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Il n'est jamais trop tard
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Il n'est jamais trop tard
Livre électronique401 pages5 heures

Il n'est jamais trop tard

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À propos de ce livre électronique

Clément est abandonné de tous. Suite à un terrible accident de la route, dans lequel il a perdu sa femme et sa fille, dont il se croit responsable, il a sombré dans l’alcoolisme.
Après 3 ans d’errance, Sylvie, secrètement amoureuse, prend soin de lui. Deux ans de combat pour arriver à la rédemption, jusqu’au 18 septembre 2010, date fatidique, qui 29 ans plus tôt, a entraîné, dans un malstrom, la destinée de trois jeunes : Clément, Chantal, Arnaud, au travers d’un acte qui a mené à l’irréparable.
Clément, qui a récidivé ce soir là, est témoin d’un meurtre. Ignoré par les forces de l’ordre, en raison de son récent passé d’alcoolique, il doit se battre, avec l’aide de Sylvie, pour faire éclater la vérité, et quelle vérité.
Au travers de cette enquête, le passé surgit et une autre révélation, celle qui peut le réhabiliter, apparaît, plus sournoise…
Rancœurs, échecs sentimentaux, accidents de la vie, force de l’amour, tout est réuni dans cette histoire humaine, où la vérité et l’honneur, sortent triomphants.
LangueFrançais
Date de sortie5 oct. 2012
ISBN9782312004952
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    Aperçu du livre

    Il n'est jamais trop tard - Daniel Mélin

    978-2-312-00495-2

    Chapitre N°1

    Samedi 18 Septembre 2010

    22 h 00 à 23 h 30

    – Mais si, déclare Chantal, tu es toujours attirant.

    Elle est surprise et regrette immédiatement sa réponse, elle sait pourtant qu’Arnaud est manipulateur, mais il est très fort. Une teinte rosie apparaît sur son visage, déjà légèrement enivré.

    Elle a presque terminé un fabuleux risotto, lorsque Arnaud lui pose cette question hors contexte, « Je ne suis pas assez beau pour toi ? ».

    C’est arrivé si vite, sans prémices.

    Reprends-toi, pense-t-elle.

    Elle plisse légèrement ses paupières, donnant subitement à ses yeux, bleu profond, une couleur encre, signe d’une colère sourde.

    – Rappelle-toi, reprend-elle, je ne t’ai rien caché à l’époque, j’aimais Clément, point à la ligne. Ça n’a été qu’une aventure, pour toi surtout, même pas consommée.

    Elle fait allusion à leur brève liaison et à la scène de rupture qu’elle lui avait infligée, trente ans plus tôt. Ces souvenirs enterrés lui sont revenus tout au long de la soirée, en se remémorant leurs diverses sorties, à moto, cinéma ou en boites avec les copains de lycée ou du club moto.

    Terrible d’avoir enfoui ses souvenirs aussi profondément.

    Elle avait une relation forte avec Clément, s’est-elle rappelée. Aussitôt, une sorte de spasme se forme dans la poitrine. « Clément ! Songe-t-elle, est-ce possible ? Après tout ce temps ! ».

    Elle se souvient de l’amour qu’elle portait à « Clem », comme on l’appelait tous, et que c’est justement après cette grosse dispute avec Arnaud qu’ils s’étaient séparés. Clément n’avait pas compris que la colère qu’elle exprimait contre Arnaud, était pour lui prouver son amour envers lui, en humiliant le dandy, et ainsi le retrouver.

    Elle est restée seule avec son chagrin, et ne s’en n’est jamais remise.

    Sa vie de femme en a été bouleversée à tout jamais, préférant les « aventures » à une vie stable.

    Tout à coup, Chantal réalise la situation.

    Elle redresse la tête, secoue ses cheveux face à la brise et s’appuie sur le dossier de sa chaise en regardant la mer, noire, et les lumières au loin.

    Pourquoi avoir accepté cette soirée ? S’il a eu des mots charmeurs pour la convaincre, elle voulait surtout savoir jusqu’où il ira ?

