Un legs providentiel

Tous les habitants du village connaissaient Léonie. On la voyait passer par tous les temps sur son vélo équipé d’un panier sur la roue arrière. Qu’il vente ou qu’il pleuve, la vieille dame vêtue de son imperméable et de son suroît jaune arpentait les rues du bourg situé sur le littoral normand.

Elle était fille et petite-fille de pêcheurs et avait hérité de ses ancêtres le pied marin. Rien qu’à la voir pédaler avec vigueur sur les petites routes de campagne cabossées par les intempéries et noyées de flaques d’eau, on devinait qu’une journée sans sortir était pour elle une calamité. Léonie avait toujours vécu dans une grande demeure édifiée par ses aïeux, dans l’un des hameaux qui entouraient le bourg d’un millier d’habitants. Sa mère avait donné naissance à une fratrie composée de trois garçons et de deux filles. À quatre-vingt-cinq ans, Léonie en était la benjamine et désormais l’unique survivante. La rudesse du métier de pêcheur et les tempêtes au large avaient fait leur œuvre en décimant la lignée. Il ne restait qu’elle dans cette bâtisse à colombages revêtue de pans de bois et de poutres dont elle fleurissait régulièrement les appuis de fenêtres.

Léonie entretenait des liens d’amitié avec Charles, son plus proche voisin. Le septuagénaire, qui était veuf et sans enfant, habitait l’une des cinq maisons du hameau. Quand ils se croisaient, la vieille dame lui faisait souvent remarquer qu’il était son cadet :

– Alors, Charles, tu vas jouer à la belote au foyer rural ?

Son voisin ricanait en lui répliquant :

– Tu sais bien, Léonie, que je ne fais pas encore partie du club des aînés !

Cette plaisanterie leur était familière et permettait à Léonie de rappeler à Charles que quinze années les séparaient.

Tous deux s’estimaient et partageaient leur goût du potager. Léonie l’avait conseillé dans ses premiers pas de jardinier :

– Ta terre en friche, tu vas la nourrir avec