Le Livre des convalescents
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Aperçu du livre
Le Livre des convalescents - Armand Silvestre
À MON AMI LE Dr BENI-BARDE
PRÉFACE
C’est certainement un grand honneur qu’a fait à ma vieille amitié l’auteur de ce livre en me confiant le soin d’en écrire l’avant-propos. Mais c’est, en même temps, une justice qu’il m’a rendue s’il a pensé, comme je l’espère, que nul n’y prendrait plus de plaisir que moi.
Nous vivons, en effet, dans un temps si particulièrement morose que ceux-là me semblent faire une bonne action qui, se souvenant que « rire est le propre de l’homme, » s’efforcent à dérider ce grand lac d’ennui et à en illuminer la surface d’un clair rayon de beau soleil. Et ce ne sont pas seulement de braves gens qui savent qu’un peu de joie est quelquefois une aumône ; mais ce sont aussi de bons citoyens, qui se rappellent que la gaîté fut une des gloires de l’esprit français, qui sentent, au fond de leur cœur, qu’avec elle, nous perdrions un nouveau lambeau de la Patrie.
Et, je le crois comme je le dis : ils ont montré autant de courage que de belle humeur ceux qui, – au lendemain de nos derniers revers, ayant combattu jusqu’au bout le bon combat, le fusil au poing, – devant la France humiliée, trébuchant dans les ruines, mais pleine encore des sèves sacrées de l’espérance, ayant la conscience de ses immortels destins, ont poussé dans le sillon le chant de l’alouette saluant l’aurore même sur les champs de bataille !
Eh morbleu ! ne m’en veuillez pas si je le prends ainsi de si haut et avec cette ardeur. Ma foi est absolue sur ce point. Après l’envahissement brutal qui nous a pris deux provinces, j’ai redouté, je l’avoue, un envahissement lent, mais non moins fatal. Après les canons qui avaient déchiré de leurs roues le sol natal, j’ai craint que les lourdes théories d’outre-Rhin n’en vinssent écraser les dernières fleurs, en étouffer les printanières renaissances. C’était avec du sérieux que l’Allemand nous avait vaincus ! Nous portions le châtiment de notre inguérissable légèreté ! Il fallait devenir graves comme ces hommes. Et c’était un affolement partout, un mot d’ordre dans les hautes sphères. En même temps qu’on copiait les uniformes de l’ennemi pour nos soldats, on lui voulait emprunter jusqu’au poids longtemps raillé de ses pensées. Un seul, – celui qui n’avait jamais désespéré dans la lutte, celui dont le nom symbolisera glorieusement dans l’avenir une héroïque défense, – Gambetta continuait d’arborer le large rire gaulois comme un dernier lambeau du drapeau.
Il avait cent fois raison. En vérité, ce n’était pas seulement la terre où furent nos berceaux et où nous voulons nos tombes qu’il s’agissait de garder comme un pieux héritage ; c’était aussi le patrimoine intellectuel que nous firent les aïeux à travers les âges et à travers les épreuves, les aïeux qui se nomment Rabelais, Molière et Voltaire, aussi bien que Bossuet, Corneille et Pascal, race à la fois brillante et profonde, famille auguste où le génie sut être à la fois illuminé de rire et plein de fécondes méditations. Hors de cette double tradition, nous ne serions plus nous-mêmes et peu importerait vraiment au reste de l’humanité que nos fils occupent le même territoire que ceux qu’ils auraient si mal imités !
C’est que nous roulons, dans nos veines, avec notre sang, le sang vermeil et chaud, pétillant et pourpré de nos vignes et que c’est la belle chanson du vin qui nous monte aux lèvres, non pas les lourds hoquets de la bière, comme aux fumeurs de pipes en porcelaine sous les treilles de houblon. Arrachez les ceps de nos coteaux et nous verrons ensuite ! Peut-être alors préférerons-nous Hégel et Kant à Montaigne et à Diderot. Les géographies pourront continuer à nous appeler comme elles le voudront. Je soutiens, moi, que nous ne serons plus Français.
J’ai dit que ce beau trésor de gaîté originelle, nos pères nous l’avaient conservé, non pas seulement à travers le temps, mais à travers de continuels combats. Ils n’ont donc pas lu l’histoire de notre pauvre et glorieux pays, ceux qui le voudraient condamner à de mortelles gravités. Qu’ils y jettent les yeux ! Depuis l’Anglais que Villon railla de toute sa verve cynique jusqu’à l’Allemand dont se moqua Banville jusque sous le feu des obus, ils trouveront à chaque page quelque revers nouveau suivi de quelque admirable relèvement, la patrie foulée aux pieds de l’étranger, mais prenant d’éclatantes revanches, des abîmes s’ouvrant devant nos destins, puisse fermant sous des apothéoses, et toujours, partout, impérissable, relevant les courages, la gaîté française, l’immortelle gaîté cueillant le long du chemin des herbes folles qui se transformaient en lauriers.
