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Plaisanterie Fatale
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Livre électronique386 pages5 heures

Plaisanterie Fatale

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À propos de ce livre électronique

Le Doubs, rivière lente et majestueuse, encercle dans sa Boucle, Besançon, ville de province, que la chaleur de l’été semble assoupir. Rien ne semble pouvoir troubler ce cadre paisible que les auteurs ont voulu un peu décalé dans le temps. Pourtant, quand le cadavre d’une jeune femme sans histoires est découvert dans un parc de la ville, il ne reste plus au commandant Renato et à son équipe qu’à déployer toute leur énergie pour réussir à démêler les fils de cette étrange affaire qui va soulever bien des remous.
LangueFrançais
Date de sortie3 avr. 2013
ISBN9782312009476
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    Aperçu du livre

    Plaisanterie Fatale - Jean-Claude René

    cover.jpg

    Plaisanterie Fatale

    Jean-Claude René

    Plaisanterie Fatale

    Nouvelle édition

    LES ÉDITIONS DU NET

    70, quai Dion Bouton 92800 Puteaux

    Besançon est le berceau d’une amitié d’enfance ! Deux Bisontins s’y épanouissent jusqu’à vingt-cinq ans, puis les aléas de la vie les séparent. Valence pour l’un, Biarritz pour l’autre. Le temps a passé, le progrès aussi. Ces deux jeunes gens sont devenus des pères et maintenant grands-pères. L’Internet, outil prodigieux, va les réunir et leur permettre de réaliser un de leurs souhaits : écrire en commun un livre dont l’action se passe, bien sûr, dans la capitale de la Franche-Comté. Un Besançon qui est plus celui de leur jeunesse que l’actuel.

    Jean-Claude Mere et René Schoenauer ont donc commis ce « Plaisanterie Fatale », pour leur plaisir et, ils l’espèrent, le vôtre.

    Cet ouvrage est répertorié à la British Library de Londres (section Littérature étrangère)

    Du même auteur :

    Les Copains d’Antan, Les Éditions du Net.

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-00947-6

    Remerciements les plus sincères à toutes celles et à tous ceux, familles et amis, pompeusement dénommés « Comité de lecture », qui ont accepté de subir l’épreuve du feu pour ce premier roman.

    Avertissement

    Tous les personnages de ce livre sont fictifs, et toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, serait pure coïncidence. Toute similitude de lieu ne pourrait être que le fruit du plus grand hasard.

    Prologue

    Besançon au mois d’août, pour plagier un titre de René Fallet. Que peut-il bien s’y passer ? En général, rien.

    La commémoration, l’année prochaine, du bicentenaire de la naissance du Grand Homme de la ville va la mettre un peu en lumière dans les médias. Mais c’est l’année prochaine.

    « Ce siècle avait deux ans […]

    Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,

    Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole, »

    Il fallait une rime à « vole » et « espagnole » convenait parfaitement. Elle fut certes, il y a longtemps, rattachée à l’Espagne, mais elle resta ville libre et souveraine.

    Petite ville, petite histoire ! N’était donc le grand Victor Hugo, et dans une moindre mesure Stendhal, ton nom ne figurerait pas dans le florilège de la littérature française. Qui te connaît aujourd’hui ? Quelques professeurs d’histoire et de géographie pour ton site (cette fameuse Boucle, méandre du Doubs barré par une colline où trône la Citadelle), quelques amoureux du football pour ton arbitre, quelques chefs d’entreprises pour l’affaire « Lip ».

    Ce n’est pas chez toi que l’on vient faire carrière. Tu n’es qu’une étape vers Lyon et surtout Paris. Et encore, beaucoup font le maximum pour t’éviter. Enchâssée dans tes collines tu n’as pas d’aéroport ! Ton TGV est balbutiant ! Vices rédhibitoires à notre époque.

