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La MASCOTTE
La MASCOTTE
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Livre électronique186 pages2 heures

La MASCOTTE

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À propos de ce livre électronique

Jean-Bastien est laid. Il ne l’aura pas facile, les gens qui l’entourent se moquent de lui. Devenu adulte, il se fera embaucher comme mascotte par l’équipe de baseball nationale. Il découvre que les amateurs de ce sport, les enfants et les badauds qu’il rencontre ne voient que le costume d’écureuil qu’il revêt pour l’admirer. Il reçoit de l’amour, mais il développe une intimité rare pour sa mascotte, allant jusqu’à lui confier ses secrets.

Une série de meurtres devient une affaire vitale pour le commissaire Armand Viergebénie qui fera tout pour résoudre ces assassinats. Un jour, sa fiancée disparaît et son enquête prend une tournure abracadabrante.

Jean-Bastien et le commissaire Viergebénie ont quelque chose en commun qui les unit.
LangueFrançais
Date de sortie28 mai 2021
ISBN9782898310232
La MASCOTTE
Auteur

Francine Allard

Née à Verdun, Francine Allard est une artiste et écrivaine qui a touché à tout. Elle nous a toujours habitués à des œuvres littéraires d’une originalité indiscutable. On peut penser à J’AI TUÉ FREUD ET IL M’EN VEUT ENCORE, et L’HEUREUX DESTIN DES FOUS parus tous deux chez Marcel Broquet éditeur. Elle revient avec ce roman policier qui se veut cruel et insaisissable.

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    Aperçu du livre

    La MASCOTTE - Francine Allard

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    Cette description exhaustive de l’Église Notre-Dame–des-Sept-Douleurs a été inspirée du mémoire de maîtrise de MARIO PARENT de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain. Un titre long, mais très inspirant : « Étude historique, analyse architecturale et évaluation patrimoniale des lieux de culte de l’arrondissement de Verdun. »

    Mes plus sincères remerciements.

    « À quinze ans, on n’a déjà plus le droit de pleurer, le temps du mensonge est venu, on a choisi son masque, l’un des masques à porter toute sa vie. »

    Gilbert LaRoque, Le Nombril

    « Au carnaval tout le monde est jeune, même les vieillards. Au carnaval tout le monde est beau, même les laids. »

    Nicolaï Evreïnov

    Chapitre 1

    Rue Wellington à Verdun. Un événement inhabituel se tenait sans que personne ne s’en rende vraiment compte. Le 16 juin 1995 à 8 heures, un vieux prêtre mal nommé Théodule Saint-Pierre s’apprêtait à célébrer les funérailles de Jean-Bastien Dionne, un paroissien inconnu de ce curé qui détestait ne pas savoir quoi raconter à l’homélie au sujet d’un mort. Il faut bien dire que Théodule Saint-Pierre officiait sa dernière messe funéraire, ayant consacré plus de cinquante ans à Dieu et à ses ouailles. Les paroissiens avaient abandonné l’église Notre-Dame-des-Sept-Douleurs à sa triste splendeur, ils avaient planté là la presque cathédrale à deux clochers, dont les orgues Casavant avaient terminé leur hourvari de clameurs depuis quelques décennies. Seuls les organiers et les historiens spécialisés en musique liturgique venaient parfois examiner cet instrument à trois claviers, trois mille quatre tuyaux, du point de vue de sa singularité et aussi de sa valeur patrimoniale. Un organiste de métier prenait place sur le siège râpé consacré à l’exécutant et faisait courir ses doigts sur les claviers défraîchis comme de petits mille-pattes coriaces, le cœur emporté par les mille sons soufflés de la « cornemuse du diable. » Le curé Saint-Pierre — qui avait toute sa vie été comblé par ce célèbre patronyme — était très fier de ses orgues Casavant, facteur des plus réputés en Amérique.

    Le prêtre se rendit dans le transept en passant par le chœur, vêtu de ses habits de célébrant, aussi élimés que ses propres vêtements de laïc. Une vieille femme se tenait dans le dixième banc, voûtée, mais la tête relevée vers la statue des Sept Douleurs de la Vierge Marie. Le prêtre avait dû faire appel à un plâtrier renommé pour réparer la statue qui s’était fracturée à cause de la sécheresse des années. Du front blanc jusqu’au centre de son cœur délavé, une longue strie s’était créée le jour de Noël, en plein pendant la messe de minuit alors que l’église respirait d’un seul souffle de ses centaines de paroissiens en extase. Au moment même où il entonnait le deuxième « Peuple à genoux », monsieur Rochon avait pu voir se craquer le plâtre, puis se zébrer la statue de la Vierge sur presque toute sa longueur. C’est lui qui avait alerté le bedeau après la messe. Et qui avait crié Ô Miracle ! au secrétaire de monseigneur Léger.

