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Les cinq saisons de l'Avenir: La folle saison: Qui se cherchaient là-bas et pas ici
Les cinq saisons de l'Avenir: La folle saison: Qui se cherchaient là-bas et pas ici
Les cinq saisons de l'Avenir: La folle saison: Qui se cherchaient là-bas et pas ici
Livre électronique332 pages4 heures

Les cinq saisons de l'Avenir: La folle saison: Qui se cherchaient là-bas et pas ici

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À propos de ce livre électronique

Au milieu d’un brouillard qui rend fou, le corps d’un bébé du ghetto, âgé de quelques jours à peine, est retrouvé dans un fossé, non loin d’un cheval ailé, ce qui n’est pas rien. L’adjointe N’guyen se charge seule de l’enquête en l’absence d’O’Bom.
En parallèle, une histoire sordide d’il y a 40 ans, soit celle d’un double meurtre suivi d’un incendie et d’une agression sur une ado, vient brouiller l’enquête en cours. Et c’est sans compter sur une taupe qui, depuis des années, court-circuite la force de frappe des corps policiers des cités-États de l’amicale : L’Avenir, L’Hériotte, Odanak et la capitale de l’Ouest.
On a d’abord craint d’avoir perdu O’Bom pendant l’enquête, blessé auparavant lors d’une fusillade dans le cimetière abénakis. C’est très mal le connaître. En fait, O’Bom veut savoir ce qui se passe dans la secte des illusaristes, secte animée par nulle autre qu’Urbaine Lamarche, la sulfureuse marchande des cinq-saisons.
LangueFrançais
Date de sortie5 nov. 2021
ISBN9782897755539
Les cinq saisons de l'Avenir: La folle saison: Qui se cherchaient là-bas et pas ici
Auteur

Michel Bélil

Michel Bélil propose une série policière qui met en scène quelque deux cents personnages dans une cité-État appelée L’Avenir. Chaque tome se lit séparément. L’auteur a déjà publié chez d’autres éditeurs deux romans, trois recueils de nouvelles, tout en participant à sept anthologies professionnelles. Il a obtenu les prix Boréal du meilleur roman et du meilleur recueil fantastique. Il a aussi remporté le prix Septième Continent. Il est revenu à la fiction avec une 101e nouvelle dans la revue Solaris. Sa novella inédite À fond de train peut être lue dans son blogue. Elle constitue une incursion dans l'univers réaliste d'une petite ville de l'Estrie, Richmond, avec meurtre à la clé.

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    Aperçu du livre

    Les cinq saisons de l'Avenir - Michel Bélil

    Chronologie-5

    Prologue : L’épître de la révérende de l’église des seconds prénoms

    Première partie : mi-septembre

    Jour Un : chapitre 1. Un paquet dans le fossé

    Jour Un : chapitre 2. Elle ménage ses larmes, comme le reste

    Jour Un : chapitre 3 Le seul témoin qui reste

    Jour Deux : chapitre 4 À trois ou à quatre ?

    Jour Deux : chapitre 5 Qui est le père du bébé ?

    Jour Deux : chapitre 6 La fermière était habillée en blanc

    Jour Trois : chapitre 7 Un caleçon accroché à un sapin

    Jour Trois : chapitre 8 Le fantôme qui dansait

    Jour Trois : chapitre 9 Il avait tout contre lui

    Jour Quatre : chapitre10 Le bar était ouvert

    Jour Quatre : chapitre 11 Le caneton n’aimait pas les tunnels

    Deuxième partie : mi-septembre

    Jour Quatre : chapitre 12 Un fiasco de première classe !

    Jour Quatre : chapitre 13 Une couverture en laine avec une croix rouge

    Jour Cinq : chapitre 14 La délivrance approche

    Jour Cinq : chapitre 15 La voie menant ailleurs

    Jours Cinq et Six : chapitre 16 Comme un canard boiteux

    Jour Six : chapitre 17 De la chair à pâté

    Jour Six : chapitre 18 Allumer un feu de joie est interdit

    Jour Six : chapitre 19 Il a aidé à démasquer la taupe

    Troisième partie : mi-septembre

    Jour Sept : chapitre 20 Ils lui ont tout volé

    Jour Sept : chapitre 21 La question de tous les dangers

    Jour Huit : chapitre 22 Lui fermer les yeux et la bouche

    Jour Huit : chapitre 23 Aller simple pour l’illusar

    Plus tard : Aux dernières nouvelles

    Prologue

    L’épître de la révérende

    de l’église des seconds prénoms

    J’y étais, ça oui ! j’y étais. Je peux en témoigner.

