Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les Cinq saisons de L'Avenir Tome 4: L'été - Qui ne parlait pas comme les autres
Les Cinq saisons de L'Avenir Tome 4: L'été - Qui ne parlait pas comme les autres
Les Cinq saisons de L'Avenir Tome 4: L'été - Qui ne parlait pas comme les autres
Livre électronique368 pages5 heures

Les Cinq saisons de L'Avenir Tome 4: L'été - Qui ne parlait pas comme les autres

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Le métis Joachim O’Bomsawin devient directeur des travaux publics à L’Avenir, une cité-État qui ne roule pas sur l’or et qui doit faire face à des cohortes de réfugiés provenant des Zones tribales du sud profond. Très tôt, O’Bom doit cumuler d’autres postes vacants comme celui de chef de police par intérim puisque le tenant en titre est mort dans des circonstances inquiétantes.

C’est l’été. O’Bom doit se rendre dans le quartier du Bec-du-Canard, car un de ses hommes, Redmond, manque à l’appel : il a été tué dans la riche propriété de l’artiste Ferréolle Husk. Pas de traces d’effraction, pas de vol, pas de mobile, pas d’indices. Deux fillettes ont cependant aperçu une femme en bikini, un bonnet sur la tête, remonter le fleuve Saint-François en kayak, à l’heure du crime.

En outre, la responsable des archives et des objets perdus retrouve un vieux rapport qui jetterait un peu de lumière sur un double meurtre survenu voilà une quarantaine d’années. Ces victimes, qu’on a torturées avant de mettre le feu à la maison, sont les parents de la
gouverneure Boisvert.

La finale réserve de mauvaises surprises quand O’Bom et son adjointe N’guyen se rendent au fameux cimetière abénakis, là où transite la drogue. O’Bom est blessé et N’guyen doit assurer la relève au pied levé. La table est mise pour que bientôt déferle la cinquième saison. La folle saison.

Qui ne parlait pas comme les autres est un roman à forte teneur sociale : la révolte gronde dans le ghetto et des luttes de pouvoir déchirent les cités-États. Servi par une bonne dose d’humour involontaire, ce roman met en scène des personnages attachants. Tous les ingrédients se trouvent réunis pour faire de ce roman hybride un thriller dont on se souviendra longtemps.
LangueFrançais
Date de sortie3 mai 2020
ISBN9782897753443
Les Cinq saisons de L'Avenir Tome 4: L'été - Qui ne parlait pas comme les autres
Auteur

Michel Bélil

Michel Bélil propose une série policière qui met en scène quelque deux cents personnages dans une cité-État appelée L’Avenir. Chaque tome se lit séparément. L’auteur a déjà publié chez d’autres éditeurs deux romans, trois recueils de nouvelles, tout en participant à sept anthologies professionnelles. Il a obtenu les prix Boréal du meilleur roman et du meilleur recueil fantastique. Il a aussi remporté le prix Septième Continent. Il est revenu à la fiction avec une 101e nouvelle dans la revue Solaris. Sa novella inédite À fond de train peut être lue dans son blogue. Elle constitue une incursion dans l'univers réaliste d'une petite ville de l'Estrie, Richmond, avec meurtre à la clé.

En savoir plus sur Michel Bélil

Auteurs associés

Lié à Les Cinq saisons de L'Avenir Tome 4

Titres dans cette série (4)

Voir plus

Livres électroniques liés

Mystère pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les Cinq saisons de L'Avenir Tome 4

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les Cinq saisons de L'Avenir Tome 4 - Michel Bélil

    2015

    Chronologie-4

    Prologue : Un train qui jamais ne siffle

    Première partie : début juillet

    Jour Un : chapitre 1 Par terre, les bras en croix

    Jour Un (soirée et nuit) : chapitre 2 Les casseurs se sont servis

    Jour Deux (matin) : chapitre 3 Un vieux rapport explosif

    Jour Deux (encore le matin) : chapitre 4 Une tête qui ne lui revient pas

    Jour Deux (après-midi) : chapitre 5 Un quai qui sert aux voisins

    Jour Deux (début de soirée et un peu plus) : chapitre 6 Une étrange soirée au ghetto

    Jour Cinq (matin) : chapitre 7 La cellule de crise va se réveiller

    Jour Cinq (matin, midi et début de soirée) : chapitre 8 La vieille en bikini bleu

    Jour Sept (matin) : chapitre 9 La fameuse liste !