    Chantal se souvient qu’Arnaud l’avait abordé vers la mi-juin, soi-disant par hasard devant chez elle, comme un malappris.

    Maintenant, elle comprend qu’il cherche à la reconquérir et qu’il fera tout pour la séduire. Mais les raisons de cette vieille séparation sont profondément ancrées dans ses souvenirs. Il n’a plus aucune chance.

    Elle pense qu’il faut prévenir Pascal pour qu’il vienne la chercher.

    La brise de mer souffle dans ses cheveux ondulants, couleur miel, lui faisant tomber une mèche rebelle.

    Mauvais signe, pense-t-elle, cet air amène souvent la pluie.

    *********

    Ils s’étaient retrouvés, deux heures auparavant, devant L’Escale Borely.

    Située sur une avancée artificielle prise sur la mer, grâce aux remblais apportés par le creusement du métro marseillais, c’est un point de rendez-vous à la mode pour tous les Marseillais fêtards.

    La plage, ainsi créée, permet aux Marseillais de dire « Le métro ne va pas à la plage mais c’est lui qui a créé la plage ».

    Elle porte un petit tailleur en flanelle beige, assorti d’un chemisier blanc, brodé de dentelles, et un chandail olive. Elle s’est parfumée avec « Lady Million », de Paco Rabane, son préféré.

    Le ciel étoilé est dégagé, et il fait assez doux. Son chandail servira plus tard.

    Arnaud, toujours aussi snob, costume Scabal bleu marine, en super 100’s, pantalon de même ton, coupe droite, chemise rayée bleu pâle, et sa fameuse pochette jaune, a choisi la terrasse d’un restaurant italien, « La Grande Italia », située un peu en hauteur, et dominant la plage et la mer côté soleil couchant. Chantal l’a laissé choisir, car elle sait qu’il est connaisseur et de bon goût.

    Arnaud l’a installé face à la mer et s’est assis en vis-à-vis. Chantal a découvert le menu qu’il lui a concocté, et n’est pas déçue. Les spécialités du chef l’ont comblé :

    – Un « Antipasti », assortiment d’entrées, chaudes et froides, de légumes, charcuteries, fruits de mer.

    – Un « Risotto aux cèpes et Saint-Jacques », Noix de St-Jacques grillés, sur lit de riz arborio et de cèpes, décoré de lamelles de divers légumes colorés et de plantes aromatiques.

    Le dessert, ce sera une surprise, lui a-t-il dit.

    La soirée se déroule de manière conviviale, parlant de tout et de rien, commencée par un cocktail, un « Daïkiri » bien frappé, suivit de l’Antipasti, puis du risotto, jusqu’au moment de cette interrogation, hors contexte.

    *********

    Il reste un peu du risotto, dans l’assiette de Chantal, qu’elle veut terminer, mais n’en fait rien. La pression dans sa poitrine est toujours présente. Dès que l’on remue le passé, celui-ci vous remonte de toutes parts. Avec les doigts de sa main, elle remet sa mèche en place.

    – J’ai changé, dit Arnaud en la regardant dans les yeux. Après toutes ces années, j’ai enfin compris.

    Chantal repousse son assiette et y place ses couverts. Elle se tourne vers Arnaud et le regarde dans les yeux :

    – Ce que j’ai ressenti en toi, à cette époque, cette violence que tu m’as infligée, ne peut disparaître totalement.

    – C’est faux, s’emporte-t-il.

    Il scrute les environs, puis s’avance vers Chantal et continue en se calmant :

    – Je sens en moi un profond changement. Ma jeunesse a été une erreur, je m’en suis rendu compte. Je voudrais que tu le comprennes ce soir. Je souhaite revenir 30 ans en arrière pour te prouver ma bonne foi.

    Imperceptiblement, une commissure se forme au coin des lèvres, sous sa barbe.

    Chantal prend son verre de vin. Un « Vermentino Zona Otto » blanc, de Toscane, qui distille un parfum unique de fruits d’été se mariant avec bonheur à la charcuterie et au poisson élaboré.

    Sans rien dire, savourant ce délice, elle se remémore cette brève aventure.

