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Un phare vers l'Enfer: Une enquête de Cicéron Angledroit - Tome 19
Un phare vers l'Enfer: Une enquête de Cicéron Angledroit - Tome 19
Un phare vers l'Enfer: Une enquête de Cicéron Angledroit - Tome 19
Livre électronique254 pages3 heures

Un phare vers l'Enfer: Une enquête de Cicéron Angledroit - Tome 19

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À propos de ce livre électronique

Il me serait facile de prétendre que ça décoiffe en Pays bigouden. Cependant, il y a de ça. Du vent, des dunes, du sable, des marais, quelques chapelles, des vestiges de la Seconde Guerre mondiale, une poignée de menhirs, la mer bien sûr, et un phare. Je vous garantis que nous n’y allons pas pour une promenade de santé. Un jeune Vitriot bien sous tous rapports tombe de l’emblématique phare d’Eckmühl, dont le rayonnement arrive jusqu’au Val-de-Marne, et il n’en faut pas plus pour que Vanessa, Momo et moi soyons catapultés dans la région de Penmarc’h. L’Ankou, légendaire figure locale, s’amuse de nous en multipliant les morts suspectes sur notre passage. Les crêpes nous alourdissent et René et Poulette, qui viennent jouer les trouble-fêtes, nous ralentissent. Et puis, il y a cette odeur persistante de lithium qui nous colle à la peau. Pendant que les surfeurs prennent la vague, nous nous engluons dans les marais de la baie d’Audierne. Ce beau pays vaut bien mieux que cette sordide histoire. Alors comptez sur nous pour le débarrasser de dangereux criminels et venez sans crainte suivre nos traces !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Banlieusard pur jus, l’auteur - de son vrai nom Claude Picq - est né en 1953 à Ivry, ceinture verte de Paris transformée depuis en banlieue rouge. « Poursuivi » par les études (faute de les avoir poursuivies lui-même) jusqu’au bac, il est entré dans la vie active par la voie bancaire. Très tôt il a eu goût pour la lecture : Céline, Dard, Malet… Et très tôt il a ressenti le besoin d’écrire.
LangueFrançais
ÉditeurPalémon
Date de sortie17 nov. 2023
ISBN9782385270704
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    Aperçu du livre

    Un phare vers l'Enfer - Claude Picq

    PROLOGUE

    Vous le savez, dorénavant chacun de mes bouquins est précédé d’un séjour de repérages où je me mets en immersion totale dans mes futurs décors. J’y use mes godasses, j’y fais des rencontres, je cause aux gens, et, particulièrement dans cette histoire, je patauge dans les marais et mouille mes bas de pantalon, tour à tour cuit par le soleil et balayé par les vents. Nous sommes mi-mai et déjà, telle la marée montante, les touristes affluent. Je n’ai rien trouvé de mieux, pour avoir une vue d’ensemble du Pays bigouden sud, que de grimper les quelque 300 marches du phare d’Eckmühl, au mépris de mon vertige. J’y ai croisé le vent qui ne m’a plus quitté. Tout « mon » territoire sous les yeux à 360°. Magnifique, impressionnant ! Ensuite, j’ai traversé, les pieds mouillés, les marais de Lescors, me faufilant entre le jaune des iris et le pourpre des orchidées dont je n’avais jamais vu une telle quantité en milieu naturel. Décoiffé, c’est un comble, mais séduit. Penmarc’h, Kérity (mon port d’attache), Saint-Guénolé, la Pointe de la Torche, les vastes étendues marécageuses entre Tronoën et Tréguennec, parsemées de lieux-dits désignés par le nom de l’unique maison (ker) qui les occupe. Partout on se sent loin de tout et pourtant la vie fourmille. La Baie d’Audierne, avec ses immenses plages sur lesquelles l’érosion use comme elle peut les énormes blockhaus surréalistes arrachés à la côte, ses dunes, ses innombrables chapelles, la masse imposante des ruines de l’usine de concassage de galets de Pratar-Hastel édifiée par les Allemands, le sillon laissé par l’ancienne voie ferrée sur laquelle les matériaux repartaient en direction de Quimper, tout ici est propice à l’inspiration. Le paradis sur terre pour les botanistes, les ornithologues, les surfeurs et d’autres populations plus contestées qui hantent les dunes de Tréguennec. Il n’y a pas que les guêpiers qui, à la faveur du réchauffement climatique, ont choisi la Baie d’Audierne pour y passer de beaux jours. Un paradis où il se passe des choses. Allons-y !

