Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Paris moderne: Plan d'une ville moderne que l'auteur a appelée Novutopie
Paris moderne: Plan d'une ville moderne que l'auteur a appelée Novutopie
Paris moderne: Plan d'une ville moderne que l'auteur a appelée Novutopie
Livre électronique454 pages7 heures

Paris moderne: Plan d'une ville moderne que l'auteur a appelée Novutopie

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Extrait : "On trouvera sans doute très naturel que l'auteur commence par un appel à l'indulgence, qu'il s'excuse en quelque sorte de s'être occupé des Embellissements de Paris, alors que le canon élève sa grosse vois, qui retentit dans le coeur des mère, et que tous les yeux, fixés sur la carte d'Italie, suivent anxieusement les glorieuses étapes que nos braves jeunes soldats arrosent de leur sang."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
LangueFrançais
ÉditeurLigaran
Date de sortie17 nov. 2015
ISBN9782335095593
Paris moderne: Plan d'une ville moderne que l'auteur a appelée Novutopie

En savoir plus sur Ligaran

Auteurs associés

Lié à Paris moderne

Livres électroniques liés

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Paris moderne

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Paris moderne - Ligaran

    etc/frontcover.jpg

    EAN : 9782335095593

    ©Ligaran 2015

    Chapitre premier

    Qui peut servir à la fois de préface au lecteur et de dédicace à mes bons amis B. St.-H., D.D., et A.M.

    On trouvera sans doute très naturel que l’auteur commence par un appel à l’indulgence, qu’il s’excuse en quelque sorte de s’être occupé des Embellissements de Paris, alors que le canon élève sa grosse voix, qui retentit dans le cœur des mères, et que tous les yeux, fixés sur la carte d’Italie, suivent anxieusement les glorieuses étapes que nos braves jeunes soldats arrosent de leur sang.

    L’année dernière, lorsque, dans un ouvrage sur les forces militaires des principales puissances de l’Europe, je faisais mes adieux à l’armée dans laquelle j’ai eu l’honneur de servir pendant quarante ans, je disais en terminant : « Nous croyons que le temps est venu d’abjurer toutes ces rivalités, toutes ces haines qui ont si longtemps divisé les nations ; et volontiers nous nous enrôlerions sous la bannière des Amis de la Paix, à la suite de M. Cobden. – Sans croire beaucoup à la réalisation du grand-œuvre, nous aimerions à chanter, avec notre grand poète lyrique, la Marseillaise de la Paix. La guerre viendra, hélas ! toujours trop tôt… »

    Elle est venue… et, vieil invalide, je ne puis qu’accompagner de mes vœux mes anciens frères d’armes, qu’applaudir à leurs brillants exploits… Mais hélas ! combien parmi eux dont je ne pourrai plus serrer la main !

    Vita brevis vita tristis, la vie est courte et triste ; l’homme ici-bas, la passe en grande partie à souffrir et à chercher l’oubli de ses maux ; mais, bien qu’il fasse, il ne peut jamais se dérober entièrement aux impressions de l’enfance, et nous avons été élevé sous le régime du premier Empire, c’est-à-dire au bruit du tambour ; et alors la guerre était à l’état normal ; pour littérature, nous n’avions guère que les bulletins de la grande armée.

    Un de nos camarades en faisait la lecture à haute voix. On nous annonçait une victoire, cela nous paraissait tout naturel, et nous battions des mains à la nouvelle victoire ; nous avions perdu 3 à 4 mille hommes, mais les Russes ou Autrichiens en avaient eu 6 à 8 mille couchés sur le terrain. Nous étions alors charmés, vrais enfants de ces Gaulois que César a peints en deux mots : loquaces et pugnaces, bavards et batailleurs.

    Telle était notre éducation du Lycée, et il faut avouer qu’elle était faite pour nous bronzer. Mais si nous voulons être fidèle à la vérité en parlant de cette époque si loin de nous, il faut aussi ajouter que dans l’intérieur de bien des maisons, les bulletins de la grande armée n’étaient pas accueillis avec autant de jubilation ; et bien bas, à huis clos : « Hélas ! bon Dieu ! disait-on, encore une victoire ; cela ne finira donc jamais ! » et plus d’une mère, plus d’un père, qui, sans doute, n’avaient pas été élevés au bruit du tambour, ne s’extasiaient pas à la touche locale du bulletin qui leur montrait le champ de bataille d’Eylau, « où les taches de sang sur les plaques de neige faisaient un effet pittoresque. »

    Mais ces braves gens n’étaient en vérité que des Pékins, et nous autres, brillante jeunesse, nous ne rêvions qu’uniformes et coups de canon ; nous brûlions du désir d’aller aussi sur les champs de bataille, et nous ouvrions de grands yeux pour voir nos camarades de la veille, qui venaient à l’heure de la récréation, nous montrer leurs uniformes tout neufs. Combien en ai-je vu partir dans la campagne de France, qui ne sont jamais revenus ! La vue d’un uniforme me faisait battre le cœur ! Aussi ce que j’ai le mieux appris dans mon éducation au Lycée Impérial, ce fut à connaître les revers, parements, retroussis, passepoils et soubises de la grande armée.