    Belle endormie, tu vis à ton rythme lent et nonchalant. Que t’importe d’être connue ou reconnue si cela trouble ta tranquillité ! Ville paisible tu te veux, ville paisible tu es. Chez toi point de mafia, point de meurtres sordides – tout au plus quelques crimes épisodiques passionnels ou œuvre d’un « détraqué » –, point de scandale retentissant. Certes, tu as tes verrues comme toute ville de ce siècle, mais rien de comparable à tes grandes voisines. Quelques petites bouffées de chaleur vite refroidies et tu reprends, sereine, ta vie habituelle. Moins sécurisée qu’il y a cinquante ans, bien sûr, car la Société te rattrape. C’est le lot normal de toutes les villes, même des petites ! Il faut t’accoutumer à ton siècle.

    En août, tu t’endors. Nombre de tes habitants désertent tes rues pour s’entasser sur des plages plus ou moins lointaines d’où ils reviendront bronzés à souhait. Ils auront oublié les brûlures et nuits douloureuses consécutives à ces heures d’exposition aux rayons UV ou autres ! Nombre de tes commerces sont fermés, tes rues offrent une circulation d’une fluidité remarquable. Seule ta Grand-rue présente un visage vivant, coloré. La foule désœuvrée y flâne, joyeuse et insouciante. Quelques touristes t’admirent. Chauvins, beaucoup de Bisontins les aiment ces gens qui recherchent autre chose que les plaisirs de masse. Il leur plaît de les suivre et ils sont, pour eux, source de découvertes. Combien de fois sont-ils passés dans telle ou telle rue, sans rien y voir vraiment ? Grâce à eux ils voient, enfin, tel détail d’une fontaine, telle grille en fer forgé, tel patio. C’est le lot commun de beaucoup. Jeunes, ils avaient autre chose à faire que de regarder les vieilles pierres, surtout lorsqu‘arriva la mode des jupes qui découvraient genoux et un peu plus ! Chaque âge a ses préoccupations.

    En ce mois, le Doubs paresse dans son méandre. L’eau aimerait-elle rester immobile en ce lieu, y faire la sieste, y dormir ? La rivière est à l’image de sa ville : calme et dormante. Qu’y a-t-il de plus reposant qu’une marche le long de sa berge gauche ? Passer par Chamars et ses frondaisons centenaires puis cheminer tranquillement sur cette berge, s’arrêter près d’un pêcheur, rester un moment hypnotisé par les reflets du soleil sur la surface lisse de l’eau qu’y a-t-il de plus serein, de plus revigorant pour l’âme ? Peu de choses !

    Mais en cette année 2001, la cité va être bouleversée par un événement très rare dans cette bonne ville.

    Tout commence le premier vendredi du mois, dans la soirée. Il n’y a pas grande foule à la sortie d’un des cinémas de la Boucle. Il faut constater que la chaleur incite plus à flâner, à prendre un rafraîchissement à une terrasse de café plutôt que d’être enfermé dans une salle même climatisée. Une chaleur étouffante, l’air ayant du mal à se frayer un chemin entre toutes les collines qui cernent l’agglomération.

    Rue de la République. Trois ou quatre personnes rentrent lentement, certainement chez elles.

    Mais laissons parler les deux principaux protagonistes.

    L’un tient un Journal depuis sa prime jeunesse. Il en a conservé l’habitude de titrer chaque jour de quelques mots résumant le tout. Cela lui permet, et c’est intéressant pense-t-il, de constater combien, l’âge aidant, les réactions devant un événement et les sujets développés ne sont pas les mêmes.

    Depuis cinq ans il a informatisé son Journal : une disquette par an, un fichier par mois. Aujourd’hui, il n’a enregistré que ceci :

    « Vendredi 3 août

    Habituel RAS »

    Oui, « Habituel RAS », car sa vie est d’une monotonie provinciale. Les jours se suivent et se ressemblent dans un ennui aggravé par l’inactivité des vacances.

    Pourtant, il ne savait pas que la journée était loin d’être terminée.

    L’autre… mais vous découvrirez en son temps de qui il s’agit.

