Les CINQ SAISONS DE L'AVENIR QUI REDOUTAIT LE COLERE DE L'AN CENT: qui redoutait la colère de l'an cent
Par Michel Bélil
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À propos de ce livre électronique
En face du marché de L’Hériotte, une fleuriste disparaît sans raison de sa boutique. La police s’intéresse aussitôt à son associée qui, par le passé, a provoqué la mort de sa fillette alors qu’elle était en pleine dérive.
Voilà deux enquêtes compliquées que doit résoudre la capitaine Léanille N’guyen, elle qui est toujours hantée par ses vieux démons amoureux. Débordée, N’guyen fait appel à O’Bom qui s’est reconverti en consultant pendant sa retraite. Lui aussi a été marqué par l’agression de sa sœur, ce qui a provoqué chez lui un défaut de langage.
Pourquoi les jumelles, surnommées les veuves noires, ont-elles décidé de poursuivre la lutte de la pasionaria Zita Tanzanie afin de donner une voix au ghetto de L’Avenir, quitte à s’attaquer à une riche famille de la route Boisvert ? Faut-il sauver à son corps défendant une vieille dame surnommée la Diogène qui abrite des dizaines de chats errants dans son taudis de la rue Cockburn ?
Toutes ces intrigues s’enchevêtrent, alors que pèse sur l’amicale une menace prédite par les religions. Il n’y a pas de temps à perdre. Vite ! Il ne reste que six mois avant que sonnent les trompettes de l’apocalypse.
Michel Bélil
Michel Bélil propose une série policière qui met en scène quelque deux cents personnages dans une cité-État appelée L’Avenir. Chaque tome se lit séparément. L’auteur a déjà publié chez d’autres éditeurs deux romans, trois recueils de nouvelles, tout en participant à sept anthologies professionnelles. Il a obtenu les prix Boréal du meilleur roman et du meilleur recueil fantastique. Il a aussi remporté le prix Septième Continent. Il est revenu à la fiction avec une 101e nouvelle dans la revue Solaris. Sa novella inédite À fond de train peut être lue dans son blogue. Elle constitue une incursion dans l'univers réaliste d'une petite ville de l'Estrie, Richmond, avec meurtre à la clé.
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Aperçu du livre
Les CINQ SAISONS DE L'AVENIR QUI REDOUTAIT LE COLERE DE L'AN CENT - Michel Bélil
Les Cinq saisons de L’Avenir
Qui redoutaient la colère de l’an cent
Michel Bélil
Une image contenant texte Description générée automatiquementConception de la page couverture : © Les Éditions de l’Apothéose
Image originale de la couverture : Johanne Laroche
Sauf à des fins de citation, toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur ou de l’éditeur.
Distributeur : Distribulivre
www.distribulivre.com
Tél. : 1-450-887-2182
Télécopieur : 1-450-915-2224
© Les Éditions de l’Apothéose
Lanoraie (Québec) J0K 1E0
Canada
apotheose@bell.net
www.leseditionsdelapotheose.com
Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023
Dépôt légal — Bibliothèque et Archives Canada, 2023
ISBN EPUB : 978-2-89775-876-9
Imprimé au Canada
Les Cinq saisons de L’Avenir
Qui redoutaient la colère de l’an cent
Déjà parus :
Qui avaient des âmes en panne
Qui n’aimait pas comme les autres
Qui ne faisait pas qu’écrire sur les murs
Qui ne parlait pas comme les autres
Qui se cherchaient là-bas et pas ici
Qui arrachait des perles de sang
À paraître :
R8 : Qui ne trouvaient pas drôle la drôle de guerre
À nos petits-enfants,
Pour que leur monde soit meilleur
Les cinq saisons de L’Avenir
Qui redoutaient la colère de l’an cent
Rappel historique
C’est en l’an trente-six de notre ère qu’un mystérieux virus a infecté des millions de personnes de tous les âges, de tous milieux et de toutes les santés. L’épidémie s’est répandue comme une traînée de poudre, sans attirer l’attention, comme si elle rasait les murs. Peu à peu, le virus a muté, devenant plus dangereux, plus mortel. Dès l’an quarante-sept, la contagion a foudroyé les quelques civilisations qui peinaient à survivre.
Crise des matières premières et krach financier des Bourses ont affligé le monde connu. Le cours des monnaies s’est écroulé ; la décroissance s’est accélérée, le prix des énergies a explosé ; les autres ressources ont fait défaut. Les loups et les coyotes ont flairé l’aubaine. Le carnage des victimes se rapprochait.