Je ne voudrais pas cependant enfler le ton outre mesure pour présenter au public un livre qui s’offre à lui sous un titre aussi modeste que celui-ci : Le Livre des Convalescents. Mais je n’ai pu résister à l’occasion qui m’était donnée de dire ce que j’ai sur le cœur, quand je vois les gens graves de profession qui se sont fait du sérieux une pose et un moyen de parvenir infiniment moins gai que celui de notre cher Béroalde de Verville, traiter avec un certain dédain une littérature légère, je le veux bien, mais qui, du moins, a le mérite de voler, par cela même, un peu plus haut que nos têtes, tandis que la leur nous couche tout de notre long à terre en nous assommant. Je sais cependant tel mot de Rivarol qui a vécu plus longtemps que de lourds volumes, et la seule excuse de l’ennui c’est qu’il n’a jamais été un chemin vers l’immortalité.
D’ailleurs, le Livre des Convalescents dépasse la mesure très humble de son épigraphe. J’entends que tout le monde est plus ou moins convalescent aujourd’hui et qu’il ne s’adresse pas seulement à ceux que vient de victimer l’art de M. Purgon compliqué de l’art de M. Fleurant. C’est moins le corps que l’esprit que nous avons malade et ce sont moins les fluctuations désorientées des saisons qui nous remuent la bile que le beau vent d’ineptie qui souffle un peu de partout, du monde de la finance aussi bien que du monde de la politique. La lutte des ambitions et des cupidités soulève comme une tempête où les pauvres passagers, comme nous gens de bien qui ne convoitons rien et n’entendons dépouiller personne, sommes secoués et pris d’un invincible mal de mer. C’est à nous tous que Coquelin cadet a pensé, ayant certainement conçu le généreux but de nous distraire un instant de ce spectacle écœurant autant qu’effroyable, un peu comme on fait aux enfants qui pleurent en leur montrant une mouche sur la vitre ou un oiseau dans le ciel, quelque chose d’ailé en tout cas.
Et je soutiens, mordieu, qu’il y réussira. Car sa fantaisie a des ailes. Elle bourdonne comme l’insecte ; elle fend l’air comme l’hirondelle. Mais elle n’a pas d’aiguillon comme l’abeille, et, comme la voyageuse que Gustave Mathieu a si bien peinte de ce seul vers :
Petits pieds noirs avec deux grandes ailes,
elle revient toujours dans un rayon de soleil. La chronique contemporaine a souvent cherché et trouvé l’esprit dans l’âpre malice des personnalités. Des imbéciles en ont conclu qu’il était facile d’être spirituel en étant méchant, ce qui est une grande erreur. Car il est toujours difficile d’être spirituel. Mais c’est, à mon avis, un mérite de plus que de l’être en demeurant inoffensif et la gaîté bonne enfant est celle que je prise le plus au monde. C’est celle qu’on trouvera dans ce livre dont je dirai qu’il est « de bonne humeur » comme Montaigne disait du sien qu’il était « de bonne foy. » Ce m’est tout un, en somme ; car le dernier mot de la bonne foi c’est de se montrer tel qu’on est, sans afféterie et de dire un peu ce qui vous passe par la tête. Encore un moyen aisé d’avoir de l’esprit, pensent les gâteux de la solennité. Mais qu’ils disent donc ce qui leur passe par la tête à eux ! Ce sera comme le bruit d’un soufflet qui se vide, sans même allumer de feu ! Car nous le savons, nous, ce qu’il y a au fond de ces outres sonores, de ces vessies qu’ils portent au-dessus des épaules et sur lesquelles ils posent leurs chapeaux.
Fantaisiste à outrance et joyeux sans méchanceté, tel est « le bon compaignon, » comme disait Panurge, que je vous présente. « Compaignon » de toutes les heures, des heures souriantes où l’on aime à entendre une pensée répondre à l’unisson à la sienne ; des heures mélancoliques aussi, – les plus nombreuses celles-là, – où l’on sait gré à qui déchire le voile de spleen où le cerveau est comme sous l’oppression d’un brouillard. « Compaignon » de veille et « compaignon » de chevet ; fidèle durant les jours de brume et durant les nuits d’insomnie. Pour demeurer toujours dans l’esprit de son titre, l’auteur y a dosé savamment le caprice et l’hilarité, pour que les partisans de l’homéopathie y trouvent leur compte aussi bien que ceux des doctrines hippocratiques. Vous en prenez, si vous le voulez, trois lignes, trois pages, trois chapitres à votre choix et suivant la gravité de votre état. Mais l’effet est toujours sûr. Accourez donc à lui, convalescents de tous les âges et de tous les maux. C’est un excellent viatique pour les personnes à qui les eaux sont recommandées. Son sel naturel se combine merveilleusement avec celui de la mer et nous le trouverons certainement cet été sur toutes les plages.
