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Contre vents et marais: Roman policier
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Contre vents et marais: Roman policier
Livre électronique274 pages3 heures

Contre vents et marais: Roman policier

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À propos de ce livre électronique

Jacques Rougeaud, propriétaire d'un empire, est retrouvé noyé. Pour Léna Korzybski, journaliste, cela n'a rien d'un accident ou d'un suicide...

Jacques Rougeaud fait la pluie et le beau temps à la préfecture, il tient les rênes de la Chambre d’Agriculture et empile les hectares comme d’autres bâtissent des empires. Les rivières s’assèchent, le glyphosate empoisonne et la construction de dix-neuf bassines agricoles défigurent le marais. Le destin est parfois sans pitié et l’insubmersible Jacques Rougeaud finit noyé dans une bassine. Accident ? Suicide ? Meurtre ? Les gendarmes ne peuvent pas trancher, la municipalité s’empresse de rendre hommage à ce géant de la terre. Léna Korzybski, journaliste de l’Écho, décide de reprendre l’enquête à zéro. Après tout, elle a suffisamment d’expérience pour savoir que toute guerre de l’eau entraîne des dommages qui n’ont rien de collatéraux.

Découvrez cette enquête haletante et les secrets qu’elle recèle. Une fois commencé, vous ne pourrez plus vous arrêter  !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1973 à Niort, Nicolas Marjault a fondé avec Nicolas Bonneau le Théâtre d’Alice, compagnie professionnelle basée depuis 1998 à Nantes. Titulaire d’un poste d’Histoire des Arts au lycée Jean Macé de Niort, il fut aussi adjoint à la culture de la ville de 2008 à 2014. Auteur de deux polars remarqués (Nulle part à Niort, La Geste, 2016 / Niort par-dessus tout, La Geste, 2018). Depuis 2015, il dirige un collectif de théâtre lycéen dont les créations (Morty, Festival Off Avignon 2018 et 7 minutes, Festival de Brioux 2019) bénéficient du soutien de la Scène Nationale Le Moulin du Roc. En 2020, il a co-écrit avec Nicolas Bonneau et mis en scène le spectacle Mes ancêtres les Gaulois (Lansmann Editions, 2020) diffusé par la compagnie La Volige.
LangueFrançais
Date de sortie19 mars 2021
ISBN9791035311216
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    Aperçu du livre

    Contre vents et marais - Nicolas Marjault

    Prologue

    Au commencement était Lena

    « La Ménagère »

    Appartement de Léna Korzybski

    Rue Victor-Hugo

    Niort

    Samedi 1er février 2020

    15H00

    [J-44]

    Alors qu’elle émergeait péniblement de sa sieste, Léna était tombée sur ça.

    « Madame, Monsieur,

    L’ensemble des conseillers municipaux ainsi que le maire et président de la Communauté d’Agglomération du Niortais ont l’immense plaisir de vous convier à l’inauguration du square JACQUES ROUGEAUD, vendredi 21 février 2020 à 18H00.

    Situé au cœur de ce vaste projet de réhabilitation

    de l’ancienne friche Boinot, ce square verdoyant fera

    la part belle à… »

    Ce message n’avait rien d’énigmatique. Un carton d’invitation longiligne qu’elle avait machinalement fixé sur la porte du frigo quelques jours plus tôt, à l’aide d’un magnet glané dans un paquet de Spécial K qui n’avait de « fitness » que le nom. Les communicants étaient décidément incorrigibles. Leurs mots bombaient le torse mais ne tenaient jamais leurs promesses. Ce n’était pas qu’ils nous mentaient, c’était juste qu’ils n’y croyaient plus aux lendemains qui chantent. Alors plutôt que de nous laisser tomber comme des vieilles merdes en rase campagne, ils s’obligeaient à nous dire ce que nous avions envie d’entendre. Histoire qu’on s’entretienne un peu, qu’on fasse comme si notre agenda des jours perdus avait toujours un semblant de sens.

    Léna avait entamé 2020 comme tout le monde, fatiguée. Janvier n’effaçait jamais les ardoises de l’année écoulée. Elle venait de changer sa photo de profil sur son compte Facebook et les douze « likes » qui avaient suivi, n’avaient guère suffi à la rassurer. La quarantaine se profilait au sens propre comme au sens figuré. Elle vivait seule et peinait à se souvenir du dernier jour où elle avait considéré cette solitude comme une liberté. Elle dormait de plus en plus mal et s’efforçait de comprendre pourquoi le sommeil, lui aussi, l’avait quittée. La rupture avec Amélie sans doute, son départ sans cesse repoussé pour Paris ou tout simplement l’infinie succession des jours gris. Ce n’était jamais évident de recoudre ses nuits quand on éprouvait le sentiment diffus d’avoir un peu perdu le fil de sa vie.