    Jour Sept (midi et après-midi) : chapitre10 Un bruit déjà entendu

    Deuxième partie : mi-juillet

    Jour Sept (début de soirée) : chapitre 11 Un faux parent qui traîne dans les couloirs

    Jour Huit (matin) : chapitre 12 Deux pistes à suivre

    Jour Huit (midi et après-midi) : chapitre 13 Pas ici, pas maintenant

    Jour Huit (soirée et une partie de la nuit) : chapitre 14 La guerre se prépare

    Jour Neuf (matin) : chapitre 15 Les gens ont de drôles d’idées de nos jours

    Jour Neuf (après-midi) : chapitre 16 Un feu d’artifice se prépare

    Jour Neuf (soirée) : chapitre 17 La bibliothèque nationale brûle

    Jour Dix (à l’aube) : chapitre 18 Quelqu’un a vendu la mèche

    Troisième partie : début août

    Jour Dix-sept (matin) : chapitre 19 Les morceaux se mettent en place

    Jour Dix-sept (toujours le matin) : chapitre 20 Une très mauvaise nouvelle

    Jour Dix-sept (après-midi) : chapitre 21 Chez le juge

    Jour Vingt (toute la journée et la soirée) : chapitre 22 « Un jour, ils vont te pousser dans un coin noir »

    Jours Vingt et un et Vingt-deux  chapitre 23 Quand le temps s’est divisé en deux

    Plus tard : Aux dernières nouvelles

    Prologue

    Un train qui jamais ne siffle

    Nouveau venu à Richmond, j’avais décidé d’arpenter cette petite ville de long en large, tant du côté francophone, au nord du pont routier MacKenzie, que du côté anglophone, au sud. Sur l’autre berge de ce qui était encore la rivière Saint-François se dressait le quartier de Melbourne qui avait conservé son nom en dépit de la fusion municipale.

    Dopé par mes pieuses résolutions, j’avais aussi résolu de m’inscrire comme membre à la Richmond County Historical Society, étant moi-même historien de formation et, depuis peu, enseignant au Richmond Regional High School, sur Armstrong Street. Cette école secondaire accueille bon an mal an quelque 300 élèves provenant d’écoles primaires de la région.

    C’était un nouveau collègue qui m’avait suggéré l’idée de sillonner la ville. Fils et petit-fils de pasteurs anglicans, avec une fougue qui frisait la folie, il enseignait la géographie à la même école que moi. Il n’était pas là par nécessité de gagner sa croûte comme la plupart d’entre nous, mais par vocation, une vocation qui pouvait terrifier le petit nouveau que j’étais.

    Ce collègue se nommait Kurt Oliver Doyle et il venait de se fiancer à une beauté francophone, Augustine Toutan. Déjà, il lui avait donné un second prénom : Australie. (On verrait plus tard que ce n’était pas anodin.) Les tourments de la chair (et de la chaire) devaient le tirailler depuis sa puberté.

    Faute d’un bon cercle d’amis, en somme faute de mieux, ce K. O. Doyle, je l’avais beaucoup fréquenté au premier temps de mon arrivée à Richmond. Mais j’avais commencé à m’en distancier, car c’était un drôle de pistolet. À la mort de son père, il s’était promis de lui succéder à la St. Anne’s Church qui est située entre la rue Principale et College South. Il m’avait aussi confié que si jamais il avait une fille, il la nommerait Anne Arménie. On constate que, très tôt, son idée était faite.

