Contes de derrière les fagots
Par Ligaran et Armand Silvestre
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Contes de derrière les fagots - Ligaran
La méprise innocente
I
C’était dans un chef-lieu de préfecture que vous ne connaîtrez pas davantage. Car l’aventure étant récente et véridique, je ne veux pas encourir quelque vengeance sournoise par d’inopportunes révélations. Maintenant que les dames ne donnent pas moins de cinq coups de revolver (ce qui ne saurait guère passer pour une riposte) aux gens indiscrets qui les ont offensées, je me sens timide en diable et curieusement timoré à leur endroit. Non ! non ! madame, je n’ai aucune intention mauvaise. En vouloir à votre vertu ! Non ! non ! je sais trop ce qu’il en cuit. Voulez-vous parier qu’un jour notre extrême réserve ennuiera beaucoup ces belles Lucrèces ? En attendant, je refuse de vous nommer le chef-lieu de préfecture dont il s’agit, bien que mon histoire soit toute à la louange de la seule partie avouable du genre humain, l’autre, la nôtre, étant digne de tous les mépris.
Trois amis – eh, parbleu ! c’était avant-hier – avaient juré de ne pas laisser se passer la dernière semaine de l’année sans se réunir en un banquet cordial ; trois bons bourgeois de la ville, tous trois mariés et jouissant de la considération publique. C’était le docteur Ventesouvent, le notaire Charançon et l’avoué Maupertuis, trois enfants de la cité et qui ne s’étaient jamais perdus de vue pendant trente ans, ce qui ne se rencontre plus qu’en province. Oui, nos trois compères avaient comploté un repas de garçons, un repas gourmand où se mangeraient des friandises et où se diraient des cochonneries. Car les hommes en ménage et les meilleurs époux ont quelquefois cette nostalgie d’un coup de table d’étudiants en goguette où l’on se rappelle qu’on a eu vingt ans une première fois – car il n’y a pas de quoi se vanter d’avoir eu vingt ans les fois suivantes. C’était l’hôtel des Trois-Capucins, tenu par Mme Chaumiton, ancienne cuisinière d’un ministre, qu’avaient choisi nos viveurs en renouveau pour cette agape féconde de truffes odorantes et de vins capiteux. On devait fêter le Cassoulet national où des confits d’oie se mêlent aux saucisses toulousaines. Car nous sommes en plein Midi. On ne s’amuse que là ! Nous retrouvons Ventesouvent, Charançon et Maupertuis devant le quatrième service, un pâté de Tivolier escorté d’une salade de postérieurs d’artichauts crus, le tout arrosé d’un Villaudric de la Comète, ardent comme le plus généreux bourgogne, avec un bon parfum de violette bordelaise. De vous à moi, ces égoïstes-là auraient bien pu nous inviter.
II
Les voilà maintenant qui causent de leur ménage, après avoir croqué le souvenir exquis des amantes libres d’autrefois.
– Moi, dit Ventesouvent, je serais parfaitement heureux sans ma gredine de belle-mère. L’acariâtre personne ! et comment ma femme, qui est la douceur même, a-t-elle pu sortir d’un tel magasin de méchanceté ! Elle ne sait qu’inventer vraiment pour m’être déplaisante. Quand je perds un malade, elle le corne sur les toits. Quand il réchappe de mes soins, elle vante le mystérieux pouvoir de la nature. Comme c’est fin et obligeant ! Le pis est qu’elle a une santé de fer et est capable de vivre cent ans sans me laisser hériter d’un sou. Maupertuis, encore un verre !
– J’aimerais encore mieux ce type-là que celui de la mienne, continua Charançon. Aux petits soins pour moi, la coquine ! Et quels petits soins ! Elle me rend odieusement ridicule en m’apportant des chaufferettes ou des laits de poule au milieu des soirées, en me forçant à m’emmitoufler de flanelle malgré que je n’aie aucun rhumatisme. Elle veut que je porte un bonnet de coton dans mon étude. Le moyen de se fâcher contre une personne qui vous témoigne tant d’affectueuse sollicitude ! Mais ce que je l’envoie à tous les diables intérieurement et le rigodon que je danserai, in petto, en revenant de ses funérailles, vous n’en avez aucune idée, mes enfants. Bullier tout entier dans mon cœur ! Mabille ressuscitant sous ma gauche mamelle, comme dit le poète ! Maupertuis, trinquons à son trépas !