    Léna était comme tout le monde. Lorsque le vase menaçait de déborder, elle parait au plus pressé quitte à se satisfaire d’expédients. Pas plus tard que ce matin, elle s’était réveillée dans de sales draps aux bras d’une fille démolie par la vodka et alors que son entretien d’embauche à la rédaction du Monde n’avait été qu’une formalité, elle venait de repousser, une fois encore, la signature de son contrat de travail. Tant qu’à ses nuits sans sommeil, elle tentait vaguement de les compenser par des siestes qui n’avaient rien de réparatrices. Le protocole était identique pour chacune d’elles. Elle commençait par dénicher sur le net un classique du cinéma en espérant s’effondrer de lassitude au beau milieu du film. Ce samedi après-midi là, elle avait opté pour Les Oiseaux d’Hitchcock. Elle avait posé son ordinateur portable sur la table basse et s’était confortablement allongée sur le Canapé Club de son salon, un plaid remonté jusqu’à la taille. Après Love story, Les Oiseaux furent sans aucun doute le film le plus diffusé du monde et Léna se souvenait même du générique où l’ombre des corbeaux servait de toile de fond à la présentation du casting. Une romance, un thriller. Instinct de vie, instinct de mort. Nos goûts nous ramenaient toujours à notre propre animalité.

    Léna s’était endormie peu après quatorze heures, le cerveau saturé de plans d’oiseaux dressés sur des fils électriques. La scène de l’école s’était répandue comme du poison dans les replis de son sommeil profond. Une cour de récréation, Tippie Hedren¹ assise sur un banc de bois avec une cage à écureuil en arrière-plan. Un premier corbeau qui se perchait sans bruit au sommet de la structure métallique, suivi d’un petit groupe bien décidé, lui-aussi, à en découdre avec le chœur d’enfants. Les corbeaux volaient désormais dans l’inconscient de Léna laissant planer dans leur sillage, leurs cris rauques, leurs penchants nécrophiles et toute une imagerie noire peuplée de croque-morts, de secrets inavoués et de calamités moyenâgeuses.

    Finalement, Léna était comme Hitchcock. Elle sous-estimait l’intelligence des corbeaux. Elle les croyait incapables de la moindre compassion. Elle passait à côté de l’espèce la plus opportuniste qui soit et la plus clairvoyante sur ce que nous étions devenus. Il aurait fallu être viking ou amérindien pour déceler derrière ce vol noir, le message bienveillant des Dieux. Léna était d’origine polonaise et avait grandi sous l’oppression d’un seul Dieu qui voyait d’un sale œil ce volatile de Babylone. Sa sieste ne pouvait que virer au cauchemar. Elle s’éveilla en sursaut, une quarantaine de minutes plus tard. Le film défilait toujours sur l’écran. Pendant la dernière demi-heure, Hitchcock basculait sans scrupules dans l’horreur. La maison des Brenner était assiégée par les oiseaux et Tippie Hedren martyrisée comme jamais. Les coups de becs et de griffes qui s’abattaient sans relâche sur le doux visage de Tippie, c’était la vengeance personnelle d’Hitchcock. La revanche d’un mâle dominant que la toute jeune actrice avait osé éconduire dès les premiers jours du tournage. Elle l’avait d’ailleurs payé cash par une hospitalisation et quatre jours d’arrêt de travail. Même si elle demeurait encore dans le coltard, Léna était suffisamment lucide pour savoir que pas grand-chose n’avait changé depuis. D’autres Alfred tyrannisaient de nouvelles Tippie. Au moins, les corbeaux pouvaient plaider les circonstances atténuantes. Après tout, Hitchcock ne leur avait pas donné le choix.

    Il était quinze heures. Trop tard pour déjeuner, trop tôt pour goûter. En fin d’après-midi, Léna devrait se rendre au pot de départ organisé par ses collègues de L’écho. Il était sans doute inutile de leur dire qu’elle venait d’envoyer promener une fois encore son futur employeur. Si en plus, elle ne touchait pas aux amuse-gueules, nul doute que le pot tournerait au fiasco. Léna finit par se résoudre à prendre le chemin du frigo. Elle était toujours entre deux eaux. Elle reconnut à l’oreille le générique des Oiseaux. Elle se souvint alors que le mot « fin » n’apparaissait pas sur l’écran comme s’il était écrit que jusqu’à la fin des temps, les humains auraient des comptes à rendre aux corbeaux. Léna s’apprêtait à ouvrir la porte du frigo lorsque son propre film stoppa net, sans prévenir. C’était comme si elle avait manqué d’un coup de bande passante, comme si les flux d’octets ne remontaient plus à son cerveau, comme si elle avait appuyé sur pause, instinctivement, les yeux bloqués sur ce carton d’invitation fixé sur la porte du frigo.

