L’EMPRISE DU DÉMON
La conduite en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants est une infraction relativement peu constatée le lundi matin. Le 4 novembre 2019 vers 11 heures, les gendarmes de Beaumont-sur-Oise sont donc saisis d’un léger doute. Une Renault Scénic marron zigzague au milieu de la chaussée. Coups de sifflet, contrôle sur le bas-côté. Au volant, Alexandre, 19 ans, visage tavelé d’acné et de quelques poils de barbe indomptés, a l’air hagard. « Papiers, s’il vous plaît. » Il n’a pas de permis et, d’ailleurs, il n’en a jamais eu. Il s’agite, tient des propos décousus. Allez hop, le voilà menotté, emmené à la gendarmerie et placé en garde à vue.
Les premières vérifications révèlent que le monospace appartient à un certain Roger Matassoli, 91 ans. On appelle le père d’Alexandre. Il n’a pas l’air surpris : son fils souffre de troubles psychiatriques depuis des mois. Il a même essayé, en vain, de le faire interner. Et Matassoli ? Bien sûr qu’il le connaît: c’est l’ancien curé de sa paroisse. Cela fait longtemps qu’il n’officie plus, mais ils ont gardé des relations. Il va lui rendre visite, histoire de vérifier que tout va bien. Le temps de prendre la route, il sera chez lui dans une demi-heure.
Sur place, quelque chose l’inquiète. Il regarde à travers la fenêtre : le bureau du prêtre est sens dessus dessous et un corps gît inanimé sur le sol. Vite, il prévient les gendarmes. Il reste à l’extérieur de la maison, de crainte de laisser des empreintes et d’être accusé. Il a compris: son fils a tué le curé. Ou plutôt, massacré: le père Matassoli a les yeux enfoncés dans leurs orbites, un crucifix planté au fond de la gorge. « Mort par asphyxie avec traces de coups violents à l’abdomen, au crâne et au visage », note l’autopsie.
Le jour même, l’évêque de Beauvais, Mgr Jacques Benoit-Gonnin, à qui était rattaché l’abbé Matassoli, vient d’arriver à Lourdes. Il doit participer à la conférence des évêques de France, où sera notamment abordée la question de la réparation financière pour les victimes de pédophilie. La condamnation du cardinal Philippe Barbarin pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs (il sera relaxé en appel début 2020) est dans tous les esprits. Mgr Benoit-Gonnin s’apprête à discuter avec des journalistes quand il apprend la mort du curé. On lui indique que le principal suspect a été conduit à l’hôpital psychiatrique. Quand il raccroche, lui aussi pressent ce qui est arrivé: un jeune paroissien s’est vengé. Dans l’urgence, il fait rédiger un communiqué laconique. Quatre lignes à peine qui se concluent ainsi : « Nous pensons à la famille de la victime et prions pour lui. » Surprise : dès le lendemain, l’évêque change de ton. Il annonce à la presse que Roger Matassoli avait jadis été visé par deux plaintes pour « des comportements inappropriés sur mineurs ». « Aujourd’hui, poursuit-il avec gravité, je pense d’abord aux victimes. Depuis des dizaines d’années, elles portent le poids et les souffrances des actes qu’elles ont endurés. » Après un silence, il ajoute : « En leur demandant pardon, je les assure de ma disponibilité et de ma prière. »
Ainsi commence l’affaire Matassoli – dans le sang, la
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