    La vieille s’appuyait sur une canne achetée à la pharmacie. Rien de comparable aux cannes des femmes riches qui s’agrémentaient de pierreries ou d’une tête d’animal en laiton ou en bois de rose sculpté. Elle fixa ensuite devant elle et fit mine de ne pas voir le prélat ecclésiastique. Il toussota à quelques reprises sans qu’elle ne réagisse. Puis, tournant la tête, elle mit la main sur le bouton de son appareil auditif.

    —Monsieur le curé, je ne vous avais pas entendu. Je m’excuse. C’est bien aujourd’hui le service funèbre de Jean-Bastien Dionne ?

    Un léger trémolo ébranla la voix de la vieille dame.

    —C’est votre fils ? Un parent ?

    —Un voisin. Il a habité au-dessus de chez moi pendant plus de vingt ans. Un homme très étrange qui ne recevait jamais personne. Un bon garçon. Il parlait tout seul, mais ne m’a jamais embêtée.

    —Ah, sûr qu’il n’embêtera plus jamais personne. Voilà le corbillard, remarqua-t-il entre les portails ouverts.

    Une voiture noire. Un chauffeur en habit protocolaire. Et d’une voiture plus petite, trois hommes sortirent en silence. Le curé admit qu’ils avaient le visage fardé des croquemorts. Il se rendit au fond de l’église et fit signe aux hommes qu’il était prêt à recevoir la dépouille de Jean-Bastien Dionne. Deux hommes déployèrent un support extensible en fer ouvragé et, ahanant avec vigueur, installèrent le corbillard dessus. Le curé songea : le Bayview à 695 $. Celui réservé aux assistés sociaux souvent confiés au curateur public. Le cercueil avec du tissu recyclé et des poignées de mauvaise qualité.

    Deux autres personnes entrèrent à la suite des porteurs. Puis, à l’heure convenue, il y eut davantage d’intervenants que de participants.

    Trois personnes. Trois bons Samaritains qui venaient dire adieu à cet homme qui était mort trop jeune après une vie de mensonges. C’est ce que se dit la voisine de Jean-Bastien Dionne, madame Dolorès Paquin.

    Comme personne ne l’avait alimenté de notes biographiques au sujet de son client, le curé Saint-Pierre se contenta de lire un extrait d’un texte de l’Ecclésiaste. Toutes choses ont leur temps et tout passe sous le ciel dans les délais qui lui ont été fixés. Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir ; un temps pour planter et un temps pour arracher ce qui a été planté.

    Le prêtre prit bien son temps parce qu’il n’avait rien d’autre à dire. On lui avait confié le corps et l’âme d’un fidèle qui avait visiblement demandé une cérémonie religieuse catholique. Il avait payé les trois cents dollars. Il allait être inhumé au cimetière de Lachine, seul comme il était né.

    Intrigué, Théodule Saint-Pierre fit signe aux trois fidèles qui semblaient n’avoir aucun lien entre eux et leur demanda d’écrire leur nom et leur numéro de téléphone. Il voulait savoir. Il voulait connaître ce mort anonyme. Connaître la vie de ce macchabée. Qui donc était ce Jean-Bastien Dionne ?

    Soudain, le curé s’approcha de Dolorès Paquin, assise sous l’alcôve consacrée à la Vierge des Sept Douleurs, comme si elle ne se souciait guère de la cérémonie qui s’achevait. Dès que l’organiste entonna la pièce Funérailles de Franz Listz, la dame sortit de son banc et glissa quelques mots à l’oreille du prêtre. Aussitôt, le curé Théodule Saint-Pierre avança vers le cercueil que des porteurs s’apprêtaient à faire traverser ses dernières portes pour le conduire dans la voiture noire qui patientait sur la rue Wellington. Parmi ces hommes, guindés dans du noir, il y eut un froissement de gabardine : ils cessèrent immédiatement leur geste. Le curé souleva audacieusement le couvercle du cercueil de bois et posa la main devant sa bouche, puis éclata d’un grand rire. Les participants retinrent un mouvement de dégoût : quatre pattes de poils roux, une queue touffue et une tête d’écureuil prirent de l’expansion à l’air frais de la nef.

    La laideur ne mène pas à la vertu, vous pouvez me croire. Au contraire, elle transcende le regard de tous les autres. N’allez pas vous imaginer que je n’ai pas été aimé malgré ma figure horrible, habité que j’ai toujours été par une impression de ne pas faire partie de l’humanité.