    Elle avait buggé sans savoir pourquoi. Le lettrage était anodin, l’illustration convenue et un collégien aurait pu faire la mise en page. Quelque chose de plus insidieux avait frappé son esprit mais elle ne voyait toujours pas quoi ? Peut-être cela tenait-il au moment choisi pour l’inauguration du square ? Après tout, à moins d’un mois des municipales, il fallait oser. L’hypothèse était plausible mais tellement secondaire à ses yeux. Le maire était candidat à sa propre succession et ses rares adversaires s’étaient depuis longtemps résignés à faire de la figuration. Elle avait peut-être tiqué sur le lieu. Les Usines Boinot étaient mortes deux fois. Une première fois avec la fermeture de la chamoiserie au tournant des années quatre-vingt-dix, une seconde avec la délocalisation du Centre National des Arts de la Rue en 2016. Finalement, Niort avait eu aussi peu d’empathie pour son passé industriel que pour ses artistes contemporains. L’hypothèse était séduisante mais Léna savait que ces batailles étaient bel et bien perdues. Non, ce n’était pas cela. Il y avait quelque chose de bien plus vénéneux qui transpirait de ce carton. Son nom peut-être. Jacques Rougeaud, un nom majuscule aux côtés duquel des mondes minuscules faisaient semblant d’exister. Le gros Rougeaud comme elle le qualifiait quand il était encore vivant. Un mâle bien viril, une des plus grandes fortunes des Deux-Sèvres bâtie sur des centaines d’hectares de terres agricoles. Un agri-manager dopé aux fonds européens qui avait fini le bec dans l’eau, noyé dans une bassine agricole. Un accident tellement bête qu’il aurait pu être vrai. C’était en tout cas l’avis le plus largement partagé au sein de la gendarmerie même si de nombreuses zones d’ombre entouraient toujours cet étrange décès.

    Léna était parfaitement réveillée désormais. Il lui était impossible de se détacher du carton d’invitation. Elle en était presque sûre à présent. C’était la photographie qui l’avait faite dérailler. La composition n’était pas sans rappeler les peintures de propagande stalinienne à la gloire de l’irrigation. On y voyait le grand Jacques aux commandes de son ensileuse à maïs, le pouce dressé vers un ciel sans eau, gai comme un pinson disparu avec les dernières haies du marais. Culte du travail, culte de la machine, culte des rendements, tout y était. Tout, sauf l’assèchement du marais, les épandages de glyphosate et l’extinction progressive de la biodiversité. Le petit père des épis de maïs promettait de nourrir le monde et le marais n’en avait fait qu’une bouchée, englouti sous des eaux qu’il s’était pourtant juré de pomper. Ironie du sort ou vengeance des dieux, qui pouvait le savoir ? Les corbeaux, peut-être…

    Alors qu’elle ouvrait enfin la porte du frigo, Léna ne put s’empêcher de penser que ces oiseaux de malheur étaient bien moins nécrophiles que les journalistes. Une chose était sûre en revanche, si Le Monde pouvait attendre, les jours du marais, eux, étaient comptés.


    1. Nom de l’actrice qui joue le rôle principal dans le film.

    PREMIÈRE PARTIE

    « à part ça, ma vie était belle, elle était belle

    ma vie, quand tu l’habitais sans me massacrer. »

    Fabrice Melquiot, Maelström, 2018

    Chapitre I

    Faux départ

    L’écho Républicain

    Place de la Comédie

    Niort

    Samedi 1er février 2020

    18H30

    [J-44]

    On aurait pu voir dans leurs yeux, l’horizon sans relief d’un désert de sel.

    Le temps était comme suspendu. Les portables et leurs lots de notifications dénuées de sens ne parvenaient même plus à divertir la rédaction de L’écho. Jean Lobe, le rédac’ chef, pouvait toujours tourner et retourner mille fois sa langue dans sa bouche, la légèreté des flutes de plastiques n’y changerait rien. Les sourires convenus semblaient au contraire surligner la puissance d’un déni qui les malmenait tous. Tant qu’aux tourteaux fromagers pourtant minutieusement prédécoupés, ils étaient apparus d’emblée bien trop lourds à digérer pour la plupart des journalistes qui patientaient autour de la grande table ovale du sacrosaint bocal. C’était désormais une certitude. Léna Korzybski quittait L’écho et même si la nouvelle n’avait rien d’un scoop, la pilule était au moins aussi dure à avaler que la spécialité locale qui narguait de sa croûte noire et de son cœur blanc les estomacs noués du service politique de la rédac’.