    Ça se passait à la toute fin de l’été, entre une terrible période de sécheresse, qui avait détruit les récoltes et mis le feu à la forêt de Kingsey, et le déluge venu des cieux bénis qui allait gonfler les cours d’eau et causer son lot de noyades d’humains et de bêtes. Mais à ce moment-là, on ignorait tout encore, car nous étions plongés dans les ténèbres du péché.

    Le nom n’existait même pas. C’était ce qu’on allait nommer plus tard la cinquième saison, ou la folle saison ou, si on veut sortir ses grands mots, le penta. Curieux nom d’ailleurs, ce penta de malheur : il nous a fait suer, puis il nous a glacé le sang.

    Laissez-moi continuer avant de me claquer la page au nez !

    Un malheur n’arrivant jamais seul, c’est connu, les premiers épidémiens sont d’abord arrivés à Brooke, une étrange cité-État qui se meurt, après avoir franchi, à pied, des distances incroyables. Les camionneurs qui en parlent parfois ne descendent jamais plus loin au sud, au risque d’y laisser leur peau. Ce sont plutôt les tribus qui montent vers eux. Tous ces gens se côtoient dans un marché en plein air où tous les dialectes cantoniens se mélangent en une bouillie qui peut donner de la nausée et, surtout, des maux de tête.

    Puis les épidémiens se sont présentés au bidonghetto de Richmond. D’abord des hommes dans la force de l’âge, si on peut dire, mais aux allures débraillées. La barbe longue. Les cheveux grouillant de poux. Assoiffés qu’ils étaient, sales, surtout affamés et affaiblis. Les yeux exorbités, hagards, fiévreux. Des loques à peine humaines.

    Ensuite des familles dépenaillées, exclues de leurs tribus, marchant le plus souvent pieds nus, presque toutes malades, très malades. Mais nous ne savions pas qu’ils étaient contagieux, ces gens-là. Les aurions-nous si bien accueillis si nous avions su ?

    Il n’y avait pas de jeunes enfants parmi les hordes de réfugiés, ni d’ailleurs de vieillards ou d’infirmes. Plus tard, j’ai appris qu’ils étaient tous morts en chemin. À bout de force. Épuisés. On les avait poussés dans les fossés pour éviter de gaspiller les ultimes énergies du groupe. De toute façon, avec quoi les aurait-on enterrés ? Personne ne trimbalait avec lui le moindre outil.

    Sans foi ni loi, au plus fort la poche, tuer avant d’être tué, ces désespérés semblaient avoir perdu jusqu’à l’instinct de survie. Ils provenaient par-delà les montagnes du sud et ils parlaient la langue du révérend Kurt Koweït Doyle, mon vénéré père et fondateur de l’église des seconds prénoms.

    Indulgentes à l’endroit de ces païens en grande détresse, ma mère et moi – les révérendes de Richmond, comme on nous désignait en toute simplicité – les avons tous hébergés dans l’église unie St. Anne’s, notre sainte église, notre raison de vivre et de secourir, en somme le centre de notre monde connu.

    Nous n’avons aucun mérite. Qui aurait refusé à la face même de ces apatrides qui fuyaient le chaos sanglant ? N’étions-nous pas, ma mère Augustine Australie Toutanteault et votre modeste narratrice qui tient la plume, Anne Arménie, deux femmes d’église, charitables et pieuses devant l’Éternel ? Ne l’oubliez pas : nous allions bientôt souffrir dans notre chair et dans notre âme. Au final, nous allions vivre des temps périlleux qui, à leur tour, allaient déboucher – c’était imminent ! – sur la catastrophe annoncée par les écrits de mon vénérable père.

    Ces pauvres déshérités, sans doute accablés de fautes innommables – certains d’entre eux n’auraient-ils pas, pour survivre, dévoré la propre chair de leur chair ? –, ont tardé à retrouver un semblant de sommeil. Moyennant le gîte et le couvert, nous les avons baptisés en toute hâte, craignant le pire.

    Il fallait faire vite, bien entendu, car certains tournaient de l’œil avant de sombrer dans les fièvres, les délires et les spasmes. Nous avions été claires : c’était à prendre ou à laisser. Comme indifférents, ils se sont laissé baptiser à notre grande satisfaction. Et leurs ignominies pécheresses ont enfin été pardonnées.

