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Une ère nouvelle 2: Si le grain ne meurt
Une ère nouvelle 2: Si le grain ne meurt
Une ère nouvelle 2: Si le grain ne meurt
Livre électronique646 pages9 heures

Une ère nouvelle 2: Si le grain ne meurt

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À propos de ce livre électronique

Dans un premier tome, "IL EST VENU PARMI LES SIENS", j'ai retracé la vie cachée de Jésus. Je pensais m'en tenir là, m'attaquer à sa vie publique me semblait trop ardu et délicat. Néanmoins, cédant à l'insistance de mes proches, famille et amis, je me suis lancé dans l'aventure. J'ai d'abord relu attentivement les quatre évangiles en me disant que chacun avait donné sa vérité. A partir de là, j'ai essayé de construire un canevas qui rassemblerait l'ensemble de ces "vérités" en m'efforçant de bien garder l'essentiel de leur message. Par son originalité et son intransigeance, il ouvre vraiment la porte d'une ERE NOUVELLE.
LangueFrançais
Date de sortie2 nov. 2016
ISBN9782322141159
Une ère nouvelle 2: Si le grain ne meurt
Auteur

Guy Piegay

Sur la fin de ma vie professionnel de technicien des Travaux Publics, j'ai pris goût à la poésie et à l'écriture en général. Cette activité meuble agréablement ma retraite depuis plus de vingt ans...

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    Aperçu du livre

    Une ère nouvelle 2 - Guy Piegay

    † -4

    (Adar 27 – Nisan 28)

    1 LES DEUX VOIES

    En cette fin de journée du mois d’Adar, un petit groupe de cavaliers cravachent leurs montures sur la piste qui file vers Tibériade en longeant la mer de Galilée. Au cri de : « Place au Tétrarque Hérode », ils cravachent aussi, au passage, ceux des paysans revenant des champs qui ne se rangent pas assez vite à leur gré.

    Effectivement, ils sont suivis de près par une troupe plus importante, en bon ordre, entourant le Tétrarque. Elle disparaît dans le nuage de poussière qui s’élève derrière elle.

    - C’est pour pouvoir parader ainsi qu’ils nous grèvent d’impôts, maugrée un jeune paysan en essuyant de la main le sang qui suinte de son cou marqué par la morsure d’une cravache.

    Le soleil s’est déjà couché derrière les monts d’Hippos, de l’autre côté de la mer de Galilée, lorsque la troupe, sans ralentir son train d’enfer, entre dans Tibériade. Elle sème un début de panique dans les ruelles étroites où les commerçants commencent à fermer boutique.

    C’est à peine si les cavaliers ralentissent pour passer le portail du palais. Ils immobilisent leurs montures au milieu de la cour en un ordre parfait. Le Tétrarque, accompagné de son aide de camp et d’un hôte de marque, que nul ne connaît, va vers les appartements royaux. Pendant ce temps, un officier de la garde se dirige discrètement vers les appartements de la princesse Phasaelis. Au majordome qui s’interpose il lance :

    - Je dois voir la princesse Phasaelis immédiatement.

    - Il te faudra attendre demain matin, la princesse s’est retirée dans ses appartements privés et elle n’apprécie guère qu’on la dérange à cette heure-ci.

    - Pourtant il faut que je la voie, dis-lui qu’il y va de sa sécurité.

    Le garde pénètre en grommelant dans le palais et revient au bout de quelques minutes :

    - Vas-y, la servante va te guider. Mais je te préviens, la princesse est de mauvaise humeur.

    L’une guidant l’autre, ils montent un escalier monumental et enfilent des couloirs dont la décoration en dit long sur la richesse qui doit être celle des appartements eux-mêmes.

    Arrivés devant une porte, la servante frappe. Une voix revêche crie :

    - Entrez !

    La servante ouvre puis s’efface pour laisser passer le messager.

    La princesse Phasaelis, allongée nonchalamment sur un divan, dévisage l’officier :

    - Ah ! C’est toi Mahlôn, fidèle parmi mes fidèles. Quelle est la cause de tant de précipitation ? Comment le retour de mon mari pourrait-il mettre ma sécurité en danger ; il y a bien longtemps que mon sort ne l’intéresse plus, surtout depuis qu’il s’est entiché de cette Hérodiade, femme de son frère Philippe Boéthos et fille de son frère Aristobule. Est-elle vraiment plus belle que moi ? Je sais qu’elle est beaucoup plus jeune et qu’elle a déjà une fille, Salomé, qui doit aller sur ses douze ans.

    - Princesse, vous resterez toujours la plus belle pour nous. Et puis, Hérodiade, que je n’ai jamais vu, n’a que dix ans de moins que vous. Elle doit d’ailleurs arriver ici dans une semaine environ pour épouser notre Tétrarque.

    - Si c’est juste pour m’annoncer cela que tu voulais à tout prix me voir, ce n’était pas vraiment nécessaire. Quand on sait le nombre de femmes qu’a eues son père, Hérode le Grand, il est tout à mon honneur d’avoir été l’unique épouse du Tétrarque jusqu’à présent. Il faut dire que j’ai tout fait pour cela. Mais depuis qu’il a compris que je ne lui donnerai pas de descendance, il veut en prendre une seconde et je peux le comprendre. Mais je ne vois pas ce qu’il espère de plus d’une femme qui va sur ses quarante ans alors que même ses nombreuses et jeunes concubines n’ont pas pu lui donner de bâtard …

    - Il y a plus grave, princesse : Hérodiade a exigé de votre mari qu’il vous répudie pour pouvoir l’épouser.