Les récoltes de riz, de blé et de maïs ont été affectées. Avec la famine, la sécurité alimentaire devenait un lointain souvenir, une sorte de légende dorée en quelque sorte. Comme si ce n’était pas suffisant, les cyclones ont redoublé de violence ; les feux de forêt ont semé la désolation ; les eaux ont envahi les côtes.
On a ainsi connu de fortes hausses des températures qui, d’abord, ont frappé les plus démunis sur des continents maintenant oubliés – le mot « continent » est d’ailleurs un archaïsme –, ensuite les masses populaires, enfin les élites retranchées dans leurs bunkers. Le pergélisol a relâché le carbone accumulé depuis le début des temps. C’est le poumon de la terre qui crevait comme un ballon. La sécheresse, combinée aux températures extrêmes, avait de quoi donner le vertige : +2 degrés en l’an quarante, +4 degrés en l’an soixante, +dix degrés en l’an quatre-vingt-dix-neuf.
Les survivants ont déterré la hache des guerres de religion, des guerres de pouvoir, des guerres de Sécession. Il y avait des cas de cannibalisme dans les Zones tribales. Mais tout n’est pas désespéré. Tant bien que mal, des communautés comme L’Hériotte et L’Avenir se remettent à prospérer. La table est mise pour la grande peur de l’an cent.
« Rien de tel qu’un support véridique pour y suspendre un mensonge. »
(Fred Vargas, Debout les morts)
« L’humour, c’est l’arme blanche des hommes désarmés. »
(Romain Gary)
« J’ai peur mais j’y vais quand même ! »
(Dernier opus de Zita Tanzanie avant d’être assassinée)
Table des matières
Première partie : mi-juin
Jour Un : chapitre 1 Des ronds dans le ciel
Jour Un : chapitre 2 La fin du monde est dans six mois
Jour Un : chapitre 3 Le jubé des ombres
Jour Un : chapitre 4 Un truc appelé potomanie
Jour Deux : chapitre 5 Une très mauvaise nouvelle
Jour Deux : chapitre 6 Disparition à la boutique florale
Jour Deux : chapitre 7 Un homme de grande culture
Jour Deux : chapitre 8 Une mêlée entraînant la mort
Jour Deux : chapitre 9 Le service après-vie des Montplaisir
Jour Trois : chapitre 10 Un marchand ambulant fêlé du chaudron
Jour Trois : chapitre 11 La paraphélie, c’est grave, docteure?
Jour Trois : chapitre 12 Le long papier des jumelles
Jour Trois : chapitre 13 Des lieux peu fréquentés et peu peuplés
Jour Quatre : chapitre 14 Irellle, la fillette aux trois l
Deuxième partie : mi-juin
Jour Cinq : chapitre 15 La maison mère
Jour Cinq : chapitre 16 Comme un sac d’ordures
Jour Cinq : chapitre 17 Devenue une proie
Jour Cinq : chapitre 18 La Diogène aimait trop les chats
Jour Cinq : chapitre 19 Les faux cheveux de la gourou
Jour Cinq : chapitre 20 Des allures de château
Jour Cinq : chapitre 21 La force de l’inertie
Jour Six : chapitre 22 La main qui tenait l’arrosoir
Jours Six : chapitre 23 Couper la poire en trois
Jour Sept : chapitre 24 Un plat qui se mange froid
Jour Sept : chapitre 25 Une avenue portant son nom
Jour Sept : chapitre 26 L’auberge des Trois Vergognes
Jour Sept : chapitre 27 Les Setlakwe, famille insolite
Troisième partie : fin juin
Jour Sept : chapitre 28 Une boîte de fer blanc
Jour Sept : chapitre 29 L’homme à la grosse poche de patates
Jour Sept : chapitre 30 Toute médaille a son revers
Jour Huit : chapitre 31 La tournée des serruriers
Jour Huit : chapitre 32 Le prince charmant aimait l’histoire locale
Jours Neuf, Dix et Onze : chapitre 33 La religion, c’est du sérieux !
Jour Douze : chapitre 34 La formule gagnante pour faire fortune
Jour Douze : chapitre 35 Le brouillard se lève
Jour Quinze : chapitre 36 L’inconnu de l’Enfant-Terrible
Jour Quinze : chapitre 37 À chacun ses blessures
Jour Seize : chapitre 38 Après la descente, un seul souhait
Première partie : mi-juin
Jour Un
Chapitre 1
Des ronds dans le ciel
Je ne suis pas de bonne humeur. Le travail au poste de police de L’Hériotte accapare tout mon temps. Mes jumelles me donnent du fil à retordre. Elles m’inquiètent avec leurs rêves de libérer le ghetto de L’Avenir. Je vis seule et, à la maison, je m’ennuie à mourir. Alors, aussi bien aller travailler. En fait, pourquoi suis-je de mauvais poil ?
