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Soudain l’été au Jeu de Balle: Littérature blanche
Soudain l’été au Jeu de Balle: Littérature blanche
Soudain l’été au Jeu de Balle: Littérature blanche
Livre électronique157 pages2 heures

Soudain l’été au Jeu de Balle: Littérature blanche

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À propos de ce livre électronique

Les saisons s'enchaînent à la Place du Jeu de Balle ; on tente d'y vivre. Les pas claquent sur les pavés, entre ceux qui travaillent, ceux qui traînent, ceux qui cèdent, ceux qui fuient... Dans ce quartier magnifique et terrible à la fois, trois femmes et un homme s'observent.
Un sage s'obstine infiniment à leur apprendre le monde. Mais le hasard, un rien, décide de qui va perdre et de qui va gagner...

À PROPOS DE L'AUTEURE

Bernadette Lauzin est née à Bordeaux le 25 mai 1953, elle suit ses études secondaires à l'Institut Saint Dominique de Biarritz, avant de faire un an de droit à Assas, faculté de Paris, et deux ans d'architecture à Bordeaux.
Elle s'installe finalement à Bruxelles en 1972. S'en suivent petits boulots... Bistrots... Inno... pour finir marchande ambulante à la Place du Jeu de la Balle.
Elle écrit ses premiers textes de chanson en 1981, dont Nuit de Chine. Nuit pas câline, la co-écriture d'un texte pour Vaya con Dios, et une comédie musicale.
Soudain l'été au Jeu de Balle est son premier roman.
LangueFrançais
ÉditeurLe Cri
Date de sortie6 août 2021
ISBN9782871067702
Soudain l’été au Jeu de Balle: Littérature blanche

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    Aperçu du livre

    Soudain l’été au Jeu de Balle - Bernadette Lauzin

    S O U D A I N  L’É T É

    A U  J E U  D E  B A L L E

    Bernadette Lauzin

    Soudain l’été

    au Jeu de Balle

    Roman

    LeCriLogo

    Catalogue sur simple demande.

    www.lecri.be lecri@skynet.be

    (La version originale papier de cet ouvrage a été publiée avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles)

    La version numérique a été réalisée en partenariat avec le CNL

    (Centre National du Livre - FR)

    CNL-Logo

    ISBN 978-2-8710-6770-2

    © Le Cri édition,

    Avenue Léopold Wiener, 18

    B-1170 Bruxelles

    En couverture: Place du Jeu de Balle à Bruxelles (© photo A.-C. Labrique, 2012)

    Tous droits de reproduction, par quelque procédé que ce soit, d’adaptation ou de traduction, réservés pour tous pays.

    Anne est belle, mais elle ne le voit pas. Elle est là, immobile devant le miroir, à scruter interminablement le bouton qui est en train d’éclore au milieu de sa joue. Elle se retient de le torturer. Il n’est qu’au début de sa courte vie. Un petit monticule rose tendre, à peine sensible. Si elle s’y attaque maintenant elle sait que la réaction sera violente. L’inflammation, il doublera de volume pour finir par ce blanc affleurant. Elle se détourne et saisit sa brosse à dents qu’elle enfourne dans sa jolie bouche. Elle a de belles dents. Elle se l’accorde et elle les brosse avec vigueur en jaugeant d’un regard dur son visage déformé par le trajet de la brosse. Elle se dévisage, comme tous les matins, comme si c’était la première fois. Elle aime à peine ses sourcils droits, ses yeux noisette, son nez au bout en l’air, sa peau parée de petites taches dorées. Elle se rince la bouche à grands coups de gorgées froides et, après avoir séché son visage, elle peigne ses cheveux. Elle les voit roux, son père lui a toujours dit qu’ils étaient blond vénitien. Elle lisse sa chienne, coupée toute droite juste au dessus des sourcils. Voilà, un dernier regard las sur ses yeux cernés. Elle s’est retournée toute la nuit. C’est aujourd’hui que commencent les cours de restauration de tableaux. Elle est partagée entre l’excitation et la peur. Des nouvelles personnes, des nouvelles choses… Ça lui flanque un de ces tracs.