    *********

    Arnaud était beau, la coqueluche de la fac, blond ondulé, d’une peau douce de jeune bébé et au sourire très charmeur. Son corps sportif et hâlé lui conférait une parfaite tenue, teintée de snobisme naissant. Il était toujours habillé élégamment avec une pochette jaune pliée dans la poche de sa veste, même en tenue décontractée.

    Il l’avait séduite, sans même qu’elle ne s’en aperçoive, par la douceur de mots enjôleurs qui l’avaient emmenée dans un espace envoûtant de plaisir. Il avait pris son temps pour lui faire oublier Clem, lui faisant des petits cadeaux régulièrement, les promenades à moto, le cinéma… Il l’avait fasciné.

    Heureusement, Chantal raconta son nouveau bonheur à Martine, sa meilleure amie. Celle-ci la mit en garde contre Arnaud, lui avoua être une ancienne de ses conquêtes, et lui fit comprendre le manège de ce manipulateur. Séduire ne lui suffisait pas, « c’est la possession qui l’obsède, lui confia-t-elle ».

    Martine lui raconta comment elle avait été éblouie par Arnaud, exactement comme elle, ensuite, dès qu’elle avait cédé, comment il était devenu étrange, voire même exalté dans son comportement. Leur idylle n’a pas fait long feu. C’était juste après Jean-Pierre, qu’il lui avait fait quitter.

    Le choc de ces révélations fit très mal à Chantal, mais elle avait compris immédiatement.

    Comment un être aussi beau pouvait-il cacher cet individu abject ? Chantal eut beaucoup de chance de ressentir la réelle motivation du jeune dandy. Il avait mis à mal l’amour qu’elle avait pour Clem.

    Elle comprit qu’Arnaud était calculateur et que c’était pour ces raisons qu’il prenait son temps avec elle.

    Il avait attendu que Clément s’absente pour son travail pour s’accaparer d’elle, pour la faire rompre en douceur.

    Quel beau salaud, avait-elle pensé.

    Heureusement qu’elle n’avait pas encore cédé.

    Elle prit la décision de casser avec lui avant qu’il ne soit trop tard. Mais, devant ses avances de plus en plus pressantes, la violence des coups qu’elle avait reçu, et le retour de Clément, elle du se résoudre à faire cette scène qui la marque encore aujourd’hui.

    *********

    Chantal repose son verre et réplique :

    – Écoute, dit-elle avec plus de fermeté qu’elle ne l’a voulu, je te remercie de m’avoir invitée, cela m’a fait un grand plaisir. Nous avons reparlé des bons souvenirs de cette période. Des sorties avec Clem, Alain et les autres, de nos ballades à motos, des copains de fac et tout ça. Les retrouvailles sont à la mode, mais restons-en là si tu veux continuer à me voir.

    Le regard d’Arnaud se fait plus intense, accentué par la coupe en arrière de ses cheveux, finissant en queue de cheval, et toujours ce petit sourire imperceptible sous cette barbe fournie.

    Ce regard hypnotique qui pénètre en vous au plus profond de votre conscience.

    Chantal a une sensation étrange. Des petits fourmillements se forment à la base arrière de son crâne, comme si quelque chose le malaxait.

    « Ferait-il plus frais ? Pourtant la brise ne s’est pas trop accentuée. Peut-être que le temps restera au beau, spécule-t-elle ».

    – Comme tu veux, répond-il laconiquement, en se rejetant en arrière dans sa chaise.

    Son expression change, ses yeux se resserrent et les mouvements de sa bouche se prononcent plus profondément.

    Cela n’échappe pas à Chantal qui est de plus en plus mal à l’aise. Elle met ces sensations sur le compte de la griserie naissante, ou alors, est-ce son regard magnétique, presque satanique, du parfait manipulateur ?

    Il est temps de contacter Pascal.

    Voulant rompre ce désagrément, elle annonce :

    – Je vais aller me refaire une beauté. Je n’en ai pas pour longtemps.

    Chantal se lève pour aller directement aux toilettes, avec son sac. Elle traverse la salle en se forçant à sourire, même s’il n’y a personne qui la regarde.