— Mais N’guyen, on vient de nous signaler un…
Le lieutenant Junior Picard, mon adjoint dans l’ex-cité-État de L’Avenir, à présent annexée à L’Hériotte, tente de m’expliquer dans ses mots que Paroisse, un hurluberlu que j’ai souvent croisé voilà des années, a découvert un corps à l’endroit où la rivière et le lac Ulverton se rejoignent, peu avant que leurs eaux paresseuses se jettent dans le fleuve Saint-François.
Cet endroit est réputé dangereux. Il est revendiqué à la fois par notre amicale et par un sanguinaire despote qui sème la terreur partout où il passe dans les Zones tribales. Il se nomme Happy Hongrie Pleineton. En se proclamant fédérateur, il a fait de Brooke sa capitale. Rien de moins.
Qu’on ne me demande pas où ça se trouve, ce bled de malheur ! Tout ce que j’en comprends, c’est que Brooke est située au sud de notre frontière, encore plus au sud que le bidonghetto de Richmond. Aussi bien dire à la limite du monde connu !
— Je t’aime bien, Junior, mais j’ai un tas de dossiers en cours. Comme de maintenir la paix et la sécurité. Tu sais tout ça. Je t’apprends rien.
Je ne lui confie pas mes autres tracas avec l’archigouverneure Eustachée Lupien qui a des visées de conquêtes autant dans notre propre amicale qu’à l’Extrême-Ouest où tout est nouveau. Il y a aussi les gangs de rue dirigés par les frères Toutanteault encore vivants, les Nguyen – c’est ma famille, que je le veuille ou non ! – et les Merlus de l’Extrême-Est.
Les gangs de rue, c’est le lieutenant Loukas Husk qui s’en charge avec ses agents infiltrés. Dans l’organigramme, il est sous mes ordres, mais il n’en fait qu’à sa tête. J’ai un collègue capitaine. Il se nomme Éméric Liu et il s’occupe de la police secrète. Une vieille connaissance. Celui-là, il est plus souvent dans le bureau de l’archigouverneure que dans le sien.
— Capitaine, là, je sais plus quoi faire.
Quel charmant cri du cœur ! Junior, je l’ai déjà eu dans mon lit. Mon expérience amoureuse est mitigée.
— As-tu appelé doc Emmerich et le technilogue Le Goff ? Au moins, ça serait un bon début pour l’enquête.
— Ils s’en viennent. C’est confirmé. Mais c’est loin le lac Ulverton de L’Avenir. Je suis avec Beaulac et Bergeron.
— T’as pensé à O’Bom ?
Cet insupportable silence au bout de la ligne risque de se prolonger quand soudain, contre toute attente, j’entends Beaulac crier à s’en casser les cordes vocales que doc Emmerich vient d’arriver sur les lieux. Les meurtres sordides sont rares, aussi bien à L’Avenir que dans toute l’amicale. Les natifs ont autre chose à faire de leurs journées. Par voie de conséquence, nos policiers perdent la main.
— Pas vraiment, me répond Junior en hésitant. Je croyais qu’il s’était retiré, qu’il était à la retraite.
— T’as raison. J’ai cependant passé un contrat avec lui. J’ai dû oublier de t’en faire part.
Je devine un Junior Picard qui joue à l’indigné. Pourtant, il est au courant. O’Bom a déjà eu à intervenir dans quelques cas de violence.
Picard doit croire que j’ai perdu confiance en lui, complexé comme il est. Il pourrait protester, mais il se résigne :
— Je comprends. Qu’est-ce que tu veux que je fasse pour…
— Touche à rien. Respecte le protocole.
— Bien entendu.
— Tu parles ! J’ai besoin de détails. Décris-moi ce qui se passe. Fais vite.
À L’Avenir, les affaires sérieuses, donc criminelles, je les confie en sous-traitance et au rabais. Ça fait sourciller Junior et son personnel, mais c’est plus simple ainsi. Le sous-traitant, en l’occurrence, ce n’est nul autre que mon vieux mentor Joachim O’Bomsawin.
Il aimerait bien couler des jours heureux auprès de sa douce Camille Léon, mais ses revenus ne sont pas à la hauteur. Situation courante chez nous. Ce n’est pas avec sa pension maigrelette qu’il pourrait se payer une vie décente.
Il habite avec Camille, à l’étage, au-dessus du resto qui jouit d’une réputation enviable. Ce resto est aussi le carrefour choisi par les camionneurs qui se préparent à se lancer dans l’aventure des Territoires cantonaux. Le mot « aventure » est peu dire. Il y aurait long à raconter sur ces individus un peu louches qui font de la contrebande en se croyant futés. Ils se pensent à l’abri de la police. Je les garde à l’œil.