    Maudit vendredi

    Samedi 4 août

    Je viens de vomir et pourtant je ne suis pas malade. C’est un haut-le-cœur tout simplement. Trois heures trente et je n’ai pas encore trouvé le sommeil. Je ne dormirai pas cette nuit, c’est sûr. Et puis, il fait trop chaud. Je me suis tourné et retourné dans mon lit à la recherche d’un peu de fraîcheur. Aussitôt trouvée, aussitôt disparue. Dès que je ferme les yeux, que je crois être gagné par le sommeil, mon cerveau essaye de reconstituer ce qui s’est passé ce soir. Enfin, hier soir, vendredi ! Peut-être que de consigner les événements dans mon journal me permettra d’y voir clair. De savoir ce qui s’est passé. Peut-être aussi qu’écrire va me libérer. J’espère qu’encore une fois l’écriture me  dissociera de moi-même, me permettra en plus de faire le point, de m’amener au-delà du présent, au-delà du réel. Voilà.

    Je rentre à pied du cinéma. Bon film, quoiqu’un peu bavard à mon goût. Une femme marche devant moi. Elle me semble mignonne. Pas trop grande, un jean qui moule ce qu’il faut, mais pas trop. Sa taille n’est pas épaisse et elle n’a pas ce déhanchement stupide des mannequins. Belle chevelure blonde ; naturelle ou pas ? Elle ne m’entend pas, c’est évident sinon elle aurait accéléré l’allure.

    Belle fille, il serait agréable de passer la nuit avec elle et beaucoup plus si affinités, pensé-je.

    Mais combien de fois me suis-je dit ceci ? Très souvent ! Et combien de fois cela s’est-il produit ? Jamais ! Ainsi va ma vie. J’ai suffisamment de projets pour remplir non pas deux, mais trois fois la vie d’un homme et je n’en réalise aucun. Ma devise serait du style « Je devrais faire ceci ou cela et je sais que je ne ferai rien ».

    Nous avons bien parcouru trois cents mètres pendant que je songeais à tout cela. J’en ai même oublié, à la sortie du pont, de prendre à gauche pour rejoindre le parking où j’ai garé ma voiture. Je l’ai suivie tout à mes pensées et comme hypnotisé par le léger balancement de ses hanches. Je me souviens avoir fredonné (dans ma tête) un air de Claude François

    Un jour mon père m'a dit fiston, j’te vois sortir le soir…

    Je repense au film. Le « héros », assassin malgré lui, a-t-il agi sciemment ou a-t-il été le jouet des circonstances ? C’est la question que je me suis posée en cours de séance. Ce cas correspond en partie à ce que je pense, notamment qu’il y a en chacun de nous une dose plus ou moins importante de destinée. Cela rejoint les théories du déterminisme et du libre arbitre (à ce sujet il faut que je relise Le Fleuve de l’Éternité de Farmer). Comme pour beaucoup de choses, ce n’est pas l’un ou l’autre, mais, pour moi, c’est l’un et l’autre. Pourquoi ne me suis-je jamais marié ? Pourquoi n’ai-je jamais eu beaucoup de succès avec les femmes ? À cause de moi certes, mais aussi parce que c’est ainsi. Ou j’arrivais trop tôt, ou la place était déjà prise. Ainsi, cette femme devant moi. Qui est-elle ? Est-elle sans attache sentimentale ? Aurais-je une chance avec elle ? Part du libre arbitre : l’aborder gentiment et essayer de lier connaissance. Impossible, je suis trop timide ou plutôt je manque trop de confiance en moi (les deux vont souvent de pair il est vrai, mais je connais un timide qui ne manque pas de confiance en lui).

    Malgré la chaleur de la nuit, elle a un petit foulard passé au tour du cou dont les deux bouts flottent dans son dos. Nous longeons le parc. Une idée soudaine me prend : et si je tirais sur les extrémités de son foulard ? Elle serait drôlement surprise. Oui, mais je risque de lui faire peur. Voilà mon libre arbitre. J’ai le choix entre faire demi-tour pour rentrer chez moi ou accomplir cet enfantillage. Mais n’est-ce pas le destin qui me met dans cette situation ? Et si j’agis sottement que peut-il se passer ? Ou je reçois une bonne paire de claques ou elle me traite simplement d’idiot. Dans le dernier cas, je lui présente mes excuses, je lui exprime ma confusion et je vois comment elle réagit ! Qui sait, elle est peut-être plus vieille que sa silhouette ne le laisse penser et nous pourrions alors engager la conversation, comme on dit.

