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LES CINQ SAISONS DE L'AVENIR QUI ARRACHAIT DES PERLES DE SANG
LES CINQ SAISONS DE L'AVENIR QUI ARRACHAIT DES PERLES DE SANG
LES CINQ SAISONS DE L'AVENIR QUI ARRACHAIT DES PERLES DE SANG
Livre électronique396 pages5 heures

LES CINQ SAISONS DE L'AVENIR QUI ARRACHAIT DES PERLES DE SANG

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À propos de ce livre électronique

Au dépotoir de L’Avenir, on trouve par hasard un corps démembré, puis d’autres corps provenant des Zones tribales. On découvre aussi un collectionneur avide de perles de sang, un faux-monnayeur vendeur d’armes et même une fillette mise au jeu pour couvrir des dettes.
Telles sont les enquêtes que doit mener N’guyen, une cheffe de police hors-norme qui vient d’adopter des jumelles séparées à la naissance. Elle est appuyée par O’Bom qui a pris sa retraite.
Par ailleurs, plusieurs menaces planent au-dessus de la cité-État endettée de L’Avenir. D’abord celle provenant du ghetto, toujours en ébullition, ensuite celle des Territoires cantonaux avec Richmond comme épicentre, enfin celle de sa puissante voisine L’Hériotte qui veut l’annexer.
Qui arrachait des perles de sang est un polar hybride à forte teneur sociale. Servi par une bonne dose d’humour involontaire, ce roman met en scène des personnages attachants qui sauront faire passer le lecteur par toute une gamme d’émotions.
LangueFrançais
Date de sortie18 oct. 2022
ISBN9782897756895
LES CINQ SAISONS DE L'AVENIR QUI ARRACHAIT DES PERLES DE SANG
Auteur

Michel Bélil

Michel Bélil propose une série policière qui met en scène quelque deux cents personnages dans une cité-État appelée L’Avenir. Chaque tome se lit séparément. L’auteur a déjà publié chez d’autres éditeurs deux romans, trois recueils de nouvelles, tout en participant à sept anthologies professionnelles. Il a obtenu les prix Boréal du meilleur roman et du meilleur recueil fantastique. Il a aussi remporté le prix Septième Continent. Il est revenu à la fiction avec une 101e nouvelle dans la revue Solaris. Sa novella inédite À fond de train peut être lue dans son blogue. Elle constitue une incursion dans l'univers réaliste d'une petite ville de l'Estrie, Richmond, avec meurtre à la clé.

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    LES CINQ SAISONS DE L'AVENIR QUI ARRACHAIT DES PERLES DE SANG - Michel Bélil

    Les Cinq saisons de L’Avenir

    Qui arrachait des perles de sang

    Michel Bélil

    Une image contenant texte Description générée automatiquement

    Conception de la page couverture : © Les Éditions de l’Apothéose

    Image originale de la couverture : Shutterstock 1066444316

    Sauf à des fins de citation, toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur ou de l’éditeur.

    Distributeur : Distribulivre  

    www.distribulivre.com  

    Tél. : 1-450-887-2182

    Télécopieur : 1-450-913-2224

    © Les Éditions de l’Apothéose

    Lanoraie (Québec)  J0K 1E0

    Canada

    apotheose@bell.net

    www.leseditionsdelapotheose.com

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2021

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives Canada, 2021

    ISBN : 978-2-89775-641-3

    ISBN EPUB : 978-2-89775-689-5

    Imprimé au Canada

    Les Cinq saisons de L’Avenir

    Qui arrachait des perles de sang

    Déjà parus :

    Qui avaient des âmes en panne

    Qui n’aimait pas comme les autres

    Qui ne faisait pas qu’écrire sur les murs

    Qui ne parlait pas comme les autres

    Qui se cherchaient là-bas et pas ici

    À paraître :

    Qui redoutaient la colère de l’an cent

    Aux résidants de L’Avenir

    Ce roman se déroule à L’Avenir. Cette cité-État est bordée :

    au nord par la cité voisine de L’Hériotte ;

    au sud par les marais et le lac Ulverton qui constituent une frontière naturelle avec les Territoires cantonaux et les Zones tribales ;

    à l’est par le fleuve Saint-François qui s’appelait autrefois, du temps des Abénakis, Arsikantegouk (rivière à cabane vide) ;

    et à l’ouest par des frontières imprécises qui ont tendance à bouger selon l’humeur belliqueuse de certains gouverneurs.

