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Meurtres sur la côte bretonne: À l’ombre des géantes
Meurtres sur la côte bretonne: À l’ombre des géantes
Meurtres sur la côte bretonne: À l’ombre des géantes
Livre électronique177 pages2 heures

Meurtres sur la côte bretonne: À l’ombre des géantes

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À propos de ce livre électronique

Erquy, en Bretagne. Le meurtre d’un militant anti-éolienne agite la ville. La journaliste de la rédaction locale se retrouve alors impliquée dans l’affaire.
D’ordinaire paisible, la petite ville côtière d’Erquy est sous tension depuis l’émergence d’un projet d’éoliennes offshore. La découverte du corps d’Antoine Robin, farouche opposant à cet aménagement, exacerbe les passions. Son meurtre et le mode opératoire singulier utilisé attisent l’attention médiatique. Tania Bélier, qui vient de rejoindre la rédaction locale du quotidien breton L’Armoricain, s’empare de cette enquête dont elle révèle les premiers rebondissements. Sans imaginer à quel point l’affaire va finir par l’impliquer personnellement.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Issu d’une famille de six enfants, dont il est le benjamin, Fabien Gouault est né en 1981 à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). Il y a vécu jusqu’à l’âge de 21 ans, après avoir obtenu une licence de journaliste à l’IUT de Lannion. Il a ensuite rejoint « Le Courrier de l’Ouest », d’abord à Cholet, puis à Thouars et enfin à Bressuire où il s’est vu confier la responsabilité éditoriale du nord Deux-Sèvres. Mari à une Cerizéenne, père d’un enfant âgé de 15 ans, il a été bercé par les polars à son adolescence. Ce registre continue d’accompagner l’essentiel de mes lectures. Il vit à Bressuire (79).
LangueFrançais
Date de sortie16 janv. 2023
ISBN9791035320539
Meurtres sur la côte bretonne: À l’ombre des géantes

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    Aperçu du livre

    Meurtres sur la côte bretonne - Fabien Gouault

    I

    Son caractère audacieux l’avait conduit à présumer de sa résistance à la température piquante de cette matinée de fin d’hiver. Confronté aux assauts répétés des embruns, Thierry Dubois abdiqua en inclinant légèrement la tête et remonta la capuche de son duffel-coat. Il n’était pas encore huit heures et il n’y avait pas âme qui vive sur cette plage du Centre qu’il empruntait chaque matin. 478 mètres, lui indiquait très précisément sa montre GPS, pour accomplir un trajet domicile-travail. À cet instant ressurgit de nouveau le souvenir de ses dix longues années au cœur de la cohue parisienne.

    Lui vint alors un irrépressible désir de se remplir les poumons de cet air iodé qui constituait dorénavant son carburant quotidien. Sur le sable humide où son empreinte semblait figée à chacun de ses pas, Thierry Dubois savourait un moment suspendu face à la Manche et surtout à lui-même. Toujours ce même rituel : une pause à mi-chemin, ou presque, au niveau de l’école de voile. Les catamarans des apprentis navigateurs valaient mieux qu’un de ces bancs à la propreté douteuse jalonnant le boulevard de la Mer.

    Alors que les éléments se déchaînaient, que les vagues s’abattaient lourdement et provoquaient un tapis d’écume à ses pieds, le vent et la pluie fine continuaient de se fracasser contre son visage. Thierry se surprit à sourire de se sentir aussi vivant. Plus jeune, il aurait sans doute couru vers un abri pour ne pas subir les aléas des éléments. Il s’en nourrissait à présent.

    Au loin, une lumière stroboscopique transperçait ce rideau de bruine. Elle émanait d’une plateforme de forage destinée à évaluer la nature du sol marin et son adéquation àà la poursuite du déploiement d’éoliennes offshore. Le contour des grues faussait l’habituelle ligne d’horizon. Thierry Dubois y avait spontanément été défavorable. Il ne comprenait pas qu’une côte sacralisée puisse être ainsi défigurée. La décision préfectorale l’obligeant à baisser le rideau à chacune des manifestations organisées par les partisans ou les opposants à ce vaste aménagement ne faisait que conforter son sentiment. Mais il se devait d’afficher une certaine neutralité. La ville était à ce point divisée sur le sujet que s’engager ouvertement impliquait de se mettre à dos la moitié de la clientèle de son commerce.