    En pareilles circonstances, la mécanique bien huilée qu’était L’écho Républicain s’en remettait toujours à ses bons vieux rouages hiérarchiques et même si Jean Lobe aurait bien refilé sa place à n’importe qui, à commencer par Amélie, l’ancienne concubine de Léna, il savait mieux que quiconque qu’il n’y couperait pas. Il était condamné à lever son verre plus haut que les autres, à forcer l’assurance de sa voix et à étirer son sourire jusqu’aux oreilles. Le bonheur ne se commandait pas plus que les discours de fin de repas. Jean Lobe n’avait plus qu’à faire comme tout le monde, illusion. à l’instar de Reflex et Marchand qui sur-jouaient depuis de longues minutes leur numéro de Laurel et Hardy, toute la rédaction s’efforçait de faire comme si rien n’allait changer alors que tous étaient persuadés du contraire.

    Laurel, c’était Réflex, la grande tige dont le surnom rappelait qu’avant d’être cet éternel adolescent faussement maladroit, il demeurait d’abord et avant tout un redoutable chasseur d’images. Hardy, c’était Marchand. Un journaliste entre guillemets. Un quinqua grassouillet bien plus has been que vintage qui avait surtout une fâcheuse tendance à confondre ragots et infos. Comme Jean Lobe ressemblait de plus en plus à une statue de cire, le silence ne couvrait plus les messes basses de Réflex et Marchand. Pour Laurel, Léna était le rayon de soleil de la rédac’. Pour Hardy, elle n’était qu’un déluge aux allures de catastrophe humanitaire. Reste que pour l’un comme l’autre, c’était bien l’insoutenable légèreté de la météo qui risquait de leur faire cruellement défaut.

    Léna Korzybski partait à la fin du mois pour Paris et c’était comme si la tectonique des plaques abandonnait les plaines niortaises à leurs plates actualités. Assurément, les sautes d’humeur de Léna ne manqueraient à personne mais ses entorses répétées au conformisme journalistique allaient rappeler à tout un chacun que lorsqu’un volcan s’éteignait, c’était toute une ville qui plongeait dans le sommeil. C’était sans doute pour cela et pour tant d’autres choses encore que Lobe n’en finissait plus de repasser ses mots sous sa langue pour en chasser l’amertume. Il avait beau sourire à l’idée de voir débarquer la louve indomptable dans la bergerie du Monde, cela ne suffisait en aucune manière à le consoler d’un départ légitime qu’il vivait comme un abandon.

    Pour celles et ceux qui en doutaient, il était dix-neuf heures précises. Le verdict des cloches de l’église de Notre Dame venait de tomber et personne n’en avait laissé échapper un seul coup. Jean Lobe allait se racler bruyamment la gorge pour imposer le silence à l’ensemble de la rédac’ lorsqu’il se rendit compte que plus une seule mouche ne volait entre les vitres du bocal. Enfin, c’était ce qu’il avait fini par comprendre en lisant sur les lèvres d’Amélie qui ne cessaient d’émettre des « vas-y » alors que sa flute de champagne tendue vers le plafonnier avait achevé d’ankyloser son avant-bras.

    Amélie avait tout pour elle, l’aisance intellectuelle et le charme de celles qui n’y prêtent aucune attention mais ce qu’elle n’aurait jamais, c’était l’obstination matinée d’insolence qu’avait Léna. Un aller simple pour le danger, un trajet sans bagages mais tout en intensité. Alors, rien que pour libérer Léna d’un cérémonial pantouflard qu’elle ne pouvait qu’exécrer, Lobe devait absolument remettre l’histoire en route. « Vas-y Jean ! Lisse tes moustaches comme au bon vieux temps. Verse ta larmichette si tu veux. Enquille les flutes au besoin mais parle s’il-te-plaît. Brise le silence comme n’importe quel prince venu pour rompre un enchantement. » Amélie devait aussi avoir un don pour la télépathie car Jean finit enfin par se lancer.

