Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La dernière danse de Joséphine: Prix d'honneur 2008 de l'académie poétique et littéraire de Provence
La dernière danse de Joséphine: Prix d'honneur 2008 de l'académie poétique et littéraire de Provence
La dernière danse de Joséphine: Prix d'honneur 2008 de l'académie poétique et littéraire de Provence
Livre électronique343 pages4 heures

La dernière danse de Joséphine: Prix d'honneur 2008 de l'académie poétique et littéraire de Provence

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Une nouvelle enquête policière du capitaine Ange Mattéi, sur les traces de Joséphine Baker

Après la mort prématurée de son mari, Mathilde Law est restée vivre en Dordogne avec Céleste de Lussac, sa belle sœur, et Clarissa, sa petite fille. Un jour de marché au Bugue, elle rencontre Joséphine Baker avec qui elle se lie d'une amitié indéfectible et lui reste fidèle, jusqu'à sa mort, en 1975. Bien des années plus tard, une série de crimes spectaculaires secoue ce petit coin de Dordogne, si paisible et avenant. Et l'accident mortel de Mathilde pourrait bien ne pas en être un. Le Capitaine Ange Mattéi est alors appelé en renfort par son ami Chasteneuil, complètement dépassé par les évènements. Mais sous le chaud soleil de l'été périgourdin, les meurtres s'enchaînent, et le pays s'affole. Entre rivière et coteaux, grottes et châteaux, et au gré des villages et des pâtures, l'enquête du Capitaine Mattéi sera difficile. Les témoins se taisent, les analyses d'ADN traînent et les indices manquent cruellement. Il faudra remonter très loin dans le passé, et ratisser les moindres recoins d'un Périgord Noir superbe et généreux, pour comprendre la vérité.

La dernière danse de Joséphine a reçu en 2008 le prix d'honneur de l'académie poétique et littéraire de Provence.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Martine Cadière est Waterlootoise. Elle écrit essentiellement des romans policiers contemporains dont le sujet est toujours une femme mythique, qui a des combats à mener et des idées à défendre. Un gendarme Corse, malin et suprêmement courtois, dirige les enquêtes. Martine Cadière est membre de l'association des Conférenciers francophones de Belgique, des Ecrivains belges francophones, des amis de George Sand, et académicienne de Provence.

EXTRAIT

Paris, juin 1953

Joséphine Baker était dans la salle. La Direction de l’hôtel Drouot avait été prévenue dès qu’elle était entrée. Elle était assise au deuxième rang, à gauche du couloir, seule. La vente commença. Le commissaire-priseur, les crieurs et les Savoyards guettaient attentivement les enchères. Il y avait ce jour là une vente cataloguée, avec un lot important de meubles régionaux et de tableaux dix-neuvième, et puis une petite série de cannes musiciennes. Des cannes-flûtes à bec, des cannes-ocarinas, des cannes-hautbois…
Joséphine Baker acheta une rarissime canne-violon, datant du dix-huitième, de facture anonyme. C’était le lot 134. Il n’y eut qu’une seule enchère.
LangueFrançais
ÉditeurDricot
Date de sortie1 juin 2015
ISBN9782870954683
La dernière danse de Joséphine: Prix d'honneur 2008 de l'académie poétique et littéraire de Provence

En savoir plus sur Martine Cadière

Auteurs associés

Lié à La dernière danse de Joséphine

Livres électroniques liés

Thriller policier pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur La dernière danse de Joséphine

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La dernière danse de Joséphine - Martine Cadière

    Clarissa.

    Chapitre 1

    … Un jour j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire.

    C’était un pays réservé aux blancs. Il n’y avait pas de place pour les noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sont partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris…

    Joséphine Baker

    Paris, juin 1953

    Joséphine Baker était dans la salle. La Direction de l’hôtel Drouot avait été prévenue dès qu’elle était entrée. Elle était assise au deuxième rang, à gauche du couloir, seule. La vente commença. Le commissaire-priseur, les crieurs et les Savoyards guettaient attentivement les enchères. Il y avait ce jour là une vente cataloguée, avec un lot important de meubles régionaux et de tableaux dix-neuvième, et puis une petite série de cannes musiciennes. Des cannes-flûtes à bec, des cannes-ocarinas, des cannes-hautbois…

    Joséphine Baker acheta une rarissime canne-violon, datant du dix-huitième, de facture anonyme. C’était le lot 134. Il n’y eut qu’une seule enchère.