    Instinctivement, le quadragénaire passa sa main sur sa barbe grisonnante et naissante. Puis il jeta un coup d’œil sur sa gauche. Oui, Titouan était bien debout. Son père pouvait distinguer le volet roulant rehaussé de la chambre du fiston, côté est de sa coquette maison sur le front de mer. Son grand adolescent serait à l’heure au collège. Nouveau sourire, plus ému celui-ci. Malgré le rapport de force qui les opposait si souvent, l’un était toujours attentionné pour l’autre. Titouan ne parlait plus de la disparition de sa maman. Le temps avait fait son œuvre, pensait Thierry. Une conclusion aussi rassurante que terrifiante. Ce drame avait pourtant façonné leur existence. Titouan était devenu un jeune homme autonome, un brin solitaire. Son père ne s’en formalisait pas et se revoyait à son âge. Lui aussi était du genre timide, austère même ainsi que l’avait qualifié l’un de ses enseignants dans un reproche à peine dissimulé.

    Cinq minutes s’étaient écoulées et il fallait repartir. Regard à droite. Thierry aperçut le troquet dont il avait restitué l’éclat. C’était autrefois son terrain de jeux. Babyfoot, flipper, billard : son amitié avec le fils du gérant avait ouvert le champ des possibles au gamin sans le sou qu’il était. Son pote détenait le Graal, cette clé qui, à défaut d’une pièce, donnait droit à des parties endiablées sur fond de mauvaise foi mais surtout de franche camaraderie.

    Alors, quand l’occasion s’était présentée de reprendre Les Régates, Thierry n’avait pas véritablement hésité. Cet endroit, profondément remodelé à son arrivée, était sa madeleine de Proust. C’était aussi le repaire naturel de toute la communauté des pêcheurs des environs, tout heureux de trouver sur le port un établissement digne de ce nom pour se restaurer et, le cas échéant, boire un coup entre amis.

    Les soldes touchant à leur fin, l’enseigne voisine de vêtements Vêt’Armor rayonnait déjà dans la grisaille. Gaëlle Lemoine s’affairait sans doute à rendre sa boutique le plus présentable possible pour le chaland. Elle a du mérite, la petite, pensa une nouvelle fois Thierry, souhaitant que ses efforts ne restent pas vains. Quelques mètres supplémentaires et cet escalier de seize marches qui le hisserait sur la digue serait atteint. Il lui fallait slalomer entre des amas d’algues enchevêtrées autour d’une bouée de mouillage. Son regard s’arrêta net sur une masse informe mais suffisamment dense pour attirer son attention. Il s’approcha, hésitant, avant de tendre la jambe afin de conforter une dernière fois l’idée qu’il se faisait de sa découverte. Plus de doute. Sans véritable délicatesse, plutôt avec l’appréhension de ce qui allait suivre, il retourna le cadavre qui gisait à ses pieds.

    — Putain, Tonio.

    Scruter ce corps lui causa un haut-le-cœur et Thierry eut un mouvement de recul. Il se rua vers l’escalier, avala la pente en un temps record et poussa la porte de Vêt’Armor, à bout de souffle et l’air ahuri.

    — Gaëlle, appelle les flics. Je viens de trouver le corps d’Antoine Robin sur la plage.

    *

    Se mêler à l’attroupement qui s’était naturellement formé sur la jetée était encore le meilleur moyen d’observer la concrétisation de son acte. On devinait aisément les contours du cadavre sous le tissu blanc hâtivement déployé dans le but de frustrer le regard des badauds. Les commentaires allaient bon train et laissaient filtrer le nom du malheureux gisant en contrebas. Difficile de ne pas sourire devant l’hypocrisie des mines faussement attristées de celles et ceux spontanément venus assister, aux premières loges, à ce spectacle morbide.