    Surtout, oui surtout !, ma mère Augustine Australie et moi leur avons prodigué de seconds prénoms pour que jamais au grand jamais ils ne soient emportés dans la mort par les démons du simple prénom. À chaque fois, oui à chaque fois !, cette cérémonie baptismale nous procurait joie, réconfort et multiples émerveillements.

    Pendant ce temps, au loin, grondait l’orage des mauvais jours accompagné de tornades dévastatrices. Nous venions de subir la pire sécheresse du siècle. Des nuages de sauterelles nuisibles avaient ravagé les récoltes autant dans les champs que dans les potagers. Il n’y avait plus ni légumes ni petits fruits à cause de l’air torride et le manque d’eau. Des pucerons verts ont attaqué le blé, le soja, le maïs et l’orge, détruisant tout sur leur passage. La totale, je vous dis.

    J’y étais, ça oui ! j’y étais. Je peux en témoigner.

    ***

    Oh ! Permettez-moi, nobles natifs des cités-États de l’amicale, et cela aux dernières heures de mon humble passage ici-bas, de vous replonger dans notre triste réalité, vous qui, je le suppose, vivez déjà loin dans le temps et l’espace, dans un avenir que je vous souhaite radieux et chargé de promesse. Mais suis-je si naïve ? Votre avenir est-il mieux – ou pire ! – que la tranche de passé dont je vous fais ici le récit ?

    Mon père se nommait Kurt Koweït Doyle, que ton nom soit sanctifié entre tous les justes ! Très tôt, il a été pénétré par de grandioses visions de l’au-delà. Dites-moi, natifs du futur, qui aurait pu conserver intacts ses esprits devant une telle avalanche de révélations qui ont été les siennes ? Qui, je vous le demande ? Profitant de riches éclaircies dans ses pensées tourmentées, mon illustre père a su coucher sur papier recyclé et faire profiter les amicales tout entières de sa Vérité. Qu’il en soit loué par-delà les siècles !

    Peu après ses écrits éloquents, il naufrageait dans la douce folie de tant d’évangélistes et de visionnaires avant lui. Être prophète, on ne le souligne pas assez souvent, s’apparente à un sport extrême comme le jeûne et l’autoflagellation. Certains s’y exercent, peu en reviennent. Loués soient les seconds prénoms !

    Kurt Koweït Doyle, mon père, encore et toujours. Il a longtemps enseigné la géographie au Richmond Regional High School, sur Armstrong Street. Sa formation devait le marquer durablement. À preuve, les apparitions ont d’ailleurs commencé à cette époque glorieuse. De même que quelques voix timides qu’il n’a jamais vraiment pu identifier. Pour ne plus le quitter jusqu’à son décès. Qu’il en soit ainsi pour l’éternité.

    D’après ce que mon père nous a confié, sur son lit de mort et au milieu de ses délires mystiques riches en symboles, il avait côtoyé une sorte d’illuminé qui prenait de haut ses révélations pourtant évidentes et prémonitoires. C’était à l’école Richmond Regional High School, sur Armstrong Street où il enseignait.

    L’impie se nommait William Washington Williams, ou WWW, le second prénom lui ayant été octroyé par charité, grandeur d’âme et à titre posthume pour le salut de son âme perverse. Car notre religion permet de baptiser même après que les flammes expiatoires ont consumé les chairs. Que notre bonté lui pardonne ses infamantes calomnies à notre endroit.

    Cette engeance impie, ce WWW de basse-cour, enseignait « la petite histoire », comme il le dirait plus tard sans rire devant les juges. « La petite histoire », a-t-on idée ? Voulait-il ainsi s’excuser d’avoir causé la mort d’une de ses étudiantes qui se nommait, je crois m’en souvenir, Caddie McQueen ?

    Il a mal parlé de mon père en haut lieu ; il a menti ; il a blasphémé. Le sale infâme. (On devrait lui retirer le privilège du second prénom ; le débaptiser ; l’excommunier !) Imaginez, il a dit des énormités : que mon père était le chef d’une secte, qu’il était un gourou, un usurpateur. Je l’ai tant détesté, ce type. À l’école secondaire, il a manœuvré pour discréditer mon père, mon héros. Honte à lui pour les millénaires à venir.

    En dépit de ce suppôt sans scrupules, plus galeux que le plus indigne des épidémiens, mon père a su garder son calme et répondre à l’Appel. Ignorant les attaques, mon père a commencé à prêcher dans l’église St. Anne’s United Church qui allait, en nos temps troublés, prospérer et accueillir des centaines de fidèles en quête du salut éternel.