    Chapitre 2

    … Coï moun Sarladès… moun poïs ! Per el dounorioi tout Poris !!!…

    … C’est mon Sarladais… mon pays ! Pour lui je donnerais tout Paris !!!…

    Docteur Boissel, « Lou Ser ol Cantou »

    Le soir au cantou, poésies patoises du Sarladais.

    Ed. Périgord Noir, Emmanuel Leymarie

    Siorac-en Périgord, 2 juillet 2001

    François Chasteneuil se réveilla en sursaut. Il chercha à tâtons l’interrupteur de sa lampe de chevet, pressa le bouton et plissa les yeux pour lire l’heure sur le réveil. Trois heures du matin. Dans le silence de la chambre, il chercha ce qui l’avait réveillé. Un grand courant d’air frais lui arriva alors sur le visage. C’était le vent qui faisait claquer le battant des fenêtres, annonçant un orage imminent. François se leva péniblement pour fermer les volets, et le contact du parquet sous ses pieds nus acheva de le réveiller complètement. Il ouvrit silencieusement la porte de la chambre, et se pencha par-dessus la rampe du palier. Il voulait s’assurer que Madame Sérignac dormait profondément, mais il n’y avait aucun bruit hormis les craquements familiers de la maison. À cette heure de la nuit, la vieille gouvernante ronflait probablement, les mains croisées sur le torse, vêtue à son habitude d’une longue chemise noire.

    François descendit l’escalier à pas de loup, et s’engouffra dans son bureau en fermant la porte avec soin. Il s’assit devant un petit secrétaire marqueté, alluma la lampe et ouvrit doucement le tiroir central. Il trouva rapidement ce qu’il cherchait, un répertoire téléphonique qui datait de plusieurs années. Plusieurs papiers épars étaient coincés entre les pages, et il y avait une tache graisseuse sur la couverture. François chaussa une paire de lunettes, et ouvrit immédiatement le carnet à la lettre M. Il prit le téléphone et composa le numéro.

    Malgré l’heure tardive, Ange Mattéi décrocha à la deuxième sonnerie, avec la voix posée et distincte d’un homme parfaitement réveillé.

    Chapitre 3

    Bastia, 3 juillet 2001

    – Ange !

    – Oui, ma douce…

    – Ange, tu t’ennuies !

    – Mais non.

    – Ange, tu mens, je te dis que tu t’ennuies !

    Antoinette Mattéi guettait son mari depuis un moment. Elle connaissait bien cette façon qu’il avait de boire son café en se retenant de déglutir, les yeux à moitié clos, les coudes appuyés sur le journal qu’il n’avait pas encore parcouru. Ange s’ennuyait. Il s’ennuyait résolument, avec obstination. Et il était grand temps d’en parler, car Ange s’ennuyait depuis au moins deux jours. Deux jours sans rien faire, sans parler, assis à califourchon sur un tabouret à observer la route et les voitures qui passaient sur la nationale. De temps en temps, il levait une main nonchalante, pour un petit salut de reconnaissance tandis que le chauffeur klaxonnait. Il devinait le dialogue à l’intérieur de l’auto.

    – Dominique, tu as vu, les Mattéi sont arrivés.

    – C’est l’été.

    – Il faudra les inviter pour la daube.

    – Nous n’aurons pas le temps, Ange ne restera pas.

    – Alors, pour l’apéro.

    – Faudra pas traîner.

    – Fais demi-tour, il n’y a qu’à leur demander.

    – Avec cette chaleur ?

    – C’est vrai qu’il fait chaud…

    – Alors, que fait-on ?