    « Défendre la loi donnait bonne conscience, mais rapportait peu. »

    (Harald Gilbers, Les Exfiltrés de Berlin)

    « Le remords ? Un plaisir qui a mal tourné. »

    (Zita Tanzanie Toutanteault, opus retrouvé)

    Table des matières

    Prologue : Celui qui s’est fait suivre jusqu’en enfer et celle qui en est revenue

    Première partie : mi-novembre

    Jour 1 : chapitre 1 Le corps qui a remonté à la surface

    Jour 1 : chapitre 2 Comme un fossoyeur de métier

    Jour 1 : chapitre 3 La salope ! La sale vache !

    Jour 1 : chapitre 4 Mille, dix mille

    Jour 1 : chapitre 5 Une vocation d’arracheur

    Jour 2 : chapitre 6 Une tête qui roule

    Jour 2 : chapitre 7 Un coup d’éclat

    Jour 3 : chapitre 8 Une fillette comme enjeu

    Jour 3 : chapitre 9 Jouer de malchance

    Jour 4 : chapitre 10 Une famille entière

    Jour 4 : chapitre 11 Des perles de sang

    Deuxième partie : mi-novembre

    Jour 5 : chapitre 12 Les affaires roulent au max

    Jour 6 : chapitre 13 En pâture aux chiens errants

    Jour 7 : chapitre 14 Pire qu’un abattoir à poulets

    Jour 7 : chapitre 15 Un parfait inconnu du ghetto

    Jour7 : chapitre 16 Toujours les vidanges

    Jour 8 : chapitre 17 Mort au bout de son sang

    Jour 8 : chapitre 18 Juste une, comme souvenir

    Jour 9 : chapitre 19 La rançon des oubliés

    Jours 9 et 10 : chapitre 20 Besoin de renfort

    Jour 10 : chapitre 21 Sale fumier

    Épilogue : Ceux qui se tiennent debout et celui qui est assis

    Plus tard : Aux dernières nouvelles

    Prologue :

    Celui qui s’est fait suivre jusqu’en enfer et celle qui en est revenue

    Une famille sans foi ni loi

    Cette fripouille-là, droit devant, je vais la suivre jusqu’en enfer ! Et, s’il le faut, plus loin encore ! Mais seulement s’il le faut.

    Je gagne du terrain. Le type vient de traverser la capricieuse rivière Ulverton qui se jette dans le lac du même nom, puis dans le fleuve Saint-François. Ici même, c’est le seul endroit où il est possible de la traverser à gué sans risquer la noyade, surtout en cette saison.

    De la rive sud, des porteurs territoriaux toussent leurs microbes avec des morceaux de poumons. Ça écœure tous les natifs dignes de ce nom. Avec leurs charrettes, ces loques humaines viennent prendre livraison de marchandises contenues dans des camions. Des camions qui proviennent de nos cités-États plus prospères. Mais en ce moment, il n’y a aucune activité commerciale, aucun achalandage. Ça arrive parfois sans qu’on puisse se l’expliquer.

    J’aperçois ses traces de pas dans la boue. Même une tache de sang sur une roche. Le salaud, il se sait poursuivi ; il en est d’autant plus dangereux. Une bête aux abois.

    Je suis accompagnée de Junior Picard. Mon jeune collègue va prendre du galon assez vite s’il peut enfin oublier, après toutes ces années, le sort réservé à son père Malachie, de si triste mémoire. Malachie Picard était policier comme nous et il avait une bonne feuille de route. À la veille de sa retraire, il a commis l’irréparable en s’en prenant à un collègue qui l’avait surpris en fâcheuse posture. Il croupit maintenant à la prison de L’Hériotte.