    Cette petite église, une fois n’étant pas coutume, il avait tenu à me la faire visiter. Voulait-il me convertir ? Quoi qu’il en soit, c’était assurément un magnifique temple construit en 1884-1885. Les vitraux valaient le détour. La façade était dotée d’une imposante fenêtre ogivale et d’une tour d’angle couronnée de créneaux. Plus tard, le pasteur-enseignant allait faire recouvrir le toit d’ardoises en hommage aux pionniers.

    K.O. Doyle m’avait vraiment étonné, dans le mauvais sens du mot, quand il m’avait confié être souvent visité – et non tourmenté, je tiens à le préciser –, par des apparitions venues d’un illusar – je l’avais fait répéter pour être sûr d’avoir bien entendu – aux confins de l’univers. Guettant mes réactions, il se moquait peut-être de moi en secret. Ça se voit parfois dans la vocation de guide spirituel qu’il exerce.

    Ces esprits supérieurs, faute d’un mot plus adéquat, insistaient pour qu’il fonde une nouvelle religion basée sur leurs enseignements venus de là-haut. Il m’avait alors montré un livre sacré qu’il avait fait relier plein cuir. Ce n’était pas la bible. Il l’avait écrit de sa propre main sous le coup, bien entendu, de cette révélation qui troublait toujours son sommeil.

    — Mais, Kurt (on se tutoyait en dépit de notre différence d’âge), c’est juste la liste de tous les pays du monde, que je m’étais étonné. Et ça, à droite, ce sont leurs capitales, que j’avais ajouté avec une pointe de déception dans la voix.

    Je m’attendais à plus de profondeur de sa part.

    — Grave erreur, jeune homme. Ce sont nos anges gardiens qui se cachent derrière le nom de ces pays. Un jour, tous mes fidèles vont porter un de ces noms en guise de protection. Ils vont être protégés par leurs propres anges gardiens.

    Il était assez satisfait de sa trouvaille.

    — Et les capitales comme Paris, Londres Berlin ou… ou Lima ? Pourquoi les avoir recopiées ?

    — Chut ! Pas trop fort, William Williams ! Ce sont les suppôts du diable qui s’y dissimulent avant de pouvoir nous attaquer. Il faut jamais, jamais – tu m’entends ? –, jamais prononcer ces noms à haute voix de crainte d’être transformé en torche vivante !

    Le diable en personne n’y allait certes pas de main morte. Je n’avais vraiment pas été convaincu, et c’était peu dire. J’étais plutôt inquiet pour sa santé mentale… J’avais eu le malheur de dire le fond de ma pensée et Doyle était entré dans une colère terrible. Une sainte colère, ça va de soi.

    Un peu plus tard, au procès qu’on allait m’intenter pour une autre affaire, je devais apprendre qu’il m’avait aussitôt associé à un envoyé de Satan. C’était lui qui m’avait dénoncé aux autorités après m’avoir jeté un sort, c’est-à-dire en me donnant le second prénom de Washington. J’étais donc devenu l’ennemi à abattre, moi, William Washington Williams.

    Les résidents de ma ville d’adoption étaient-ils tous comme lui ?

    ***

    Mis à part ma fâcheuse rencontre avec Kurt Koweït (et non plus Oliver) Doyle, je n’avais pas eu d’autres mésaventures. Du moins, je n’en ai pas gardé souvenir.

    J’avais maintenant en tête de comprendre la place centrale qu’avait occupée – et qu’occupe moins de nos jours – le rail dans l’économie de la région.

    J’espérais que ces bonnes résolutions puissent m’occuper l’esprit, car je craignais par-dessus tout de m’ennuyer comme une sale bête dans ce no man’s land, entre Sherbrooke et Drummondville.

    À force de fouiner un peu partout dans les archives de la Société d’histoire de Richmond, mon attention s’était portée sur une légende qui avait longtemps circulé, à en croire certains chroniqueurs patentés. Cette histoire avait été reprise, beaucoup plus tard, par une certaine madame McQueen, sans prénom connu, dans un des tout premiers numéros de l’hebdo L’Ardoise.