    Remarqué et distingué dans la communauté de Richmond pour sa grande sagesse et sa mansuétude pour les pécheurs, Kurt Koweït Doyle a su écrire un évangile qui devait bouleverser la face de notre monde connu. Soyez réconfortés, gens du futur de l’amicale : mon père s’inspirait des révélations reçues en offrandes. N’était-il pas grand temps qu’un prophète de sa trempe se lève et témoigne ?

    Dans mes moments de doute, je repense à mon père. Il sait encore et toujours me redonner confiance, m’insuffler son énergie messianique, même si son âme repose aux confins de l’univers, dans un paradis dont il a tant vanté les mérites et les douceurs plus chaudes que des caresses.

    Ce livre inspiré de mon père, qu’il me soit permis de le nommer puisque cet écrit devait à jamais ébranler la décadence de nos us et coutumes. Il s’agit du Livre Saint des seconds prénoms. Mon père, plus familier avec sa langue maternelle, l’avait aussi intitulé Doyle’s Holy Scripture – Good and Bad Forenames. Parce qu’il y a de seconds prénoms qui portent chance et de Mauvais Prénoms qui mènent aux enfers. (La liste des mauvais seconds prénoms n’a pas encore été traduite à cause de l’Interdiction.)

    Cette sombre période qui, plus tard, serait connue comme le penta, la cinquième saison ou même la folle saison, avait déréglé la bonne marche du temps.

    Septembre était déjà terrible. La famine ravageait les familles. Les pillards ne respectaient plus rien. Il pleuvait encore et encore. Le mauvais temps faisait suite aux sécheresses et aux incendies. Même le pont de fer de Richmond avait été en grande partie emporté par les crues successives de la rivière Saint-François qu’on a commencé à désigner comme un fleuve à cause de son impétuosité.

    Comme si les souffrances n’étaient pas suffisantes en soi, des hordes d’envahisseurs venus de beaucoup plus profond que les Zones tribales et les Territoires cantonaux allaient contaminer nos populations avec des maladies inconnues sous nos latitudes. C’était notre coup de grâce. Je vous le dis avec amertume : nous avons été piégés du premier au dernier.

    Il n’était pas facile de survivre au temps des épidémiens. Ça, non. Mais nous ignorions tout ça encore. Nous faisions confiance en la destinée. Fous avons-nous été en cette folle, folle saison !

    Hélas, c’était écrit en lettres dorées dans le ciel. Calamité après calamité, l’espérance de vie a vite chuté. Il était rare de croiser des vieillards. Et même des adultes dans la fleur de l’âge. Quant aux petits sans défense, ils étaient aussitôt rôtis et dévorés. La civilisation ne tenait plus : elle était en perdition.

    J’y étais, ça oui ! j’y étais. Je peux en témoigner.

    ***

    Plus tôt dans mon épître, à mots découverts, et avec toute la pudeur qui me définit, je faisais mention d’un exorcisme. Quel douloureux souvenir !

    Mon père, le révérend Kurt Koweït Doyle de l’église des seconds prénoms, s’est retrouvé envahi, puis submergé par ses visions de l’au-delà. D’ailleurs, qui aurait pu garder la tête froide face à cette vague déferlante ? Je dois en convenir, il a rejoint la folie du penta.

    Ma mère Augustine Australie et moi, toutes deux nouvellement consacrées à titre de révérendes de St. Anne’s Church, avons accompli notre devoir pour que notre illustre fondateur puisse profiter d’une vie éternelle digne de son exceptionnel témoignage. Ainsi soit-il de sa forte présence à Richmond !

    Mon père a été enterré avec tous les honneurs qui lui allaient d’office. Il repose désormais dans le petit cimetière de notre église, avec vue sur le fleuve Saint-François. Nous avons dû, par la suite, faire ériger une clôture à double hauteur d’homme, car de plus en plus de nouveaux convertis et de fidèles y venaient pour se recueillir, prier et se faire photographier moyennement une légère redevance que nous remettions aussitôt aux pauvres. Beaucoup d’entre eux repartaient avec une poignée ou deux de terre sainte. À la longue, miracle ou non, cette fâcheuse manie a fini par faire des trous dans notre pelouse soigneusement entretenue.

    Hélas ! Pendant cet intervalle où nous avions le dos tourné pour vaquer à nos bonnes œuvres, les rangs des épidémiens grossissaient à vue d’œil. Je vous le jure au nom de la foi qui me retient encore en vie : des hordes entières de misérables n’ayant plus que la peau et les os allaient et venaient à Richmond, menaçantes, le poing en l’air.