    – On verra bien Dominique, laisse-toi dériver…

    Et en effet, il valait mieux se laisser dériver. Il faisait trop chaud, et Ange Mattéi n’aurait pas été un convive agréable. Il resterait dans son coin, muré dans un mutisme courtois et indifférent. Tout le monde, au village, savait qu’Antoinette Giudicelli avait épousé un gendarme, un type farouche qui ne pensait qu’à travailler et s’ennuyait à périr loin de sa brigade, un gars qui ne comprenait rien aux plaisirs de la sieste et du Ricard glacé. Oui, à bien y réfléchir, il n’y avait vraiment aucune raison de se précipiter pour inviter les Mattéi, l’été venait à peine de commencer…

    Antoinette insistait.

    – C’était François, cette nuit, au téléphone…

    – Oui.

    – Il te réclame.

    – Oui.

    – Et alors ?

    – Alors, rien.

    C’était pire encore que ce qu’elle ne le pensait.

    Chaque été, quand Ange et Antoinette arrivaient à Bastia, la famille les attendait de pied ferme. Antoinette n’avait jamais assez de temps pour voir tout le monde, et c’était alors un ballet enfiévré de retrouvailles animées, d’embrassades, d’allers et venues exténuants entre les deux familles, une bousculade effrénée pour surtout n’oublier personne. Les premiers jours, Ange se levait tôt, achetait le journal sur le boulevard Paoli et descendait prendre son café sur la place St Nicolas. Il aimait regarder la mer, le port, et les gens déambuler sur les terrasses. Il savourait l’accent, le pastis et la coppa.

    Cela, c’étaient les premiers jours.

    Et puis cela changeait. D’abord, il prenait son café à la maison et ne parlait plus du Boulevard Paoli ou de la place Saint-Nicolas. Ensuite, il se précipitait quand le téléphone sonnait et s’enfermait longtemps dans la pénombre. Et enfin, il s’asseyait sur un tabouret pendant des heures et scrutait la route, à la façon d’un voyageur qui ne veut pas manquer le seul autocar de la journée. Et cet été là, Ange s’ennuya encore plus vite que d’habitude.

    Antoinette Mattéi était vigilante. Elle reconnaissait les premiers symptômes, et lorsque ses frères s’étonnaient, elle haussait les épaules.

    – Ange, il est comme ça, disait-elle, personne ne peut le retenir, pas même Bastia !

    Et eux dodelinaient de la tête, complètement dépassés par l’idée que leur beau-frère puisse quitter l’île de son plein gré. Mais c’était le mari d’Antoinette, et elle avait l’air d’y tenir. Il était donc hors de question d’émettre le moindre commentaire sur les excentricités du Capitaine Mattéi, Antoinette ne l’aurait pas toléré.

    Et aujourd’hui, Ange était parti à la Société Maritime Corse. Pour acheter son billet de retour sur le continent.

    Chapitre 4

    … Il se peut qu’un jour la France cesse d’exister, mais la Dordogne survivra, tout comme les rêves dont se nourrit l’âme humaine…

    Henri Miller, Le Colosse de Maroussi

    Siorac en Périgord, 4 juillet 2001

    Ange Mattéi était arrivé à Marseille à la pointe du jour. Il pleuvinait, et l’air était lourd. Ange loua une voiture, et les formalités accomplies, roula à tombeau ouvert jusqu’à Périgueux. La pluie tomba sans discontinuer pendant tout le trajet, en martelant bruyamment le toit de la petite voiture et Ange fut soulagé d’arriver à Siorac avant la tombée de la nuit. L’appel de François Chasteneuil avait été une éclaircie dans la brume d’ennui qui pesait sur Ange. Depuis leur admission à l’école de gendarmerie de Chatellerault, Chasteneuil et Mattéi étaient amis, des amis solides et indissociables. François Chasteneuil ressemblait à un flic de film, avec un physique tout en muscles, une carrure stupéfiante et des cheveux coupés en brosse, dont il repoussait inlassablement des épis imaginaires. C’était un homme plein d’assurance et de force, dont la seule présence suffisait à occuper tout l’espace. Il avait la particularité de tenir en grande estime sa propre intelligence et ne se privait pas de le rappeler. Il ne s’était jamais marié, et comme Mattéi, était doué d’une capacité de travail surhumaine.

    D’origine Normande, la famille de Chasteneuil avait émigré en Dordogne depuis deux générations. Le Normand et le Corse, malgré leurs caractères différents, s’appréciaient depuis le premier jour, et se téléphonaient souvent pour parler de leur métier, de leurs joies et de leurs déprimes.