    Dans les rares écrits consultés, on prétendait qu’un curieux train surgissait du côté ouest de la rivière, traversait la route 143 sans que les feux de la traverse s’allument à son passage, puis circulait au ralenti sur le viaduc. Contre toute attente, il s’arrêtait net sans émettre le moindre bruit.

    Comment prêter foi à de telles divagations ? Ce supposé train de malheur – une locomotive et un seul wagon, toujours d’après les sources disponibles – ne figurait nulle part dans les inventaires des compagnies ferroviaires. Nulle mention dans les horaires en vigueur. De toute façon, personne ne l’avait jamais vu s’arrêter à la gare, située à quelques kilomètres de là. De rares témoins, peu crédibles, affirmaient cependant le contraire. Mais c’étaient souvent des jeunes qui cherchaient un coin tranquille pour fumer après l’amour ou de pauvres types abonnés à la bouteille.

    C’était au temps où triomphait le chemin de fer qui reliait Montréal à Portland, au Maine. C’était au temps où, pas très loin de là, à Asbestos, on commençait à cracher ses poumons dans la mine d’amiante. C’était au temps où il fallait bien nourrir ses huit ou dix enfants, la morve au nez et de vieux souliers au pied.

    ***

    En face du viaduc se dressait, à quelques kilomètres au nord du centre-ville de Richmond, un imposant édifice, le Wales Home. Cette maison de retraite avait vu défiler plus de 3 000 retraités depuis sa fondation, en 1920. Il semblait y avoir encore des pensionnaires, mais ce n’était pas évident tant les environs semblaient désertés et les jardins, abandonnés aux mauvaises herbes. Ces vieillards devaient y vivre dans un silence monastique. J’imagine sans peine que les seules autos qu’on y apercevait appartenaient au personnel infirmier.

    Ces vieilles gens avaient besogné toute leur vie durant, quitte à s’épuiser, quitte à se casser le dos, quitte à ruiner leur santé. À présent, les visites familiales étaient rares, peut-être parce que les enfants et les petits-enfants, farouches à l’idée de vivre dans un environnement francophone, étaient maintenant dispersés aux quatre coins de l’Amérique.

    En ces lieux qui rendaient mal à l’aise, la poussière du temps était balayée sous les tapis. Sauf quelques poches de résistance, l’Estrie n’était plus que l’ombre d’elle-même au regard de son héritage britannique.

    J’allais souvent flâner dans les parages, à pied ou en vélo, en me demandant bien comment je ferais pour entrer au Wales Home avec le bon prétexte qui n’éveillerait pas les soupçons. C’est ancré en moi : je suis de nature curieuse, mais inquiète. Je suis de ceux qui n’ont jamais la conscience tranquille. Tiens ! Un peu comme le pasteur Doyle. Le hasard, qui parfois penche de notre bord, allait se charger de me donner un petit coup de pouce.

    En effet, à l’école, j’avais décidé d’aborder ma matière sous l’angle local. Les élèves sont plus familiers avec leur quotidien qu’avec les grands moments de l’histoire mondiale. C’est ainsi que je leur avais résumé la légende du train silencieux, tout en leur donnant certaines pistes bibliographiques. Ils apprendraient par eux-mêmes comment faire des recherches, du moins je l’espérais sans pourtant me bercer d’illusions.

    Après la classe, qui marquait la fin des cours pour la journée, une timide ado était venue me retrouver.

    — Monsieur, je peux vous parler ?

    J’avais fait un signe de la tête et vérifié machinalement si la porte de la classe était bien ouverte – on n’est jamais assez prudent avec les plaintes des parents –, puis de la main je l’avais encouragée à continuer :

    — Bien sûr. Avec grand plaisir. À propos, comment t’appelles-tu ?

    Il faut me comprendre. On était au début de l’année scolaire et je n’avais pas encore eu le temps de mémoriser tous les noms.

