Isabelle est étendue sur le sofa rapiécé, encore défoncée. Ses cheveux roux sont plaqués contre son crâne presque transparent, son bras couvert d’ecchymoses pend lamentablement. Pierre vient d’ouvrir la fenêtre, il fume un joint. L’odeur de la fumée soulève le cœur d’Élise.

    Hier, comme tous les soirs, elle s’était dit que c’était la dernière fois.

    La dernière seringue, le dernier shoot.

    Mais aujourd’hui, elle en a tellement besoin. Son corps menace de se répandre entièrement sur le sol si elle n’a pas sa dose. Marco, elle doit trouver Marco. Sur la table, des petites pilules bleues et blanches. Elle en avale une.

    Pour patienter.

    Quelques minutes plus tard, Élise parvient à se lever. Si maigre, presque translucide. Son long corps se déplie dans l’espace, torturé. Pierre ne l’a même pas vue bouger pour tenter de rejoindre la porte de son appartement qu’elle squatte depuis des semaines à la Goutte-d’Or. Il contemple, l’air absent, les volutes de fumées qui s’échappent vers le ciel gris.

    * * *

    La porte claque à nouveau, Isabelle entrouvre les yeux. Pierre se retourne vers Élise. « Ah c’est toi ! ». Il la regarde, tremblante, s’affaler à côté de la table basse et sortir de sa poche un morceau de papier blanc qu’elle déplie avec peine. À l’intérieur, quelques grammes d’héroïne brune, sans doute coupée à la caféine. Élise écarte d’une main les longs cheveux noirs qui balaient son visage. Elle saisit la cuillère abandonnée sur la table et y verse la poudre qu’elle mélange avec quelques gouttes de citron. Le seul moyen de la rendre soluble et injectable. Elle allume la bougie parfumée à moitié fondue ramenée par Pierre du Népal il y a trois mois, place la cuillère quelques millimètres au-dessus de la flamme et attend que la préparation chauffe. Lorsque de petites bulles se forment à la surface, elle pompe le tout dans une des seringues abandonnées à côté de la bougie, lace un garrot autour de son bras pour faire ressortir une veine et y enfonce l’aiguille.

    Enfin.

    FRANÇOISE

    Paris, août 2016.

    LORSQU ’il m’avait vue pour la première fois, par une chaude soirée d’été sur les rives du lac Léman, Romain était tombé amoureux. Enfin, c’est ce qu’il m’avait dit après bien sûr.

    Le lac avait cette couleur indéfinissable et changeante qui le recouvre chaque été. Derrière, les montagnes avaient pris une teinte azuréenne pleine de promesses. J’étais assise au milieu d’inconnus sympathiques sur un de ces énormes rochers qui font office de plage sur la Riviera et je portais un maillot de bain deux pièces jaune canari un peu trop grand.

    Sous ma frange, je fumais comme un pompier. Enchaînant les cigarettes avec légèreté, riant avec les collègues de Lucie, ma meilleure amie, infirmière de son état installée en Suisse depuis un an. J’avais même passé du rouge sur mes lèvres, alors que je ne le faisais que très rarement. En somme, j’avais l’air bien. Incandescente, badine et insouciante.

    Ça lui avait plu.

    Moi je ne l’avais pas remarqué ce jour-là. Il marchait en surplomb, le long de la route qui borde le Léman pour récupérer son vélo et rejoindre des amis en ville. Lui aussi était en Suisse pour les vacances.

    Séduit, intrigué, il avait sorti son téléphone de sa poche et écrit à ses amis pour leur annoncer qu’il les rejoindrait plus tard. Puis il avait emprunté la passerelle qui s’élance au-dessus des voies de chemin de fer et descendu l’escalier métallique permettant d’accéder à la plage. Il avait posé son sac à dos, enlevé son pantalon de lin froissé découvrant des jambes maigres et légèrement arquées et s’était assis sur une serviette de plage bariolée. À quelques mètres de moi.

    Je n’avais rien perçu de son intérêt, trop occupée que j’étais à rayonner au milieu des amis de Lucie. À tenter de plaire.

    Séduire.

    Ce que désirais alors plus que tout. C’était un excellent moyen de ne pas avoir à revivre les peines de l’abandon. Un enfant abandonné devient un adulte abandonné et le restera toute sa vie : c’est ce que disait ma grand-mère, Dora.

    Alors je m’entourais. Tel un vase en cristal gorgé de sables fins, je remplissais mon monde de personnes plus ou moins hautes en couleurs. Plus ou moins aimantes. Plus ou moins carnassières.

    Romain avait sorti de son sac un grand carnet vert à dessin, écorné sur les bords, et une petite trousse de cuir noir. Et sans que personne ne fasse attention à lui, il était resté deux heures sur la plage de rochers, le crayon à la main et l’œil alerte. À dessiner.

    Me dessiner.

    Si seulement il avait osé m’aborder. Cela nous aurait économisé bien des mois de silence et de soupirs. Mais je devais paraître beaucoup trop sûre de moi cet après-midi-là pour qu’il tente quoi que ce soit.

    Il était pourtant tout à fait mon genre. Plus ou moins de mon âge, grand, maigre, pas très musclé, des cheveux châtains courts, épais, le teint hâlé par une fin d’été. Ses yeux pétillaient d’un vert olive que je n’avais jamais vu ailleurs, et sur sa langue était posé un très léger cheveu qui le faisait zozoter lorsqu’il était ému.

    Comme tous les grands timides, il

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