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Papy Boum
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Livre électronique230 pages3 heures

Papy Boum

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À propos de ce livre électronique

Roman noir. La crise financière et le Baby Boom des années 50 ont eu pour résultat l’explosion du nombre de quinquagénaires rejetés par le marché du travail du XXIème siècle. Les suicides et les actes de délinquance de cette catégorie de population ont quasiment doublé ces dix dernières années. Parmi ces nouveaux défavorisés, l’ouvrier contremaitre Léonard Bornstein, 57 ans, licencié et en fin de droits, inéligible pour la retraire, qui découvre à ses dépens que la France a les minima sociaux parmi les plus bas d’Europe, et que le déclassement auquel il est soumis va le condamner à vivre à la rue. Un acte de rébellion irréfléchi le conduit en garde à vue et il prend conscience à cette occasion d’un fait libérateur « …Cette évidence lui conférait une puissance inouïe. Il n’avait plus rien à perdre et tout à gagner. C’était un avantage que les jeunots n’avaient pas, leur espérance de vie était leur capital, mais aussi leur handicap … » (Page 20) De Paris à Varsovie, de la Bourgogne profonde à Saint-Tropez, de Milan à Gstaad, les pérégrinations européennes de ce sénior laissé pour compte qui décide de jouer les Pierrot le Fou.
LangueFrançais
Date de sortie28 oct. 2011
ISBN9782312006017
Papy Boum

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    Aperçu du livre

    Papy Boum - Ramdane Issaad

    cover.jpg

    Ramdane Issaad

    Papy Boum

    LES ÉDITIONS DU NET

    70 quai Dion Bouton - 92800 Puteaux

    Du même auteur :

    Romans :

    Inconnu à l’adresse indiquée, L’Harmattan.

    Rushes, Seuil.

    L’Enchaînement, Flammarion.

    Laisse-moi le temps, Denoël.

    Pégase, Denoël.

    Le vertige des Abbesses,  Denoël.

    A Flux Tendu, (Kindle Amazon)

    L’Eveilleuse, (Kindle Amazon)

    Essais :

             La dictature d’Hippocrate, Denoël.

    En anglais

    Fault lines (Kindle Amazon)

    © LES ÉDITIONS DU NET 2011
    ISBN : 978-2-312-00601-7

    A mon père

    Celui qui veut manier  la hache à la place du charpentier en vient rarement à bout sans  se blesser la main.

                                                   Lao Tzeu

       Tirer les journées comme des boulets, il en avait pris l’habitude. Mais celui de ce 9 avril était particulièrement lourd. Les cartons alignés près de l’entrée et les quelques meubles potables qui lui restaient, étaient entassés dans le vestibule, prêts à être chargés. Il ne regretterait pas l’HLM tristounet de trois pièces qu’il occupait seul depuis le départ d’Angie.