— La victime…
— Oui, je t’écoute, que je fais en tâchant de maîtriser mon impatience.
— C’est la porteuse d’eau.
— Pardon ? Qui c’est ? Jamais entendu parler…
— … Eudoxie Setlakwe, une scientifique un peu spéciale.
Ça me rappelle de vagues souvenirs.
— D’accord. Je l’ai déjà aperçue à quatre pattes, en train de creuser la terre comme son bizarre de père. Son nom m’échappe tout à coup, je veux dire son père.
— Ondin Setlakwe.
— C’est vrai. Le fameux passéologue.
— Une de nos gloires transamicales, quand même. C’est pas rien.
— Tu parles ! Son métier, à Ondin, on s’en balance ! Tu me parlais de Paroisse, tantôt ?
— Paroisse fouine partout avec son tout-terrain, pourvu qu’il trouve un sentier et pas trop d’arbres. C’est comme ça qu’il a découvert le corps d’Eudoxie Setlakwe. Tu te souviens de lui ?
— De Paroisse ? C’est sûr.
Juste à y repenser, ça m’émeut. Au moins, personne n’en est témoin.
— Paroisse a vu des charognards qui faisaient des cercles dans le ciel. Il a vite flairé que quelque chose d’anormal se passait aux alentours.
— Il est encore sur place ?
— J’aurais voulu le renvoyer qu’il serait resté. Tu le connais : c’est la mémère de L’Avenir. La mauvaise nouvelle va se répandre assez vite.
— De quoi nous faire suer. C’est tout ce que t’as à me dire ?
— Ouais… à peu près.
Il semble déçu.
— Je t’ai enlevé les mots de la bouche ?
Le lieutenant Picard, j’aime bien le taquiner, lui tirer les oreilles. Ça me rappelle mes débuts dans la police de L’Avenir.
— Ah ! Le voilà enfin !
— Qui ?
— Fiacre Le Goff. Il vient de poser son vélo contre un…
— Donc tout va bien ?
— Oui, ça va plutôt bien.
Il y a quelques années à peine, les conversations au téléphone, d’une cité-État à l’autre, étaient horribles. Le problème a été résolu avec le regroupement forcé. C’est ma patronne, Eustachée Lupien, qui en a pris l’initiative. Les affaires, avec elle, ça ne traîne jamais.
— Alors pourquoi tu me téléphones si tout va bien ?
— Mais… mais tout indique que cette Eudoxie Setlakwe a été…
Junior échappe son téléphone. Sans doute la nervosité. Ou… ou quelque chose de pire ?
— Allô, allô ? que je demande en jouant l’inquiète.
— Capitaine, capitaine ? (Je ne dis rien.) Cette petite chercheuse d’eau est mal en point, tellement mal en point qu’elle a rendu son dernier souffle.
Je le connais, mon Picard. C’est un romantique de la vieille école en dépit de son âge.
— Tu me l’as déjà dit.
— Elle est morte, c’est sûr. En revanche, je crois qu’on l’a aidée.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Qu’est-ce que je dois faire, là ? La victime semble s’être noyée, mais y’a quelque chose qui cloche dans le décor.
— Sois plus clair.
— Euh… Comment a-t-elle pu se noyer dans ça d’eau ? Le corps a été déplacé. Je vois une marque de semelle près du corps. Si tu étais ici, je pense que t’arriverais aux mêmes conclusions.
— Ça fait pas mal de monde autour de toi : Beaulac et Bergeron, Le Goff et Olympe Emmerich. En prime, Paroisse.
— J’appelle O’Bom ?
— Bonne idée.
— Je l’ai pas vu depuis un bout de temps, celui-là. Qu’est-ce qu’il devient ?
O’Bom m’intrigue et ce n’est pas d’hier. Nous formions un duo du tonnerre, autrefois. Il disait oui, je disais non. Il disait blanc, je disais noir. Ça allait formidable. Il a quitté la police de L’Avenir au moment de l’annexion à L’Hériotte et de ma promotion comme capitaine.
— Il doit être au resto chez Camille, en train de laver la vaisselle. (Je n’aime pas ce que je viens de révéler. O’Bom mérite mieux que cette opinion un peu méprisante.) Écoute, Junior, demande-lui de venir faire les premières constatations. Quant à moi, j’annule quelques rendez-vous et je te rejoins. Si tes craintes sont justifiées, y’a de quoi lancer une enquête.
— Je lui téléphone tout de suite.
— Attends une seconde ! Tuée par balles ?
— Je vais demander à la docteure. (Peu après, il reprend son téléphone :) À première vue, Olympe voit rien de tel. Cependant, elle a remarqué une ligne rouge autour du cou.