    Voilà, c’est fait ! Nous nous retrouvons sur l’autre rive. Il a fallu sauter d’une roche à l’autre pour ne pas nous mouiller. À partir d’ici, c’est un tout nouveau monde – très, très hostile ! – qui se présente. En d’autres mots, nous pénétrons en Zones tribales, là où, selon plusieurs légendes, les épidémiens se dévorent entre eux, ce qui n’a rien de rassurant même si ça semble trop gros pour être vrai.

    Je dis épidémiens, parce qu’ils sont soupçonnés de répandre les maladies jusque chez nous, dans les cités-États de l’amicale. On les nomme aussi Territoriaux et leur dialecte, qu’on regroupe sous le mot cantonien, est une sorte de langage pour les nuls. Jugement trop sévère sans doute.

    Ces réfugiés cherchent à s’évader de leur vie de misère soit en naviguant dans des barques poubelles sur le fleuve Saint-François, soit en coupant à pied par les marais d’Ulverton semés de mines, ou même en rampant dans les tunnels malsains qui passent sous la frontière. Quand on y pense, la vie des clandestins ne vaut pas la peine d’être vécue.

    Tu parles ! Celui que je traque n’a rien pour inspirer la pitié. C’est quelqu’un qui n’a pas d’état d’âme, quelqu’un qui fait partie d’une famille sans foi ni loi, quelqu’un en somme qui vient de tuer sans raison un jeune natif de L’Avenir. Le salopard, je dois lui mettre la main au collet et le plus vite possible !

    Avant de me lancer dans cette chasse à l’homme, j’ai quand même eu le temps d’avoir une bonne description de cette ordure, gracieuseté de madame Jaelle Janelle, ma voisine de palier. D’habitude, c’est une couche-tôt. À son grand âge, il faut comprendre.

    Chose curieuse, elle traînait au dépanneur. Je connais son vice, à cette grand-mère : les bananes ! Elle en vole plus qu’elle peut en manger. On appelle encore banane, ce similifruit, mais ce n’est pas tout à fait exact. La vraie banane, paraît-il, a succombé aux maladies. Encore une plaie qui nous est venue tout droit des Zones tribales !

    J’imagine la scène pendant que je marche un peu devant Junior. Madame Janelle se préparait à cacher des bananes sous son manteau. Au comptoir, le jeune Yannot de Tonnancourt était au courant de la manœuvre, mais il suivait la consigne du patron : il la laissait faire. Au fond, la pauvre vieille, elle ne faisait de mal à personne.

    Se tenir derrière le comptoir n’est pas toujours de tout repos. Un Territorial est entré en coup de vent. Il voulait acheter de la bière, ce qui lui est interdit par le gouvernorat. C’est comme ça : on ne vend pas d’alcool à ces tribus de barbares ! Cette mesure, plus ou moins efficace, a été prise pour éviter les émeutes.

    Sans un mot, le commis a donc remis les bouteilles dans le frigo qui fonctionne quand même la moitié du temps malgré les coupures de courant. Le pouilleux est entré dans une colère terrible. Il a montré les poings. Un peu plus et c’était la bagarre.

    Madame Janelle en tremblait d’effroi – ses bananes aussi ! –, mais beaucoup moins que le pauvre Yannot de Tonnancourt qui avait pissé dans son pantalon. Pris d’une rage folle, l’étranger a tiré quelque chose de solide en direction du jeune qui l’a reçue en plein visage. Le Territorial a claqué la porte en sortant, non sans l’avoir menacé d’une bonne raclée si jamais il venait qu’à le croiser sur son chemin.

    ***

    Le misérable, pourquoi n’a-t-il pas pris la direction du ghetto situé au cœur de L’Avenir, comme un ver rentre dans le fruit ? C’était pourtant le meilleur choix que cette crapule pouvait faire. Je lui ai peut-être coupé la voie en faisant ma dernière ronde, à moins qu’il ait douté de sa sécurité dans le ghetto. En pleine panique, il a plutôt filé vers son sud natal pour mieux se faire oublier.

    Maintenant, le clair de lune me permet de l’apercevoir au loin, avant qu’il disparaisse derrière une butte. Enfin, il me semble que c’est bien lui !

    — C’est quoi, ça ? me demande Junior qui se bouche le nez tout de suite après.

    — De quoi tu parles ?