       Il avait passé une nuit blanche à ranger en laissant tourner les souvenirs accrochés aux objets comme des sangsues. Sa médaille du mérite reçue le jour de son licenciement trônait sur la télévision. Viré pour cause d’invalidité. S’il s’en souvenait ? Oh que oui. Qu’il s’en souvenait ! En revenant du snack, après avoir vidé sa chopine, il avait piqué du nez sur la machine. Un accident à cause d’un toubib débile qui lui avait prescrit des pilules du bonheur sous prétexte qu’il avait le moral en berne. Résultat, comme son boulot de maître-tourneur consistait à bosser sans chaîne de rappel, il y avait laissé son scalp  Six mois d’hosto, la daronne à bout de nerfs qui demande le divorce, les gosses déjà grands et casés, il s’était retrouvé avec vingt-quatre points de suture sur le crâne et une proposition d’indemnisation de la part de sa raclure de patron pas trop pressée de réintégrer un infirme de plus de cinquante balais et au moral en berne. Il avait lutté pour remonter la pente, rédigé des CV, bossé au black, et même dragué en boîte, parfaitement, mon colonel, jusqu’à se taper Angie, cette morveuse au chômage qui l’avait aidé à reprendre un peu confiance en lui. Mais les temps d’austérité avaient eu raison de leur idylle, et depuis, il avait lâché la rampe. Même pas d’alcool pour l’y aider. Rien d’autre qu’une infinie lassitude qui lui faisait refermer les yeux dès le réveil et balancer les factures sans décacheter les enveloppes. Ce matin serait fatidique, il allait se retrouver à la rue, son mobilier saisi et ses hardes sur le trottoir, mais il s’en fichait comme de l’an quarante. Vautré sur son galetas sans draps, il matait les chiures de mouches au  plafond en guettant les petits bruits du quotidien. 7h30, les enfants qui se chamaillent au dessus, la chasse d’eau d’à côté, le vieux crevard qui tousse sa première quinte sur le palier, ici tout allait continuer comme avant et personne dans l’immeuble ne le regretterait. C’était compréhensible. Il ne parlait plus aux gens depuis des lustres, juste les formules usuelles de politesse pour éviter les embrouilles, mais aucune confidence n’avait franchi ses lèvres depuis qu’Angie avait mis les voiles. Elle avait brisé ses dernières espérances. Quand elle s’était amourachée de lui, il avait à peine écorné le petit pactole récupéré en échange de son licenciement à l’amiable. De quoi flamber un an et demi sans s’inquiéter de rien. Il lui en avait offert des robes et des bijoux fantaisie, des restos italiens, des siestes coquines en chambres d’hôtel et des week-ends à la mer ! Et il en avait oublié que les femmes ont horreur des perdants. Lorsque la banque avait rejeté ses chèques en bois, que la carte à puce magique avait refusé de lui délivrer le moindre kopeck, que les gars syndiqués de l’électricité et du téléphone avaient coupé les lignes sans préavis, il était passé sans transition du rêve douillet d’une vie reconstruite à l’enfer d’une piaule sans chauffage. La petite poupée peroxydée s’était envolée un beau matin sans laisser d’adresse. Un terrible lundi de février où durant la nuit, seule la chaleur minime provenant des appartements voisins les avait sauvés de l’hypothermie. Chacun pour soi et galère pour tous. Ici, pas de chaudière collective, rien que des convecteurs gourmands branchés sur le compteur du locataire. Un bon moyen de s’assurer que celui-ci réglera sa facture sous peine de crever congelé. Il n’avait pas réagi en avisant le billet laconique qu’Angie avait laissé en évidence sur la table de la cuisine. « C’est trop dur, mon chéri excuse-moi. » Rien d’autre. Il s’était demandé pourquoi ses copains de foot avaient disparu de son univers, et pourquoi son épouse aussi l’avait lâché dès qu’il avait été à terre. « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », chevrotait le vieux Ferré sur la platine à vinyles. Un Léo, comme lui. Il s’en souvenait parfaitement, marqué au fer rouge par ces coïncidences cruelles qui accompagnaient si souvent ses peines et lui gâchaient ses petits plaisirs. Il s’endormit quelques minutes avant d’être réveillé en sursaut par une série de tocs martiaux frappés à la porte. Durant un bref instant, il s’était cru sur la plage avec Angie, c’était si délicieux qu’il faillit laisser les larmes lui monter en allant ouvrir aux videurs.

       Ils étaient là, ponctuels et raides comme la Justice. L’huissier le flic et deux déménageurs blasés qui allaient passer leur journée à mettre des gens comme lui sur le pavé. Au nom de l’Ordre et de la Loi.

       « M. Bornstein ? Prénom Léonard ? »

       Il leur décocha un sourire au trois-quarts édenté, conscient de l’effet qu’il devait produire, pieds nus et en pyjama sale, les cheveux ébouriffés, avec sa barbe de quatre jours.

        « Entrez donc, et épargnez-moi votre baratin… »

    L’huissier, un crâne d’œuf à face de rat avait la parfaite gueule de l’emploi.

       « M. Bronstein, je vous prierai de rester poli ! aboya le petit flic de service qui veillait au grain.

       − Bornstein, pas Bronstein, rectifia aussi sec Léo conscient de prendre des risques en les contrariant aussi ouvertement. »