    La littérature, comme je l’ai dit, se réduisait à peu près aux bulletins ; puis nous avions encore les chansons et les vaudevilles de Désaugiers, que, du reste, on n’a pas surpassés, je dirai même égalés en gaîté. Nous ne connaissions pas Béranger, qui, dans ce temps de gloire, consacrait sa muse à chanter le Roi d’Yvetot. En fait de poésies, je ne parlerai pas des tragédies de M. Luce de Lancival, à peu près aussi soporifiques qu’une composition en vers latins, mais nous possédions assez bien les charmants, gracieux, mais peu orthodoxes badinages du chevalier de Parny. L’Allemagne, de madame de Staël, avait été mise au pilon, et le Génie du Christianisme, les Martyrs, de Chateaubriand, nous paraissaient une littérature de revenants de l’autre monde.

    Aussi, il n’est pas étonnant qu’à peine âgé de seize ans et trois mois j’aie déserté le Lycée et la maison paternelle pour aller m’engager dans un bataillon de fédérés, avec lequel j’ai commencé à connaître les douceurs du bivouac sur les hauteurs de Belleville…

    Mon dévouement à la cause de l’Empire était héroïque… je ne prétends cependant pas qu’il ait beaucoup contribué à en retarder la chute et à empêcher la seconde entrée des ennemis dans Paris.

    Mais je m’aperçois que je tombe au péché d’autobiographie, et il est question des Embellissements de Paris : ce qui nous a encore encouragé à traiter ce sujet, c’est que malgré les préoccupations du jour, le Corps Législatif vient de voter l’annexion de la banlieue à la Capitale « bien grosse affaire, disais-je il y a quelques jours à un honnête législateur ; on s’effraye en pensant à toutes les conséquences d’une mesure de cette importance, alors que la guerre nous condamne à jeter toutes nos ressources à l’extérieur ; alors que la consommation augmente outre mesure, et la production diminue. » – « Peuh ! me répliqua le législateur, comment cela vous inquiète ? mais en vérité vous êtes bien bon ; et quoi, rien n’est plus simple, que l’annexion d’une commune à une autre, nous en votons tous les jours au Corps Législatif »…

    Heureux ces mortels à qui appartiennent le royaume du Ciel et même parfois celui de la terre ! Ils vivent dans une douce sécurité ; on leur parle d’abus, « bast ! des abus il y en a toujours eu, et il y en aura toujours » vous répondent-ils très contents d’eux-mêmes.

    Parle-t-on de l’avenir, auquel il faut cependant songer, ils sont philosophes comme Louis XV ; « cela durera bien autant que moi, après moi le déluge ! »

    Et ils sautent gaîment, comme les moutons de Panurge ; tant qu’ils trouvent de l’herbe à brouter ; mais s’ils sentent qu’on les tond d’un peu trop près, ah ! alors les voilà qui jettent les hauts cris, ce sont des moutons enragés !

    Nous devrions peut-être suivre le précepte d’Horace qui nous conseille d’entrer franchement en matière, médias in res ; cependant nous demandons la permission, avant d’aborder notre sujet de jeter un coup d’œil autour de nous, sur la physionomie de l’époque prise sous les différents points de vue, et qui nous semble tout à fait comme la médecine d’Hypocrate, expectante

    Mais avant tout nous demandons au lecteur un instant : nous voulons donner un dernier serrement de main à de bons amis que nous ne nommerons pas ; car c’est affaire entre eux et nous ; le seul bonheur que nous ayons eu, dans une vie éprouvée par bien des travaux et des ennuis, c’est à eux que nous le devons, et nous voulons une dernière fois les remercier du fond du cœur, avant de les quitter ; et tout nous dit que l’instant de la séparation est bien proche, aujourd’hui, peut-être, tout au plus demain, car la machine détraquée s’en va ; nous prenons le travail comme un opium à des souffrances tous les jours plus aiguës, et nous répétons sans cesse l’épitaphe que se fit le pauvre Scarron.

    Celui qui cy maintenant dort

    Fit plus de pitié que d’envie,

    Et souffrit mille fois la mort,

    Avant que de perdre la vie.

    Passant, ne fais ici de bruit ;

    Garde bien que tu ne l’éveilles :

    Car voici la première nuit

    Que le pauvre Scarron sommeille.