    Personne. Allez, on essaye. Pas à dire, je suis resté très gamin, un peu irresponsable.

    Et c’est à partir de ce moment que mes souvenirs s’effacent. Un grand trou noir d’où émergent quelques lueurs.  Des flashs. Je cours. J’ai dû tirer sur son foulard. Elle est étendue. Je me vois coller mon oreille sur sa poitrine. Maintenant, en écrivant, je me souviens qu’elle s’est évanouie. Puis je me suis retrouvé près de la poubelle à la sortie de la promenade et y jetant, ce qui doit être un téléphone et un sac. Ce dont je suis certain c’est que j’ai téléphoné et que le mot police m’a comme réveillé. Comme je me souviens avoir pris le peu de choses que contenait son sac. Ensuite ?

    Encore un peu de brouillard.  L’esprit comme vide je me suis concentré sur la conduite avec un sentiment confus de bien faire attention, de ne pas attirer les regards par un comportement bizarre. J’ai dû entrer dans mon appartement un peu avant minuit.

    Ma chienne m’a fait la fête habituelle. J’ai éprouvé le besoin de boire un bon petit Armagnac. Les ablutions rituelles du soir et au lit. Je n’avais qu’une hâte : tout oublier, ne plus penser à ce qui venait de se produire. Il m’a semblé qu’en me couchant, qu’en dormant tout allait s’effacer, que rien ne s’était passé, que tout était comme les autres jours. D’ailleurs, contrairement à mon habitude je n’ai pas vidé les poches de ma veste avant de la suspendre. Déjà le désir inconscient de ne surtout pas en inventorier le contenu ! De croire que demain matin il n’y aurait rien. Et ce sentiment, sinon cette certitude d’avoir commis l’irréparable !

     Comme à cet instant, le désir de ne plus poursuivre ce travail d’écriture. Trop à dire, trop de sombres pensées.

    Chapitre I

    « La boue monte, elle atteint déjà ses aisselles. La panique le submerge, il s’égosille, il gesticule. En vain, son corps glisse lentement, inexorablement, comme un piston bien graissé. Rien ne vient arrêter cette lente descente aux enfers. »

    Bon c’est toujours pareil, quelqu’un va le sortir de là, se dit-il. Déçu, il referme le livre qu’il est en train de lire en poussant un soupir et regarde la couleur que prend sa peau. Il avait tout misé sur ce livre. Sa journée est un peu gâchée alors qu’il s’était  fait une joie de ce repos bien mérité. Il avait tout imaginé : démarrage d’un bon polar et bronzage ce matin ; après le repas, le silence, un canapé moelleux pour accueillir sa carcasse et la poursuite de sa lecture, enfin, après quelques chapitres ou simplement quelques pages, le plaisir des paupières qui commencent à piquer, signe annonciateur de la douce arrivée du sommeil.

    Rien de tout cela. Une fois de plus, la réalité ne rejoint pas la fiction. À quoi bon imaginer, supputer, c’est toujours différent. Il se lève, bougon, et déambule dans la maison, se demandant vers quoi il va orienter le reste de la journée.

    Il pose un regard contrarié sur les feuilles qui se prélassent dans l’eau de sa piscine lorsque le téléphone sonne. Il va peut-être avoir la réponse à sa question. Il s’élance rapidement vers le combiné, s’empare du kit mobile et s’affale dans le plus proche fauteuil.

    Il veut éviter de psalmodier son éternel « Jean Renato : je vous écoute » en donnant à sa voix un ton convivial, mais sa bonne intention est arrêtée en plein élan par un « Ça va ? C'est moi ! » qui lui fait comprendre qu’il n’a plus à faire œuvre d’imagination pour terminer la journée.