    1

    Grand chambardement

    Une page se tourne… Quel beau début pour un roman ! Ne trouvez-vous pas ? Théophile Saint Antoine, le Vieux, Pépère, le commissaire, a été poussé manu militari vers la sortie. Une retraite pas prématurée du tout – il avait des trimestres à revendre – lui a été imposée. Il a reçu une médaille et un vélo électrique. Et out ! Il s’est retrouvé dehors, complètement hagard, à pousser son biclo dont personne n’avait songé à charger la batterie. Belle cérémonie en présence du maire, de la sous-préfète, (une « gamine pas terminée » selon le récipiendaire), et de tout le commissariat. Certains se réjouissaient, d’autres avaient la larme à l’œil. Quelques commissaires et autres gradés des alentours, plus attirés par les petits-fours qu’émus, avaient aussi fait le déplacement. Ce fut vraiment une belle cérémonie, merdique comme il se doit, empreinte d’hypocrisie bilatérale. Ceux qui restent, celui qui part, tous à mettre dans le même sac. Maintenant, pour tout vous dire, il l’a bien cherché le Théo. Son orgueil, toujours son orgueil. Il avait fait des pieds et des mains pour que son ministre, à l’occasion d’une tournée médiatisée auprès de la « base », fasse escale dans sa boutique, qu’il jugeait (à raison) très représentative de la réalité policière vécue au quotidien. Et il a obtenu gain de cause, mettant ainsi fin à une longue carrière. C’était un mercredi, précédé de deux jours de préparatifs, de répétitions, d’installation de caméras aux bons angles. Fallait pas que le ministre paraisse trop petit, trop étriqué. Le grand jour. Tout a bien commencé. Des « monsieurleministre », des courbettes, des bafouillages, des « je vous en prie, monsieurleministre », le vieux s’était transformé en Shiva, des bras lui avaient poussé, le commissariat était plus clean que clean, les hommes nickel, les vieilles affiches obsolètes de l’accueil remplacées par des neuves, encadrées et non plus punaisées ou scotchées à même le revêtement mural d’un ton vert-cadavre-pisseux qui se voulait, à l’origine, neutre et impersonnel. Les épaves de la « force d’intervention rapide » avaient été déplacées vers le parking de la supérette, réquisitionné pour l’occasion. Ça n’a pas traîné, aussitôt les mains serrées, Dardmalin s’est tourné vers son loufiat de fonction et lui a glissé un : « C’est quoi c’bordel ? On s’croirait revenu chez Maigret. » suffisamment audible pour que l’hôte du jour en profite. Suivi d’un : « Vous allez me vérifier le plan de carrière de ce vieillard et, s’il a commencé tard ou qu’il est plus jeune qu’il n’en a l’air, vous lui collerez les trimestres qui lui manquent. Je veux une autre image de la police. »

    Gloups ! C’est le bruit qu’a fait la glotte de Saint Antoine, son teint passant subitement du rosé légèrement couperosé à un vert très pâle et maladif, assorti à ses désormais ex-murs. Dans la tête du commissaire évincé, le monsieurleministre s’est aussitôt transformé en petitmerdeux. Mais c’était trop tard, il savait déjà qui aurait le dernier mot. Bilan, vous savez. Même le préfet a été muté vers un poste plus campagnard. Les choses n’ont pas traîné et dans le mois qui a suivi ce sinistre mercredi, elles étaient réglées. Le Vieux a mis une dernière fois son uniforme d’opérette au pressing puis a ressorti ses bermudas estivaux. Il a été remplacé par quelqu’un que les meilleurs d’entre vous connaissent déjà : son collègue de Choisy-le-Roi, bien plus dans la norme ministérielle, un certain quadragénaire répondant au nom de Jean Grabuge. Inutile de vous préciser qu’il y a eu des répercussions collatérales suite à ces changements. À commencer pour mon cabinet d’investigations qui perdait d’un coup sa principale source d’affaires à résoudre. L’unique, même, si je suis lucide. Des répercussions en interne aussi, naturellement, avec un jeu de chaises musicales entre Vitry et Choisy. Mais pas énormes selon les cancans de la maison poulaga. Grabuge n’est pas un affectif ; peu ont souhaité le suivre. Vaness’ a tenté un rapprochement de domicile en faisant acte de candidature pour Choisy.

