Un cœur en sommeil
Quentin jette un regard circulaire avant de pénétrer dans le local où se sont regroupés les hommes et les femmes dont la mission est d’assurer la propreté de Paris. Comme eux, il a revêtu la combinaison verte, enfilé le gilet jaune fluo. Il tient à la main les gants de protection qu’il ne veut pas mettre avant d’avoir salué ses nouveaux collègues. Il a réussi haut la main les épreuves écrites, orales et physiques proposées aux milliers de candidats qui postulent chaque année au poste d’éboueur, poussés par la précarité. Il a même surpris l’examinateur qui contrôlait son aptitude à porter des charges lourdes. Sous son apparence fluette, il cache une robustesse inattendue.
Il faut dire que Quentin a exécuté bien des tâches exigeant un gros effort physique quand il travaillait aux abattoirs. Là-bas, il lui arrivait de faire coulisser sur un rail des heures durant des carcasses de veaux de plus de cent kilos pour les acheminer jusqu’au lieu de la pesée. Les crochets glissaient difficilement sur la barre de fer rouillée. Pour parvenir à les faire avancer, il devait presque porter dans ses bras les veaux tout juste écorchés, encore chauds.
Malgré la pénibilité des gestes, il se portait toujours volontaire pour transporter les carcasses, quitte à pénétrer dans les réfrigérateurs pour les en extraire, afin d’éviter d’être affecté aux abats. Prendre les viscères dans ses mains le dégoûtait, l’odeur des tripes lui donnait envie de vomir.
Ce fils de manutentionnaire n’est pourtant pas particulièrement sensible. Enfant, il s’amusait à arracher les pattes des araignées qu’il capturait sur leur toile dans le jardin de ses grands-parents. Adolescent, il passait tout son temps libre à tuer des ennemis imaginaires sur ses jeux vidéo.
Le jour de ses 24 ans, il a décidé d’abandonner le métier trop dur et trop mal payé des abattoirs, d’oublier les
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