    À mes bons amis j’offre en souvenir ce petit livre ; je crois qu’un Cardinal Dubois en dirait comme des œuvres de l’abbé de Saint-Pierre : « ce sont les rêves d’un homme de bien. »

    À vous, mon cher mon ami d’enfance, nous avons suivi deux carrières bien différentes ; à vous les honneurs littéraires, les hautes positions ; mais, ô le dernier des Romains, vous avez répudié honneurs et places, ne prenant conseil que de votre noble caractère, car chez vous le caractère est à la hauteur de l’esprit et avec tant de vertu, ô le meilleur et le plus aimable des philosophes, vous n’êtes pas moins resté l’homme sympathique par excellence ; on ne peut vous voir sans vous aimer ; et au milieu de vos nombreux amis je suis fier que vous m’ayez conservé une place.

    À vous, mon grand D… votre nom seul fait revivre en foule tous les bons souvenirs de ma jeunesse : vous rappelez-vous comment vous m’avez servi de garde-malade fidèle lorsqu’une balle fratricide était venue me frapper le 6 juin 1832 ; puis ensuite le voyage que nous fîmes ensemble à petites journées en Italie ; mais grâce à Dieu, on n’avait pas encore inventé les chemins de fer, qui prennent un voyageur et le jettent à destination comme un volatile qu’on aurait secoué en lui mettant la tête sous l’aile ; quelles bonnes et amicales causeries nous avions ensemble, car, dussé-je faire rougir votre modestie, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’hommes qui, à un esprit aussi vif, aussi comptant réunissent autant de bonhomie ! Hélas ! vous vivez là-bas dans vos vertes montagnes, loin de moi, satisfait de votre sort, vous vous êtes contenté des honneurs municipaux que vos compatriotes vous décernaient, et, heureux sage, au milieu de votre charmante famille, à côté de votre aimable femme, qui n’a jamais fait fi de votre vieil ami, vous avez décliné le mandat si recherché alors de la députation. Vous vivez loin de moi, mais je vous vois sans cesse au milieu de vos coteaux ; je vis avec vous en communion du vin, car à chaque repas je bois à votre santé les échantillons de votre crû que vous m’envoyez.

    À toi enfin, mon cher M… il n’y a que quarante-quatre ans que nous sommes entrés au service, sous le même drapeau ; tu as été mon camarade de chambre, mon professeur de mathématiques et tu as fait un triste élève… En 1818 ce même bâtiment de la rue Blanche, où je devais, trente ans plus tard, commander le Gymnase musical militaire, était un hôpital, et nos hauts-faits nous y avaient fait prendre domicile ; le soir nous nous réfugiions dans une petite salle de bain, à la lueur fumeuse d’une chandelle, tu m’expliquais Bezout, tu me préparais à subir mon examen d’entrée dans l’État-Major, terrible épreuve, je me la rappelle, à telles enseignes que j’oubliai mon épée à côté d’un problème que je n’avais pas su résoudre, et que je traversai toute la ville sans m’en apercevoir, tout en ruminant mon indigeste problème.

    Puis, nous avons servi dans le même corps, et maintenant tu te reposes d’une vie de fatigues militaires et de travaux de paix, dans lesquels tu as montré cette rectitude d’esprit, cette sûreté de jugement qui te caractérisent à un si haut degré ; tu te reposes, mais ce repos est digne de ta vie entière, car tu le consacres au soulagement des malheureux ; tu ne peux, dans ta modeste fortune, leur donner que bien peu d’argent, mais tu leur donnes tout ce qui te reste de vie et de forces. Membre d’un bureau de bienfaisance, tu grimpes dans les mansardes, tu affrontes les miasmes de la petite Pologne, et pour tous ces malheureux, qui semblent les parias de la civilisation, tu as une parole de consolation ; tu signales leurs maux, et tu es fier lorsque tu peux leur apporter un secours ! Philanthrope sans fracas ni réclame, soldat de la charité sans en avoir le nom ni l’uniforme, tu es, mon vieil ami, un glorieux invalide. Oui, il y a encore, et rendons en grâces au ciel, de ces existences à peine, connues, dont il faut s’approcher pour savoir tout ce qu’elles ont de noble, et on est heureux de leur payer le tribut d’estime et d’amour auquel elles ont droit.

    Mes bons et chers, amis B. St. H., D.D., M. , encore une fois, adieu !

    Chapitre II

    L’époque actuelle n’est pas une époque, au dire de Bossuet et de M. le docteur Véron. – Liberté de la Presse en France. – Spectacles qu’on donnait au peuple dans la bonne ville de Paris, dans le bon vieux temps. – Comédie que nous donne la noblesse de contrebande.

    Si, comme a dit Bossuet, ce qui s’appelle époque vient d’un mot grec qui signifie s’arrêter, « parce qu’on s’arrête là, pour considérer comme d’un lieu de repos tout ce qui est arrivé devant ou après. » – Certes, le temps où nous vivons n’est pas une époque, il est un temps de transition, d’épreuve, une crise, tout, excepté une époque. Et en effet, s’il est vrai que le souverain ait rétabli en France la pyramide sur sa base, il est certain qu’il n’a pas encore terminé l’édifice qu’il a promis de couronner par la liberté.