       Celui-là aussi avait le physique de l’emploi. Mâchoire crispée, des yeux fureteurs et une coupe commando qui laissaient présager qu’il n’hésiterait pas à se servir de sa matraque pour neutraliser le récalcitrant. L’équipe était formatée au moule sécuritaire, affairée, soldatesque, et ridicule, mais terriblement efficace dans la cruauté. Des individus ordinaires, sans conscience, se dit-il en confirmant d’une voix onctueuse à Maître Duchmol qu’il était bien le sieur Bornstein, oui comme le musicien, mais avec un o à la place du e. Les déménageurs à nuque épaisse étaient déjà en pleine action. Il s’assit en tailleur sur le plumard pour les regarder transpirer tandis que l’incorruptible représentant des créanciers arpentait les pièces en dressant le maigre inventaire. Léo soupira. Dans sa caboche, des forces monstrueuses s’entrechoquaient en crissant comme les boggies d’un vieux train de marchandises, mais il demeurait impavide, observant d’un regard morne les pantins s’agiter. Conformément au règlement, un second gendarme venait de rejoindre son acolyte. Un brave nègre des Antilles celui-là, genre quinquagénaire replet joueur de pétanque, apparemment peu friand de conflits. Les gros bras embarquèrent la télévision. Léonard la suivit des yeux, sans regrets. Il ne la regardait plus depuis un bail, le raccord d’antenne était fichu mais ça lui avait ouvert des horizons nouveaux. Quand il s’était retrouvé dans le vide, une soudaine boulimie de lecture l’avait saisi, et peu à peu, la petite lucarne avait relâché son emprise sur sa vie. Il avait dévoré tout ce qui lui passait sous la main, des romans de gare pour commencer, puis du sérieux, les grands auteurs, de la philosophie, des essais politiques, et parfois même de la poésie. C’était le meilleur remède qu’il ait trouvé pour faire taire les hurlements déments qui lui parasitaient la cervelle.

       « Vous dev’’iez vous habiller M. Bo’nstein, dans un qua’ d’heu’e on vous rep’end les clés… »

       Le brave poulet proche de la retraite avait un doux accent créole qui donnait envie de vacances et de rhum arrangé.

       « Pouvez m’appeler Léo, c’est comme ça que mes potes m’appelaient à l’usine, rétorqua l’intéressé sans faire mine de bouger une patte. L’autre flic lui lança un coup d’œil assassin :

       «  Foutez d’not gueule ?

        − Non, non, j’y vais. »

        Il n’avait nulle envie que ça s’envenime. Juste la sensation bizarre qu’il était en train de tomber dans un puits, peut-être même de commencer à mourir. Une rapide inspection dans le miroir piqué de la salle de bain lui confirma qu’il était toujours vivant. La cicatrice hideuse sous la greffe de cheveux qui lui meublait le front, ses bajoues flasques et sa dentition en ruine, c’était bien lui, ce désastre qu’il contemplait à chaque fois qu’il retrouvait le courage de se raser. Il s’habilla à la hâte avec des gestes de somnambule. Son sac à dos était prêt. Il avait décidé de n’emporter que ce qu’il avait de plus cher sur le plan sentimental. Quelques photos de famille, ses outils, son couteau suisse, et des frusques pratiques pour survivre dans la rue. Car c’était sa destination. Il était curieux de voir jusqu’où descendait l’échelle. Une pincée de révolte le tenait cependant encore debout. Un certain sens de l’injustice qui lui était faite, et il était fermement décidé à exiger des fonctionnaires pépères du Pôle Emploi qu’ils fassent à minima leur boulot. Ce serait sa dernière tentative avant de lâcher prise, histoire de pouvoir se dire au moment de passer l’arme à gauche, qu’il avait bien tout tenté.

       De retour dans le salon désormais vidé de son contenu, il vit à travers les fenêtres sans rideaux qu’une bruine mouillait le parking encore bleuté de la lumière de l’aube. L’huissier lui tendit une liasse de paperasses à signer. Il s’exécuta sans rechigner, jeta les clés par terre et sortit sans se retourner, le sac à dos à l’épaule et la casquette ras sur le nez. Il n’aimait pas montrer ses émotions, et là, il en avait vraiment gros sur la patate ! Quinze euros en poche une bagnole pourrie qui ne passerait même pas le contrôle technique, une interdiction bancaire pour cinq ans, et un futur aussi radieux qu’une gueule de croque-mort. N’importe qui aurait songé au suicide. Mais ça aussi il en avait fait le tour. Il n‘avait pas envie de tricher avec la vie.

       Les toutes nouvelles caméras de la rue principale le lorgnaient de leur œil idiot. Il leur adressa un doigt d’honneur en pissant sous un lampadaire. Les éboueurs qui passaient accrochés à la benne le sifflèrent en rigolant. Ils savaient, eux, pourquoi il avait choisi de se soulager sous l’objectif. Tout le monde haïssait ces cafteuses, mais personne n’aurait osé les détruire d’un coup de lance-pierre comme au début de leur installation, elles avaient fini par faire partie du mobilier urbain, comme les péages, les parcmètres, les feux tricolores et tous ces signaux absurdes qui balisaient le paysage. Un monde carré, gris et vide, où des millions de fourmis marchaient au pas vers nulle part. En l’occurrence, en ce qui le concernait, ce nulle part jouxtait, comme par hasard, les bâtiments flambants neufs de la Gendarmerie. Le Pôle Emploi était situé dans une impasse. Aucun risque d’émeute dans une telle configuration. Tassés sous l’auvent, une quinzaine de pékins poireautaient devant les portes closes. Les bureaux n’ouvraient qu’à neuf heures mais les plus courageux prenaient leur tour à l’avance. Des laissés pour compte, comme lui, mais aussi des optimistes déclassés qui paradaient dans leurs beaux costards à la mode, des petits cadres nerveux en train de faire les cent pas, des pimbêches en tailleur de printemps qui jouaient les secrétaires d’élites sous leurs parapluies de quatre sous, tandis qu’au milieu, blotties à l’abri, des mémères en jogging douteux houspillaient une marmaille dépenaillée.