    J’ai vraiment l’esprit ailleurs.

    — Ces bêtes-là !

    Intrigués, nous nous approchons. Alors, je constate platement :

    — Des carcasses. Le bétail a dû être décimé y’a longtemps.

    Depuis la catastrophe, au milieu des années trente, les Territoires cantonaux sont retournés à l’état sauvage. Leurs routes ont été laissées à l’abandon. Impossible ou presque de circuler en voiture. Et les chevaux ont été dévorés. Il faut marcher. C’est tout. Alors nous marchons.

    Les champs ne sont plus cultivés. Les rares maisons sont délabrées. La forêt n’est plus traversée que par des sentiers, comme au temps lointain des Abénakis.

    — Perdons pas notre temps, Junior ! Faut le rattraper !

    D’instinct, je vérifie mon arme. Junior fait de même. Nous pourrions en avoir besoin plus tôt que prévu.

    Un léger frisson me descend de la nuque jusqu’au bas du dos. Devant le dépanneur de L’Avenir, n’aurais-je pas dû attendre pour avoir du renfort ? Au lieu de quoi je me retrouve avec une recrue qui se bouche le nez pour un rien, et aux trousses d’un assassin qui en a vu d’autres.

    Sévère Sénégal – c’est son prénom – est un des six frères Toutanteault. Sur le lot, deux sont déjà morts : Prudent Papouasie et Placide Pologne le Jeune. À mon avis, c’est un bon débarras !

    ***

    Je m’explique mal comment une telle situation a pu dégénérer. Pourquoi Sévère Sénégal Toutanteault a-t-il attendu dehors, caché derrière le hangar, que le jeune Yannot éteigne les lumières et ferme le commerce ? Voulait-il s’introduire par effraction et vider le tiroir-caisse ? C’est beau l’insignifiance, mais à ce point ?

    Ça ne colle pas avec les faits. Pas vraiment. Il n’avait qu’à neutraliser le commis et qu’à entrer avec les clés. Il a peut-être manqué de temps. Au lieu de quoi, il lui a logé une balle au milieu du front. Telle est la marque de commerce du clan Toutanteault. Voilà comment ils ont tué le chef de police Honorin Lupien, que l’ex-gouverneure Boisvert a, peu après, remplacé par mon ancien patron, Joachim O’Bomsawin qu’on appelle simplement O’Bom.

    Je passais à pied dans les parages avec Junior. Ma dernière ronde avant d’aller me coucher. Tu parles ! J’ai aperçu un type s’enfuir. J’ai cru le reconnaître.

    Mais je ne me suis pas lancée à sa poursuite, du moins pas dans l’immédiat. Sinon, je lui aurais mis la main au collet en un rien de temps. Ce n’est pas l’envie de lui taper dessus qui me faisait défaut. Je me suis plutôt occupée de la victime qui se trouvait dans un état désespéré. Façon de parler : son pouls approchait du zéro à la minute.

    — Vite, Junior ! L’ambulance des Montplaisir ! Et doc Emmerich pour les miracles !

    Sous le choc, Junior s’est trompé de numéros.

    Pendant ce temps, madame Jaelle Janelle – elle ne marche pas vite à cause de ses « vieilles jambes », comme elle dit – n’avait fait qu’une infime partie du trajet la menant à son appart. En entendant le coup de feu, elle est revenue. Ça dénote un certain courage quand même, ou de la naïveté :

    — J’ai eu un mauvais pressentiment, qu’elle m’a confié peu après.

    — Vous avez bien fait. Vous pouvez me décrire l’assaillant ?

    — Pardon ? Le… qui ?

    — Le type qui a tiré.

    — Je sais pas si je devrais…

    — Pourquoi ? que je lui ai demandé, étonnée.

    — C’est pas Sawinne qui mène l’enquête ?

    Sawinne pour O’Bomsawin. Madame Janelle nomme ainsi mon ex-patron. Si on n’est pas du coin, on peut être surpris par cette manie des natifs de L’Avenir. Tenez ! Les arrière-petites-filles Montplaisir l’appellent Lobomme. Même Junior a succombé à ce mauvais penchant avec son Obeursavinne. Des fois, je me demande si ce n’est pas une forme de mépris, car O’Bom est à moitié abénakis par son père.