    Voyez comme un docteur, membre du Corps législatif, demande avec anxiété, où sommes-nous ? où allons-nous ? Comme il se plaint du Sénat, qui n’est pas assez pénétré de la grandeur de la mission qu’il est appelé à remplir ; et à ce propos on a, avec raison, remarqué qu’il est difficile de comprendre comment l’auteur relève à la fois dans le Sénat son impuissance et son inaction, l’une n’étant que la conséquence constitutionnelle de l’autre.

    Voyez avec quelle verve railleuse il signale « cette publicité crépusculaire que la constitution lui octroie, ce ciel tépide où elle le fait vivre, ces portes closes et hermétiquement fermées sur ses débats, puis cette triste charge confiée à un secrétaire rédacteur de disséquer les discours, de les dépouiller de leurs muscles, de leurs nerfs, de leur sang artériel et vivifiant, de mettre un uniforme à la langue française. »

    « Et enfin, demande-t-il, le temps n’est-il pas venu de nous préparer par de douces transitions à l’usage, à la jouissance de cette liberté sage et bienfaisante qui nous fut promise ? L’opportunité et l’art des transitions jouent un grand rôle en politique. »

    Du reste ce sont là de graves questions qu’un gros bourgeois comme M. le docteur Véron peut agiter, mais peut-être ne conviendrait-il pas à un chétif tel que moi de se hasarder sur ce terrain.

    Cependant à un discours de l’entrée, M. Roulland disait solennellement que la France, sous le régime actuel, a pour la presse non périodique toute la liberté dont elle jouissait sous le roi Louis-Philippe ; et le 18 septembre 1859, dans le Moniteur nous lisions : « la Presse en France est libre de discuter tous les actes du Gouvernement et d’éclairer ainsi l’opinion publique. »

    Aujourd’hui, 16 décembre 1859, nous y trouvons encore ces paroles remarquables : « On peut affirmer que la liberté du livre n’a jamais été plus complète ni plus incontestée que maintenant. »

    Cela est possible ; mais comme l’autorité s’est réservé le droit de retirer administrativement au libraire, à l’imprimeur dont elle n’est pas contente, leur brevet, il faut d’abord que l’auteur subisse le contrôle de ces deux industriels, et après avoir échappé à cette censure préventive de bas aloi, est-il toujours quitte ?

    Je lis un arrêt tout récent, il date du 22 mai 1858, et je vois condamner à trois mois de prison, et 3 000 fr. d’amende un écrivain, ancien pair et ancien représentant, pour avoir signalé : (Ce sont les considérants du jugement), « notre législation comme ne laissant la faculté de parler que par ordre et par permission, sous la salutaire terreur d’un avertissement d’en haut ; ce qui est qualifié d’attaque contre le respect de nos lois : pour avoir dit que quand le marasme le gagne et quand il étouffe sous le poids d’une atmosphère chargée de miasmes serviles et corrupteurs, il court respirer un air plus pur et prendre un bain de vie sous le ciel d’Angleterre ; et plus loin, que la France a répudié les libertés politiques et municipales que l’Angleterre a conservées au Canada. »

    Ce qui est qualifié d’excitation à la haine et au mépris du Gouvernement.

    Certes voilà un publiciste qui maintenant sait à quoi s’en tenir ; il n’ira plus crier sur les toits qu’on n’est pas libre de parler dans un pays où on le condamne à trois mois de prison et 3 000 fr. d’amende pour avoir eu le mauvais goût de ne pas se trouver assez libre.

    Il aime à aller respirer les brouillards de la Tamise, et trouve l’air, en France, chargé de miasmes serviles et corrupteurs ; c’est sans doute l’air des salons.

    Eh bien, nous l’enverrons respirer pendant trois mois l’air de la prison.

    Quant au Canada, il y aurait, ce nous semble, un moyen de vérifier si l’auteur a lancé une assertion téméraire ; dans ce temps de congrès, ne pourrait-on pas demander aux délégués de cette contrée, qui fut jadis baptisée du nom de Nouvelle-France, s’ils veulent opter entre l’Angleterre, qui l’a conquise, et les États-Unis qui l’attirent ou la mère-patrie. Nous avons à six lieues de notre littoral des îles bien normandes, Jersey et Guernesey ; ces dernières n’auraient qu’à nous tendre la main pour redevenir françaises… en attendant, trois mois de prison et 3 000 francs d’amende.

    Tout d’abord, qu’on n’aille pas nous jeter à la tête le respect de la chose jugée ; nous nous inclinons très bas devant la chose jugée qui, si elle n’est pas toujours la vérité, pro veritate habetur, passe pour être la vérité ; mais, dans l’espèce, comme on dit au palais, nous sommes à l’aise, puisque le chef du gouvernement a fait justice des deux jugements par un acte de grâce géminé, toujours comme on dit au Palais, la première fois en rappelant la date du 2 décembre 1851, la seconde fois, sans phrases et sans date.