    Nous avons fait des baptêmes de masse à l’intention de ces pauvres païens venus, comme je l’ai dit, du sud profond, là où le chaos engendré par les maladies règne en maître absolu. En les baptisant en série, ma mère et moi espérions chasser les démons de leurs corps et les rendre chastes et purs. C’est arrivé, mais à de trop rares occasions. Être missionnaire, c’est plus difficile qu’il n’en paraît, croyez-moi.

    Mère, nous n’avons pas été dignes de la confiance que mon père avait mise en nous. Peut-être que le défi ne pouvait plus être relevé. Qui sait ? Cette question me tourmente au moment où la mort, autour de moi, rôde et renifle.

    ***

    Mon épître tire à sa fin. Que la volonté des seconds prénoms soit accomplie et exaucée.

    En cette première année du penta, ou de la folle saison de septembre, ma conscience est tranquille, assagie et soulagée. Elle se repose, là, à l’ombre bienveillante de mon père bienheureux d’entre les bienheureux. Les trois tribus survivantes des épidémiens – les Toutanteault, les Aprilinini et les Pleineton – se sont rassemblées sous la bannière sacrée des seconds prénoms. Grâce au ciel encore une fois !

    Reste maintenant à répandre la bonne nouvelle dans le nord. D’abord à L’Avenir, qui me semble être devenue une cité-État sur la défensive, retranchée dans ses préjugés et farouchement fermée aux étrangers. Ensuite, il va suffire de rayonner tout autour. D’ici quelques années – qu’importe le nombre de ces années ; n’avons-nous pas l’infini devant nous ? –, nous allons tous les évangéliser. « Hors de notre religion, point de salut », comme il a été proclamé par notre guide suprême.

    Plus ça va et plus les épidémiens des Zones tribales empiètent sur le territoire de Richmond. Une sorte d’invasion de la misère noire qui se fait de plus en plus menaçante. J’entends la révolte gronder plus forte que, là-haut, le ciel chargé d’orages terrifiants et d’éclairs aveuglants.

    Ma mère Augustine Australie et moi, désormais, sommes les seules forteresses de ce qui reste de la civilisation après les maladies contagieuses et les incendies, puis le passage répété de la pluie diluvienne. C’est à regret que je me résigne à déposer ma plume trempée dans le sang des victimes innocentes, des vents violents, des tornades, de la dévastation et des nuages de criquets. Peut-on parler des sept plaies de Richmond comme en a rêvé mon révérend père ? À cette seule évocation, je tremble de tous mes membres.

    Malgré l’abattement qui me gagne, à la suite du décès de ma révérende mère qui a attrapé le virus d’un épidémien, il me faut continuer à évangéliser. La foi va-t-elle toujours me montrer le droit chemin ? Il le faut ! J’ai comme un chat dans la gorge. Pire encore : le doute m’envahit, me tétanise. Va-t-il falloir que je me flagelle au sang pour retrouver la Lumière purificatrice ?

    Après la cinquième saison, si mortelle soit-elle, si dévastatrice soit-elle aussi, l’automne va-t-il s’amener comme si de rien n’était ? Comme un petit bonhomme de chemin ? Le cycle des saisons va-t-il se poursuivre ? Natifs du futur, allez-vous être là pour accueillir les saisons ? Je vous envie ; je vous plains aussi. En fait, je ne sais quoi penser, moi qui ne suis qu’une étrangère à votre temps.

    Au contraire, ne serait-ce pas l’apocalypse annoncée dans les derniers paragraphes de l’évangile paternel ? Oh, ciel ! je prie pour qu’il n’en soit pas ainsi. Pour la rédemption des seconds prénoms, je m’agenouille et me recueille.

    Mais j’ai peur, tellement peur, terrorisée face aux cinq saisons d’aujourd’hui, de demain et de plus tard encore. De beaucoup plus tard, de ce temps qui est le vôtre, natifs du futur. Vous ignorez le danger qui vous guette.

    Ma vocation est consommée. Le temps est venu de m’effacer. Que dire de plus ?

    J’y étais, ça oui ! j’y étais. Je peux en témoigner.

    Première partie : mi-septembre

    Jour Un

    Chapitre 1

    Un paquet dans le fossé

    Pas facile pour ce cher O’Bom. Il se remet de ses blessures au dos et à la gorge. Il semble avoir perdu la voix. Muet comme une carpe. Ou presque. Il peut quand même grogner et faire des sons qui ne ressemblent à rien de connu. Il peut aussi s’agiter et faire de grands signes avec les bras. C’est parfois terrifiant de le voir ainsi.