    — Caddie. Caddie McQueen.

    Il y a de ces adultes qui ne pensent pas plus loin que le bout de leur nez. « Caddie ! » Non, mais ! Ses parents étaient-ils des fanas de golf, un sport aussi palpitant que le curling ou la pétanque ? Pour ma part, à voir sa frimousse, je l’aurais plutôt appelée Candy.

    — Très bien. Je t’écoute.

    — Euh… c’est que je voudrais pas vous froisser…

    — Pour quelle raison je le serais ?

    Elle avait esquivé ma question :

    — C’est en rapport avec cette légende un peu tordue de train… Vous n’avez pas mentionné le bon titre.

    Au fond, j’étais ravi de m’être trompé si tel était le cas. J’allais enfin apprendre quelque chose de neuf provenant de cette charmante ado :

    — Alors c’est quoi, ce fameux titre ?

    — Le vrai titre, c’est Un train qui jamais ne siffle.

    — J’apprécie la nuance, Caddie. Et comment l’as-tu appris ?

    — C’est grâce à ma grand-tante. Une femme vraiment, vraiment spéciale. Elle a déjà été présidente de la Société d’histoire de Richmond.

    — Excellente référence.

    — Je crois que oui… euh… sans doute. Peut-être. Je pourrais le demander à mes parents, si vous y tenez.

    Elle venait de piquer ma curiosité. Mon intérêt s’en trouvait multiplié :

    — C’est pas nécessaire. Avec son expérience de la vie, ta grand-tante doit savoir un tas de choses, pas vrai ?

    — Si on veut…

    À son tour, elle avait fait un large signe de la main, comme pour chasser un moustique, avant de tourner les talons sans rien ajouter de plus.

    J’étais resté quelques minutes plongé dans des rêveries interdites et dangereuses pour la suite de ma carrière. Pour être honnête, ça n’avait rien à voir avec ce foutu train. Caddie était aussi ravissante de dos que de face.

    ***

    Un mois plus tard, désœuvré, j’étais retourné à la Société d’histoire avec, on s’en doute, un petit mystère à résoudre. Je m’étais adressé au président qui se trouvait être un des plus anciens membres du vénérable groupe de vieillards. Je lui avais demandé s’il se souvenait de madame McQueen.

    — Laquelle des deux sœurs ?

    — Pardon ?

    — Elodia ou Annonciata ?

    — Celle qui s’est dévouée à faire connaître l’histoire de Rich…

    — Ah ! Je vois ! C’est Annonciata. Elle a présidé la Société pendant une vingtaine d’années. Pourquoi cette question, jeune homme ?

    Comme le pasteur Doyle, lui aussi m’appelait « jeune homme », ce qui était loin de me déplaire. Je pouvais enfin lui servir ma soupe que j’avais laissée mijoter dans ma tête :

    — J’enseigne l’héritage régional au High School. (Ce n’était pas tout à fait exact, mais je ne voulais pas étourdir ses méninges.) Cette session-ci, je donne un cours sur les légendes. (Je devais me dépêcher, car je sentais qu’il se désintéressait de mon propos.) Madame McQueen, Annonciata comme vous dites, vous a-t-elle déjà parlé d’un train qui ne siffle pas ?

    — En effet, ça me rappelle quelque chose en rapport avec notre riche passé. (Ses yeux étaient pourtant aussi vides que son verre de vin blanc.) Normal, pas vrai ? (J’avais hoché la tête, ne sachant trop ce qu’il cherchait à me dire.) Hé, Bill ! Viens un peu par ici !

    Le président, un certain MacKenzie comme le pont du même nom d’ailleurs, s’était détourné pour apostropher un autre membre. Ce dernier était-il distrait ? Le président avait dû répéter. Le « Bill » en question avait mâchouillé les poils gris sel qui lui traînaient sur les lèvres avant de préciser sa pensée :

    — Un train qui ne siffle pas ? (Après s’être raclé la gorge un bon moment, en bon fumeur entêté qu’il était demeuré :) C’était pas plutôt Un train qui jamais ne siffle ?