    Bien d’autres dangers encore ! et la loi de 1819 sur la diffamation ! – pour peu que votre plume, en grinçant, se heurte à quelqu’un de ces noms véreux que tout le monde connaît, et lui accole l’épithète que tout le monde lui a décernée, vite un procès en diffamation : on n’en a jamais tant vu ; et les tribunaux ne peuvent suffire à toutes ces réhabilitations. Pour beaucoup de plaignants, c’est tout simplement une petite spéculation, ils tirent lucre de leur déshonneur ; pour d’autres, c’est une réclame, mais, somme toute, une loi qui punit l’allégation d’un fait qui peut porter atteinte à la réputation d’un individu, c’est-à-dire qui punit l’allégation d’un fait vrai comme elle punirait une calomnie, est bien dangereusement élastique ; un publiciste l’a dit : « Il faut que des peines soient portées contre la calomnie et que ces peines soient terribles ; mais défendre aux citoyens la dénonciation des actes dont ils ont la preuve et ne pas leur permettre, quand ils ont démasqué le vice, d’appeler à leur aide la vérité, c’est insulter à la raison, c’est accorder au relâchement des mœurs, à l’abaissement des caractères, le bénéfice d’un patronage public et anticipé. C’est encourager légalement la mauvaise foi, l’esprit d’intrigue, la fraude habile, et enlever à la sécurité de la Société tout entière ce qu’on donne à celle de l’individu. »

    Deux hommes de lettres se jettent quelques taches d’encre et s’escrimant avec leurs plumes d’acier, se font quelques piqûres ; vous croyez que tout se terminera par quelques bonnes épigrammes, quelques satyres dont la malice publique fera son profit ? point : c’est le papier timbré qui fait son office ; celui des deux qui se sent le plus faible, qui a souvent le premier tort, se porte partie plaignante ; une querelle de Vadius et Trissotin est jugée en police correctionnelle, et Trissotin est puni de trois à six mois de prison pour avoir traité Vadius de cuistre, petit grimaud, barbouilleur de papier, etc.

    À ce compte, on ne saurait trop s’émerveiller de la facilité avec laquelle on envoie un homme réfléchir pendant 3 ou 6 mois loin de sa famille, de ses affaires, à côté de gens qui, certes, doivent se trouver bien étonnés du voisinage ; et à ce régime, en vérité, la France n’aurait eu ni Molière ni Boileau.

    Mais ce n’est pas tout.

    Il se trouve dans la poudre des bibliothèques quelque vieux mémoire écrit avec cette liberté d’allure du bon vieux temps, qui, par parenthèse, n’était pas bon du tout, mais du moins avait son franc-parler et était un peu moins collet monté que le nôtre : quelque pauvre diable d’homme de lettres qui gagne sa vie avec sa plume, comme un martinet avec ses ailes, découvre, en furetant la perle dans le fumier ; le voilà qui la dégrossit et la polit, l’enchâsse dans des notes, et l’offre au public qui, n’étant pas toujours charmé des produits du jour, est assez friand de ces vieilleries…

    Et bien, il n’a parlé, comme Figaro, « ni de l’autorité, ni du culte, ni de la police, ni des gens en place… ni de personne, ni de qui tient à quelque chose, » et vous croyez qu’il est parfaitement à l’abri en reproduisant un ouvrage déjà imprimé depuis nombre d’années ? – Pas du tout : voici qu’un descendant ou une descendante d’une de ces lustres familles qui se disputaient l’honneur de faire encrer leurs filles dans l’alcôve royale se trouve offusqué du sans-gêne avec lequel le mémoire parle de leurs nobles aïeules… Nous sommes si vertueux aujourd’hui au faubourg Saint-Germain ! Puis on n’est pas fâché non plus de constater par devant justice qu’on appartient à une de ces familles qui avaient leurs entrées dans les carrosses et même dans la chambre à coucher du roi ; on n’est pas fâché de montrer que le titre qu’on a est de bon aloi ; qu’il ne date pas de 1808 qui blasonna tant de révolutionnaires, de la Restauration qui baronnisa tant de bourgeois de la rue Saint-Denis ; c’est une manière de défiler devant messieurs de la cour, en faisant porter devant soi, à la mode des anciens Romains, les portraits de ses ancêtres ; et pour ce, la noble famille intente un procès en diffamation, va visiter les juges ; et bientôt on entendra plaider en termes chaleureux que l’honneur des familles est le patrimoine le plus sacré des enfants, etc. : et le malheureux homme de lettres se trouvera bien penaud en s’entendant condamner à 3 mois pour attentat à la morale publique, et puis encore l’imprimeur, c’est-à-dire l’homme qui copie, mais ne lit pas ; le libraire, c’est-à-dire l’homme qui, pour peu que sa boutique soit achalandée, ne peut pas avoir le temps de lire les livres qu’il vend, sont également condamnés ; contre ces derniers on a fait retentir le gros mot de spéculation ! – La société tout entière est intéressée à ce qu’on punisse sévèrement ces marchands de scandale, qui, par esprit de lucre, n’ont pas craint d’aller ramasser dans des publications apocryphes et mensongères, d’ignobles calomnies… – et au nom de la sainteté du foyer domestique, on implore la vindicte des lois en faveur d’une noble famille outragée.