    Ça lui a aussitôt été refusé. Je m’inquiète, les amis. Je crois que le nouveau, que je vais devoir appeler le Jeunot, en pince pour elle, avec des raisons bien moins paternelles qu’hormonales. Il l’a flattée, lui a assuré qu’elle était le « fer de lance » de la boutique, et lui a promis un avancement que j’ai aussitôt qualifié, dans ma tête de mauvais joueur, de canapé. Elle se voit déjà commandant, la conne. Romain Verrazzini a fait partie de la charrette. Bon débarras ! Il ne s’agit pas d’une sanction, bien au contraire, mais d’une promotion, de la reconnaissance de ses qualités d’enquêteur. On voit que le nouveau a fait l’école des cadres et qu’il n’ignore rien de la manipulation du petit personnel. Romain est parti en se voyant déjà capitaine, le con.

    La passation entre l’ancien et son remplaçant n’a duré que quelques heures. Même pas de cérémonie, comme quand un président en chasse un autre sur le perron de l’Élysée. Saint Antoine est parti avec un carton d’affaires personnelles, sa pendule murale, son sous-main en faux cuir et ses articles de bureau. Il a improvisé un discours d’adieu dans le hall, devant les quelques fonctionnaires qui étaient de permanence. Un discours qui fera date :

    — Vous allez vous marrer !

    Bien évidemment, je n’étais pas convié. Ni Momo. Ni René. Pour moi c’est le black-out complet. Tout ce que je sais, tout ce que je vous raconte, vient de ma compagne qui me fait un rapport quotidien. Figurez-vous que l’ingrate semble vite faire le deuil. Elle trouve même que ce sang nouveau est salutaire pour le dynamisme du commissariat. Elle me parle d’un « cap nouveau », de « reporting opérationnel », de « communication horizontale », d’« ouverture d’esprit » (Là, c’est sûr que ça ne peut qu’aller mieux), et de « dialogue ». En deux petites semaines de réorganisation, Van’ est séduite. Elle ne se rend pas compte de la merde dans laquelle je me trouve avec mon cabinet livré à lui-même, mon manchot à payer, le crédit de notre maison. Je me sens chômeur et père. Heureusement que Soledad me donne une bonne raison de me lever. Le bon côté des choses : on économise sur la nounou. Momo est morose. Il m’a même proposé de démissionner. Hors de question !

    Réveillons-nous vite de ce cauchemar !

    2

    Debout les morts !

    Mal dormi, mal réveillé. Soledad fait ses dents. Vanessa a travaillé de nuit. C’était son tour de diriger la patrouille. Son retour, au petit matin, à l’heure où blanchit la campagne, me sort de ma torpeur. J’ai encore fait un de ces foutus rêves où je mets en scène mon entourage avec un réalisme inquiétant. Des rêves plus vrais que vrais qui tournent au cauchemar. Je mets un temps à réintégrer la réalité, avec soulagement. Rien n’a changé. Mais je suis trempé. Soledad dort dans son berceau que j’ai collé à notre lit pour m’épargner trop de mouvements. Elle fait ses dents et ça n’est qu’un début. Seul un anneau en silicone sorti du frigo la calme. J’aurais aussi dû coller le frigo à notre lit. J’embrasse Van’ qui sent la clope. J’ai un haut-le-cœur. Je me lève en silence et la suis jusque dans la salle de bains. C’est là qu’on discute quand elle rentre d’une nuit à patrouiller entre les tours de Vitry. Je lui raconte mon rêve dont vous avez eu l’exclusivité. Ça l’amuse :

    — Laisse Grabuge là où il est. Tes rêves deviennent vraiment complètement cons. Tu devrais consulter quelqu’un.

    — C’est toujours au petit matin. J’hésite à me lever, je me rendors et paf !

    — Y’a un peu de prémonition quand même, remarque. Il se dit qu’on va avoir la visite du ministre. Théo est dans tous ses états.

    — Comme dans mon rêve…

    — Oui, ben ça s’arrête là. Grabuge vise autre chose que le commissariat d’à côté du sien. Croismoi, il a des objectifs bien plus ambitieux.