    Dès mon très jeune âge, on ne me montrait que les belles personnes dans les magazines, le Journal des Vedettes et le catalogue d’Eaton.

    Maman me laissait traînailler entre les pages féminines des catalogues des grands magasins. Je suis sûr que c’était pour ne pas exacerber mon mal de vivre, pour ne pas que je me sente coupable. Elle aurait pu évoquer le rejet, la différence, la malchance ou l’infirmité. Elle disait que j’étais atteint de culpabilité. Comme un prisonnier : coupable ! J’étais coupable de laideur. Comme si le fœtus, une fois armé de deux bras, de deux pieds et même d’un sexe minuscule, avait décidé, pour passer le temps, de faire des grimaces, de placer ses orbites à une trop longue distance l’une de l’autre, de tordre sa bouche en un rictus diabolique, d’étirer ses oreilles en chou-fleur pour être laid, volontairement. Pauvre m’man.

    Je sais ce que l’on dit de moi. On dit que je suis adopté parce mes parents ont, eux, de jolies figures. Ma mère n’avait rien à voir avec les stars de cinéma, mais on la disait assez jolie. Elle s’appelait Marguerite et personne ne sursautait quand ils apprenaient son prénom. Mon père était franchement beau. Et il était attiré par les belles femmes qui le croisaient. Il ne savait pas résister. La Marguerite se fanait alors au fil des années. J’étais, moi, la pierre d’asphalte sur une plage de sable blond. La cause d’une relation improbable. Un couple ne peut pas résister avec un fils unique qui n’a aucun souffle de beauté. Alors, voilà.

    Je ne sais pas comment tout ça va se terminer. Ils ne m’ont pas retrouvé. Ils me cherchent encore. Ou ils ont cessé de me chercher.

    Chapitre 2

    La lueur de la chandelle créait des étoiles au plafond de la salle de bain. Le petit garçon pataugeait depuis un moment dans l’eau savonneuse portant à sa surface d’innombrables contenants de plastique, comme si le fait de jouer rendait le bain hebdomadaire plus excitant pour lui. Marguerite Dionne s’était d’abord lavée dans la première eau de la baignoire. Puis y avait assis son garçon. L’eau chaude coûtait cher à Verdun à cette époque. On devait l’économiser. Le petit aimait surtout savonner la pente opposée aux robinets pour ensuite y glisser comme sur une luge imaginaire. Il faisait de grands plouf, aspergeant la céramique à petits carreaux blancs et noirs, mouillant le tapis de chenille, et faisant fâcher sa mère. Au moment précis où se déroule cette scène, Jean-Bastien Dionne est plongé dans ses pensées et ne songe pas un instant à éclabousser la minuscule salle de bain de la rue Rielle.

    Ses grands yeux pers, fixés sur la lumière ronde au-dessus du lavabo, démontrent qu’il est quelque part dans une bulle opaque qui le tient éloigné de la réalité. Madame Dionne s’en aperçoit. Elle dit, en épongeant sa propre tignasse rousse dans une serviette qui avait jadis connu la blancheur :

    —À quoi tu penses, mon tit homme ?

    Jean-Bastien n’attirait pas la tendresse de sa mère comme ses cousins qui, eux, étaient de si beaux enfants que la tendresse faisait partie du contrat maternel. Être beau, posséder une chevelure d’angelot, une bouche en cœur, des yeux à se perdre dedans et un sourire pour le pardon automatique des adultes, étaient pour les autres enfants. Pas pour Jean-Bastien.

    —Pourquoi, moi, je suis laid, maman ?

    Marguerite Dionne éprouva un étrange malaise, comme si elle était directement responsable de la laideur de son fils. À cause de ses yeux qui louchaient, de ses cheveux de corde de poche, de sa lèvre supérieure poussée vers le haut par une dentition exagérée, de son épiderme parsemé de taches de rousseur comme des œufs de moineaux, de son petit nez de patate, de sa bouche en forme de clapet, Jean-Bastien Dionne ne passait pas inaperçu, mais pas pour les bonnes raisons. Pas comme les petits enfants que Jésus, sur la photo, disait qu’il fallait laisser venir à lui. Ils étaient si beaux. Jean-Bastien savait que, lui, il ne serait jamais invité à s’asseoir sur les genoux du Christ si jamais il venait de nouveau s’asseoir sur un banc de parc. Étrangement, sa mère lui disait souvent de ne jamais accepter de monter sur les genoux d’un inconnu dans un parc, surtout s’il portait la barbe et les cheveux longs.

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