    Arnaud la voit se lever mais ne tente rien pour l’en empêcher, comme prévu.

    « Elle est encore très belle » pense-t-il. « Mais il est trop tard ».

    Il avait anticipé son refus. Il attend de la voir disparaître derrière la porte pour aller chercher dans la poche de sa veste un flacon de « Valium », qu’il cache dans sa main.

    Il espère l’avoir un peu enivrée avec ce vin italien afin que l’action du calmant soit un peu plus lente. Il va peaufiner encore.

    Arnaud commande, à Marco, le serveur qui s’occupe d’eux, deux verres de Marsala « Lombardo » rouge. Ce vin sicilien, au goût fortifié, se marie très bien avec le dessert, et en plus son goût prononcé masquera le médoc.

    C’était sa surprise.

    Marco en profite pour débarrasser la table et nettoyer les miettes.

    Arrivée dans les toilettes, Chantal sort immédiatement son mini portable, servant seulement lors de ses sorties, d’une petite poche invisible sous la ceinture. Elle avait trouvé cet article dans un catalogue de gadget. Il y est possible d’y cacher un peu d’argent et d’autres petits objets, comme son petit portable, sans que l’on ne remarque sa présence. On n’est jamais assez prudent.

    22 h 28, elle appelle Pascal, son amant privilégié. Elle espère qu’il pourra venir la chercher, car elle n’a pas pensé de le prévenir. Malheureusement, Pascal ne répond pas. Elle laisse un message, demandant de venir la raccompagner rapidement et de lui téléphoner, avant vingt-trois heures. Si elle n’a pas rappelé avant, c’est qu’elle ira mieux et s’excuse de l’avoir inquiété.

    Dès que Marco a apporté les verres, Arnaud observe autour de lui, et met toute la pipette de Valium dans la coupe de Chantal. Plus de 30 mg, avec l’alcool, l’effet sera de toute beauté, pense-t-il.

    Après avoir remis son portable dans la cachette, Chantal se coiffe devant un miroir et y voit une certaine angoisse qu’elle ne peut expliquer. De toute évidence, il ne veut que la séduire pour parachever sa déception de la fac. Pourquoi est-elle dans cet état ? Elle l’a un peu remballé et ne devrait pas être inquiète. Elle sourit, se parfume un peu et arrange son chemisier, sa ceinture et ferme son chandail autour d’elle, la fraîcheur commence à se faire sentir.

    Elle pense à Pascal qui n’est jamais là quand on a besoin de lui, ce qui la rembruni. Elle sort et se rend à contrecœur vers la table, le visage un peu tendu. Inexplicable.

    Arnaud la voit revenir et lance un regard vers Marco pour lui signifier la suite. Celui-ci a compris et file vers la salle. Dès l’installation de Chantal, Arnaud lui explique, en montrant les verres et en prenant le sien.

    – J’ai commandé ce magnifique Marsala pour la surprise qui arrive.

    – Noble vin, italien je crois, répond-elle en portant son verre sous son nez, un peu fortifié, ce doit être l’équivalent du Banyuls ou même du Xérès.

    – Bravo ! S’exclame-t-il, je ne m’attendais pas à ce qu’une aussi belle créature soit également compétente en vin.

    Elle se sent rougir de plaisir, malgré elle, et repose son verre.

    – C’est mon père qui m’a apprit quelques rudiments essentiels sur les plus grandes appellations ainsi que de leurs accords.

    – Ce qui est étrange avec ce vin, complète-t-il, en soulevant son verre à la lumière d’un lustre, c’est que s’il est d’origine sicilienne, c’est un anglais qui l’a popularisé fin 18e. Ce n’est qu’en 1984 qu’il a obtenu sa D.O.C. en Italie, l’AOC en France.

    Chantal, qui l’a écouté avec attention, précise :

    – Il me semble que ce vin accompagnerait bien un dessert… Tiens, un « tiramisu », comme je l’aime.

    Il est particulièrement étonné, et ouvre les yeux, comment a-t-elle pu deviner ?

    – C’est exactement la surprise que je t’ai promis, dit-il en reposant son verre.