    La situation risquait de traîner en longueur, mais je ne voulais surtout pas que ça paraisse dans mon attitude. Je devais donc m’armer d’une sainte patience :

    — Vous avez sûrement raison. Encore une erreur de ma part. Mes excuses. J’ai bien fait de venir me renseigner auprès de personnes compétentes comme vous deux. (Modestie et flatterie n’ont jamais fait de tort à personne.) J’ai appris à l’école que madame McQueen vivait encore. Je me suis aussi laissé dire qu’elle avait une santé de fer servi par un caractère… hum ! disons difficile.

    Bref, j’improvisais.

    La petite Caddie n’en savait toujours rien, pas plus que ses parents qu’elle avait consultés en élève modèle. Mais qu’importe. Il fallait bien que je fasse avancer la conversation.

    — Possible.

    Ce Bill était un homme de peu de mots. Il l’est encore plus depuis qu’il a succombé à un cancer de la gorge, à moins que ce ne soit des poumons.

    — Savez-vous où je pourrais retrouver cette dame Annonciata ?

    — La vieille toquée ? Eh bien ! la cinglée s’encroûte aux archives, même si les archives n’en veulent pas ! avait soudain déconné le président MacKenzie qui venait de se verser un énième verre de trop.

    Boire ne l’empêchait pas de suivre du coin de l’œil notre conversation qui n’avançait qu’à tâtons. À son âge, j’espérais qu’il n’ait pas l’alcool mauvais.

    — Aux archives ? que je m’étais faussement étonné. Quel drôle d’endroit pour finir ses jours…

    Des fois, je souffre d’un déficit d’humour.

    — Hum… Façon de parler, avait bredouillé le président, avant d’honorer encore une fois son verre de blanc.

    Mon regard s’était poliment tourné vers Bill qui semblait s’être remis de son unique et impénétrable mot. Après s’être raclé généreusement la gorge, et s’être amusé de la langue avec une substance qu’il aurait mieux fait de cracher, il s’était lancé dans une courte explication :

    — Aux dernières nouvelles, elle habite Wales Home.

    Ses dernières nouvelles pouvaient dater de quinze ou vingt ans. Impossible de vérifier. De toute manière, j’avais mon prétexte tout cuit dans le bec. Quelque part dans le ciel, il était écrit que je pourrais enfin entrer dans cette maison de retraite qui faisait face au viaduc.

    ***

    Selon la rumeur qui avait cours à cette époque, le passage du « train fantôme » – comment l’appeler autrement ? – survenait au petit matin, alors qu’il restait de si belles heures de sommeil à rattraper. Y avait-il un brin de vérité dans cette légende rurale ? À quelle date se manifestait-il, ce satané train, et à quelle fréquence ? Y avait-il un jour en particulier ? Un mois ou même une saison ? Trop de questions ont le don de m’épuiser. Je m’en étais donc tenu à celles-là, sans creuser davantage ma tombe.

    Je n’étais quand même pas pour faire le guet tous les petits matins, moi qui suis tout sauf un lève-tôt. Bref, je tournais en rond, ce qui n’est jamais bon quand on part à la recherche d’un train qui avance au ralenti, certes, mais qui avance quand même.

    Au fond, pourquoi m’en inquiéter ? Je n’avais qu’à bien me préparer pour l’entrevue. Peut-être que madame McQueen me confierait-elle un quelconque secret enfoui au tréfonds dans sa mémoire ? Ne prétend-on pas que, chez certaines personnes âgées, plus les souvenirs sont lointains et plus ils sont clairs dans leur esprit ?

    Or, c’était sans compter sur les examens à corriger, les réunions avec les collègues, les rencontres avec les parents… Deux mois s’étaient donc écoulés avant que je puisse enfin reprendre mon bâton de pèlerin. On était déjà au début décembre et la première neige avait fondu. Bien entendu, cette neige n’avait pas dit son dernier mot.