— Étranglée ?
— C’en a tout l’air.
— Abusée sexuellement ?
Junior va encore aux nouvelles et ne tarde pas à revenir m’informer :
— On va le savoir à l’autopsie. À première vue, non. Elle est habillée avec des vêtements trop grands pour elle. Pas de trace d’autres violences.
En fait, je redoute autre chose de plus gros. Souvent, dans ce secteur, on remarque la présence de miliciens à la solde de Happy Hongrie Pleineton. D’après ce que j’ai retenu, ce dictateur revendique une bande de terres située de part et d’autre de la rivière Ulverton. Il aurait des documents à cet effet. Des documents falsifiés.
Les tribus du sud commencent à se relever, à leur tour, de la catastrophe. Le despote Pleineton aurait-il voulu nous lancer un message en faisant assassiner cette jeune femme ? Une sorte de test pour mesurer notre capacité à réagir ? Guerre d’usure ou tourmente politique en perspective ? Avec un peu d’imagination, on pourrait déjà entendre un bruit de bottes provenant des Territoires cantonaux.
Dois-je prévenir madame l’archigouverneure ? Et puis non ! Je vais attendre d’en savoir davantage.
Quand il était chef de police par intérim à L’Avenir, O’Bom détestait le volet politique de son travail. Car tous les gouverneurs, sans exception, ont pris l’habitude de se mêler de nos enquêtes, surtout quand il s’agit de natifs.
— Capitaine N’guyen ?
— Quoi, encore ? que je lance à tout hasard, étant moi-même distraite.
— C’est quoi, le numéro d’O’Bom ?
Je le lui donne. Flairant la mauvaise affaire, je répète :
— Picard, j’arrive !
J’ai la très mauvaise impression que cette mort va venir me pourrir l’existence. J’avais fait un trait sur L’Avenir, retrouvant un semblant de bonheur à L’Hériotte. Et voilà que j’y retourne. Est-ce que je me prépare à tomber dans un guêpier ?
***
Depuis plus de deux heures, celui qui est connu sous le surnom de Paroisse va et vient d’un bon pas en dépit d’une chute qui a rendu sa démarche pénible. Il est tout énervé par sa découverte. C’est sa seconde trouvaille après celle de Carmelle Cameroun, l’épouvenfant qui allait devenir ma fille adoptive. C’était un peu avant que je sorte sa sœur jumelle Cabotine Cambodge de la misère à Richmond.
Sur place, je garde poliment mes distances à cause de l’odeur que Paroisse dégage. Il a une feuille de route impressionnante. Il a été boxeur amateur et videur dans des clubs de sauteuses. Champion cambrioleur capable d’ouvrir n’importe quel coffre-fort, il a aussi été concierge à l’école du centre-ville. Il devait être imposant dans sa jeunesse.
Paroisse a rénové sous le manteau un tas de propriétés tout en laissant se délabrer la sienne devenue un taudis. Elle est collée à la Maison de la Culture. Les risques d’incendie sont importants. S’il y avait le feu, les flammes se propageraient à grande vitesse et les pompiers volontaires n’auraient pas le temps de limiter les dégâts. Chaque soir, il se soûle et gueule à tue-tête. Il s’endort ensuite sur un vieux canapé. Au lever du soleil, infatigable, intraitable, il est de retour sur les sentiers.
Ce type est un numéro à lui seul. Sa chemise à carreaux est boutonnée de travers, son ventre empiète sur sa ceinture en faux cuir, son pantalon est tellement graisseux qu’il se tiendrait au garde-à-vous sans qu’on ait à aboyer un ordre. De couleurs différentes, ses chaussettes sont percées au gros orteil. Comment je le sais ? Il vient d’enlever ses chaussures pour comparer ses semelles avec celle qui est près de la victime.
— Quelle surprise ! qu’il s’étonne en me voyant apparaître sur les lieux. Ça fait des années que je t’ai pas vue.
Son tout-terrain est garé à proximité. Pas encore bon pour la ferraille, hélas.
— C’est vrai, beaucoup d’eau a coulé, que je réponds sans vouloir m’étendre sur le sujet.
O’Bom vient d’arriver. En compagnie de Le Goff et de doc Emmerich, il s’affaire auprès de la victime. C’est curieux à dire, mais cette scène me rappelle de bons moments passés avec cette équipe. Je me vois sourire comme si je couvais un œuf.
Jusqu’à présent tenus à l’écart, Beaulac et Bergeron me rejoignent. En cet endroit désert, il n’y a aucun curieux à repousser. Nous échangeons de vieux souvenirs. Par acquit de conscience, je leur demande s’ils ont brouillé les indices. Ce serait désolant. Ils secouent énergiquement la tête comme s’ils étaient pris en faute.