    Anne laisse ses imperfections au miroir et va à la cuisine boire debout une dernière tasse de café. Elle prend une pomme dans la corbeille à fruit. Elle la lustre d’un coup de torchon et s’apprête à la croquer quand elle voit une tache brune. Après avoir retourné le tiroir des couverts pour trouver son couteau pointu elle y enfonce la pointe, mais plus elle tourne plus la tâche s’élargit. Le cœur est pourri. Sans être tout à fait superstitieux, ce genre de détails encombre sa confiance. Elle n’a plus le temps d’en tenter une autre.

    Anne va dans l’entrée et enfile son manteau. Elle s’est attardée et risque maintenant d’arriver en retard. Sur le palier elle tourne la clé dans la serrure. Elle a bien entendu soufflé la bougie sur la table de la cuisine, baissé le poêle, écarté la serviette de bain trempée du radiateur électrique. Elle a fait tout ça. Sûrement…

    Résignée à ses doutes grands et petits elle rouvre la porte pour vérifier. Sur le seuil elle voit la bougie sans flamme et la veilleuse au coin du poêle. Dans un effort aussi intense qu’obscur, elle s’interdit d’aller dire au revoir à sa serviette de bain.

    Anne marche vers le tram dans la rue noire. Une fine pluie s’insinue dans ses cheveux comme des doigts grêles et froids. Elle remonte le capuchon de son manteau. Elle se sent mieux ainsi le visage à l’abri dans la grande capuche. En atteignant l’arrêt, elle entend les bruits de chaines des roues sur les rails et puis, sortant du virage, le train jaune avançant sans hâte vers le groupe de gens unis un instant par la satisfaction de le voir arriver. En surplomb, le chauffeur, dans la lumière crue de sa cabine, toise, dans ses rétroviseurs, le va-et-vient de ses passagers. Le tram est à moitié vide. Anne s’est assise sans avoir l’impression de prendre la place de quelqu’un. En face d’elle se serrent une black obèse dont le visage luit de propreté et une femme aux mains pâles qui s’assoupit dans une émanation de javel diluée. À la main courante un adolescent, coiffé à la G.I. moquette au dessus et flancs rasés, captive de mots une jeune fille de sa race qui glousse, fuit des yeux et se mouille les lèvres. Anne tient sur ses genoux un petit cartable en cuir. Elle en serre la poignée comme si les empêcheurs que sa vie tourne rond tentaient de lui arracher. Elle regarde à travers la vitre sale. La lumière froide des néons éclaire ça et là le large tunnel de métro dans lequel le tram s’est enfoncé. Une saleté de moyen âge sur les murs de béton brut surgit à son passage. De longs rails s’entrecroisent jusqu’au noir sur un méchant cailloutis. Les roues des voitures y brinquebalent avec un bruit de wagon de chercheur d’or. Anne est mal à l’aise. Elle a peur. Elle a avalé comme tout le monde les images des corps démantibulés et noirs de suie qu’on extrait un à un du sous-sol dévasté par les bombes. Depuis à chaque trajet elle remet sa vie au bienheureux hasard. Pourtant la seule expérience avec le terrorisme qu’elle ait vécue ce n’était pas à elle que c’était arrivé et ce n’était pas un terroriste. Dans la maison à côté de celle de son amie Chantal, un homme avait pris en otage sa fille, la mère de sa fille et sa belle-mère. La police avait d’abord cru que c’était un acte terroriste. Ils avaient bouclé le quartier pendant deux jours, le temps que le type a tenu l’intenable. Une vraie panique. Des centaines de gens bloquées. C’était juste un père qui devenait dingue parce qu’on lui avait enlevé la garde de sa fille. Il buvait, il frappait et il souffrait. La brigade d’intervention avait évacué Chantal et ses quatre gosses et Anne avait recueilli les réfugiés au bout de leur exode de trois rues. Pour remettre le cœur de tout le monde en place, Chantal avait décidé de faire un cake au chocolat. Elle avait cassé les œufs dans ses mains, laissant passer entre ses doigts le blanc qui chutait dans un saladier transparent et retenant le jaune qui glissait lentement de sa paume dans un grand bol de porcelaine blanche. Elle avait séparé six œufs ainsi. Depuis Anne ne l’avait plus jamais regardée de la même façon tant la sensualité de son geste l’avait émue. Anne appuie sur la sonnette. C’est l’arrêt suivant. À l’approche de l’heure son trac se change en curiosité et ça la fait sourire. Elle monte légèrement l’escalier qui la mène à l’air libre. Il pleut toujours de fins fils et le noir est devenu gris.