    ***

    À la réception, la préposée jouait à l’ordi avec frénésie. Il avait fallu que je tapote sur le dessus du comptoir pour attirer son attention. En levant la tête, elle m’avait demandé avec un léger accent :

    — Ici, les vendeurs sont interdits. Consigne de la direction.

    Je n’étais pas sûr d’avoir bien compris :

    — De quelle consigne… ?

    — Vous être dur d’oreille ou quoi ?

    Mauvais garçon à mes heures, j’avais justement fait la sourde oreille :

    — J’aimerais m’entretenir avec dame Annonciata McQueen, si… si c’est possible.

    J’avais failli me trahir en disant : « Si elle vit encore ».

    — À quel sujet ?

    Elle gardait un œil fixé à l’écran et l’autre sur moi. Strabisme divergent, docteur ? L’effet était saisissant.

    — Je suis son petit-fils. Je peux monter ?

    — Vous, là, bougez surtout pas ! (D’instinct, j’avais reculé comme s’il s’agissait d’une menace à peine voilée.) Aucune visite aux chambres, aucune, à moins d’une urgence urgente ! Consigne de la direction.

    J’aurais dû saisir la balle au bond et la convaincre qu’il s’agissait ni plus ni moins « d’une urgence urgente ». À cette heure, mes réflexes n’étaient pas assez aiguisés :

    — Je dois lui parler.

    — Vous êtes de Richmond ?

    Je ne voyais pas le rapport. Il me fallait rester évasif :

    — Pas vraiment.

    En se prolongeant, le silence était devenu gênant. Le flou de ma réponse y était-il pour beaucoup ? Avais-je réveillé sa méfiance naturelle ? Elle avait largué son jeu et le fond de l’écran – une photo de son chat, sans doute – était apparue en même temps que ses deux yeux à elle se posaient sur moi. J’aimerais bien connaître son truc. Parce que c’est connu : un enseignant du secondaire doit avoir les yeux tout autour de la tête.

    J’avais discrètement jeté un regard devant son bureau pour connaître au moins son nom sur une plaque, mais il n’y avait rien, vraiment rien. Bref, la préposée anonyme avait transmis le message par l’interphone. Au bout d’un moment, une faible voix au milieu d’un nuage de parasites avait bafouillé quelque chose en anglais, puis la communication avait été coupée. Je n’avais pas bien saisi les paroles :

    — Vous croyez que ma grand-tante va descendre ?

    La préposée avait sourcillé, ce qui ne présageait rien de bon pour moi :

    — Tantôt, vous avez dit que vous étiez son petit-fils.

    — Euh… oui, en effet.

    — J’attends votre réponse.

    — Je suis son petit-neveu. Désolé d’avoir omis ce détail. Vous avez tout à fait raison de me corriger. (Certaines personnes aiment avoir raison ; elle devait être du lot. J’ai poussé mon avantage en lui redemandant :) Vous croyez qu’elle va descendre ?

    — Dans quelques minutes, le temps qu’elle s’habille en dimanche, qu’elle se peigne et qu’elle se maquille. Attendez là-bas !

    Ça risquait d’être assez long. Sans rien ajouter, la préposée m’avait indiqué, d’un index rageur, un minuscule salon dont la porte était fermée. Elle était impatiente de recommencer une autre partie.

    Panne électrique ? Bris mécanique ? Quoi qu’il en soit, la pièce réservée à la visite n’était pas chauffée. Par chance, j’avais gardé mon manteau d’hiver.

    ***

    Beaucoup, mais vraiment beaucoup plus tard – entretemps, j’avais demandé où étaient les toilettes, mais je ne les avais pas trouvées ; je n’avais qu’à souffrir en silence –, dame Annonciata McQueen était apparue comme si elle se rendait au bal. Son maquillage coulait cependant. Ce n’était pas à cause du chauffage central. Manque de visites, l’émotion plutôt.