    C’est à ce moment là que Marco apporte les parts de « tiramisu ».

    Chantal n’a pas dit à Arnaud qu’elle avait compris, au passage en salle et à la disposition de certains plats, que ce fameux dessert leur était destiné.

    – Mais pas n’importe lequel, rajoute-t-il, excité par la connaissance de Chantal, il s’agit ici de la recette Toscane originale, sans le mascarpone que l’on trouve habituellement.

    Il voit briller dans les yeux de Chantal une lueur de plaisir.

    – Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir, cela faisait trop longtemps que je n’en avais pas dégusté.

    – Prends un peu de ce « Marsala » et donne-moi ton avis.

    Arnaud attrape son verre et invite Chantal à trinquer. Elle ne se fait pas prier, et en goûte une petite gorgée.

    – Hummm…, excellent, apprécie-t-elle, en serrant un peu ses lèvres.

    Immédiatement, elle dépose le verre et prend un morceau de ce formidable dessert, le savoure lentement afin de bien en répartir toutes les saveurs qu’elle retrouve avec satisfaction. Après quelques bouchées, elle se lance dans la dégustation du « Marsala ». Son visage s’illumine de contentement.

    – Quel bonheur, s’exclame-t-elle avec un large sourire, non seulement je me régale d’un de mes plats préférés, d’un peu de culture générale, mais en plus ce nectar des Dieux qui me réjouit totalement.

    Arnaud est content de lui, tout se passe comme il le souhaite. Il faut maintenant patienter avant de terminer. Changer de sujet, pour laisser le temps au médoc d’agir.

    – Je suis ravi que cela te plaise à ce point, continue-t-il en se découpant une part. Nous avons beaucoup discuté du passé, mais je ne sais rien de ta vie d’aujourd’hui. Comment cela se passe-t-il pour toi ?

    Chantal qui vient de terminer, prend son verre et apprécie le vin glissant au fond de sa gorge. Une sensation de légèreté commence à se manifester au sommet de son crâne. « Doucement, pense-t-elle ».

    Elle pose son verre, respire un bon coup.

    « L’air marin…, Ouverture sur de belles aventures… ».

    Elle tourne son visage vers la mer pour se rafraichir. Brise de face, elle semble s’envoler, tellement ses cheveux ondoient légèrement au vent.

    – En trente ans, il se passe bien des choses, reprend-t-elle. Que veux-tu savoir ? … Oui, je suis seule, non, je ne veux pas m’encombrer d’un compagnon, car ma vie professionnelle est bien remplie.

    « Bien envoyé, juge-t-elle, cela le calmera ». Elle pose ses coudes sur la table, les mains repliées au dessous de son menton et continue :

    – Je suis actuellement responsable du contentieux client dans la banque, travail prenant mais intéressant. Je bosse tard le soir, car j’ai en vue de demander un poste plus important chez un concurrent plus performant et cela me semble incompatible avec une vie familiale.

    Sa tête tourne un peu plus. « Bizarre, d’habitude je n’ai cet effet que très tard, se rappelle-t-elle. »

    Arnaud, qui l’écoute attentivement, s’aperçoit du léger changement dans son comportement.

    Il est temps d’en finir, considère-t-il en reculant au fond du siège.

    Il lui lance son plus beau petit sourire, avec cette arrière-pensée qui le caractérisait dans toutes les situations.

    C’est pour cela qu’Arnaud avait choisi cette spécialité en psychologie. Il est manipulateur, et il le sait. Son cœur commence à accélérer, la phase finale est enclenchée. Encore un petit moment et il sera temps.

    – Je suis content de te savoir heureuse, en ces temps de récession, il est toujours agréable de savoir qu’un être cher est en bonne situation. Dans quelle banque veux-tu aller ?

    – Ce n’est pas un secret, mais je ne puis te le dire ce soir. Ce poste, de direction, je le vise depuis près de 5 ans. Alors, étant superstitieuse, je ne veux pas risquer de rompre cette opportunité.