    Gérard Philippe, entendez Gépé, c’est son diminutif, n’ayant pas à son vocabulaire le mot « préliminaire » se lance dans une longue harangue pimentée de nombreuses digressions et dont l’essentiel peut être résumé en « il faut que tu passes au bureau en urgence ». Ah Gépé ! Il est son adjoint au commissariat de Besançon. Difficile de le définir. Peut-être est-il né d’un croisement entre Alphonse Allais et le colosse de Rhodes. Sa devise : « le poids des jeux de mots, le choc des biscoteaux ». Il aime tordre les mots. Il n’y a pas, semble-t-il, de limites qu’il n’ose franchir. Il s’est forgé, au fil des années, un style : le gaillard qui plaisante, un peu balourd, au langage peu châtié (l’oubli de la négation est chez lui systématique que ce soit oralement ou par écrit), mais bon cœur. Pourquoi cette carapace, alors que certaines circonstances ont démontré une finesse d’esprit certaine et une grande sentimentalité ? Ne serait-ce pas justement pour cacher cette sentimentalité qui doit paraître faiblesse à ses yeux ? Physiquement, une armoire à glace. Il peut lui arriver de tordre les cous, mais toujours dans la limite du raisonnable. Ce n’est pas une brute ! De plus, il est retors, et certains estiment que c’est une grande qualité dans ce métier.

    Renato, bien qu’on lui dise qu’il ne fait pas ses cinquante-six ans, revêt un deux-pièces d’été, vêtement plus compatible avec son âge qu’un jean et un tee-shirt, puis se dirige en sifflotant vers le garage.

    Sa bonne humeur est revenue : pour cette fin de journée, la route semble tracée.

    Il s’engage lentement sous le vieux porche du commissariat, troque avec le gardien qui est de faction un coup d’œil amical contre un salut qui se veut réglementaire.

    D’un pas décidé, il se dirige vers son bureau, échangeant çà et là mots convenus et poignées de main. À peine franchi le pas de la porte, un tonitruant « c’est pas trop tôt ! » l’accueille.

    Son adjoint, Gépé, a tout du farfadet heureux d’avoir joué une bonne farce. Il a un petit sourire ironique et ses yeux, tapis derrière ses paupières mi-closes, guettent sa réaction. Un chat en extase devant une souris bardée d’une tranche de foie. L’amitié incite parfois à de petits gestes gratifiants. Ainsi, alors qu’il pense, peut-être, avoir perturbé la journée de repos de son commandant, celui-ci lui dédie un agacement de circonstance. Sa mine renfrognée est digne du mime Marceau. Un sourire de contentement malicieux difficilement maîtrisé contredit les quelques paroles de désolation prononcées par Philippe. Le rituel est accompli. Ils peuvent maintenant passer aux choses sérieuses.

    — Fallait que tu viennes c’est peut-être important.

    — Tu me bousilles une journée de repos, j’espère que ton diagnostic est bon. Alors que se passe-t-il ?

    Et Renato prend sa position d’écoute favorite, celle qui est en partie à l’origine de son surnom de John : la pose à l’américaine. Celle que l’on voit souvent dans les films et qui signifie grossièrement : corps détendu, mais esprit en éveil. Il trouve que ses collègues n’ont pas été très créatifs pour imaginer ce sobriquet, mais il s’en accommode. Gépé attend le signal de départ : plissement du front synchronisé avec un petit mouvement du menton.

    — Le corps sans vie d’une jeune femme a été découvert près d’un fourré de la promenade Micaud. Un promeneur matinal, Xavier Charrand, a averti le commissariat et toute l’équipe est déjà sur place, toubib compris. Elle attend plus que nous.

    — Tu as informé le Procureur ?

    — Le « proc » c’est…

    — N’ajoute pas « net » ou je te colle des enquêtes merdiques. Micaud est à deux pas, allons-y à pied.

    Gépé dévale l’escalier de sa manière habituelle, c’est-à-dire une marche sur deux. Comme à l’accoutumée, il attend John en bas, et le sempiternel calembour s’échappe de ses lèvres sans recevoir en retour ce sourire qui lui aurait tant fait plaisir.