— On a tout de suite téléphoné à la centrale. Danali Munger a répondu. Elle nous a dit qu’elle en parlerait à Junior qui avertirait L’Hériotte…
— Parfait, que je me contente de qualifier d’un simple mot.
Avec mon accord, Picard leur permet de disposer. Il a raison : nous sommes déjà assez nombreux pour nous acquitter de la sale besogne.
Je fais néanmoins signe à Paroisse qui s’était éloigné, bras ballants et les yeux vitreux, de se rapprocher.
— Raconte-moi ce que t’as fait, que je lui demande sans prendre de gants blancs.
— Ben quoi ? Je me promenais comme d’habitude. Ça change le mal de place. J’ai vu des rapaces qui faisaient des ronds dans le ciel. Ça m’a piqué la curiosité. (Je connais déjà ce détail.) J’étais là-haut, sur la butte du belvédère. Plus bas, y’avait quelque chose qui bougeait pas, mais j’étais pas sûr de ce que ça pouvait être. Je suis descendu par le sentier.
— C’est ainsi que t’as découvert la victime ?
— La pauvre. Elle a dû se noyer. Ça arrive parfois, sauf que c’est des Territoriaux la plupart du temps.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Ils se noient quand leurs barques poubelles coulent aux rapides d’Ulverton. On leur a jamais appris à nager… je veux dire à ces tribus-là.
Je regarde la scène. Il y a peu d’eau en cette saison. Mais peut-être qu’elle a été rejetée sur la rive. Ou que quelqu’un l’a déplacée. Avec la blessure qu’elle a autour du cou, ça me suggère autre chose.
— La trace de semelle, là, c’est la tienne ?
— Oh, non ! J’ai tout de suite compris. J’ai appelé la police.
Le Goff a déjà pris l’empreinte et en a fait un moulage avec les moyens du bord. Il me confirme que la trace de la botte n’est pas la sienne. De bonnes chances pour qu’elle appartienne au coupable ou, à tout le moins, à un complice.
Je me tourne vers doc Emmerich qui a fini de s’activer auprès de la victime.
— Ton avis, Olympe ?
— Difficile de me prononcer. Je vais t’en dire plus à l’autopsie.
Prudents de nature, ces médecins légistes. O’Bom demande au technilogue :
— Trouvé quelque chose qui pourrait nous gringoler ?
— Euh… Pardon ?
J’interviens aussitôt, comme à mon habitude :
— Gringoler, ça veut dire un indice qui pourrait nous aider à remonter jusqu’au coupable. Le contraire de débouler. T’as jamais entendu ?
— Jamais. (O’Bom a encore réussi à semer la confusion, peut-être à dessein.) Sauf la trace de semelle dans la boue… et les marques de pneus du tout-terrain, rien.
J’échange un regard complice avec O’Bom. Après toutes ces années, Le Goff n’améliore pas sa moyenne. C’est quand même quelqu’un d’intelligent. Surprenant nos regards entendus, Le Goff y va d’une remarque qui a un certain cachet :
— La victime a un peu rasé sa tête. C’est tout juste si les cheveux commencent à repousser ici et là.
— Ça te fait penser à quoi ? que je demande, curieuse de savoir comment il va s’en tirer.
— C’est récent. (J’avais deviné.) Une femme y tient à ses cheveux. Alors, pourquoi se faire tondre comme ça ? Comme si elle souffrait d’un cancer.
Olympe se mord les lèvres et consent enfin à s’avancer sur diverses hypothèses, sans pour autant trahir sa retenue professionnelle :
— Je vais bien entendu vérifier. Elle me semble pourtant en bonne santé. D’accord, un peu maigre… Il peut arriver que…
— Que… quoi ? demande Junior.
Doc Emmerich se tait. O’Bom et moi, nous l’encourageons à poursuivre sa réflexion.
— Il peut arriver que des gens mal intentionnés veuillent posséder une belle chevelure.
— Pourquoi ? que je m’étonne.
— Pour toutes sortes de raisons.
Qu’est-ce que je dois lire entre les lignes ?
***
Un long silence fait suite à mon propos. Paroisse tire la manche de Picard :
— Je peux partir ? Je vois pas comment je peux être encore utile.
Picard me jette un coup d’œil et, me voyant hocher la tête, il lui répond que c’est possible, mais qu’il doit rester à la disposition de la police, s’il y a du nouveau. Paroisse est fébrile : il a hâte de répandre la mauvaise nouvelle.
Nous restons cinq autour de la victime qui, avec des cheveux coupés ras, semble plus fragile que jamais : Olympe Emmerich, Fiacre Le Goff, O’Bom, Junior Picard et moi. Dans nos têtes, des images aussi farfelues les unes que les autres tourbillonnent autant que les vents capricieux de la cinquième saison.