    Elle est à poil, là, devant moi, et je ne parviens pas à me sortir de mon délire nocturne. L’eau de la douche est à température et je ne supporte pas de respirer la vapeur chaude. Je file à la cuisine où je prépare le café. À croire que Sol ne fait ses dents que la nuit. Elle en écrase toujours. Mon tee-shirt pue l’aigre. Vomi nocturne. Je le vire et je m’habille. Van’ me rejoint, une serviette autour de la taille. On dirait une vahiné.

    — Tu ne te laves pas ?

    — Pas le temps. Je dois rejoindre Momo au bureau.

    — Si tôt ?

    Je regarde l’heure. Elle a raison, j’ai deux bonnes heures devant moi. Bordel, qu’est-ce qui m’arrive ? Je suis complètement à côté de mes pompes.

    — Ça va aller, avec la petite ? je lui demande.

    — Oui, t’inquiète… je gère. C’est pas une nuit blanche de temps en temps qui va modifier mon rythme.

    Je me demande comment elle fait. La jeunesse sans doute. Nos cafés avalés, elle passe une culotte et enfile une chemise à col Claudine qui lui donnent un air coquin. Vaness’, quoi ! Je me décide pour une douche, histoire de me remettre les idées dans le bon sens.

    — Tu passeras la raclette.

    En roulant, j’appelle Momo pour qu’il me rejoigne plutôt chez Félix. Il rouscaille un peu, pour le principe, car il est déjà devant son ordinateur au burlingue. Je ne sais pas ce qu’il retrouve sur son écran mais c’est un réflexe chez lui. Bureau, café, ordi. Toujours dans cet ordre. Ce matin n’échappe pas à la règle. Il me traite de chiant et me dit qu’il sera au bistro le temps de venir. Je me gare sur le parking de l’Inter. J’ai vingt bonnes minutes d’avance sur lui. René est à notre table, sur SA chaise. Le Vieux lui fait face. La serveuse lui tient le crachoir à grands coups de « Pandore ». Il n’écoute pas, il a renoncé. Mon arrivée est salutaire. Je suis le trait d’union entre ces deux-là qui ne savent pas quoi se dire. On m’assaille. Li Chou Ye me saute au cou. Ses tout petits bouts de seins sont durs contre ma poitrine. Et cette manie qu’elle a de coller son pubis contre moi jusqu’à pouvoir constater que je suis « content », comme elle dit. Je dois reconnaître que je me fais mieux à cette routine qu’à mes rêves déglingués. Pépère me tend une main que je serre avec empressement, tellement je suis heureux de toujours le voir dans mon paysage. Les cafés arrivent. Momo aussi. Il a dû courir. Mon petit monde est là, solide. La vie peut continuer. René ne me semble pas dans son assiette. Je me renseigne.

    — Monsieur ne veut rien faire pour m’aider dans mes démarches d’adoption pour Maarika.

    — Compte pas sur moi pour régulariser une migrante.

    Le ton monte. Je m’interpose. Momo s’est mis en pause. Il a un seul œil ouvert, on dirait un témoin lumineux rouge. Il attend que ça se passe. Je fais diversion :

    — Il paraît que vous allez avoir la visite du ministre ?

    — Pensez-vous, c’est chez cet imbécile de Grabuge que l’armada ministérielle a décidé de camper. Mais je m’en fiche pas mal. Je sais comment ça se passe. Les « communicants », ainsi qu’ils se définissent eux-mêmes, du ministère vont venir en reconnaissance et, le jour J, virer tout le monde et mettre des figurants pour la télé. Que des petits pour que le ministre paraisse plus grand au milieu de ses troupes. Remarquez, le Jeannot, il a ses chances vu qu’il est tout petit. Peut-être même qu’il aura la chance de tenir son propre rôle.

    Il se marre avec des hoquets nerveux. Li Chou apporte la deuxième tournée de cafés. Sans que personne ne lui ait rien demandé. C’est ça le sens chinois du commerce. René se lève :

    — J’ai du boulot, moi. Et j’ai rendez-vous avec mon avocat tout à l’heure.

    Il prononce ces derniers mots en toisant, par en dessous, le commissaire. On regarde son gros cul quitter la salle. Il marche en se penchant en avant. Je ne veux pas imaginer à quelles nouvelles subtilités Paulette l’a initié. Le vieux veut se justifier :

    — Il croit quoi ? Qu’est-ce que j’y peux à son histoire d’adoption ? Je lui ai déjà permis d’obtenir un titre de séjour pour sa pute !

    — C’est pas très élégant, sort Momo dont le deuxième œil vient de s’ouvrir.