    — Faut toujours que j’attende, c’est lassant sir !

    Il fait encore beau et chaud. Le Doubs se trouve au plus bas. Au niveau du pont de la République un petit chenal aux eaux légèrement verdâtres court en bordure de la rivière sur une centaine de mètres. Cela n’empêche pas quelques irréductibles pêcheurs de tremper leur fil dans l’eau. Que cherchent-ils : à tromper le poisson ou tromper l’ennui ?

    Les pêcheurs n’offrent aucun intérêt pour Gépé qui, pourtant, est grand pécheur… devant l’éternel. Penché à la rambarde, il fait signe d’approcher. Il a l’œil égrillard d’un adversaire acharné du neuvième commandement (tu n’auras pas de désir impur volontaire !)

    Qu’a-t-il vu encore ?

    — Pour une fois je me ferais bien mener en bateau, dit-il en désignant un bateau-mouche tacheté de jeunes filles.

    Elles rient toutes à gorge déployée, leur tenue légère facilitant cet exercice. La position dominante des deux policiers laisse entrevoir tout ce dont deux hommes peuvent être friands, amorce de hauts de cuisse, début de poitrines espiègles. Mais leur imagination s’immisce beaucoup plus loin.

    Un coup d’œil furtif sur le parc qui se profile à une cinquantaine de mètres les ramène à la réalité.

    Une foule de badauds entoure le périmètre délimité par les cordons en usage à la Police. Ce comportement est toujours pour Renato objet de surprise, voire d’agacement. Il ne comprend pas, ou n’admet pas, la raison qui pousse la plupart des gens à se complaire dans ce comportement de voyeur obscène. Quel plaisir trouvent-ils à se repaître de tout ce qui est à l’opposé de la paix, du beau, du calme ? Quelles émotions troubles recherchent-ils à contempler le malheur des autres ? Et chacun de disserter avec son voisin, de mettre en avant, avec un ton péremptoire, son avis. Le centre d’intérêt est trouvé, ils ne se connaissent pas, mais ils sont entre pairs.

    Ils s’approchent d’un petit fourré, près d’un gros conifère, au bord duquel se trouve allongé le corps d’une jeune femme d’une vingtaine d’années. Elle doit mesurer environ 1,70 mètre. Elle est jolie, cependant ses yeux grands ouverts donnent de sa personne une image incongrue. Sa chevelure blonde recouvre en partie son visage. Elle est vêtue d’un jean Cardin et porte un chemisier bleu ciel largement échancré laissant apparaître un soutien-gorge de même ton, ayant peine à contenir une poitrine pleine et bronzée.

    Il se dégage malgré tout de cet ensemble une atmosphère paisible. S’il ne régnait pas une activité aussi inhabituelle en ce lieu, on pourrait penser à quelqu’un qui s’est gentiment assoupi tel qu’on peut le faire chez soi lorsqu’on est à son aise, à l’abri des regards.

    Toute l’équipe, augmentée de Gépé, démarre son travail d’analyse méthodique et détaillée. La ruche en activité ! Renato regarde les lieux à la recherche de Dieu sait quelle bizarrerie qui pourrait l’éclairer sur ce qui s’est passé. Les questions se bousculent, des hypothèses sont esquissées.

    Le chemisier ouvert plus que de normal pourrait laisser penser à une agression sexuelle. Il n’y croit pas, l’ordonnancement de l’ensemble de la tenue ne va pas dans ce sens. Quant à l’éventualité d’un rôdeur qui en aurait voulu à son argent ? Peu plausible, puisqu’elle porte encore autour du cou une jolie chaîne, une médaille en or et, à son annulaire droit une bague qui ne semble pas en toc. Un malaise alors ? Pourquoi pas ! Une sensation d’étouffement, elle ouvre son chemisier pour mieux respirer, ses jambes ne la portent plus ou elle s’assied volontairement au bord du petit talus et cherche à récupérer ? À voir !