       Il prit son ticket à l’instar des autres. Il avait tiré le 17, l’un de ses nombres fétiches. Depuis l’enfance, les nombres premiers l’avaient toujours fasciné par leur singularité inexplicable. Il aimait les entités uniques. La matrone embagousée et toute bronzée qui trônait au guichet central était en poste pour canaliser le flux. A droite et à gauche du guichet, des téléphones muraux étaient à la disposition des postulants. Les nouveaux inscrits n’avaient pas d’autre interlocuteur possible. Ils devaient taper les chiffres de leur numéro INSEE sur le clavier et suivre à la lettre les injonctions préenregistrées d’une voix d’hôtesse de l’air avant de pouvoir décliner leur nom et adresse à un agent surmené dont les manières cassantes donnaient aux plus calmes l’envie de fracasser le combiné sur le mur. Léonard avait expérimenté le dispositif de torture à maintes reprises, en particulier à chaque fois qu’on l’avait radié sous un prétexte quelconque. Ce matin-là, il n’avait pas l’intention d’obtempérer. Quand enfin ce fut son tour, il se campa fermement face à la dondon du guichet.

       « Vouiii..C’est pour une réinscription ?

    − Non madame, pour une explication… 

    − Vouiii…Je vous écoute. »

       Elle avait la trogne radieuse de celle qui est du bon côté du manche. Cette intolérable expression d’omnipotence qui rappelle au solliciteur que le rond-de-cuir dument appointé dispose d’un pouvoir absolu de vie ou de mort sur les gueux qui font la queue. Son teint hâlé et sa teinture au henné indiquait des congés récents en Orient, probablement un voyage discount, du genre Tunisie ou Turquie tous frais inclus pour faire suer le burnous. Il abhorrait ces petits besogneux aux prétentions de riches, il les trouvait pires que leurs patrons.

       « J’ai été radié sans explication il y a trois mois. A cause de vous je me retrouve interdit bancaire et à la rue.

       − Mais monsieur ce n’est pas mon problème, vous n’aviez qu’à faire des économies… »

       Elle pianota nerveusement sur son clavier en faisant mine de scruter l’écran avant de clamer à la cantonade, apparemment enchantée de sa découverte :

       « Ah, mais je vois que vous avez été radié parce que vous ne vous êtes pas présenté au stage de relooking !

       − Au stage de quoi ? », brailla Léo hors de lui sans s’inquiéter des oreilles indiscrètes de l’assistance qui suivait l’échange avec l’avidité féroce d’un public de cirque romain.

       « Re-look-ing ! On vous forme pour apprendre à mieux soigner votre présentation. C’est important pour l’employeur.

       − Mais je suis ouvrier qualifié, je m’en moque de votre look !

       − De toute manière, si vous avez été expulsé, il faudra vous réinscrire à votre nouvelle adresse, le coupa la rombière excédée en lui désignant d’office le fatidique téléphone blanc au mur. 

       −  Mais je n’ai PAS de nouvelle adresse !

       − Vous avez bien des parents, ou de la famille proche, faites-vous domicilier chez eux, il vous suffira simplement de faire valider le certificat par la mairie. Voilà. Suivant ! »

       Léonard sentit le barrage céder. Un flot de rage le submergea et sans qu’il puisse contrôler son geste, il s’aperçut soudain qu’il était en train de secouer la bonne femme comme un prunier en lui serrant le kiki sous les bravos de quelques allocataires ravis de l’intermède. Il hurlait :

    « Je t’emmerde, crève grosse salope ! » quand les gendarmes l’alpaguèrent sans sommation préalable en le ceinturant par derrière.