    — Peut-être, mais c’est la vérité. Figure-toi que je me suis renseigné. Il a bien fallu que j’écrase quelques données fichées sur son Estonienne pour qu’elle puisse avoir sa carte de séjour. Je n’irai pas jusqu’à dire que je lui ai rendu sa virginité, mais administrativement, il y a de ça.

    Je m’aperçois que Li Chou est assise sur un de mes genoux. Elle est tellement légère que je ne me suis pas aperçu de cet atterrissage osseux. Saint Antoine, effaré, hausse les épaules et se lève. Un autre gros cul se dirige vers la sortie. J’éjecte la serveuse qui se rattrape à mon cou pour ne pas choir (bien dit, hein ?). Je ne résiste pas au plaisir de raconter mon rêve à Momo qui m’apporte une analyse constructive :

    — Que des conneries. Sauf, peut-être, mon histoire de démission. On fait quoi, là ? On fait quoi, maintenant ?

    Bonnes questions qui méritent réflexion. Si réfléchir suffisait à trouver des réponses, ça se saurait. J’élude en me levant. Ses pas emboîtent les miens jusqu’à la voiture. Bref trajet, et il retrouve son ordinateur en veille. Je questionne :

    — Tu fais quoi sur ce truc ? Des sites de rencontres ?

    — Non, des appels d’offres… mais ça court pas les rues.

    Je me sens minable. Mon « employé » nous cherche du boulot. Le monde à l’envers. Comme souvent, René tombe à pic en débarquant inopinément. Il n’aura pas repris son service très longtemps. Il s’écrase sur mon fauteuil pompeux qui fait pschitt sous son poids.

    — Fait chier, l’Vieux. Y veut pas remuer le p’tit doigt.

    — Il ne peut pas, s’agace Momo que l’injustice défrise.

    Quand René ne veut pas entendre quelque chose, il passe à autre chose sans transition :

    — Mettons, mettons… C’est comment déjà le blaze du baveux qu’a sorti du trou mon agresseur dans le bouquin d’avant ?

    — Pour quoi faire ? Je croyais que t’avais rendez-vous avec le tien d’avocat.

    — J’bluffais pour impressionner l’commissaire de mes deux. Les keufs y z’aiment pas les mecs de la justice.

    Momo est sur Google et cherche les coordonnées de maître Rachid Ben Malouf, inscrit au barreau de Créteil. Il imprime le résultat et tend la feuille au futur papa adoptif qui, ni une ni deux, décroche MON téléphone fixe et compose le numéro affiché. Notre pote a vraiment le cul bordé de nouilles, comme on dit à l’Académie, car c’est Rachid en personne qui décroche, étonné :

    — Vous êtes qui ? J’attendais un appel. Raccrochez, vous bloquez ma ligne.

    — Pas z’avant d’obtiendre un rendez-vous, de préférence dans une heure parce que j’viens en bus.

    — Dans une heure, je plaide.

    — Où ça ?

    — Au tribunal de Créteil.

    — Bon, j’arrive et j’vous attends d’vant.

    Il raccroche et nous regarde :

    — Vous faites quoi, là ? Rien ? Ben, allons-y. J’préfère arriver avant lui pour pas l’rater.

    Nous perdrions du temps à essayer d’argumenter. Et puis Créteil n’est pas si loin. En route !

    Le tribunal de Créteil, j’ai déjà eu l’occasion de vous le décrire. Il est moche de chez moche. Un délire d’architecte élevé aux péplums. Tout en béton. On se croirait chez Cléopâtre dans une aventure d’Astérix, en plus ostentatoire. On pose René au bas de l’escalier monumental et on le laisse se dépatouiller. En redémarrant, nous apercevons Rachid Ben Malouf qui se pointe, le pas alerte de l’avocat sûr de lui et qui a réussi. René, du haut des marches, lui adresse de grands signes. Pensées compatissantes pour le maître.

    Vous arrive-t-il que les choses s’arrangent d’elles-mêmes sans que vous ayez eu à faire le moindre effort pour y parvenir ? Moi, ça m’arrive tout le temps. Heureusement, d’ailleurs, car sinon il y a longtemps que j’aurais lâché l’affaire. Quand nous arrivons au bureau, Momo et moi sommes loin d’imaginer que le Dieu des détectives, dans sa grande compatissance, veille sur nous avec tant de générosité. Mon adjoint se recolle à son écran

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