    Un infime détail attire son attention. Habits de très bonne coupe, coiffure et maquillage soignés, alors pourquoi les talons de ses chaussures, neuves à première vue, sont-ils égratignés ? Il s’accroupit, tente une rotation pour mieux scruter l’environnement et part en déséquilibre. Il recule très vite sa jambe droite pour ne pas tomber, mais son pied ne se pose pas à plat (un morceau de branche sans doute) et de ce fait s’affale le dos contre le buisson. Il se relève prestement - à cet instant il ne regrette pas les heures passées à entretenir sa forme - et regarde au sol. En fait de morceau de branche, il s’agit d’un sac entrouvert, situé à une vingtaine de centimètres de la jeune femme, à l’aplomb des rameaux du bosquet.

    Avec toutes les précautions d’usage (ne pas le toucher, ne pas le bouger), il inventorie visuellement le contenu de celui-ci. Il semble ne rien renfermer. L’hypothèse du vol resurgit.

    Les talons des chaussures sont incrustés de minuscules graviers, presque du sable, semblables à ceux du chemin et le cuir égratigné comporte également quelques taches vertes. Il distingue, à environ cinq mètres du fourré, une double trace perpendiculaire à cette allée, discontinue, effacée par endroits. La conjonction de ces deux éléments laisse à penser que la jeune femme, alors au sol, aurait pu se traîner, assise sur ses fesses, dans le chemin et puis dans l’herbe.

    Déjà, les premières réflexions ou constatations.

    Voyons, elle va au sol alors qu’elle est dans l’allée, rampe sur le derrière sur cinq mètres jusqu’au pied de l’arbre, s’y adosse puis bascule dans le fourré. Voilà qui est intéressant. Le déplacement est peut-être plausible, mais je doute un peu qu’elle ait fait cela de sa propre initiative, la paume de ses mains et la propreté de ses ongles ne laissent aucun doute à ce sujet. De plus, bien qu’elle soit sur le dos, je ne vois aucune trace de salissure aux abords du fond de son jean. Quelqu’un est certainement intervenu !

    — Tiens ! Regarde j’ai trouvé ça, masqué par une racine du big baobab qui est juste là. Dis donc t’as vu la taille de l’arbre, il cache toute la forêt, j’en suis tout marri !

    Gépé vient se rappeler à son bon souvenir avec un jeu de mots approximatif, mais il lui montre une paire de lunettes de soleil tenue délicatement entre deux doigts entourés de son mouchoir. Jean, en fin cruciverbiste, s’abstient de faire ressortir la différence entre la famille des conifères et celle des bombacacées voulant surtout éviter quelque répartie désastreuse. Les lunettes sont délicatement déposées dans un sac plastique.

    René Guangues, le médecin attend que la place soit libre pour faire un premier diagnostic. Chose faite, Jean s’écarte. Peu de temps lui suffit pour qu’il déclare qu’il ne relève rien a priori qui puisse laisser penser à un crime. Une crise cardiaque semble possible.

    — Je l’embarque dès que tu me donnes le feu vert et je ponds mon rapport pour qu’il soit prêt lundi tout début de matinée, au plus tard. Ça te va ?

    — Oui, René, mais tu dis « au plus tard », ce ne serait pas « au plus tôt ? »

    René se contente de lever les yeux au ciel.

    — Au lieu de dire des bêtises, rappelle-toi que je passe te prendre demain à onze heures pour se faire un petit resto. Je choisis le restaurant et tu payes.

    — S’il n’y a que ça pour te faire plaisir. À demain, vieux frère.

    Il l’aime bien son copain Guangues. Ils sont même amis d’enfance. Même âge, même quartier, même niveau social, mêmes écoles, mêmes interrogations, même tournure d’esprit, souvent mêmes réactions et mêmes opinions ; parfois en opposition, mais jamais pour l’essentiel. Enfants, même aux risées des autres ils réagissaient pareillement. C’est une sorte de frangin, un dépositaire de sa mémoire et de ses émotions de jeunesse ; il est la jeunesse de Renato. Vers vingt-cinq ans, la vie professionnelle les a séparés géographiquement, puis les circonstances les ont réunis pour leur plus grande joie voici trois ans dans leur ville natale. Il n’oublie pas, qu’outre sa sœur et son beau-frère, il a trouvé réconfort auprès de lui lors de son divorce. Il lui fallait encaisser le coup ! Sa femme, enfin son ex-femme, avait trouvé quelqu’un de plus disponible que lui. Heureusement, a-t-il songé souvent, il n’y avait pas d’enfant.