    Et deux jours plus tôt, François avait eu la bonne idée de téléphoner en Corse, et d’appeler son ami à l’aide. Ange ne l’avait plus revu depuis l’été dernier quand il l’avait invité à Bastia pour quelques jours. François avait fait sensation en Corse. Les insulaires avaient considéré avec étonnement le géant blond déambuler dans les rues de Venzolasca. Il intriguait le village. Il ne lisait pas le journal, il n’allait pas dans les bars et ne fréquentait pas le stade. On le soupçonnait même de ne pas savoir ce que Furiani voulait dire. Il n’avait donc pas le comportement d’un homme normal, mais sa cordialité et son grand rire puissant avait eu raison des méfiances autochtones. Il était revenu en Dordogne chargé de charcuteries et de démonstrations d’amitié.

    La maison de François Chasteneuil s’appelait la Roncière. C’était une belle bâtisse écartée de la route, entourée de murs et de grilles. François attendait devant la porte. Il courut à la rencontre d’Ange avec un énorme parapluie, et agrippa joyeusement le Corse par le coude.

    – Bon sang, François, faut-il que je vous aime ! Vous m’arrachez d’un endroit où tout le monde prend en ce moment l’apéritif au soleil.

    Ange haletait en courant, il s’était accroché au bras de François qui riait de plaisir sous l’effort et ils traversèrent un massif de rosiers en sautant au-dessus des flaques d’eau.

    – Bah, vous ferez pareil dans dix minutes, ce sera au coin du feu, c’est tout ! Avec un bol de rillettes en prime.

    La porte était ouverte et une petite silhouette les accueillit sévèrement.

    – Monsieur François, enlevez immédiatement vos chaussures, et vous aussi, Monsieur. Regardez l’état de mon parterre, misère de Dieu, je l’ai ciré ce matin.

    – Allons, Madame Sérignac, embrassez-moi d’abord, si on ne vous connaissait pas, on pourrait croire que vous êtes ronchon !

    Et Ange avait pris la vieille gouvernante dans ses bras, d’où elle protestait en protégeant son chignon.

    – Allez-vous me laisser tranquille avec vos manières de sauvage ! Vous êtes trempé comme une soupe, regardez-moi ça si c’est pas malheureux !

    Elle secouait la tête, consternée à la vue de leurs chaussures toutes crottées.

    – Je n’y peux rien, Madame Sérignac, quand j’ai quitté Bastia ce matin, il faisait magnifique.

    – Ce n’est pas une raison pour inonder mon corridor.

    La vieille femme s’était éloignée en grommelant.

    – Me voilà bien alors, avec deux hommes qui vont tout me salir et me réclamer à manger toute la sainte journée.

    Ange l’avait rappelée avec force.

    – À ce propos, Madame Sérignac, vos rillettes…

    La vieille servante s’était retournée, l’air méfiant.

    – Oui ?

    – J’ai hâte de les goûter.

    – Là, vous en faites trop, Monsieur Ange, vous vous moquez…

    – Je me moque, moi ? Alors que vos rillettes sont les meilleures de France ?

    Et Ange avait salué, en balayant le sol d’un chapeau imaginaire, d’un grand geste large et gracieux. François s’était rapproché.

    – Il a raison, Madame Sérignac. Allez, faites-nous le plaisir de nous croire, de nous sourire et de nous en apporter un grand bol.

    La vieille gouvernante avait fixé les deux hommes sans mot dire. Puis dans un grand bruit définitif de jupes et de tablier, elle avait tourné les talons.

    Ange, qui avait déjà séjourné à Siorac, connaissait un peu la vieille périgourdine qui veillait sur son ami.

    – Eh bien, votre gouvernante n’est pas précisément l’hospitalité faite femme.

    – Elle n’a pas changé n’est-ce pas ?

    Le Corse sourit affectueusement.

    – Non, pas beaucoup, c’est comme cette maison, j’ai l’impression que rien ne peut l’émouvoir, tout est à sa place, tout est propre et sent la cire, un vrai bonheur.

    – Et vous voudriez que je me marie, que je me coltine une vie durant une femme capricieuse et bavarde alors que j’ai Madame Sérignac ?