    Après plusieurs détours et d’innombrables reculs stratégiques, j’avais réussi à gagner sa confiance. Elle avait fini par me livrer quelques confidences qui tendaient à accréditer l’existence de ce « train fantôme ». Mais je la sentais sur la défensive. Me cachait-elle des faits ? Et pour quelles obscures raisons ?

    En gros, et pour me résumer, elle avait déménagé au Wales Home à peu près au moment où elle avait été élue présidente de la Société d’histoire de Richmond, après une riche carrière dans l’hôtellerie. Elle avait encore du temps devant elle avant de mourir, « mais pas beaucoup » devait-elle me préciser en laissant échapper un petit rire nerveux.

    — J’avais une très bonne santé et toute ma tête, ce qui n’était pas le cas de ma sœur Elodia. Enfin… passons ! À Richmond, comme vous avez pu le constater, la population vieillissante est nombreuse et partout présente. (J’avais failli intervenir, mais mieux valait la laisser parler.) De nouveaux pensionnaires se présentaient sans cesse. Or, les anciens du centre d’accueil ne rendaient pas l’âme assez vite. Il fallait faire de la place. Vous comprenez ? Il fallait organiser des voyages d’agrément…

    — « Des voyages d’agrément ? » (L’expression me semblait vieillotte.) De quelles sortes de voyages parlez-vous, madame McQueen ?

    Elle avait répété comme si j’étais un attardé de la pire espèce :

    — Vous comprenez, n’est-ce pas ?

    Ça devait se voir sur mon visage. Aussi bien l’avouer :

    — Je crains que non.

    Elle avait poussé un soupir, comme il m’arrivait parfois de le faire devant un cancre, en classe. Elle avait repris ses explications en articulant chaque mot :

    — Une fois par mois, on dressait la liste des voyageurs qui devaient préparer leurs valises. On les regroupait au petit matin et, beau temps mauvais temps, on les sortait.

    — « On les sortait ? »

    — On les accompagnait dehors, si vous préférez. La troupe devait se rendre au bout de l’entrée principale. En face, il y avait des rails qui servaient, la plupart du temps, au transport des marchandises.

    — « La plupart du temps ? »

    — Mais enfin, qu’est-ce que vous avez à toujours répéter ? (Sans attendre ma réponse, elle avait poursuivi :) Je suis de nature curieuse et inventive. Tout le contraire de ma stupide sœur. Vous connaissez Elodia ?

    — Vous m’en voyez désolé.

    — Paraît-il qu’elle se meurt d’un cancer, pas loin d’ici. (Elle avait balayé ce nom du revers de la main comme s’il s’agissait d’une vermine :) Ils étaient une dizaine, parfois davantage. Ça dépendait du roulement des pensionnaires. Vous comprenez ?

    — Je comprends.

    J’avais enfin trouvé la bonne réponse.

    — Quand la locomotive apparaissait sur le viaduc, des frissons parcouraient les passagers d’agrément. Le train s’arrêtait à nos portes et, par je ne sais quel mystère, sans grincer des roues ni échapper la moindre fumée.

    — Un train silencieux, en somme ?

    — Ça, je le sais mieux que quiconque : ma chambre donne sur la rivière Saint-François et j’ai une excellente oreille.

    — À la gare où je me suis renseigné, on m’a dit que jamais un tel train…

    — Qu’en savent-ils, ces crétins de cheminots ? Des ignorants de la pire espèce ! (Puis se corrigeant aussitôt, elle avait ajusté sa coiffure avant de poursuivre :) Au fond, ils ont raison. Impossible pour eux d’apercevoir ce train puisqu’il s’arrêtait bien avant la gare.

    — N’est-ce pas étrange qu’un train n’entre pas en gare ?

    — Comment le savez-vous ? Vous y étiez ?

    En fait, à cette époque, je n’étais même pas encore né.

    — Euh… bien sûr que non, que

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1