    La route est encore longue avant d’arriver à l’enfer de Richmond. C’est un bidonghetto à ciel ouvert, pire que le nôtre à L’Avenir. La nuit descend. Elle devrait plutôt rentrer sous terre.

    J’ai la fâcheuse impression que Sévère Sénégal gagne du terrain. Il est devant nous, c’est sûr. Parce que s’il nous attend sur un de nos flancs, il ne va pas hésiter à nous faire sauter la cervelle. Junior se retourne et scrute l’horizon à son tour : il a dû lire dans mes pensées.

    — Je lui ai succédé, que j’ai mentionné à madame Janelle.

    — Sawinne a déjà été remplacé ? (J’ai hoché la tête.) Votre nom, je vous prie ?

    Elle a conservé la politesse des anciens.

    — N’guyen, Léanille.

    — C’est pas un nom de chez nous, ça.

    — Non. De la capitale de l’Ouest.

    — Ah ! je comprends…

    Madame Janelle ne comprenait rien à rien. Encore sous le choc. Pourtant, j’habite dans le même immeuble qu’elle. Perdait-elle la notion du réel ?

    Il faut parfois faire preuve de beaucoup de patience avec les témoins âgés. À force de questions, j’ai réussi à lui arracher une bonne description du malfaiteur : cheveux noirs, front bas, nez crochu, visage ingrat. Avec les Toutanteault, c’est du sérieux. Ceux-là se ressemblent tous : racailles un jour, racailles toujours ! Mais ça m’a fait perdre un temps précieux. D’où mon retard dans ma chasse à l’homme.

    — Retournez chez vous, madame Janelle. Les secours vont bientôt arriver.

    — On se connaît ?

    — Allez vous reposer.

    — Pauvre petit. Il me laissait prendre toutes les bananes que je voulais…

    — Vous avez raison. C’était un garçon qui avait toute la vie devant lui.

    — Est-ce que Sawinne va enfin arriver ?

    Des fois, c’est dur de ne pas pousser un soupir :

    — O’Bom a pris sa préretraite, vous l’ignoriez ?

    — Il était encore si jeune…

    Elle devait confondre. Parlait-elle de mon ex-patron, ou songeait-elle au commis du dépanneur ? Ou faisait-elle allusion à quelqu’un d’autre ? J’ai haussé les épaules, impatiente de passer à l’action.

    J’ai entendu la sirène des Montplaisir. Encore une fois, les arrière-arrière-petites-filles du fondateur des pompes funèbres allaient stopper à un nez de la scène du crime, dans un nuage de poussière. Quant à Olympe Emmerich, elle devrait apparaître d’un moment à l’autre, toujours aussi calme dans la tempête. De plus, des renforts allaient venir pour sécuriser les lieux, même à cette heure tardive et même si nous ne sommes pas nombreux en service.

    — Qu’est-ce que tu fais ? a insisté Junior, qui croyait s’en tirer à bon compte.

    — Tu veux dire « Qu’est-ce qu’on fait ? » (Il m’a regardé, mais aucun son ne lui est sorti de la bouche.) On se lance à sa poursuite !

    — Là ? Tout de suite ?

    — Tu parles ! Notre boulot, c’est de jeter cette pourriture en prison. Mort ou vif. (Junior me jette un regard ahuri. Je précise ma pensée :) Façon de parler.

    Nous avons juste eu le temps de faire une razzia dans les fruits et les sandwichs du dépanneur. Pourquoi se gêner quand c’est pour la bonne cause ?

    ***

    Le clair de lune a beau faire son gros possible, il ne peut percer le ventre de la forêt. Si nous continuons à chercher notre chemin à tâtons, c’est que Toutanteault est devant, pas derrière. Il n’est pas revenu sur ses pas pour nous abattre.

    — On remet ça à demain, que je lance à l’intention de mon coéquipier.

    — C’est pas de refus.

    Il croit peut-être que nous allons rebrousser chemin. Je m’arrête devant une grange qui tient encore debout par miracle : enlevez-lui une seule planche, un seul clou et elle s’effondre comme un château de cartes. Mais rien n’est parfait en ce bas monde : des souris grises colonisent le bâtiment. Je les entends grignoter dans ce qui reste des murs et du plafond.