    Jean Lobe : « Cinq années… C’est beaucoup et à l’évidence, c’est trop peu… Beaucoup si l’on songe au nombre de portes dégondées, aux nuits passées en garde à vue ou en garde-malade selon que tes pas te portaient à croiser les gendarmes ou les voleurs… Mais cinq années, c’est aussi… »

    Léna Korzybski : « Ne te fatigue pas Jean. Le speech, on s’en cogne. Dis-moi plutôt si cela t’emmerde si je reste un mois de plus. Je sais, ce n’est pas ce que je t’ai dit la semaine dernière. Mais là, j’ai un truc sur le feu. Le genre de truc que tu ne laisses pas derrière toi après avoir monté dans le TGV. Je dis truc parce que tu n’aimes pas quand j’utilise le bon mot pour décrire cela. Truc, cela m’a paru plus sérieux, enfin journalistiquement parlant. »

    Marchand : « Et merde, manquait plus que ça ! La nouvelle star va encore nous servir une de ces putains d’intuition. Jean, tu peux filer à la compta, on va jeter de l’heure sup’ par les fenêtres… Tant qu’à toi Rémi, je peux te conseiller un bon avocat pour le divorce, vu que tu viens juste de promettre à ta donzelle que la Polak faisait ses valises et que tu serais enfin dispo pour changer les couches du marmot. »

    Lobe était resté bouche bée. Amélie avait les yeux qui brillaient encore plus qu’à l’accoutumée. Tant qu’à Rémi, le bizuth de la rédac’, c’était comme si on l’avait réanimé d’un coup après des années de coma artificiel. Même Réflex s’était risqué à un coup de coude approximatif sur la bedaine de Marchand… La famille de L’écho avait soudainement repris des couleurs et si Léna n’avait pas immédiatement repris la parole, tout portait à croire que les tourteaux fromagers n’auraient pas survécu à la razzia annoncée.

    Léna Korzybski : « Donc on est d’accord Jean. Un mois, pas plus. Le temps pour moi de replonger dans les bassines. Ah oui, autant vous le dire tout de suite avant que vous ne vous fassiez des films, je réouvre le dossier Rougeaud. Personne n’y voit d’inconvénients ? Tant mieux. Bon, je ne sais pas vous mais moi, j’ai du taf. Allez, salut les nases. »

    Elle aussi en avait fait des tonnes jusqu’à claquer la porte du bocal alors que personne ne s’était opposé à quoi que ce soit mais aujourd’hui, il fallait qu’il en soit ainsi. Que le pot de départ que personne ne souhaitait, débouche sur une ligne de départ que tout le monde allait forcément regretter. Les bassines, c’était un nid à merdes et ça, à la rédac’, personne n’en doutait. Il faut dire que les « retenues de substitution » pour parler comme les services de la préfecture, personne n’en avait voulu à part les gros céréaliers du coin. « No bassaran » hurlaient les écolo-gauchistes plus ou moins sanguins, « vous nous bassinez » répondaient en écho les irrigants shootés aux pesticides. Et au beau milieu de la bataille de l’eau, par une belle nuit du mois d’août 2019, le marais avait perdu le Moïse de l’agriculture locale, Jacques Rougeaud, le pilier de la FDSEA², mort noyé dans une retenue de substitution peu après être sorti fin bourré de L’Apollon, le bar de Mauzé-sur-le-Mignon. Accident ou suicide, six mois d’enquête n’avaient pas permis à la gendarmerie locale de trancher. Ce qui tombait bien puisque trancher, c’était ce que Léna faisait le mieux.

    Jean Lobe : « Personne n’y voit d’inconvénients ? »

    Il avait répété cette phrase à voix haute pensant qu’il se la disait à lui-même et toute la rédaction avait fait comme si de rien n’était. Tous étaient pourtant intimement convaincus que Léna allait mettre le feu au marais mouillé. Tous le savaient mais tous en redemandaient. Tous anticipaient la houle et les nausées mais plus aucun d’entre eux n’imaginait encore faire ce métier en rêvant d’une mer d’huile sous une pétole molle. En quelques années, avec son petit mètre soixante, ses yeux noisette et sa frange blonde taillée à la serpe, Léna Korzybski les avaient radicalement transformés.


    2. Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles

    Chapitre II

    Laure

    Domicile de Laure Le Guen

    Quai Métayer

    Niort

    Dimanche 2 février 2020

    7H00

    [J-43]

    Après un été caniculaire, octobre avait sonné la revanche des jours mouillés et dès le 16 décembre, la Sèvre était sortie de son lit. Aujourd’hui encore, il bruinait depuis l’aurore et le fleuve flirtait de nouveau avec sa cote d’alerte. Encore deux trois averses et les eaux boueuses

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