Après un moment d’hésitation, Picard ouvre le bal avec un premier pas de danse :
— Je l’ai aperçue flâner au centre-ville.
O’Bom surenchérit :
— Chez Camille, je l’ai vue offrir le café à des natifs âgés. Une magrouille, peut-être ?
O’Bom ne s’est jamais tout à fait débarrassé de son trouble de langage. Il parvient quand même à se faire comprendre.
— Magouille ou pas, moi, je suis sûr qu’elle est allée cogner de porte en porte, poursuit Le Goff qui veut mériter son salaire. Certains de mes amis s’en sont étonnés. On l’a aussi vue creuser des trous un peu partout. Oui, des trous. Ma copine Bergeronne a voulu lui parler. L’autre a pas apprécié.
— Tu parles ! Elle est peut-être muette, timide ou sauvage. Ou je comprends rien à rien. Qu’est-ce qu’elle voulait ?
— Encore une de ces étrangères de L’Hériotte qui vient nous regarder de haut, se lamente Picard, hors sujet.
Il n’a jamais digéré l’annexion humiliante de L’Avenir, lui-même étant le digne descendant d’une longue lignée de natifs au sang pur.
— Eudoxie Setlakwe, c’est bien la chercheuse d’or bleu ? que je résume. La prospectrice ? On parle de la même personne ?
— Wep ! C’est elle, la porteuse d’eau, ajoute O’Bom.
Olympe Emmerich précise du bout des lèvres que la victime était une hydrogéologue douée, un métier rarissime. C’est peu comme info. Pourtant, au fil des ans, Olympe a vu défiler à peu près tout le monde à l’infirmerie, y compris les familles dépenaillées du ghetto qu’elle soigne à titre bénévole.
— Quelqu’un a pensé aux Montplaisir ? que je demande avec un soupçon d’inquiétude dans la voix.
Ces deux arrière-petites-filles sont, en quelque sorte, une curiosité de l’amicale. Elles transportent en ambulance les malades au dispensaire de L’Avenir ou à l’hôpital de L’Hériotte, de même que les défunts à leurs derniers repos au cimetière national. Une mission qu’elles accomplissent tambour battant et avec un humour décapant.
Junior s’empresse de me rassurer :
— Elles sont en route.
En effet, sur les hauteurs du chemin Bogie où se trouve le belvédère, un nuage de poussière est copieusement soulevé. Après un virage sur deux roues, le véhicule redescend un peu plus loin. Il emprunte un sentier mal entretenu au milieu du foin fraîchement coupé.
Peu après, des mains s’agitent à l’extérieur de l’ambulance pour nous saluer. Les cousines Montplaisir ont su garder le moral en dépit de leur délicate mission. Leur pire défaut, c’est d’être cupides comme feu leur aïeul Esprit Montplaisir, mort à cent ans bien sonnés, les poches pleines, mais la tête vide.
Je me fais la remarque qu’il commence à y avoir pas mal de voitures garées à peu près n’importe comment aux abords de la scène qui ressemble à un crime. Encore heureux que le proprio, ou du moins celui qui est venu couper le foin, ne soit pas encore venu se plaindre. Les plaintes, c’est ancré dans la tradition des natifs, c’est un trait culturel.
— On vient prendre livraison du paquet ! s’exclame une des deux cousines, sans égard au respect qu’on doit aux défunts. C’est elle, je suppose ?
— Excellente déduction, que j’ironise avec un certain déplaisir.
Avec un rien de brusquerie, Junior les informe d’aller déposer la victime à la morgue de L’Avenir.
— J’ai terminé mon travail technique, nous confie Le Goff. À qui j’adresse mon rapport ?
Il nous regarde, tour à tour : Picard, O’Bom et moi.
— À nous trois, que je réponds, vive comme l’éclair.
Il hoche la tête, reprend son vélo qui aurait sa place dans un musée et remonte la côte jusqu’au chemin Bogie en soufflant comme un bœuf.
Moi, Léanille N’guyen, je suis responsable de la police de L’Hériotte et, par ricochet, de la succursale – je devrais plutôt dire du sous-gouvernorat – de L’Avenir. Ça fait beaucoup de policiers à diriger en ces temps troublés. Par chance, j’ai trois lieutenants pour m’appuyer : Picard à L’Avenir, Magélianne Yockell (que j’ai oublié de nommer tantôt) et Loukas Husk à L’Hériotte.
— Bon, eh bien ! Je me sauve à mon tour, intervient doc Emmerich. Je vous reviens dès que j’ai du nouveau sur les causes de sa mort. (Après avoir hésité un moment, elle demande :) Qui va diriger l’enquête ?