    À bout de force, nous repérons un coin sec pour dormir au chaud. D’habitude si timide au travail, Junior se colle le ventre à mon dos, en petites cuillères comme on dit. De sa main libre, il me caresse ensuite les seins puis, ne m’entendant pas protester, il descend les mains jusqu’à mon ventre. Il ne semble pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. Est-ce l’obscurité ou une trop longue abstinence qui lui donne une telle audace ?

    Je dois réagir avant qu’il soit trop tard. À mon tour, j’explore son bas-ventre. Comme je le craignais, il est bandé. Moi aussi d’ailleurs. Mais je ne veux pas que ça se sache. Je suis une frodite anonyme qui se cache.

    J’ai les deux sexes. Pour certains, c’est mal vu ; pour d’autres, plus nombreux, ça attire le malheur. Il n’y a pas si longtemps, on les a même condamnées au bûcher, ces frodites maudites. Le monde dans lequel je vis n’est pas encore sorti de la grande noirceur.

    Si ce n’était que de lui, il me sauterait avant de tomber mort de fatigue. J’y prendrais sûrement plaisir. Sauf qu’il aurait la surprise de sa vie.

    Il me faut rester prudente, et ce n’est pas ma réputation que je défends. La sienne, plutôt. En outre, je ne veux surtout pas qu’il apprenne mon secret, lui si bavard. Si ça s’ébruitait, j’en serais quitte pour risquer de perdre ma réputation et mon emploi.

    Je le repousse avec douceur en prétendant que ce n’est ni le lieu ni l’heure pour qu’il se livre à des ébats avec sa supérieure. Nous le regretterions plus tard. Il n’insiste pas. Je suis presque déçue, car je commençais à faiblir.

    Nous mettons du temps avant de trouver des miettes de sommeil. Il s’est retourné afin de créer un peu de distance entre nous. Est-ce qu’il boude ? Il devrait plutôt me remercier. Je le sauve d’une profonde déception.

    La merveille de Richmond

    Quel sale trou à rats ! J’aurais cru le bidonghetto de Richmond plus animé par le passage incessant des irréguliers en route vers le nord, en somme vers l’amicale, synonyme de paradis à leurs yeux. La guilde des passeurs sans scrupules trouve la combine payante : moyennant un passage incertain et dangereux, tous profitent des maigres économies de ces déguenillés.

    La filature à pied nous a épuisés. J’imagine que Sévère Sénégal Toutanteault l’est tout autant que nous. En ce moment, il doit vouloir se faire oublier dans les environs, conscient qu’il est poursuivi, que sa tête est mise à prix, qu’il vaut plus cher mort que vif.

    En s’approchant de l’enfer de Richmond, c’est l’odeur qui prend à la gorge, lourde, écœurante, fétide. De quoi vomir ses tripes. Des corps doivent se décomposer quelque part. Ensuite, c’est la fumée âcre qui s’échappe des décombres. Que brûle-t-on ? Plutôt, qui brûle-t-on ?

    Les survivants ont arraché la plupart des planches pour se faire un feu, se réchauffer et cuisiner on ne sait quelle pâtée peu ragoûtante. Les arbres sont rares pour les mêmes raisons. Si les briques pouvaient brûler, on les mettrait à chauffer.

    Depuis l’aube, nous avons parcouru une dizaine de kilomètres sans rencontrer âme qui vive. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de Territoriaux qui se dissimulent dans les buissons. De vrais cannibales ! Ils ne sont pas armés, eux, et nous savons nous défendre.

    À un moment donné, le sentier plus ou moins asphalté que nous suivons est traversé par des rails, oui, des rails ! C’est un vieux mot qui ne veut plus dire grand-chose. (Sauf quand on parle de quelqu’un qui déraille. Alors là, on comprend tout de suite.) Non, mais quelle idée ! Nous nous arrêtons, un peu étonnés.