Et tous deux ajoutèrent en chœur :
– Heureux Maupertuis qui ne connaît pas cette vilaine sorte de bêtes !
Hélas ! conclut Maupertuis déjà mélancolique – car il avait bu comme un cent de trous larges et profonds – mon bonheur finit aujourd’hui même. La mère de ma femme, que je n’avais pas l’honneur de connaître encore, a eu l’idée fâcheuse de quitter l’Amérique, où elle devait être si bien et de venir s’installer auprès de nous.
– Fichtre ! dit Ventesouvent…
– Bigre ! dit Charançon.
– Elle doit être arrivée maintenant. Je n’ai pas été fâché de me soustraire aux premiers embrassements. J’ai chargé ma femme de lui dire que je n’étais pas caressant du tout. Jugez donc ! une vieille presbytérienne qui ne parle que de la Bible et de feu son mari, le pasteur Boveston, qu’elle avait épousé en secondes noces ! Ah ! s’il n’y avait pas eu une dot si abondante et si liquide, c’est moi qui ne serais pas entré dans cette famille austère ! Mais dans les affaires…
– Plains-toi donc ! Madame Maupertuis est charmante ! dit le notaire.
– Heureux coquin ! la plus belle femme de la ville ! dit le docteur.
– Oui, mais il y a ma belle-mère qui arrive ce soir !
Et, pris d’une sensibilité nerveuse que le Villaudric avait surexcitée. Maupertuis se mit à pleurer sur la table comme un enfant.
– Encore un verre pour te consoler, mon vieux !
Et ses deux fidèles compagnons l’abreuvèrent avec une tendresse charitable, plus charitable que vraiment éclairée.
III
Quand il eut repris le dessus, ou se fit des confidences extraconjugales, tout en taquinant du bout du couteau un roquefort exquis, veiné de bleu tendre comme une main de femme.
– Moi, dit Ventesouvent, j’ai une profession qui est merveilleusement incompatible avec la fidélité. Une cliente est gentille et n’a guère le moyen de vous payer vos visites. Passons l’article à profits et pertes, mais passons-le gaiement. Je soigne, en ce moment, une délicieuse créature qui n’a pas le sou, mais une gorge sur laquelle on casserait des noix. Vous savez, c’est devenu très rare dans ce siècle. Le ramollissement des mœurs s’étend partout. Je lui ai fait comprendre que je ne lui enverrais pas ma note. J’y vais cependant tous les jours, plutôt deux fois qu’une et ne suis nullement pressé de la guérir. Maupertuis, finis donc la bouteille.
– C’est comme moi, dit Charançon. Celle-là c’est les jambes qu’elle a magnifiques, des jambes de Diane de Gabies. Et une marquise avec ça ! Une marquise authentique qui dispute les restes de sa fortune à une bande de collatéraux infâmes. C’est en la voyant descendre de voiture devant ma porte, une vieille voiture de campagne au marchepied très haut, que je m’intéressai tout de suite à elle. Elle a le mollet foudroyant. Depuis qu’elle m’a chargé de ses affaires, je suis le plus heureux des mortels. Ma femme ne peut se douter de rien… une cliente ! Et ma damnée belle-mère qui s’intéresse, malgré moi, à cette délicieuse opprimée dont je lui ai dit l’histoire et qui lui brode des pantoufles de casimir !
Et, tout en riant aux larmes de cette attention grotesque, le notaire versa encore un coup à Maupertuis dont le verre était encore vide.
Après l’avoir consciencieusement humé, Maupertuis dit enfin à son tour.
– Moi, je ne voudrais pas d’une liaison suivie. C’est trop dangereux dans un département. Mais, de vous à moi, je ferais bien une petite frasque tout de même.
Et, tout en riboulant des yeux expressifs, luisants et sanguinolents, des yeux d’ivrogne que hante une voluptueuse idée, il prononça quelques paroles inintelligibles que ses amis comprirent cependant, car tous deux s’écrièrent :
– Impossible ! nous sommes trop connus dans la ville !