    La Presse s’avance et Renato n’a nulle envie de l’affronter. Consignes de silence à ses équipiers :

    — Gagnons du temps. Vous ne savez rien, si ce n’est qu’il n’y avait pas de papiers d’identité dans son sac, sans doute crise cardiaque et c’est tout. Dites-leur de venir au commissariat lundi après-midi, pas avant. Allez au boulot et continuez à passer ce secteur au peigne fin. À lundi.

    — L’affaire va pas être facile à solutionner, tu sais. On a un témoin, mais il a un cœur de pierre et je suis sûr qu’il dira rien.

    — Tu navigues dans les brumes éthyliques ! Où es-tu allé chercher un témoin ?

    — Là-bas, Becquet, il a tout vu, mais il sera muet comme une tombe et Gépé de rire en désignant le buste de ce sculpteur, du siècle dernier, se dressant sur son piédestal à une dizaine de mètres.

    Tous deux regagnent le commissariat, chacun à ses pensées. Tout en marchant, Jean s’interroge. Mort naturelle ou pas, que s’est-il passé exactement, quel type d’affaires cela va-t-il être ? Belle fille, dommage ! aurais-je dit « dommage » si elle n’avait pas été jolie ?

    L’excitation commence à le gagner, il a hâte d’avoir en mains les rapports.

    — Alors Gépé, qu’est-ce que tu en penses ?

    — Aucune idée précise pour l’instant. Ça n’a pas l’air d’un crime, faut attendre le ratissage des collègues pour y voir plus clair.

    — Je pense comme toi. Je vais au bureau jeter un œil à ma messagerie puis je rentre. Après tout je suis en congé. Je veux les premières constatations prêtes avant le brief de lundi matin. Au fait, Gépé, je n’ai pas trop insisté pour la fouille du sac à main tant que les empreintes ne sont pas relevées. Je crois qu’il n’y a pas de papiers d’identité. Si on arrive à savoir qui c’est, téléphone-moi à la maison ou sur portable. Tu fais le nécessaire auprès du service d’entretien de la promenade pour que tout fait inhabituel nous soit communiqué.

    Dans le hall du commissariat, deux agents en uniforme ont bien du mal à faire prendre l’escalier à un individu qui titube et renâcle tout en les invectivant. Gépé ne peut s’empêcher de s’en mêler et s’adresse à lui.

    — T’as l’air mal dans ta peau, t’es « camé Léon » !

    — Je ne m’y ferai jamais, murmure Renato.

    Maintenant que la machine est lancée et qu’il est de nouveau en congé, il lui faut décider de son emploi du temps. Repas à la maison, car l’heure tardive l’y contraint, nettoyage de la piscine puis il se fera inviter à dîner par sa sœur. Ainsi le samedi sera bouclé. Sur le chemin du retour, il s’arrête pour acheter une flûte de pain à sa boulangerie habituelle.

    La boulangère, la quarantaine épanouie, est sympathique et, ce qui ne gâte rien, elle est aussi très bien faite.

    — cinq francs soixante s’il vous plaît.

    Est-ce le sourire un peu moqueur de la dame qui le déstabilise, toujours est-il que quelques pièces s’échappent et roulent sous le comptoir.

    — Alors on sème, dit-elle en accentuant son sourire.

    — Si vous me laissez l’écrire comme je le veux, alors je suis d’accord.

    Il a réussi à la faire rosir. Pas mécontent de lui, il ajoute le bec enfariné, car Jean n’hésite jamais à faire un bon mot de temps en temps :

    — Alors on fait comme on a dit ?

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