    – Et quelle famille, Messieurs !…

    Ici l’avocat de la partie plaignante, qui a été largement honoré, fait un tableau des vertus de cette famille tel qu’on en serait volontiers attendri, et les deux spéculateurs sont condamnés à quelques mois de prison et à une somme assez ronde d’amende.

    Spéculateurs… parbleu, il est bien certain que l’imprimeur en imprimant, que le libraire en vendant un livre ont fait une spéculation.

    À la prison… les voilà bien malades, dit un chevalier des temps passés, dans l’ancien régime, on ne faisait pas tant de façon avec ces espèces ; on les faisait bâtonner ; le petit Voltaire est bâtonné par M. le chevalier de Rohan, et il va se frotter les côtes à la Bastille, car ce fut toute la réparation qu’il obtint.

    Et le duc de la Feuillade qui, sans doute, s’étant reconnu dans le marquis, de la Critique de l’École des Femmes, rencontre Molière chez le roi ; il court à lui : « Que je vous embrasse, mon cher M. Molière, et il lui frotte le visage contre ses broderies à l’ensanglanter, en répétant Tarte à la crème, tarte à la crème ! » Voilà une bonne plaisanterie dont Molière alla bien en vain se plaindre au grand roi ; mais le grand roi pouvait-il donner tort au galant courtisan qui, de ses propres deniers, élevait à sa royale personne le fastueux monument de la place des Victoires ? Il est vrai que l’argent qu’il y dépensa avait été, à ce que dit la chronique, assez mal gagné.

    Et voilà, palsembleu, comme on agissait dans l’ancien régime…

    En 1689, un bénédictin de Saint-Denis, du nom de François de la Bretonnerie, avait fait un libelle et s’était réfugié en Hollande, sous le nom de La fond ; trahi par un juif, il fut transporté au Mont Saint-Michel, où il mourut bel et bien dans une cage de fer.

    En 1694, le libraire Chavance, accusé de distribution de libelles, est mis à la torture, et deux garçons imprimeurs sont pendus après avoir toutefois subi la question ordinaire et extraordinaire. En 1750, pour quelques vers sur l’emprisonnement du prince Édouard, le poète Desforges est jeté dans cette même cage de fer qui, comme le dit d’Argenson dans ses mémoires, semble la prison héréditaire des satiriques.

    Voilà comme on leur apprenait à vivre, à ces petites gens…

    Ah ! le bon vieux temps… alors que les spectacles les plus beaux, dont nos rois gratifiaient leur bon peuple dans leur bonne ville de Paris, étaient ceux des supplices sans nombre et si variés qu’on étalait à leurs yeux ; et ils y prenaient un plaisir extrême ; car, non seulement le populaire, mais encore les dames de la cour, y allaient en grand gala voir estrapader, brûler, déchiqueter, tenailler, rouer, écarteler, je ne parle pas de la pendaison car ce n’était guère la peine de se déranger pour si peu.

    C’est qu’aussi dans ce bon temps, un supplice était en effet une pièce à grand spectacle, qui, il est vrai, ne respectait pas les unités d’Aristote, car elle durait plusieurs jours, elle se passait dans différents lieux ; mais l’intérêt allait toujours croissant, et au dénouement, le peuple, non pas représenté, comme dans les chœurs du théâtre grec, par quelques chanteuses de strophes et d’antistrophes, mais un peuple entier, ou plutôt un troupeau de tigres, alléchés par l’odeur du sang, entrait en scène, se disputait les lambeaux de la victime,

    Horrible mélange

    D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,

    Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux

    Que des chiens dévorants se disputent entre eux.

    On ne peut voir sans horreur et sans un profond dégoût cette rage avec laquelle une société tout entière s’acharne sur un malheureux, avec quel raffinement elle lui dose la souffrance pour que, par de sages lenteurs, on puisse extraire de sa chair tout ce que la chair humaine peut contenir de douleurs ; la torture, habilement graduée, s’abat sur la victime comme le vautour de la fable, regrettant de ne pas lui trouver l’immortale jecur ; l’office de bourreau devient une science ; aussi, au supplice de Damiens : « Laissez approcher, dit l’exécuteur, pour un M. de la Condamine, laissez, c’est un amateur. »

    Et, en effet, le spectacle devait être beau, car pour mettre à la question ce misérable fou qui, armé d’un canif, avait frappé le roi, on trouva l’appareil ordinaire insuffisant, et oh fit venir d’Avignon les instruments inventés par l’imagination des Inquisiteurs pontificaux (H. MARTIN, tome XV, p. 510) et nous lisons dans Voltaire que les deux conseillers qui réglèrent l’ordre et la marche du supplice furent gratifiés chacun d’une pension de 2 000 écus.