    Les forces de l’ordre tardèrent un peu à organiser la dispersion du public. Les lieux étaient ouverts aux quatre vents et ne favorisaient pas la discrétion des opérations. Chacun semblait s’en délecter, porté par un comportement paradoxal : en voir assez pour satisfaire cette curiosité malsaine ; mais se préparer à détourner les yeux si la situation devenait trop choquante.

    Dix minutes s’écoulèrent avant que l’on voie deux gendarmes inviter tout ce petit monde à reprendre ses occupations. Commerçants, pêcheurs et promeneurs finirent par rebrousser chemin, presque en traînant des pieds et en soupirant. À dire vrai, en tournant le dos à cette scène de crime née de son imagination, aucun sentiment de culpabilité ne vint troubler ses pensées. Le dégoût à l’égard de cet être à qui la vie venait d’être ôtée prédominait toujours dans son esprit. Il était temps de reprendre le cours normal de son existence. De passer à l’étape suivante et d’apprécier si les différents éléments de ce plan mûri durant de longues semaines allaient enfin s’imbriquer.

    II

    45 minutes sinon rien. À l’échelle d’une journée, c’était peu et beaucoup à la fois. Tout dépendait du degré de forme. Trois fois par semaine, Tania Bélier chaussait ses baskets au lever du lit pour déverser son trop-plein d’énergie sur les sentiers sinueux cernant le plan d’eau communal. Son psy lui avait conseillé, l’année précédente, de s’essayer à cette discipline en vogue que les puristes appellent pompeusement le running. Une activité que Tania, elle-même habitée par quelques stéréotypes, attribuait préalablement volontiers aux « bobos » de son quartier peuplant de confortables pavillons. Oui mais voilà : les endorphines générées par ces foulées au grand air avaient fini par s’apparenter à d’indispensables shoots de drogue, à caractère bien moins nocif que d’autres substances proscrites, cela va sans dire.

    Ce moment-là était pour elle. Rien que pour elle. Écouteurs sur les oreilles, application mobile de performance activée, la jeune femme se créait une bulle que personne ne semblait pouvoir briser. En proie au doute, Tania avait d’abord craint ces moments face à elle-même. Et puis elle les avait multipliés, reconnaissant le fait qu’ils étaient de nature à la conduire sur le tumultueux chemin de la sérénité. Son esprit s’était apaisé. Son corps s’était affiné. Que du bonus, en somme.

    Deux ans auparavant, la trentenaire avait tout plaqué. Journaliste dans un quotidien de province, Nouvelles du jour, elle avait souffert jusque dans sa chair pour innocenter Anthony Caradec¹.

    Cet ancien camarade de classe, retrouvé au hasard d’une soirée, avait tout du grand amour auquel elle ne croyait plus. À force d’abnégation et à corps perdu, la reporter s’était démenée pour qu’il ne soit pas injustement accusé d’un crime. Le petit chapardeur qu’il avait reconnu être n’était évidemment pas un tueur de vieilles dames. Encore fallait-il le prouver. Elle avait pu faire éclater la vérité.

    Mais elle avait été aveuglée par cette quête. Cette complicité qui avait fini par se nouer avec Anthony à travers les épreuves masquait la triste réalité : ils n’avaient finalement rien en commun, ou presque. Le couple avait traîné cette épreuve tel un boulet. Il n’avait tenu que quelques mois de plus.

    À désormais 35 ans, Tania avait donc pris l’option du grand changement. Sa candidature à L’Armoricain, le plus grand quotidien breton, avait été retenue. Sans doute, d’ailleurs, avec l’appui de son ancien rédacteur en chef. Daniel Salaün, comme son nom l’indique, avait de solides attaches bretonnes. Son ancienne collaboratrice le soupçonnait d’être intervenu en sa faveur, au mépris de sa volonté de réussir par ses propres moyens. Elle ne lui en tenait pas rigueur et entretenait des contacts amicaux avec son ancien boss.