– Je n’aurais qu’à y rencontrer un de mes clercs ? ajouta Charançon. Ces jeunes gens sont si dissipés !
– Et moi un de mes malades qui fait sa première sortie le soir ! Ces imbéciles sont si imprudents ! confirma Ventesouvent.
Maupertuis s’était levé comme il avait pu et brandissant sa serviette :
– Je vous dis que je le veux ! criait-il d’une voix de tonnerre. Si vous êtes assez lâches pour m’abandonner, eh bien, j’irai tout seul comme un paillard honteux.
Le docteur et le notaire échangèrent un regard, un regard qui voulait dire : Nous ne pouvons le laisser. Il ferait un scandale. D’ailleurs il est tellement ivre, que nous l’emmènerons où nous voudrons et même chez lui, sans qu’il s’en rende compte. La nuit est noire justement. Une fois derrière sa porte, que nous pousserons sur son dos, Mme Maupertuis s’en arrangera comme elle le pourra.
Oui, voilà tout ce que purent se dire, en un seul clin d’œil, ces deux hommes aux prunelles singulièrement bavardes. Certaines circonstances critiques inspirent ces torrents d’éloquence muette.
– Comme tu voudras ! Nous te suivons ! reprirent-ils ensemble.
– À la bonne heure ! hurla Maupertuis. Vous êtes de bons compagnons, de francs ribauds, de joyeux drilles !
Et il mit trois fois son chapeau à côté de sa tête avant de faire mouche avec son couvre-chef.
IV
Ah ! la promenade à travers la ville ne fut pas une partie de plaisir pour Charançon et pour Ventesouvent. D’autant qu’ils durent l’allonger outre mesure pour égarer leur compagnon par mille circuits et lui bien dissimuler qu’ils le ramenaient tout simplement à son propre seuil. Outre que Maupertuis se faisait littéralement traîner et manquait à chaque instant de se répandre par la chaussée, il chantait un tas d’airs d’opéras, en en estropiant les paroles :
Rachel, quand du Seigneur la grâce titulaire
ou bien :
Et grâce à mon domino noir
Je passe sans m’apercevoir…
C’était une musique très embêtante qu’il vous envoyait dans les oreilles. Il faisait un brouillard énorme, comme fait exprès. On ne se voyait pas à deux pas.
– Chut ! nous y voici ! dit tout bas le docteur.
– Plus de bruit, on ne nous ouvrirait pas, fit le notaire.
Salut, demeure chaste et pure !
entonna d’une voix de fausset tout à fait comique, le doux avoué Maupertuis plein de frissons inconvenants.
Ventesouvent lui prit sa clef dans sa propre poche, sans qu’il s’en aperçût, ouvrit doucement l’huis pendant que son complice donnait des distractions à leur victime.
– Passe par devant ! lui fit affectueusement Charançon.
Et, quand l’innocent Maupertuis plein de visions folâtres, eût pénétré dans le couloir les deux compères refermèrent la porte et s’enfuirent en riant comme des fous.
– Voilà comme on sauve la vertu ! dit en s’esclaffant le docteur. Allons dire bonsoir à ma cliente.
– Bouclé, le pauvre Maupertuis, ajouta Charançon. Allons embrasser la marquise.
Et tous deux, en échangeant sur la grande place, une dernière poignée de main :
– Cet animal-là, firent-ils, a toujours eu des goûts canailles.
Inutile d’ajouter qu’ils parlaient de leur ami Maupertuis.
V
Rejoignons celui-ci, notre héros véritable, notre Ben Saïd, dans le couloir où l’ont infusé ses lâches compagnons. Une porte à gauche donnait sur une pièce éclairée. Il y pénétra sans hésiter en chantonnant :
Elle aime à rire ! elle aime à boire !
Elle aime à chanter comme nous.
Une grande femme sèche, droite, d’un blond fadasse vint au-devant de lui. Il la contempla d’un air narquois :
– Dites donc, madame, j’espère bien que ce n’est pas vous…
– Si, mylord, c’était moâ mâme ! répondit la dame sèche avec conviction.