    Elle espère que ce mensonge passera. Elle se sent de plus en plus gaie et commence à surfer vers une certaine euphorie. Sa lucidité se dilue de plus en plus. « Que m’arrive-t-il ? ». Il n’est pas possible que ce soit déjà le vin.

    Arnaud s’en rend-il compte ou, peut-être l’a-t-il fait exprès, pour mieux me séduire ? Il en est fortement capable.

    Sa conscience décline, à vue d’œil.

    Arnaud remarque que le calmant agit sur Chantal. Il lève le bras pour demander l’addition.

    Les yeux de Chantal virent, elle est sous l’effet du Valium, calcule-t-il. Il est temps de payer et ensuite, c’est elle qui « payera ».

    – Je crois qu’elle a un peu abusé de votre excellent vin, dit-il à Marco, venu lui apporter la note. Je vais la raccompagner chez elle.

    Il lui tend sa carte de paiement.

    – Il vous faut une facture ? demande Marco, stylo à la main.

    – Non, merci.

    Chantal est comme dans un rêve, elle le voit payer puis se lever pour venir la prendre, car elle n’a plus la force de se lever. Arnaud la prend doucement et elle l’entend rire. Avec qui ? Elle ne saurait le dire. Ils partent vers le parking clients sans qu’elle ne puisse résister. Il est presque 23 h 00, un fourmillement se déclenche au niveau de sa ceinture, mais elle ne se rend plus compte que c’est son portable, en mode vibreur silencieux…

    Dès qu’Arnaud a reçu la note et sa carte, il aide Chantal à se relever, car manifestement elle ne peut plus se tenir debout seule. Il la soutient pour empêcher qu’elle ne titube trop, et prend son sac.

    – Elle a vraiment abusé du Marsala, dit-il à Marco en souriant. Décidément les femmes ne supportent pas l’alcool. Je vais lui faire prendre l’air avant de rentrer chez elle.

    Il part dans un rire rauque, et l’emmène vers sa voiture.

    Marco les observe attentif.

    – Ne vous inquiétez pas, je suis garé sur le parking. Nous tiendrons le coup jusqu’à ma voiture. Je suis sûr que c’est passager. Un bon bol d’air frais et il n’y paraîtra plus.

    Marco, dubitatif, les regarde partir, comme toujours avec les femmes saoules, c’est l’homme qui les ramène à la maison.

    Arnaud a provoqué cet incident volontairement afin que l’on voie Chantal en état d’ébriété avancé et surtout que l’on s’en souvienne. En avançant vers son véhicule, un BM X5 de luxe, il pense qu’elle était certainement plus cultivée qu’elle n’y paraissait. Dommage, cela aurait été très charmant d’en discuter.

    *********

    Le X5 roule assez vite dans les virages, sur la départementale D559, en direction de Cassis. Chantal est secouée mais ne réagit plus. Elle se contente de rire. Elle se rappelle être déjà passée sur cette route avec un homme, il y a longtemps.

    Ce sera son dernier souvenir.

    Arnaud la brusque un maximum pour qu’elle ne s’endorme pas. Il lui faut à peine 30 minutes pour arriver à l’endroit idéal, en haut de la D141.

    Altitude 330 M.

    Parking assuré.

    Face à la mer.

    23 heures 30.

    Elle s’est endormie.

    Le vide devant elle…

    Chapitre N°2

    19 septembre 2010

    10 h 00

    Vaufrèges

    Tout est noir. Des rats énormes grouillent devant la porte. Je ne peux pas sortir.

    J’ai soif ! Ces sales bêtes m’affament ! Ils me rongent les pieds.

    Ils m’empêchent de marcher plus loin. Comment aller chercher à boire ? Même de gros lézards les accompagnent.

    Les murs bougent. Leurs couleurs se métamorphosent en un vilain patchwork. Le sol ondule et me fait tomber.

    Je me ramasse. J’ai soif.

    Ils font de la musique. Ding-Dong ; Ding-Dong

    Où sont mes bouteilles ?

    Elles me les ont cachées ces saloperies de bestiaux.

    Elles ne veulent pas que je les trouve.

    Encore un effort, je vais les tromper.