    Mais c’étaient, dira-t-on, d’infâmes scélérats qui méritaient mille morts ! Hélas, dans cette longue, nomenclature de supplices, dont la place de Grève fut le théâtre, combien n’y en avait-il pas qui n’étaient que de nobles martyrs, mourant pour confesser leur foi, de malheureux fous qui ne méritaient que des douches.

    Aux huiles le pilori, l’Estrapade, sur la place qui en a conservé le nom. Cet ingénieux supplice, fut un des passe-temps de la cour du galant roi François 1er qui menait les belles dames voir tremper et retremper dans le feu les hérétiques, lui qui selon les besoins de la politique hésitait toujours entre le prêche et le prône, et à une époque avait invité à venir à sa Cour Melanchton, le doux apôtre du fougueux Luther.

    À la Grève enfin ce luxe de supplices qui faisait dire à Nodier « Si tous les cris que le désespoir y a poussés sous la barre et sous la hache, dans les étreintes de la corde et dans les flammes des bûchers pouvaient se confondre en un seul, il serait entendu de la France entière ! »

    Après cela qu’on s’étonne qu’un peuple élevé à de pareils spectacles fasse la Saint-Barthélemy ; car ce fut bien le peuple qui tua, massacra, et il n’en faut pas faire le crime du roi seul et de sa mère.

    Qu’on s’étonne qu’il ait fait les massacres de Septembre ; car ce fut encore le peuple qui y mit la main ; et en vain on voudrait en accuser une bande de forçats soudoyés : non la peuple c’est-à-dire des gardes nationaux fous de terreur en pensant qu’à la veille de marcher à la frontière, ils laissaient dans les prisons des traîtres qui leur ramèneraient l’ancien régime, se firent égorgeurs ; le lendemain ils venaient demander le prix de leur journée, on a retrouvé leurs noms dans les comptes de l’époque…

    Et penser cependant qu’aujourd’hui encore nous avons en France des gens qui préconisent cet ancien bon et vieux temps, qui se font les partisans de ce régime de la torture ordinaire et extraordinaire, de la question préparatoire qui dura jusqu’en 1791, car le bon roi Louis XVI n’avait aboli que la question définitive, c’est-à-dire celle qu’on ajoutait comme exaspération à la mort.

    Et penser que parmi ces éloquents admirateurs des temps passés et des splendeurs du grand Règne ceux qui crient le plus haut sont des grimauds qui, parce qu’ils se sont affublés du nom du village où ils sont nés, ou du bien national que leurs pères terroristes ont eu pour quelques assignats, voudraient aujourd’hui se faire passer pour les fils des preux, tandis que si cet ancien régime qu’ils évoquent venait à renaître ils ne paraîtraient dans ces châteaux, au milieu de cette noblesse que sous la livrée des Lazarilles et des Scapins, ou sous la bure du manant censitaire.

    « Il y a dit on, de par le monde, un fils naturel de Carrier de Nantes, le célèbre terroriste, qui porte un nom de fantaisie et le titre de marquis : Carrier de Nantes ne s’attendait guère sans doute à faire souche de marquis. »

    Tout récemment nous lisions une délibération d’une société littéraire ; on y infligeait un blâme et une exclusion à un des membres de la dite société pour s’être exprimé sur le compte de quelques personnages d’avant la révolution en termes peu révérencieux, et dans le nombre des dignitaires prononçant l’ostracisme, je voyais le nom ou plutôt les noms d’un brave homme qui peut-être comme le bourgeois-gentilhomme, a fini par se persuader à lui-même qu’il est baron, tant est qu’il se dit baron, et qu’il a caché son véritable nom sous une couche de deux nouveaux noms nobiliaires, et nous ne lui en voulons pas, car son nom… on ne le prononcerait qu’avec horreur.

    Il n’y a jamais eu une rage de titres nobiliaires comme depuis qu’il n’y a plus de noblesse.

    Vous voyez des gens occupés à étudier le nom qu’ils ont reçu de leurs pères, à l’étirer, à le tronquer, plus souvent à l’allonger ; sous la restauration, nous avions un littérateur religieux, qui non content de mettre un de en tête de son nom, en avait mis un à la queue. On consulte les vieux mémoires, on va même en pays étrangers, et vous finirez bien, parbleu, par vous trouver un nom de qualité, qui rime tant soit peu avec le vôtre ; l’étymologie aidant, et elle est pleine de ressources, ca da ver, vient bien de caro data vermibus, vous qui vous nommez Labranche, par exemple, vous pouvez hardiment dire que vous êtes un Brancas ; votre digne et honorable père, a vécu toute sa vie Lépine tout court ; pourquoi ne pas vous appeler De Lépine : il y a une famille en Italie ainsi nommée : vous en descendez, tous les hommes ne sont-ils pas frères ? Je rencontre un jour un camarade de collège ; « et bonjour donc lui dis-je, en l’appelant par son nom » : il retire sa main, prend dans son portefeuille une carte de visite, et me la présente gravement. « Diable tu fais bien de me le dire, je croyais que tu t’appelais toujours comme au collège. » Il était sur le point de me proposer une affaire d’honneur, et cela me rappelle Beaumarchais, quand il dit dans ses Mémoires, à son antagoniste le comte de Lablache. « Je ne vous appellerai pas Falcoz, parce que c’est votre vrai nom, et que vous ne pouvez souffrir qu’on vous le donne. »