– J’en aurais mieux aimé une plus en chair grommela l’avoué.
– Puis, après un moment de silence :
– Bah ! faute de grives on mange des merles ! s’écria-t-il gaiement. Et d’un geste tout à fait impertinent, il voulut asseoir la dame sèche sur ses genoux en fourrageant ses jupes.
– Shocking ! Abominable !
Un soufflet dur, lourd, osseux, meurtrier comme un coup de battoir s’abattit sur sa joue, il vit plusieurs lustres à la fois. Sa compagne avait disparu le laissant dans l’obscurité.
– Sapristi ! pas de bêtises ! se mit-il à hurler. Apportez de la lumière ou je brise tout ! J’informerai la police qu’on assassine ici ! En voilà un tonnerre de Dieu de bazar !
Et il envoyait des coups de pied partout, se faisant un mal affreux aux jambes après la dureté des meubles.
Des pieds nus frôlèrent l’escalier. La porte se rouvrit. Dans une demi-clarté Maupertuis aperçut une femme en chemise, les cheveux sur le dos.
À la bonne heure celle-là. Elle a des charmes.
Et il se précipita comme un ouragan sur les marches derrière la nouvelle venue. Il la suivit dans une chambre où le reçut un seau d’eau en pleine figure lancé par la dame sèche à l’accent britannique.
Le froid subit de cette douche dégrisa du coup le malheureux Maupertuis.
– Ma femme ! s’écria-t-il avec fureur. Ma femme dans un pareil endroit !
Bing ! un second seau d’eau qui acheva de lui rendre la raison.
Il regarda, ahuri, autour de lui. C’était bien sa femme, mais il se trouvait dans sa propre chambre à coucher de tous les jours. Il était chez lui ! dans son propre domicile ! Chez lui ! Oh ! misère ! c’était sa belle-maman arrivée d’Amérique depuis trois heures qu’il avait si gratuitement outragée la prenant pour… Oui, gratuitement et c’était heureux ! Car il n’eût plus manqué qu’il lui eût glissé de force un louis dans sa jarretière !
Mais aussi pourquoi cette presbytérienne maudite avait-elle passé le temps de la traversée à lui confectionner des housses dont elle avait revêtu tous les meubles du salon, ce qui avait empêché le pauvre Maupertuis de se reconnaître tout d’abord en rentrant chez lui ?
Il a tout tenté d’expliquer à sa femme qu’il adore. Mais la vieille dame sèche refuse absolument de lui pardonner. Elle veut que sa fille demande le divorce, se basant sur ce que son mari a des habitudes de caserne. Ce serait une étude d’avoué perdue ! Une excellente étude ! Au moment où on trouve si difficilement des avoués pour entretenir les frais de justice. Di avertant omen ! Ce serait une affreuse calamité. Faute d’un chicanous de cette valeur, la France serait déshonorée et encourrait le juste mépris de la Chine. Croiriez-vous que le lendemain au soir, ce diable de Maupertuis dont les seaux d’eau avaient séché, avait un petit renouveau d’ivresse et chantait en pleurant :
Je n’ai gardé dans mon malheur
Que la moitié d’une hirondelle.
Mais enfants, ne buvez jamais trop de Villaudric !
Le nouvel Ulysse
I
Un bel homme, sacredié ! Herr Hans von Guther ! Six pieds environ de liant ; deux pieds pour marcher qui en auraient bien fait six autres d’une personne ordinaire, ce qui fait, qu’en tenant compte de son intelligence, ce gentilhomme mesurait bien en tout, treize pieds. De chacune de ses mains un fraudeur habile aurait pu dissimuler, à la douane, un jambon. Il possédait une de ces têtes bien carrées qui doivent donner aux géants des planètes supérieures l’envie de jouer aux dés, si toutefois ils nous aperçoivent avec leurs lointains microscopes. Ses yeux bleus avaient l’éclat des plus belles faïences et n’eussent pas été déplacés au fond de la coupe nocturne d’un empereur d’Occident. D’autant que son nez rose et un peu épaté faisait volontiers penser à une anse. Il avait au moins soixante-douze dents dans la bouche, presque toutes de sagesse. Car c’était un