    — C’est quoi que tu veux me dire ? que je lui demande, à bout de patience.

    Il se remet à gesticuler de plus belle. « Nous allons finir pour nous comprendre. » C’est ce que je me dis en guise d’encouragement.

    O’Bom, c’est mon patron. Pendant sa convalescence, je l’ai remplacé. Je n’ai pas beaucoup aimé. Surtout le volet travaux publics. Parce qu’en plus d’être le chef de police par intérim, en remplacement de feu le chef Honorin Lupien, mort en service, il est directeur des travaux publics et d’une foule d’autres bricoles que j’ai laissées de côté sans que personne ne s’en rende compte.

    Maintenant, O’Bom se remet tant bien que mal au travail. Un jour ou l’autre, assure doc Emmerich, il devrait pouvoir parler comme avant. Ce qui, dans son cas, ne veut pas dire grand-chose. Mais c’est mieux que rien.

    Il me montre deux doigts.

    — Deux ? Deux quoi ?

    Il mime quelqu’un épaulant une carabine et mettant en joue quelque chose. C’est vague. Je cherche encore à tâtons :

    — Deux chasseurs ?

    Vous voyez le genre ?

    Il se lève et feint de tomber à la renverse. À ce rythme, il va vite se fatiguer… et me fatiguer par la même occasion. Je me risque à suggérer :

    — Deux chasseurs qui ont tué ?

    — Wwwè !

    — Tué un chevreuil ?

    Il hoche la tête de droite à gauche. Son « non » est si vigoureux qu’il s’arrache presque le cou. Je fais mine de le suivre dans le cours de ses pensées :

    — Si c’est pas un chevreuil, c’est… (Il me supplie des yeux.) Ah ! Je vois. Deux tueurs ! (Il fait oui » de la tête. Son front se couvre de sueur.) Les deux tueurs du cimetière abénakis ?

    — Wwwè !

    Ça m’encourage à poursuivre :

    — Les deux Toutanteault qui ont éliminé les deux Nguyen ? Tu… tu veux qu’on les retrouve ?

    Je viens de gagner le gros lot !

    — Tu te sens d’aplomb ? que je m’informe, pas très convaincue.

    Peut-il vraiment reprendre sa fonction ? Il me désigne de l’index, puis retourne son doigt sur sa poitrine, puis il fait le signe de la victoire.

    — On va les avoir, hein ? O’Bom ? On va leur mettre la main au collet ?

    J’ai bien deviné. Avec le temps, nous allons finir par nous comprendre juste par un regard ou par un signe. Mais d’ici là, il va me falloir respirer fort, fort par le nez.

    ***

    — Olympe Emmerich dit que t’es encore affaibli, que t’as perdu beaucoup de sang…

    La grimace qu’il me décoche mériterait le grand prix du mauvais goût.

    Des fois, j’essaie de me mettre dans sa peau, à O’Bom. Pas facile. Comme beaucoup d’autres survivants de sa génération, il a connu une enfance difficile, des hauts mais surtout des bas.

    Dans notre cité-État de L’Avenir, la guerre des gangs fait rage. J’ai mentionné les Toutanteault et les Nguyen. Il y a aussi les Merlus qui se sont rajoutés. Les ménages à trois ne sont jamais faciles. Les autres cités-États de l’amicale nous regardent de travers. Nous faisons figure de derniers de classe dans la lutte aux criminels.

    — Toujours décidé à revenir à la centrale demain ? que je lui demande, avec un beau sourire fendu jusqu’aux oreilles.

    Il se frotte les mains. Ça, il a hâte de reprendre le collier ! Il a dû s’ennuyer à mourir sur son lit d’hôpital, puis dans son nouveau et minuscule appart du centre-ville. Ça demande une explication, il va sans dire.

    O’Bom a été chassé de son précédent appart par sa proprio Roselle Raîche. D’après ce que j’ai cru comprendre, O’Bom aurait supervisé des travaux de réno, il y a quelques mois. Puis sa proprio aurait décidé de garder les quatre logements pour elle-même et pour y loger ses trois filles. Le patron n’a eu d’autre choix que de squatter le gouvernorat. Bureau le jour, petit studio la nuit.

    Par la suite, il a été blessé au cimetière abénakis par deux Toutanteault qui ont aussi fauché deux Nguyen. Chez nous, dans la cité-État de L’Avenir, la tendance est lourde de tuer en double. Une sorte de

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