    – Voilà qui mérite en effet réflexion !

    – Venez, Ange, venez vous asseoir près de moi. Il est temps que nous parlions.

    – Vous m’avez intrigué. Que se passe-t-il ?

    – Tout simplement un crime inexplicable ! Tenez, asseyez-vous ici, vous serez bien… Le géant avait approché un fauteuil crapaud près de lui et tapotait sur le siège. Ange prit place avec un soupir de satisfaction et regarda son ami.

    – Allez-y, je vous écoute.

    – Oui, je vous disais donc… La victime est un dentiste, un notable, un homme que tout le monde connaissait ici, que je n’appréciais pas particulièrement, mais mon avis dans une affaire de cette importance est très secondaire n’est-ce pas ?

    – Euh, oui, je pense effectivement… mais vous dites inexplicable ? Et pourquoi donc ?

    – Il s’agit à la vérité d’un meurtre et d’une disparition, pour laquelle je crains le pire…

    – Bien. Racontez-moi tout ça chronologiquement, je vous prie. Et ne craignez pas de me fatiguer, j’ai voyagé de nuit et j’ai dormi comme un prince. Le bateau m’a toujours fait cet effet-là, je suppose que c’est le roulis.

    – Tant mieux, l’histoire est longue, je vous préviens.

    – Qu’importe, mon cher. Je suis là pour vous aider.

    – Et je vous suis infiniment reconnaissant d’avoir écourté votre congé… ah voilà les rillettes, posez tout ça sur cette table, Madame Sérignac, nous nous débrouillerons, vous pouvez aller vous coucher, j’éteindrai complètement le feu avant de monter.

    François Chasteneuil attendit que la vieille gouvernante quitte la pièce et referme la porte derrière elle. Il disposa le pain, les rillettes, une salade aux noix et un fromage de chèvre cendré devant eux, ouvrit une bouteille de vin de Bergerac qu’il servit généreusement, et jeta une bûche dans le feu ouvert. Il s’installa ensuite pesamment dans un fauteuil, posa ses larges mains sur les accoudoirs, et tourna son visage vers les flammes.

    – Voici les faits, Ange, écoutez-moi bien, et si vous avez faim ou soif, n’hésitez pas à vous servir…

    Ange remua dans son fauteuil, il n’avait pas besoin de tous ces préliminaires. Mais François Chasteneuil avait toujours aimé avoir une petite mise en scène préalable à ses déductions.

    – François, je vous en conjure, ne vous inquiétez pas pour moi ! Alors, de quoi s’agit-il ?

    – J’y viens, j’y viens, laissez-moi rassembler mes idées, les Corses sont d’une impatience…

    Ange prit une grande inspiration. Il croisa les jambes, joignit les mains sur son ventre, et ferma les yeux. La fatigue du voyage commençait à se ressentir. Le confort de son fauteuil, et la chaleur des flammes le plongeaient dans une bienheureuse torpeur.

    Le Normand, après un regard en coin, se lança enfin.

    – Marcus Peyrat, le dentiste du Bugue, a été retrouvé mort dans le village de Coux et Bigaroque, sur un sentier un peu retiré, mais totalement accessible. D’après sa femme, il avait certainement une somme importante d’argent liquide sur lui, et son portefeuille a disparu. Peyrat a été étranglé en fin de soirée il y a exactement quatre jours, vous verrez dans ce dossier les photos et les rapports obtenus jusqu’à présent. Pour une raison que j’ignore, mais qui sera probablement élucidée dans les heures qui viennent, je n’ai pas encore obtenu l’ensemble des analyses ADN. L’expertise médicale a conclu sans l’ombre d’un doute à un meurtre par strangulation. Pour le reste, nous sommes dans le flou. Pas de trace de lutte, pas de trace de pneus, un villageois a aperçu un trio de promeneurs en fin d’après-midi pas très loin de là, mais il n’a pas pu en dire beaucoup plus. L’autopsie n’apprend rien. L’estomac de Peyrat était vide, pas de trace d’alcool ou de drogue, pas de trace de piqûre, pas d’empreintes digitales. Le corps a été trouvé allongé sur le ventre, face contre terre, bras gauche replié, jambes tendues, dans une attitude naturelle. Aucune trace de violence. Hormis deux ecchymoses sur les genoux, on aurait pu croire qu’il faisait un petit somme après sa journée de travail. Alors est-ce un crime de vagabond ou de voleur ? Apparemment tout le monde savait que Peyrat avait toujours beaucoup d’argent liquide sur lui, et on pourrait éventuellement pencher pour un crime planifié. Et pour vous dire ma grande perplexité, mon ami, j’en suis à éliminer le crime fétichiste, c’est déjà ça ! Nous n’avons rien trouvé de suspect autour du corps : pas d’azalée, pas de croix, pas de signe initiatique, enfin ce genre de choses…

