Sept

Alexandra David-Néel

Alexandra David-Néel est sans doute parmi les exploratrices du XXe siècle les plus connues. Sans doute en raison de la longévité et de l'exceptionnel legs intellectuel qui ont été les siens depuis sa naissance en 1868 et sa mort cent ans plus tard. Cantatrice pour aider financièrement ses parents, révélée très tôt aux atrocités des hommes par un père progressiste, franc-maçonne de haut degré avant la fin du XIXe siècle, elle se convertit au bouddhisme après l'ouverture du Musée Guimet qu'elle découvre en 1889. Elle a 21 ans, elle est à peine majeure.

Si le nom d'Alexandra David-Néel est aussi emblématique pour des générations d'hommes et de femmes passionnés par l'aventure, c'est aussi parce qu'elle a accompli de longs et périlleux voyages vers l'Asie à une époque où les expéditions y sont rares: elle devient ainsi la première femme européenne à atteindre Lhassa au Tibet en 1924, une folle aventure qui culmine à 5'200 mètres d'altitude. Elle a également beaucoup écrit, comme on le sait, sur les cultures tibétaines et les spiritualités bouddhiques, liant inextricablement son image à ces contrées de l'Asie mythique où elle était si respectée. Anarchiste, courageuse dans ses engagements, elle incarne la force des femmes jusqu'aux confins de l'Asie à l’époque des premiers vrais affranchissements du sexe, plus faciles à opérer depuis un salon bourgeois en Europe qu'au fin fond d'un wagon à bestiaux entre deux villes chinoises.

Sous des nuées d'orage

[…] Enfin, un jour, à midi, on m'apporta une lettre du révérend Pr… «Votre argent est arrivé, écrivait-il, et M. X. a télégraphié à ses domestiques leur commandant de vous remettre vos bagages.» Je ne fis qu'un bond jusqu’à la mission, y touchai l'argent que le révérend Pr… avait déjà reçu de la poste – l'envoi ayant été fait à son nom – et expédiai le cuisinier et le Mongol chez les X. pour y prendre mes colis. Il était grand temps que des fonds me parvinssent. Depuis quelques jours déjà, seuls des trains militaires circulaient sur la ligne, conduisant vers le fleuve Jaune, par où l'on pouvait gagner Hsi-an. La distribution des billets aux voyageurs civils avait été suspendue et pouvait ne pas être reprise. Par contre, il était redevenu possible d'atteindre la grande ligne d'Hankéou via Shihkiachwang, mais les Japonais avançaient très rapidement; il était probable que le nombre des jours pendant lesquels l'on pourrait encore accéder à Shihkiachwang serait très limité. Tandis que le révérend Pr… me communiquait ces informations, les sirènes donnèrent l'alarme. Nous nous séparâmes, lui se rendant dans un abri situé, je crois, près de l'hôpital et Yongden et moi, en gagnant un autre, très profond, qui s'ouvrait dans le jardin. Les fillettes de l'orphelinat s'y réfugiaient, pendant les raids, avec une dame anglaise, miss Beulah Gladbys, qui avait charge d'elles. Les gamines, insouciantes, comme on l'est à leur âge, prenaient grand plaisir aux alertes qui les faisaient descendre dans ce souterrain et miss Gladbys et moi, nous nous amusions à les entendre babiller. Qui se doutait, alors, que cette charmante femme était comme l'un de ses collègues de la Mission baptiste, le docteur Wyatt, destinée à périr tragiquement, quelques mois plus tard? A l’époque où ce drame eut lieu, Taiyuan était déjà occupé par les Japonais. Le docteur Wyatt, miss Gladbys et une autre personne, avec un chauffeur chinois, se rendaient, en auto, je ne sais où (au moment où je rédige cette relation, je suis au Tibet, bien loin de Taiyuan. Je n'ai pu apprendre que l'essentiel de ce triste événement, sans aucun détail, nda), lorsqu’à une distance assez considérable de Taiyuan, des coups de feu furent tirés sur la voiture. Le docteur Wyatt fit immédiatement arrêter celle-ci et en sortit en déployant un drapeau anglais. Ceux qui mitraillaient les voyageurs le virent-ils? Le reconnurent-ils? Ils ne cessèrent pas de tirer. Le chauffeur eut le poignet brisé, miss Gladbys fut mortellement atteinte dans l'auto, et le docteur Wyatt, qui n'avait pas cessé d'agiter son drapeau, tomba mort dans le fossé qui longeait la route. Je me permettrai de continuer à anticiper sur les événements pour raconter comment Mrs Wyatt, par une sorte de sentiment prémonitoire, parut avoir deviné le sort funeste de son mari. Elle avait quitté Taiyuan, avec ses enfants, pour se réfugier à Hankéou, comme j'allais le faire, et logeait chez des missionnaires de ses amis. Partie de Taiyuan après elle, j'emportai, pour les lui remettre, des lettres à son adresse, arrivées, après son départ, chez le révérend Pr… M’étant donc rendue au siège de la China Inland Mission, où elle résidait, le chef de la maison me confia qu'il était fort inquiet à son sujet. Sa nervosité excessive, ses crises de larmes, les supplications qu'elle adressait aux directeurs de la mission, pour qu'ils ne permettent pas à son mari de retourner à Taiyuan et lui assignent un autre poste, dépassaient de beaucoup, en intensité, toutes les manifestations auxquelles on peut s'attendre de la part d'une épouse affectionnée, en proie à la crainte. On eût vraiment dit que la certitude d'un accident fatal, dont son mari serait victime, s’était imposée à la pauvre femme. Je vis le docteur Wyatt, à Hankéou, alors qu'après y avoir conduit sa femme et ses enfants, il se disposait à regagner l'hôpital des baptistes à Taiyuan. Je lui fis part de l'inquiétude que le pénible état nerveux de sa femme causait à tous ceux qui l'entouraient. Il se montrait visiblement affligé, mais il m'expliqua qu'il était nécessaire à Taiyuan, où j'ai

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