    La boule noire, surgit, un triangle jaune au milieu et tente de m’écraser. Soudain, Lucifer apparaît, noir avec un point jaune, il tient une proie dans sa gueule. Il la jette dans le vide.

    Les autres cognent contre les murs. Boum ; Boum

    Ça me fait mal à la tête.

    Mais je suis invincible.

    Un ange blond passe dans le ciel. Je vais l’attraper pour me blottir contre lui.

    Le sol ondule toujours. Je ne peux rester debout.

    L’ange est passé.

    Je me réfugie sur mon lit. Là ils ne viennent pas.

    Ils sonnent les cloches. Ding-Dong ; Ding-Dong

    J’ai le mal de mer.

    Le lit est emporté vers le vide. Il vole. Tombe et tombe. C’est vertigineux, il m’emmène vers le fond…

    Ding-Dong ; Ding-Dong ; Ding-Dong…Boum ; Boum ; Boum…

    *********

    Clément se réveille difficilement, il a une forte migraine et des envies nauséeuses, ses cheveux en bataille.

    Que s’est-il passé ?

    Il est trempé, la couverture est à terre, et les draps sont mouillés comme son pyjama.

    Ding-Dong ; Boum-boum.

    C’est la sonnette !

    Qui tape sur la porte ?

    Qui vient me voir ?

    Il est 10 heures, le soleil perce au travers des volets.

    Clément passe un peignoir, ses articulations lui font mal, surtout celle de son cou. Il s’approche de la fenêtre pour essayer de voir qui sonne.

    Il aperçoit Sylvie, sa plus fidèle amie, presque une mère pour lui.

    Il est content, ouvre la fenêtre en criant qu’il arrive, sort de sa chambre, ferme la porte et descend.

    Il tourne les verrous et ouvre la porte en grand.

    – Et bien, Clément, s’exclame Sylvie, en jogging gris clair, cheveux attachés. Cela fait bien dix minutes que je sonne et que je tape à la porte. J’en ai les mains toutes rouges.

    Elle le regarde et semble effrayée, porte sa main devant la bouche, de stupeur :

    – Ne me dis pas que tu as encore bu !

    Clément rougit, et ne sait quoi répondre. Il avait promis. Il ne veut pas contrarier Sylvie qui est si gentille avec lui. Il la prend dans ses bras, la serre très fort, et lui donne la bise du matin.

    Elle sent l’odeur de l’alcool et de la sueur. Il pique, sa barbe est de trois jours, depuis qu’elle est venue, le jour de son anniversaire, que Clément a oublié.

    Elle entre dans le couloir et reprend en secouant sa tête :

    – Ce n’est pas vrai, quand vas-tu t’arrêter ?

    Clément, honteux, fait une moue de douleur, et entre dans la cuisine derrière elle :

    – J’ai mal au crâne, je vais nous faire un café et prendre un comprimé d’Aotal et deux Doliprane.

    Il revient avec les comprimés et sort un verre, le rempli d’eau filtrée et y jette les cachets effervescents. Il dit à Sylvie :

    – Je crois qu’il y a des croissants au congélateur, veux-tu les faire réchauffer, s’il te plaît ? Pendant ce temps, je vais me prendre une douche.

    Les cachets dilués, il vide son verre avec le comprimé d’Aotal. Il se dirige rapidement vers la SDB.

    Il a oublié le café !

    Sylvie et Clément se connaissent depuis très longtemps, trop longtemps pour elle, 35 ans. Elle l’a vu plonger, petit à petit, dans cet état après la terrible perte de sa femme et sa fille dans un horrible accident de la route.

    Cela fait deux ans que Sylvie l’a pris en compassion, par amour.

    Elle ne peut que satisfaire ses désirs.

    Elle n’a pas déjeuné, anticipant sur l’état de Clément. Heureusement, le dernier traitement qu’il suit, avec les cachets d’Aotal, peut subir cette entorse sans conséquence sur la réussite finale, sachant que seule la volonté du patient mène à la réussite.

    Elle sait ce qu’il a fait cette nuit. C’est elle qui l’a ramené ici dans cet état second, avec son frère.