    François se tut et but une gorgée de vin de Bergerac. Ange, les yeux mi-clos, regardait les flammes. Il y avait ce soir là une atmosphère extraordinairement paisible dans la vieille maison. Le Corse eut une pensée pour Antoinette, il voulait l’appeler avant d’aller se coucher.

    – J’en viens maintenant à la seconde affaire, reprit Chasteneuil, la disparition d’une jeune femme de la région. Elle n’est plus revenue à son domicile depuis que Peyrat a été tué. Et pourquoi faire simple, alors que c’est déjà si compliqué, il faut vous dire que Mademoiselle Canivet était la secrétaire de Peyrat depuis deux ans. Et elle savait évidemment que le portefeuille de son patron était bien garni lorsqu’il quittait le cabinet après sa journée de travail. Mais cette explication là ne me paraît pas très plausible. Ses parents, chez qui elle vivait toujours, sont intimement convaincus que cette disparition n’est en aucun cas volontaire puisque elle est partie sans aucune de ses affaires. C’est une jeune femme qui n’avait pas beaucoup d’amis, pas de liaison connue, pas de fréquentations douteuses. La fiche de recherche a été diffusée, ainsi que les appels à témoin, mais les éléments recueillis sont faibles. Et chaque fois que j’imagine un scénario, il se déchire aussitôt en lambeaux !… Voilà, Mattéi, vous en savez autant que moi. La brigade est en effervescence, les renforts sont arrivés, j’ai une pression terrible qui me vient de tous les côtés. Vous comprendrez vite que le triangle entre Siorac et le Bugue est devenu le centre du monde, je ne vous parle évidemment pas des centaines de milliers de journalistes qui ont atterri ici, il en sort de partout ! Vous verrez même sur la place de la Farge un camion de la télé ! Les gens me guettent, m’arrêtent dans la rue pour me demander si l’enquête avance. Je vous ai donc appelé à la rescousse. Officiellement, vous serez en visite à la Roncière pour quelques jours. J’ai besoin d’un œil neuf et d’une interprétation neutre. Voulez-vous m’aider ?

    Pendant le récit de Chasteneuil, Ange s’était progressivement rehaussé sur son siège. Toute trace de fatigue envolée, il avait attentivement écouté son ami. François avait toujours été passionné par ses propres raisonnements, la précision de ses rapports et sa facilité à communiquer. Mais ce soir, c’était différent. Le Normand semblait découragé, abattu. Il avait parlé d’une voix morne, sans emphase et sans forfanterie. Ange avait toujours eu beaucoup d’amitié pour le géant blond, malgré son ego surdimensionné. Car rien n’aurait dû à priori rapprocher ces deux hommes, hormis le fait qu’ils sortaient tous les deux de Chatellerault, et avaient été promus en même temps. Mattéi, noir et sec de poil, taciturne et d’une politesse glacée, semblait un nabot à côté du colosse Normand, presque deux mètres de chair et de muscles, volubile et bon vivant. Mais ces deux-là s’entendaient à merveille. Depuis le début, ils parlaient un langage identique, fait de termes solennels et désuets. Ils avaient bien entendu essayé de se tutoyer, de se donner des claques sur l’épaule et même de se saouler consciencieusement, comme deux gars qui se retrouvent pour parler du bon vieux temps. Mais ce n’était pas leur genre et tout sonnait faux. Après vingt ans, ils se vouvoyaient toujours et n’avaient pas changé leurs manières empruntées.