    Une nouvelle vie avait donc démarré dans les Côtes-d’Armor, département dont elle ignorait tout. Enfant, sa famille avait pourtant sillonné les routes de France au fil des vacances estivales. Mais ses parents n’avaient jamais eu l’inspiration de partir à la découverte de ces paysages maritimes à couper le souffle. Tania avait tout juste commencé à apprivoiser cette côte sauvage par l’intermédiaire de ses reportages sur le terrain et de virées dominicales.

    Arrivée au sommet d’un vallon, la joggeuse pestait contre elle-même. « Tu es encore partie trop vite », maugréa-t-elle, avant de jeter un regard circulaire. S’exprimer à voix haute, lorsque l’effort physique atteint son paroxysme, était une manie. Gênante, parfois, lorsque la phrase était saisie au vol par un promeneur surgissant de nulle part. La moitié du parcours était atteinte et Tania replongea dans ses pensées. Son travail la rattrapait, comme souvent. Elle se remémora ses premiers pas à L’Armoricain.

    Beaucoup de ses consœurs et confrères voyaient dans le fait d’intégrer un titre de presse aussi prestigieux une forme de consécration. Tania était plutôt dotée d’un tempérament à vouloir prouver, à justifier en permanence la confiance placée en elle. L’exigence qu’elle s’imposait était à la fois son principal atout professionnel et la source essentielle de souffrances personnelles.

    Solitaire par nature, Tania avait émis le vœu de rejoindre l’agence de Lamballe, où elle se trouvait le plus souvent seule en poste. C’était ainsi qu’elle exprimait le mieux ses qualités. Dépendre de collègues, composer avec les égos et les susceptibilités allaient à présent au-delà des limites de sa patience. Il lui était plus naturel de faire face à l’adversité par ses propres moyens, d’opérer elle-même les choix qui lui semblaient les meilleurs quitte à être désapprouvée après coup par sa hiérarchie. Son binôme était pour elle une sorte de spectre. Il n’exerçait le métier qu’à 80 %, subissant la précarité grandissante d’une profession qui ne faisait plus autant rêver. Tous deux ne faisaient que se croiser.

    De surcroît, les locaux exigus de la rue principale n’étaient tenus par nul secrétaire. Le temps était aux économies dans les organisations. Mais, au regard de son expérience douloureuse passée, la suppression de ce poste n’était finalement pas pour déplaire à Tania.

    Dévalant la pente qui la rapprochait de son point de départ, le souffle court, le pas de plus en plus hésitant et à la merci d’une racine un peu trop proéminente, la jeune femme touchait au but. Trois cents bons mètres encore et elle pourrait rejoindre sa voiture. Cette dernière ligne droite était aussi la plus appréciable, visuellement. Il n’était qu’un peu plus de huit heures trente et la brume tardait à s’évanouir dans ce paysage champêtre incongru du cœur de ville. En arrière-plan, pourtant, le soleil semblait vouloir percer ce rideau quasi opaque. Sous peu, sûrement, les rayons de l’astre viendraient réchauffer le visage encore ruisselant de Tania. Cet instant serait plus précieux que les précédents…

    46 minutes et trente secondes : Tania n’avait pas tenu la cadence habituelle. Les quelque 7,5 kilomètres de son tracé préféré lui avaient paru plus longs. L’hiver, ses sorties étaient davantage destinées à l’entretien de sa condition physique qu’à la quête d’un nouveau temps de référence.

    La jeune femme marchait à présent, pour accélérer sa récupération et limiter les effets insidieux de l’acide lactique. Elle avait lu ce conseil dans une de ces revues quelconques qui vous font patienter dans une salle d’attente. Mais force fut de reconnaître qu’il se révélait diablement efficace.

    Il était temps, désormais, de renouer avec la réalité. Trois minutes après avoir hâtivement stoppé le chronomètre de son application mobile, Tania porta un regard plus attentif sur son téléphone. Deux appels en absence et un message vocal de Clarisse Vauthier, l’une des correspondantes de la rédaction locale de L’Armoricain. À cette heure-ci, forcément une urgence.

    Tania hésita toutefois deux ou trois secondes mais finit par porter son mobile à l’oreille. Son visage se crispa soudain. Les mots prononcés par son interlocutrice poussèrent Tania à reprendre une course effrénée vers sa voiture.

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