Double je au Capitole: Roman policier
Par Eric Lacassagne et Pierre Gaussens
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À propos de ce livre électronique
Toulouse, campagne municipale de 2014.
Un candidat à faire tomber.
Un avocat tenace.
Une colistière sibylline.
Un univers politique qui ne tient que pour peu qu’on y fasse bonne figure, en connaisse et suive les rituels d’initiation et d’allégeance.
Une enquête à quatre mains où les secrets qu’elle cherche à percer ne seront pas ceux dévoilés.
Tout y semble, cousu de fil blanc, déjà écrit. Il ne suffirait donc, pour comprendre, que de savoir relire.
À PROPOS DES AUTEURS
Éric Lacassagne est avocat et auteur toulousain. Il a également participé à une campagne municipale toulousaine en tant que colistier.
Après avoir enseigné le français à l’étranger pendant plusieurs années, Pierre Gaussens poursuit aujourd’hui son métier en région toulousaine.
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Aperçu du livre
Double je au Capitole - Eric Lacassagne
Première
partie
Mars 2015.
Il faudra que je relise pour me souvenir.
Je ne sais plus à quel moment nous nous sommes rencontrés, qui nous a présentés, quand nous nous sommes reconnus, du moins aperçus. Je confonds les moments ou les époques de notre histoire, ce que nous vivions avec ce que nous savions en dire, ou pas.
J’ai de toute façon mis si longtemps à la cerner, la deviner, la voir autrement que différente à chaque circonstance, dans chaque rôle qu’elle endossait : dans l’équipe de campagne, à la direction de sa galerie, puis avec moi qui ne savais la saisir.
Je pose près de moi tous les documents liés à cette affaire pour écrire. Nous étions tous, enfin, la soixantaine de colistiers choisis pour mener cette campagne, dans une trop petite salle de réunion, propice à ce que chacun épie, observe sans observer, les inconnus. Assise face à lui, elle regardait intensément la tête de liste, je crois bien, mais sans le voir, juste en le prenant comme point fixe à sa rêverie. Je comprends qu’Édouard ait mal interprété ses regards, ou plutôt les ait pris comme le signe d’une certaine fascination, obsédé par ses propres désirs, toujours aux aguets d’une belle femme à qui il plairait, et là, à cet instant, flatté d’imaginer qu’on le badait, il était sans le savoir juste un pendule qu’on fixe pour échapper à la réalité et trouver un réconfort ou des réponses dans l’oubli de la situation. Il n’avait pourtant rien d’un pantin. Il était de ceux dont on aime être vu. Après plus de trente années de politique, il était maître de tout le répertoire : aisance et lenteur de la démarche en entrant dans une pièce, en montant à la tribune ; prestance naturelle, grand, cheveux blancs coiffés à la Cary Grant — d’aucuns y retrouvaient les allures d’un ancien ministre des Affaires étrangères —, éloquence brillante et fluide. Il semblait, en s’adressant à tous, parler à chacun, mais sans jamais dire grand-chose. Comme lors de cette première soirée où tout son discours s’articulait sur la nécessité de faire équipe tout en promouvant la diversité des parcours, des expériences, des propositions, ce qui nous ferait gagner et nous démarquerait des deux autres sérieux prétendants à la mairie, le sortant Pierre Cheno, sûr des résultats, et l’ambitieux Antoine Simorre, sorte de Peter Pan d’une nouvelle aventure à laquelle lui seul croyait.
Je l’avais tout de suite reconnue, alors même que la photo que Charles m’avait remise montrait un tout autre visage. Je ne m’attendais pas à ce regard aussi perdu que le mien. Je n’essayais pas de l’interpréter. J’y aurais peut-être vu l’expression de son assurance, de sa force, mais nuancée par les mouvements de son visage, certains de ses gestes, parfois maladroits ou à contretemps. C’est aujourd’hui ce qui me revient en relisant les pages de mes notes, de cette sorte de journal de travail que je tiens à chaque nouvelle mission. Je constate que je n’ai rien su dire de sa présence, au point sans doute que je recompose ce moment à la lumière de ce que j’ai appris bien plus tard. J’aurais dû voir ce que maintenant je peux écrire. On devinait très vite pourquoi Édouard la voulait dans son équipe car elle apporterait le « culturel », la sensibilité qu’on prête à ceux qui s’occupent d’art ou de littérature, qu’ils soient marchands ou libraires : cet aspect de la vie dans la cité que les autres candidats négligeraient à coup sûr.
Et c’est vrai qu’elle percevait toute chose par le filtre de sa culture. Je crois même qu’elle ne vivait ce qui arrive que pour le porter ou l’espérer à ce degré d’intensité dont on fait une œuvre ou le rêve qui l’inspire. Peut-être aimait-elle vivre pour raconter ce qu’elle vivait. C’est ainsi que je m’explique son idée d’écrire le récit de notre histoire, non pour la revivre mais pour y prélever ce qui déjà s’y trouvait pour être écrit. Je ne me suis pas rendu compte à quel moment je devenais un de ses personnages ni à quel moment je fus heureux de l’être et d’agir pour l’être. J’ai pris goût au tourbillon, très vite, mais je n’ai pas lancé le mouvement et je n’ai pas vu que c’était nous qui étions roulés dans la vague.
Chapitre I
Dimanche 24 novembre 2013.
Toulouse, 80 allées Jean-Jaurès, QG de campagne, 18 h 30.
À peine est-il entré qu’elle est littéralement captivée par son regard.
Agathe est assise au dernier rang, au milieu de colistiers qu’elle ne connaît pas, sauf Cédric, un de ses amis. Bien que la politique ne l’ait jamais intéressée, elle sait cependant pourquoi elle doit être là.