       Il n’était pas très grand mais plutôt râblé et d’une puissance de frappe surprenante pour un homme de son âge. Il se dégagea d’un coup de rein adroit et engagea le pugilat avec toute la fougue d’un jeune champion, enchaînant directs et uppercuts à un rythme endiablé sans même sentir les coups de matraque qu’on lui rendait. Il était en train d’écraser méthodiquement le pif ensanglanté du poulet qui lui faisait face quand subitement, les cent-mille Volts de la décharge d’un taser réglementaire le tétanisèrent sur place. Il s’effondra sans un cri, tête la première sur la bordure tranchante du guichet, l’inondant au passage d’une bavure cramoisie du plus fâcheux effet, avant d’atterrir couché sur le dos, aussi raide qu’un macchabée de trois jours. Les lueurs bleutées des néons du plafond s’éteignirent peu à peu dans ses pupilles pétrifiées, puis ce fut le trou noir.

    2

        Le bleu avait changé de nuance. Léo se retourna sur la banquette. Il était en train de rêver de son sexe dressé vers le firmament quand il ouvrit les yeux et découvrit les cloisons de plastique renforcé de la cellule de dégrisement. « Ils l’ont quand même senti passer ces connards ! », grommela-t-il entre ses dents, conscient de la situation mais ravi d’avoir pu se défouler sans retenue. Il avait encore dans les yeux l’image du tarin éclaté du flic qui suffoquait. Un crochet du gauche enchaîné d’une droite à pleine puissance. Au moins, ce coup-là, il ne l’avait pas raté ! Il étira ses membres endoloris. Lui aussi avait salement dégusté : il avait l’impression de sortir d’une essoreuse, vidé de toute énergie, à peine capable de remuer les orteils. Une croûte à moitié séchée lui démangeait le front. Il se tâta. Une vilaine coupure de la longueur d’une main exsudait de la lymphe collante qui lui coulait sur les sourcils, ça signifiait que l’incident était récent.

       Il se redressa péniblement et tituba jusqu’à la porte. Un écriteau et un bouton de sonnette rouge sur le chambranle lui indiquèrent la marche à suivre. Deux minutes plus tard, un visage glabre s’encadra dans la lunette de plexiglas blindé. Le maton prudent ouvrit le sas avant de se risquer à l’intérieur :

       « Ça va mieux ? On va vous changer de cellule avant d’enregistrer le procès-verbal. Vous auriez frappé un collègue à ce qui paraît ? Ça va vous coûter un max.

       − Je sais, murmura Léo soucieux de se ménager les bonnes grâces du bonhomme.

       − Qu’est-ce qui vous a pris de vous énerver comme ça ? Vous aviez picolé ?

       − Même pas. Je suis désolé…

       − Vous le répèterez au brigadier. En attendant enfilez vos chaussures et veillez à ce que rien ne soit tombé de vos poches… »

       Menotté serré les mains derrière le dos, il marcha docilement dans les couloirs, obtempéra quand on libéra ses poignets endoloris et qu’on lui ordonna de lever les bras, de se tourner pour la fouille au corps, de ne pas sourire pour la photo, et l’instant d’après il se retrouva projeté à quatre pattes dans le carré des gardés à vue. La GAV comme disent les gamins des cités. C’était la première fois qu’il y goûtait. Trois codétenus provisoires l’accueillirent sans émoi.

       «  Salut l’ancien, moi c’est Juan… »

       Un grand brun mal rasé, genre jeunot rebelle de la trentaine lui offrait une main ferme pour le relever. Il s’en saisit sans honte.

       « Léo…

       − Et moi c’est Fred, Fred tout court. » Avachi dans un coin, un rasta blanc à dreadlocks lui adressa nonchalamment le signe cool brother en écartant deux doigts en V de la victoire.

       «  Amanda, pour les intimes… », roucoula la troisième personne en robe courte et escarpins à talons. Celle qu’il avait tout d’abord prise pour une fille avait une belle voix de baryton. Un travesti. Léonard huma avec circonspection le lourd parfum de la créature de la nuit. Il avait, comme beaucoup d’hommes de sa génération, quelques a priori sur la question, mais vu la situation exceptionnelle, il n’allait pas faire la fine bouche, d’autant que la dame lui souriait avec une gentillesse apparemment tout à fait sincère.

       «  On peut parler ?

       − C’est pas interdit… » Le rasta arborait une expression extatique. Manifestement, il n’avait pas besoin de joint pour planer.

       «  Dis-moi le vieux, pourquoi ils t’ont coffré ? s’enquit-il d’une voix traînante tout en tripotant nonchalamment ses nattes.

       −  Violence à agents, et toi ?

       −  Je conduisais chargé et ils m’ont fait souffler dans leur saleté de boîtier électronique. Je m’en

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