    Mais elle veut le choquer, lui faire prendre conscience de son état mental. Alors elle feint l’ignorance.

    Elle trouve les croissants, les place dans le four micro-onde mixte et envoie le réchauffage automatique, enlève la veste du jogging, prépare le café et met la table. Elle connaît bien la maison, dans le village de Vaufrèges, elle y vient depuis si longtemps qu’elle y est à l’aise.

    Cette maison, héritée en 1997 par la femme de Clément, Marianne, suite au décès de sa grand-mère, veuve d’un résistant, est revenue à Clément, après le décès de Marianne et d’Audrey, sa fille.

    Petite maison des années trente, carrée, sur deux niveaux, crépis en beige clair et volet marron, représente la maison idéale des ouvriers du milieu de siècle dernier.

    L’entrée est située au milieu de la façade et donne dans un couloir distribuant à gauche une grande cuisine et à droite le salon-salle à manger, avec cheminée, et au fond deux portes, pour l’accès à la cave et à l’étage, à droite, les WC et la salle de bains. À l’étage, quatre grandes pièces, dans chaque angle, dont deux sont aménagées en chambre et une petite au milieu, servant de débarras.

    Au bout d’un petit moment, Clément revient de sa douche. Il s’est rasé de près et parfumé. Il ressemble à un homme maintenant, même s’il reste marqué. Sylvie qui l’a entendu s’est levée et le rejoint dans le couloir :

    – J’ai vu des choses épouvantables, explique-t-il à Sylvie en se coiffant devant le miroir de l’entrée, l’ampoule de la SBD étant cassée. Je ne sais plus où j’en suis.

    – Raconte-moi ce que tu as vu, dit-elle appuyée contre le dormant de la porte de la cuisine.

    Le bruit caractéristique de la cafetière ce faire entendre.

    Clément, qui a besoin de nourriture solide à cause des cachets, demande gentiment :

    – Va chercher le café, les croissants, s’il te plait, et met-toi avec moi.

    Clément s’installe à la table de la cuisine et commence sans préambule, il doit évacuer :

    – Ce que j’ai vu est particulièrement terrible. J’ai du mal à remettre mes pensées en place. Je ne sais même pas comment je suis arrivé ici ! J’en viens à croire que je suis fou.

    – Certainement pas, claque-t-elle. Je ne te laisserai pas dire des choses pareilles. Je sers le déjeuner et je t’écoute.

    Elle verse le café dans les bols, met les croissants chauds dans une assiette et place le tout devant Clément. Elle s’assoit face à lui, inquiète, car aujourd’hui il a un regard terriblement monstrueux. Le visage est pâle et ses yeux semblent être enfoncés dans ses orbites. Est-ce l’effet de l’alcool ou quelque chose de plus grave ?

    Il prend un croissant…

    *********

    Clément ne s’est pas rendu compte de ce qu’il s’est passé cette nuit. Il ne sait pas encore que c’est Sylvie qui est venue le chercher là-haut, par la D141, sur les falaises Soubeyran, en compagnie de son frère Gérard, chargé de redescendre le véhicule de Clément, une vieille Mégane de 9 ans.

    Elle savait où trouver Clément, qui vient ici « en pèlerinage », disait-il. Elle trouva son véhicule sur le chemin du feu, à l’abri des regards. Elle avait pris des lampes de poches puissantes et avec Gérard, ils s’étaient mit à fouiller les recoins, mais Sylvie s’est rendue directement sous le sommet, elle savait à quel endroit était Clément, dans une des cavités de la falaise.

    En effet, il était là, endormi. Elle l’avait secoué pour le réveiller. Il s’était mis à brailler, il était incohérent. Il gesticulait, une bouteille de whisky vide à la main, il parlait dans un état semi-conscient, incompréhensible. Il montrait, avec insistance, un endroit avec son bras. Sylvie y dirigea sa torche et y vit le promontoire avec une vue magnifique sur les lumières de Cassis. Elle lui a dit gentiment :

    – Oui, Clément, je sais que tu aimes particulièrement cet endroit, mais là il

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