    Anne attend dans le courant d’air de l’entrée du boulevard que le feu passe au vert pour elle. Alors elle se hâte et atteint l’autre côté juste quand le petit bonhomme devient rouge. Elle traverse le dessous puant du pont de chemin de fer. C’est un grand urinoir flanqué de flaques à moitié sèches tout au long du mur de plaques de pierre grise. Anne presse le pas au milieu des canettes et des papiers gras. Elle se crispe. Elle a mis ses chaussures en serpent pour faire joli le premier jour. Elle a mal aux pieds et elle est sûrement en train de les détruire à patauger ainsi au milieu de nulle part. À droite les voitures dévalent le boulevard dans un grand chahut chaud. Anne tourne à gauche et rentre dans une rue vide. Rue des Fleuristes. Un café espagnol fermé. Elle se souvient y être allée pendant la foire du Midi. L’événement de l’été à Bruxelles. Maintenant la terrasse en plastique jaune est empilée derrière les vitrines aux rideaux à moitié tirés. Puis la deuxième à droite. La rue de l’Économie. Elle pense que c’est ça. Elle effleure machinalement son sac, là où est le plan. La pente est raide. Elle ralentit à mi-chemin. Elle est presque essoufflée. Plus loin, en haut, elle voit des gens, des choses, du bleu, la stridence d’un sifflet sur un lit de voix fondues. Anne atteint la place. Place du Jeu de Balle. Elle a chaud sous la pluie. Elle s’arrête et regarde. La place est grande, rectangulaire, parée aux bords de deux rangées d’arbres. L’espace est plein de gens et de grandes bâches bleues irrégulièrement rehaussées par des choses invisibles. Le désordre a un petit air tranquille. Les voix basses et criardes se mélangent dans un calme tumulte qui avale aussi les coups de sifflet d’un policier hautain. Tout le monde s’agite dans une grande habitude. Anne sent naître en elle une forte sympathie pour toute cette vie qui perle sous le ciel humide et s’en veut de ne pas avoir eu la curiosité d’y venir plus tôt. Mais elle reste sur le trottoir. Elle doit résister à l’attraction. Elle est juste à l’heure. Elle avance sur ce trottoir bizarrement vide et silencieux à dix mètres à peine de l’effervescence. Elle dépasse la façade modeste d’une église aux briques récemment nettoyées. Contre elle c’est le 23 place du Jeu de Balle. Une toute petite maison. Une dizaine de personnes bavarde calmement devant la porte. Anne reste à l’écart du groupe, serrant contre elle son petit cartable d’écolière. Un petit homme barbu couvert d’une casquette grasse ouvre la porte.

    — Entrez, s’il vous plait… avec un épais accent bruxellois. Anne rentre la dernière. Ils suivent en file indienne le petit homme à travers une pièce minuscule. Juste assez large pour y loger une chaise, un bureau et un homme de face. Anne se fait peur à voir partout des nains et leurs maléfices. Ils rentrent dans la deuxième pièce, un peu plus large, mais réduite à un couloir par des meubles de rangement le long des murs. La troisième est encore un peu plus grande. Anne pense à des poupées russes à l’envers. Il y a plusieurs tables recouvertes de toiles cirées à carreaux orange. Sur chacune une corbeille à pain vide et un porte sel et poivre en plastique. Anne a l’impression de rentrer chez des gens sans leur avoir demandé leur consentement. Au bout de la salle à manger, un escalier en fer descend sur une salle immense, prenant tout l’espace au sol et la hauteur de deux étages. La paroi du fond est en vitre découpée par des châssis d’aluminium. Anne aperçoit dehors un petit jardin potager très ordonné. Encore les nains. Après le fracas des pas sur les marches métalliques les élèves restent silencieux, groupés au pied de l’escalier tandis que leur guide remet les chaises aussi grandes que lui derrière les tables alignées. En face un bureau ancien en bois massif et sa chaise assortie sont vides. « Assieds-toi. Monsieur Paul arrive. » Ils restent immobiles. C’est Anne la première qui va vers une table au deuxième rang. Les autres la suivent et choisissent des places autour d’elle, laissant le reste de la salle vide. Le raclement des chaises résonne d’un bruit de rentrée des classes. Anne se glace, ses mains sont moites. Le souvenir des rentrées avec sa

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