    Et Ange savait déjà ce que Chasteneuil ne lui avait pas encore dit. On lui avait certainement prédit en haut lieu une piteuse fin de carrière si le ou les coupables n’étaient retrouvés dans les plus brefs délais.

    – Je vois que vous n’avez pas changé, apprécia Ange, voilà un exposé on ne peut plus clair. Puis-je à présent consulter votre dossier et les pièces justificatives ?

    François soupira d’aise et se leva pour attiser les flammes. Lorsqu’il passa à côté de Mattéi, il lui serra affectueusement le poignet.

    – Vous avoir tiré du maquis corse est probablement la meilleure idée que j’ai eue depuis trois jours, mon ami…

    En fixant distraitement le feu devant lui, Ange Mattéi songea que personne n’aurait pu comprendre à quel point l’idée avait été excellente.

    Chapitre 5

    Toulouse : 1964

    Ils s’étaient bien trouvés. Marcus Peyrat, Guillaume Law, Jean-Gilles Boucheron et Bastien Lorquaud. Ils venaient chacun d’un lycée différent, et un hasard bienfaisant les avait réunis dans le même logement universitaire. Ils surent très vite qu’ils ne se quitteraient plus. Guillaume et Jean-Gilles étudiaient le droit, Marcus et Bastien avaient choisi les sciences dentaires.

    Ils étudiaient raisonnablement, en tous cas assez pour passer d’années sans trop de casse. C’était une époque gentiment déjantée où les quatre garçons, testostérone aux aguets, se défonçaient en jouant aux cartes et en écoutant les Beatles, Eddy Mitchell et Nancy Holloway. Toute la population féminine du campus sans exception notoire avait leurs faveurs. Les étudiantes, mais aussi les employées administratives et les serveuses de la cafétéria. Et s’ils évitaient les enseignantes, c’était par instinct de conservation.

    Ils avaient tous les quatre la même allure. Un corps maigre, sec, dégingandé, qui semblait rompu à toutes les disciplines sportives alors que la simple évocation d’un effort physique leur donnait la nausée. Ils ne participaient à aucune activité au stade hormis le tournoi de pétanque annuel. C’était une particularité dont ils tiraient tous les quatre une certaine fierté. Aux beaux jours, alors que l’ensemble des étudiants se rassemblait sur les pelouses pour regarder les matches de football ou de rugby, les quatre amis leur tournaient le dos et s’installaient à l’ombre avec des cartes et de la bière.

    La vue d’un vélo les épuisait, l’idée d’une ballade les laissait écroulés de rire et excepté Guillaume Law, aucun ne savait nager. Leur répugnance à se mouvoir en dehors du strict nécessaire leur avait imposé un style de vie particulier. Ils ne quittaient pas, ou peu, leur logement en dehors des cours. L’attrait des filles les poussait à lâcher leur tanière et à participer à certaines manifestations estudiantines mais en-dehors de ce besoin précis, ils se suffisaient à eux-mêmes et vivaient pratiquement en autarcie.

    Les filles qui gravitaient autour du groupe étaient généralement malheureuses, utilisées exclusivement à des fins sexuelles. Ils leur adressaient à peine la parole, et les traitaient comme des potiches en leur imposant des effusions plus musclées que sentimentales.

    Bien plus tard, lorsqu’ils furent tous diplômés, ils avaient coutume de prétendre que la réussite des études universitaires dans les années soixante n’était pas bien compliquée et à la portée du premier venu. Il suffisait de fuir obstinément la vie estudiantine bien trop occupée de politique ou de philosophies mystérieuses, et de baiser énergiquement à heures fixes.

    Et ce fut sur le campus qu’ils se jurèrent de ne jamais se quitter, quoi que la vie leur réserve. Et des années après, quand il n’y eut plus rien à attendre ou à espérer l’un de l’autre, ils crurent encore à cette relation, fondée sur une amitié qui avait cessé d’exister mais à laquelle ils s’accrochaient par habitude et par commodité.

    Chapitre 6

    Le Bugue, le 20 juin 2001

    La secrétaire du dentiste Marcus Peyrat ne voyait jamais le soleil ou la clarté du jour. C’était une jeune femme tristement blafarde, et son tablier blanc

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1