Et je m’en réjouis pour la santé publique, – j’entends la santé morale aussi bien que l’autre, – car le jour où il sera reconnu, comme le démontre ce volume, que l’esprit est un remède, ce sera un grand malheur pour les apothicaires, mais un bienfait considérable pour la gaîté française dont le salut vaut bien les intérêts du Codex.
ARMAND SILVESTRE.
16 mai 1885.
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION
Soirards très illustres et vous, constipés très précieux (car à vous non à aultres, sont dédiés ces escrits…)
C’est ainsi – non aultrement – qu’il convient, je crois, de présenter au public ce livre destiné à remettre dans leur état normal les tripes et boyaux de nos contemporains.
Pirouette peut d’autant mieux emprunter cette formule à l’auteur de Pantagruel, que cela ne sortira pour ainsi dire pas de la famille, car il a évidemment dans les veines quelques gouttes du sang de Rabelais, notre maître à tous.
Il est vrai qu’étant né à Boulogne-sur-Mer, c’est-à-dire presque aussi près de l’Angleterre que de Chinon, Pirouette a tenu, – par reconnaissance sans doute, – à être un tantinet aussi le petit-neveu de Swift.
Qu’il n’en rougisse pas, le croisement a été bon, puisqu’il lui doit – reliées par une verve toute parisienne (troisième cadeau de sa patrie d’adoption) – cette gaieté robuste et grasse qui est bien gauloise, et cette fantaisie baroque et froide qui est bien anglaise.
Je n’ai pas à redire ce que je pense de ces histoires que les gens bégueules trouveront peut-être quelquefois un peu salées, puisqu’elles ont presque toutes subi la censure du Tintamarre, qui passe pour être assez bonne fille.
C’est là un genre de… naturalisme dont je raffole, on le sait ; car j’ai toujours pensé qu’il fallait cent fois plus d’esprit pour péter à propos, que pour parler sans raison, et qu’un pet bien plein valait mieux qu’une phrase creuse.
TOUCHATOUT.
Janvier 1880
JOYEUSETÉS FANTASQUES
LA VIE ÉLÉGANTE
Un jeune homme, très distingué et ancien polytechnicien, voulait épouser la demoiselle de comptoir d’un établissement humanitaire et inodore à 0,15 c. La directrice, mère de la jeune fille, ne voulait pas dire oui.
C’était une grande maison, comme qui dirait la Belle Jardinière de cette industrie ; – elle avait pour enseigne : À la libération !
On y faisait d’immenses affaires, les ventres s’en donnaient à cœur-joie là-dedans ; les clients se succédaient en abondance : le Tout-Paris des premières s’y donnait rendez-vous.
L’ex-polytechnicien, pour voir son adorée, venait tous les jours et simulait une envie qu’il ne réalisait pas. Il montait sur le trône, imitait les bruits ridicules avec une petite trompette, pour donner le change à la mère qui prêtait une oreille attentive ; – mais il ne laissait rien – rien ! – (pas même une carte de visite), à cause de la fille.
Un an se passa de cette manière, sans action, – dans le rêve ! Tant de constance, de passion et de constipation ne touchaient pas la mère. Influence des milieux ! Ce jeune homme devenait blanc comme un clair de lune !
Soudain l’héroïne fut guérie de son amour. – Un jour, un gommeux s’amouracha d’elle, apprit la passion des deux tourtereaux, en devint jaloux ; et pour perdre le polytechnicien dans le cœur de sa nymphe des cabinets, il se glissa un beau soir d’été, en cravate rouge, un camélia blanc à la boutonnière, dans la cellule que venait de quitter le bien-aimé, déposa rapidement sur la planche luisante un souvenir immense (exécrable économie de trois jours !) et s’enfuit sans être vu, comme un malfaiteur, empoisonnant pour toujours le cœur de la délicieuse enfant !
Elle, comme d’habitude, vint pour déblayer le soi-disant résultat ; à la vue de cette épouvantable faute de goût, elle crut à la guérison de son ami ; sans explication, renonça à son amour et se retira dans un couvent.
Le gommeux s’est suicidé, le polytechnicien inguérissable a épousé la mère… et tient aujourd’hui l’établissement.
*
Oh ! cette compagnie des omnibus !
Cette Compagnie des omnibus sacrifie tout au luxe ! Le troisième cheval, qui a été ajouté aux attelages des omnibus, va servir aux amazones qui commencent et qui ont peur. Ce sera très joli à voir !
Et comme le cheval sera loué à l’amazone, la Compagnie retrouvera son déboursé.
*
MYSTICISME
En province, une personne dévote et asthmatique vivait confite dans sa dévotion, comme dans un pieux bocal ; vierge à l’excès, elle ne voulait accepter les hommages terrestres, à cause du ciel et de son gros rhume ; mais