Lui, semble être un habitué de ce genre de lieu. Sûr de lui, il entre dans le QG de campagne avec l’aisance qu’ont ceux vers qui les regards se tournent. Elle le voit serrer des mains, il semble connu. Il croise son regard. Elle essaie de détourner le sien. Elle se sent comme aimantée. « Arrête de le fixer, Agathe. » La réunion commence. Elle n’écoute rien. Elle regarde le dos de cet inconnu, ses épaules, sa nuque. On lui a demandé de s’installer devant. Il a l’air d’être un maillon essentiel de cette campagne. « Va-t-il parler ? » Elle a très envie d’entendre sa voix.
Quand la réunion se termine, elle n’a qu’une idée en tête : s’échapper discrètement. Mais ce n’est pas encore l’heure de partir. Il faut à présent attribuer les quartiers en vue du tractage qui commencera quelques semaines plus tard, après les congés de fin d’année.
Elle se retrouve devant la carte de la ville accrochée au mur. Elle tente de définir les contours de son quartier. Quand il s’approche, son cœur s’accélère. Il ne faut pas qu’il sente l’attirance qu’elle a pour lui. Il est beau et élégant. Il est classe. Son costume lui va bien. Elle a toujours rêvé d’être avec un homme comme lui. Mais ce n’est ni le lieu ni le moment. Elle le sent tout près d’elle. Elle se recule pour lui laisser la place. Ses mains tremblent, son cœur bat vite. Il détaille la carte, prend connaissance de son périmètre. On leur a dit de constituer des binômes.
– J’habite près du monument aux Morts, dit-il.
Elle entend enfin sa voix et lui répond instinctivement :
– Je n’habite pas très loin, rue Monié, dans le quartier Bonhoure. Nous pourrions peut-être tracter ensemble ?
C’est elle qui vient de parler ? Ce n’est pas son genre de faire des propositions.
– Ça va être difficile, ce n’est pas le même secteur.
Elle se sent idiote. En même temps, à quelle autre réponse pouvait-elle s’attendre ? Il a raison. C’est avec celle qui habite son quartier qu’il tractera. Tant mieux ou tant pis ? Elle met son manteau sur ses épaules et s’éclipse, bouleversée.
Chapitre II
Dimanche 24 novembre 2013.
QG de campagne, 18 h 30.
Quand j’entre dans la salle, je reconnais des visages et l’aperçois tout au fond, assise au dernier rang. Je croise furtivement son regard.
Je salue les personnes que je connais. Je serre la main de celui qui m’a reçu quelques mois plus tôt. Il me rend un signe de tête discret.
On m’installe au premier rang. J’ai la sensation qu’elle m’observe. Cela ne devait pas se passer de cette manière. Elle ne devait surtout pas me remarquer.
Je me concentre sur la réunion, il faut que ma présence soit la plus naturelle possible. J’ai envie de me retourner pour la voir, mais je ne dois pas croiser à nouveau son regard. La réunion est mortelle. Un monologue sans fin de la tête de liste. Rien de vraiment préparé.
Quand le discours s’achève enfin, nous sommes priés de passer dans la pièce voisine pour l’attribution des secteurs de tractage.
Pris d’assaut par les colistiers qui me connaissent, je tarde à aller voir cette fameuse carte. Elle se tient devant. Aucune inquiétude, je sais qu’elle n’est pas sur mon secteur. Je m’approche de la carte.
– J’habite près du monument aux Morts, dis-je sans m’adresser à elle.
– Je n’habite pas très loin, rue Monié dans le quartier Bonhoure. Nous pourrions peut-être tracter ensemble ?
Pourquoi me propose-t-elle cela ? Je dois à tout prix retarder le contact.
– Ça va être difficile, ce n’est pas le même secteur.
Je me retourne sans avoir vu qu’elle prenait son manteau et qu’elle partait.
Je rentre chez moi, troublé par son regard et sa voix.
Cela ne devait pas se passer ainsi.
Chapitre III
Dimanche 15 décembre 2013.
QG de campagne, 19 heures.
Ce soir, les colistiers se retrouvent dans la grande salle de conférences où il leur est demandé de se présenter. Elle stresse, elle déteste parler en public. En plus, elle sait qu’il est là. Assise entre une femme et un homme qu’elle ne connaît pas, elle espère qu’on oubliera son nom ce soir. Mais ce ne sera pas le cas. Quand on lui passe le micro, elle ne sait pas vraiment quoi dire. Elle n’est pas à l’aise. La présence de cet homme la perturbe. C’est un supplice et une hérésie à la fois, elle voudrait passer son tour. Mais c’est impossible, alors elle bâcle sa présentation et se rassoit. Elle est impatiente de l’entendre, lui. Sa voix l’avait envoûtée la dernière fois. Il se lève et fait montre d’une éloquence remarquable. Elle sait enfin son nom et son métier : Alexandre Garnier, avocat. Il tient le micro de la main gauche. Il ne porte pas d’alliance.
Heureusement que les vacances de Noël approchent et mettront les réunions entre parenthèses pendant deux semaines, le temps de se recentrer.
Chapitre IV
Vendredi 20 décembre 2013.
Je prends le prétexte des fêtes pour lui envoyer un message, me disant qu’elle pensera qu’il s’agit d’une formule de politesse destinée à l’ensemble des membres de la liste et qu’elle n’osera pas me répondre, même si je l’espère.
Elle me répond. Je suis surpris mais pas étonné car je sais qu’elle a reçu une parfaite éducation.
Je ne peux m’empêcher de lui répondre. Je sais que je joue avec le feu.