    Une sorte de pont totalement hors d’usage, c’est-à-dire une structure qui a râlé ses derniers râlements, attire mon attention. C’est la première fois de ma vie que je vois un viaduc – oui, un viaduc ! – moi qui croyais que c’était pure invention. Ça m’émeut de vivre ce moment historique.

    Cette carcasse métallique rejoint l’autre rive du fleuve, là où se dressait, autrefois, un château improbable qu’on appelait Wales Home, si ma mémoire m’est restée fidèle. On n’aperçoit plus maintenant que ses fondations cariées, comme si c’étaient des chicots dans une bouche ouverte. Les tribus des Zones ont dû piller depuis longtemps ce qu’il restait de meubles pour se chauffer.

    D’après certains récits de voyageurs, un train s’arrêtait au château hanté de Wales Home pour charger des vieillards comme de la marchandise en vrac. Dans le plus grand des silences, le train disparaissait à tout jamais, lui et sa cargaison apeurée. En fait, non ! Il revenait pour une autre mission. Les vieillards qui y habitaient encore en étaient marqués à jamais.

    Dans ces territoires dévastés par les guerres et les famines incessantes, où même un rat vaut son pesant de viande, seules les légendes jamais ne meurent. Au contraire, elles prennent de l’embonpoint puisqu’elles se nourrissent de la terreur.

    Richmond me fait le plus mauvais effet. Je vais le signaler dans mon rapport.

    Junior et moi, nous longeons ensuite un semblant de rue cabossée, boueuse et trouée. Comment s’appelait cet endroit autrefois ? Il me semble que c’était Melbounne ou Merboune. Encore un nom difficile à prononcer, comme tout ce qui touche à ces peuplades nomades.

    Le cœur me serre. Encore un peu et il va jaillir hors de ma poitrine.

    Personne nulle part. Le silence est à couper au couteau. Est-ce une ruse ? Un guet-apens ? Mon sixième sens me dit que nous sommes espionnés, suivis du regard par des silhouettes tapies dans leurs cachettes, là – oui, là ! – derrière des rideaux qui s’accrochent encore à des vitres encrassées. Ça se voit que nous ne sommes pas des leurs, que, civilisés et mieux habillés, nous provenons des cités-États de l’amicale.

    Je n’aurais pas dû entraîner Junior dans cette folle aventure aux confins du monde connu. Est-il trop tard pour quitter les Zones tribales ? Je me tourne vers Junior : il ne demanderait que ça, lui. J’en suis convaincue.

    — Sors ton arme, que je conseille à mon compagnon. À la moindre menace, on tire dans le tas. Après, on s’informe.

    Si je tue, je ne dois surtout pas me comporter comme les épidémiens qui, au menu, consomment de la chair humaine en pâtée ou en moulée. Et hop ! dans le fleuve Saint-François, les cadavres ! Qu’ils aillent nourrir les poissons et autres créatures ayant survécu aux déluges et aux sécheresses ! Comme ces hocquenouilles, une cochonnerie de ver mi-machine mi-bestiole. Nous vivons dans un monde qui a perdu toute commune mesure.

    Notre allure s’en trouve ralentie. Partout, la désolation. Bien au-delà de ce que nous aurions pu imaginer dans nos pires cauchemars. Je plains les téméraires qui s’y aventurent à leurs risques et périls. Que viennent-ils chercher en ces terres dévastées ?

    Un vent s’amuse à faire rouler, devant nous, un bout de carton noirci aux quatre coins. Derrière nous, une sorte de cliquetis qui devient agaçant. Je me retourne, plus que jamais sur mes gardes. Un chien errant, collier au cou et chaîne de métal traînant par terre, traverse la rue en boitillant. Il n’a que la peau et les os. Dans sa gueule, sa récompense : un morceau de viande qui a la forme troublante d’un pied.

    ***

    À une intersection, je crois enfin pouvoir me situer. Bien entendu, nous venons du nord. Plus au sud, ce sont les steppes arides qui aboutissent à Brooke, une capitale en devenir. À l’ouest, les terres inconnues où règnent des gouverneurs paranos. Pas le choix : il faut tourner à l’est.