    Il faut dire aussi qu’il y a des noms bien ingrats, dont on ne sait que faire ne me parlez surtout pas des noms monosyllabiques, ils sont tout à fait réfractaires au de. Un brave Officier-général, qui certes a conquis noblement ses grades sur le champ de bataille, digne et excellent homme du reste, m’a donné certain jour une leçon d’étiquette. Ce brave général a un nom allemand, dur, sec ; que voulez-vous, c’est celui de son digne grand-père, de son vivant berger, non sur les bords du Lignon, mais en Alsace… mais je le répète, ce nom hurle en quelque sorte de se trouver accouplé à un de et à un titre de vicomte. Or, un jour sachant que Madame la générale avait été indisposée, « mon général, dis-je, madame (tout court)… est-elle tout à fait remise, comment se porte-t-elle ? »

    – « Madame la vicomtesse de… se porte bien » me répondit le général avec une solennité glaciale.

    Je jurai bien qu’on ne me reprendrait plus à demander des nouvelles de la dame, j’aurais trop peur d’oublier ou le titre ou le de.

    Quand on a des noms de cette sorte, il faut en finir. S’il s’agissait seulement de se les retrancher comme on fait d’un membre malade, je le sais, vous en auriez le courage, mais il est mal aisé de se dénommer tout à coup… ; vous avez enfin votre acte de naissance, votre bande de journal, qui vous appellent, et vous ne pouvez faire la sourde oreille ; non, il faut prendre votre nom, lui faire une greffe par approche vers le mois d’août, alors qu’on est à la campagne et que par conséquent on n’a pas les yeux sur vous, puis c’est le temps où la sève monte : bientôt la greffe prendra ; puis quelques cents de cartes porcelainées, et votre sauvageon de nom, votre églantier rustique portera un joli petit nom que vous pourrez aller, l’argent à la main bien entendu, faire insérer dans l’Almanach de la noblesse.

    Pour prendre un titre, la recette est à peu de chose près la même ; cependant je ne vous conseille pas de le faire comme pour le nom, par simple carte de visite ; c’est une méthode qui est trop sans gêne, et qui ne convient pas à un gentilhomme bien élevé ; aller sournoisement déposer son faire-part d’anoblissement chez les portiers, sans seulement crier gare… non il faut attendre, il y a de grandes occasions dans la vie dont il faut savoir profiter carrément ; ainsi, je n’aime pas ce manifeste lancé à brûle-pourpoint par le fils d’un très honorable apothicaire dont nous avons tous vu la boutique dans une des rues les plus fréquentées de Paris ; ne voilà-t-il pas qu’il s’avise un beau jour de remplir tout le gouffre à barreaux de la grande poste de brochures sur papier pâte, superbes caractères : c’était sa généalogie qu’il envoyait gratis à tous ses amis, connaissances, aux 25 000 adresses !…

    Et quelle généalogie ! il s’en exhalait un parfum d’antiquité comme s’il s’échappait d’un bocal bouché à l’émeri ! elle remontait à Charlemagne au moins ; et à la fin la représentation fidèle, authentique, de ses armoiries, et je vous prie de croire qu’il n’y manquait rien : supports, lambrequins et merlettes, ce n’étaient pas des armes parlantes, un mortier et un pilon, fi donc !…

    Et bien, tout cela fut mal reçu, uniquement parce que cela manquait d’à-propos.

    Les trois grandes occasions sont : – le mariage, la naissance et la mort.

    Vous allez voir que je mets les choses dans leur ordre logique, car un enfant en naissant ne peut pas, quelle que soit sa précocité, s’anoblir lui-même.

    Ainsi donc le mariage ; un jeune officier très inférieur, fils d’un bon bourgeois, ce qu’il y a de plus bourgeois, refuse héroïquement de prêter serment en 1830 à la branche cadette, il ne devait pas moins au culte de la légitimité dont les ancêtres qu’ils avaient déjà entrevus dans ses rêves ambitieux, avaient dû être les plus fermes champions, il brise son épée, se retire fièrement dans sa tente, comme Achille… mais au bout de quelques années, ennuyé de rester dans sa tente ou sur l’asphalte des boulevards, il prend le parti de se rallier.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1