O’Bom vient pour répondre, mais je lui coupe gentiment la parole :
— Le lieutenant Picard, assisté d’O’Bom qui agit comme consultant. Bien entendu, je tiens à être tenue au courant.
Il me faut jouer de prudence. En effet, je vais avoir à fournir des explications à madame l’archigouverneure, surtout si on décèle la main criminelle des tribus cantonales. Qui peut prédire le désastre qui pourrait alors nous pendre au bout du nez ?
Le corps de la petite Setlakwe est glissé à l’arrière de l’ambulance qui reprend le chemin Bogie, et ce, jusqu’au centre-ville de L’Avenir. À bord de la seconde autopatrouille – la première étant occupée par les agents Beaulac et Bergeron, déjà repartis –, Picard regagne la centrale.
Pour me tenir compagnie, il ne reste plus que mon mentor qui ne perd pas l’occasion de me lancer une invitation :
— On va manger une groumandise ? C’est ma tournée.
Pour nous, cette découverte macabre est un bon prétexte pour remuer de vieux souvenirs. Ça va aussi me donner l’occasion de revoir Camille Léon, l’âme sœur d’O’Bom.
Jour Un
Chapitre 2
La fin du monde est dans six mois
C’est l’heure creuse où nul ne songerait à traîner dans un restaurant. Camille occupe le comptoir. Elle est en conversation avec le chef Malik Joyal qui, année après année, règne et triomphe aux cuisines. Elle est toujours aussi jolie, quoiqu’un peu enveloppée. Elle n’a pas pris une ride depuis notre dernière rencontre. La soixantaine lui réussit bien.
Ce n’est pas le cas d’O’Bom qui est hanté par un terrible mal de dos, conséquence d’une collision avec un chevreuil et d’une fusillade dans le cimetière abénakis, alors que nous traquions des trafiquants. Je balaie de la main ces douloureuses images. Nous exerçons un métier dangereux et mal payé. Aussi bien se résigner.
La poutinette de Camille est devenue célèbre dans toute l’amicale, et ce, même au-delà de nos frontières. On en a fait des copies plus ou moins réussies. En fait, cette œuvre d’art culinaire est entrée toute chaude et fumante dans la légende.
L’histoire est connue : en fouillant dans une malle en osier datant d’avant la catastrophe de trente-six, au beau milieu d’un tas de vieilleries, Camille avait découvert un cahier de recettes de son arrière-grand-mère Demerise, alors jeune mariée. C’était écrit à la plume avec de belles lettres rondes, en accord avec la mode d’autrefois.
Camille m’avait confié que « c’était le plus précieux des héritages ». Elle avait tout de suite deviné le potentiel de son contenu. Après tout, la poutinette avait enchanté les papilles gustatives de plusieurs générations de Léon, de voisins et d’amis.
— Si c’est pas ma Léanille ? Quel plaisir de te revoir !
— Je passais dans le coin et j’ai croisé O’Bom. Alors…
— Ta, ta, ta ! Joachim m’a tout raconté avant de filer au lac Ulverton.
— Grande langue ! que je lance en direction de mon ancien patron.
Nous pouffons de rire. Le chef Joyal retourne à ses fourneaux. En ce moment, il prépare une version épicée de la poutinette laveniroise, fruit de l’imagination de Camille. À déconseiller aux fins palais.
Je ne reviens presque plus à L’Avenir. J’ai déménagé à L’Hériotte pour le travail, abandonnant madame Jaelle Janelle et mes amourettes avec Faustine, Junior, Achillée Bisaillon et quantité d’autres petits cœurs esseulés. En amour, je garde les bras grand ouverts. Ne suis-je pas une frodite ?
Il y a, comme ça, beaucoup d’idées reçues pour exclure les gens. Par exemple, tous les jumeaux et toutes les jumelles, dans les Zones tribales, souffrent de malédiction. Pour se prémunir du mauvais sort, on se débarrasse de l’un ou de l’autre.
C’est ce qui explique pourquoi j’ai pu retrouver une de mes jumelles au ghetto de L’Avenir, Carmelle Cameroun, et l’autre au bidonghetto de Richmond, Cabotine Cambodge. Toutes deux étaient en piteux état. J’ai eu la chance de pouvoir les recoller sous un même toit et de leur offrir une bonne éducation. Mais je les ai perdues de vue.
***
Je vis au milieu de foules crédules qui suivent le premier gourou venu. Justement… Provenant de la rue Principale, on entend des cris et des slogans en sourdine.
— C’est quoi, ça ? que je demande en me doutant de la réponse. Tu parles ! Vous en avez, vous aussi ?