    Quelques dizaines de pas encore. Devant nous se dresse alors la merveille de Richmond. Souvent décrite par des récits de voyageurs, même dessinée à la va-vite, rarement admirée de visu par les natifs. Oui, le pont de fer MacKenzie serait le seul qui enjambe encore le fleuve Saint-François. Partout ailleurs, il faut affronter les courants ou, pire, s’enfoncer au plus profond des Zones tribales sans être sûr de revenir avec tous ses morceaux.

    Les photos d’époque, que j’ai pu consulter à la bibliothèque nationale, dans mes moments libres, n’ont que peu de rapport avec la réalité. La merveille de Richmond a pris un solide coup de vieux. Des poutres d’acier pendent dans le vide, grincent, souffrent et se lamentent. Au centre, il y a un gouffre qu’il faut pourtant franchir en sautant. Même atteinte de rouille et gravement malade, la merveille refuse de se rendre.

    Nous empruntons le chemin défoncé qui mène à la carcasse de fer. Pendant un bon moment, nous restons là, bras ballants, indécis, à la limite du découragement. Comment atteindre l’autre rive ? À la nage ? À bord d’un radeau de fortune ? Aussi bien affronter la mort et toucher le fond avec ces dangereux remous qui aspirent à eux tout ce qui a le malheur de flotter.

    — Je pense qu’on peut encore traverser, que je confie à Junior, tout en cachant mal un doute.

    — Ah oui ? Comment ? On va plutôt se casser le cou. C’est la noyade qui nous attend.

    Nous étudions ce qu’il reste du pont : le strict minimum. Les gens peuvent encore circuler à pied d’une rive à l’autre, c’est du moins ce que je suppose.

    Soudain, sans que nous l’ayons vue venir, une fillette crottée de la tête aux pieds passe devant nous en pressant le pas, craintive, et poursuit sa route, tête basse, en évitant de nous regarder, comme si elle craignait que nous lui jetions un mauvais sort. Après tout, elle connaît peut-être un truc d’acrobate pour franchir le fleuve. Elle ne nous laisse pas le temps de l’interpeler.

    Sans hésiter, la petite choisit d’attaquer l’ouvrage par sa droite. Un pied ici, une main là, un triple saut comme si c’était un jeu d’enfant, une contorsion périlleuse, debout sur le tablier, à gauche maintenant. Elle semble danser en l’honneur de la merveille de Richmond. À déconseiller à tous ceux qui souffrent de vertige, à tous ceux aussi à qui manque une main libre pour s’agripper au bon endroit au bon moment.

    — On y va ? que je fais en me prenant pour une artiste de cirque.

    Junior sait choisir son heure pour se montrer galant :

    — Toi la première, N’guyen…

    Plus aucun mot ne se dit par la suite. L’important, c’est de reproduire la chorégraphie aérienne de la petite et, forcément, de ne pas regarder sous nos pieds.

    Oups ! Un bout de ferraille d’une grosseur capable d’assommer n’importe qui lâche la poutre centrale et me frôle l’épaule en tombant. Il va se perdre dans les profondeurs du fleuve. Je ne récolte qu’une bonne frousse et qu’une égratignure. J’en remercie le ciel.

    Derrière moi, j’entends mon collègue respirer avec difficulté. Allez, un autre effort. Encore un autre. Nous y sommes presque.

    Nous parvenons enfin du côté opposé. À notre droite se dresse la statue d’un héros anonyme, soldat d’une guerre oubliée. (Il lui manque un bras et il a le nez cassé.) Tout près, une croix celtique – une rareté que je confisquerais si elle n’était pas si lourde ! –, s’est fracassée en tombant au sol, il y a des décennies. À moins que ce soit un acte de vandalisme. Je pense ramasser un débris, de la taille d’une pièce de monnaie, comme souvenir. Allez, hop ! dans ma poche !

    Richmond la galeuse, eh bien ! nous voici !

    Cabotine Cambodge Tout-Court

    Où aller, maintenant ? Je m’arrête, indécise, girouette reniflant le vent. Soudain, un haut-le-cœur me saisit à la gorge :

    — Tu trouves pas que ça sent…

    — … la charogne ! complète Junior qui, de plus en plus, a la grimace facile.

    Richmond, le dernier poste avancé des Territoires cantonaux, reste

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