    - Comment cela, il envisagerait de me chasser, moi la fille d’Arétas, roi des Nabatéens et de Pétra ? Oublie-t-il que je lui fus donnée pour femme par mon père en signe de réconciliation entre nos deux peuples, à la demande de l’Empereur Auguste, quelques années avant la mort d’Hérode le Grand, son père ? Le contrat passé alors garde toute sa valeur. Mais d’abord, es-tu sûr de ce que tu avances ?

    - Malheureusement oui, je le tiens du scribe qui a écrit l’acte ; il est des nôtres.

    - Fort bien, je ne donnerai pas à Antipas le plaisir de m’humilier publiquement. Choisis une bonne escorte parmi ceux qui me sont fidèles, je vais obtenir de mon époux qu’il me laisse m’éloigner pendant le temps des festivités. Il faut que nous soyons loin lorsqu’arrivera cette usurpatrice.

    - Que dois-je donner comme destination pour faire établir l’ordre de mission ?

    - Officiellement nous allons à Machéronte ; en fait, je rentre à Pétra, chez mon père.

    Pendant ce temps, dans les appartements du roi, l’hôte s’est campé devant une porte fenêtre : dans la douceur de cette fin de journée, par delà les magnifiques jardins en terrasses, le regard découvre la nappe bleu turquoise de la mer de Galilée. A l’horizon la ligne sombre des monts de Bashan se découpe sur le ciel où s’empourprent quelques stratus éclairés par les feux du soleil déjà couché.

    - Mon cher beau-frère, ce site est magnifique et ta capitale, pour ce que j’en ai vu en passant, fait honneur à Tibère dont elle porte le nom.

    - Merci du compliment cher Agrippa, mais tu trouveras vite la vie monotone après les fastes de Rome auxquels tu es habitué.

    - Ne parlons plus de Rome, Tibère m’en a chassé sur un malentendu et je ne sais quand je pourrai y retourner.

    - Je connais bien Tibère, je viens juste de lui rendre visite dans son palais de Capri. Nous avons parlé de toi, je pense qu’un jour il passera l’éponge. Mais tu le connais, il lui faut du temps pour mûrir ses décisions. En attendant, je suis heureux que tu sois là, je ne trouvais pas la personne adéquate pour s’occuper de la culture et de l’urbanisme. Tu as toutes les qualités requises pour tenir le poste. Il faut dire que Cypros, ta femme, ainsi qu’Hérodiade, ont fait ce qu’il fallait pour me convaincre…

    - Il est vrai que lorsque les femmes se liguent pour imposer leurs vues à nous les hommes, nous sommes très vulnérables.

    - Demain, nous passerons aux choses sérieuses, tu as un premier travail important en perspective pour préparer la célébration de mon mariage avec ta sœur Hérodiade. Pour ce qui est des festivités au palais, tu pourras compter sur mon homme de confiance, Chouza, je te le présenterai. Mais il faut organiser la fête à travers toute la ville, et là ce sera à toi de te montrer créatif.

    - Je tâcherai d’être à la hauteur. Bien sûr, tout dépend du budget…

    - Pour l’occasion, tu as carte blanche.

    - Alors sois sans crainte…

    ***

    Au palais de Philippe Boéthos règne une grande confusion. Chacun connaît la liaison entre Hérodiade et son oncle le Tétrarque Hérode Antipas. Chacun le sait, mais nul ne s’y oppose.

    Antipas est le seul juif régnant actuellement sur plusieurs territoires historiques des tribus d’Israël. Pourtant lui-même n’est que très peu juif : son grand-père paternel, Antipater était Iduméen, sa mère Malthace est samaritaine. Mais il a rang de roi des juifs depuis que son frère Archélaüs a été déposé par Rome. Quand la femme de Philippe décidera de le rejoindre, nul ne s’y opposera.

    Cette dernière s’est d’ailleurs retirée dans ses appartements avec sa fille Salomé. On devine une certaine tension entre la mère et la fille ; celle-ci rompt soudain le silence :

    - Enfin maman, pourquoi tiens-tu tant à aller t’exiler au fond de la Galilée… Tu ne trouves pas que l’on est bien ici à Jérusalem ? Nous y avons notre famille, nos amis, chaque jour est une fête pour moi.

    - Tes amis ! Il faudrait déjà mieux les choisir ; ton préféré, je l’ai bien remarqué, est le frère de ta meilleure amie, Judith ; il te faut l’oublier, il est de la famille Seth, celle qui a évincé notre famille de la charge de grand prêtre. Tu ne peux envisager un tel mariage, ton père s’y opposera. Sache Salomé que ce que je fais c’est pour mon plaisir, mais aussi et surtout pour ton avenir.

    - Pour ton plaisir ! Comment peux-tu parler ainsi, n’es-tu pas heureuse avec mon père ?

    - Non ! Tu deviens femme et il y a des choses que tu dois savoir maintenant. Quand je fus mariée à ton père, j’étais encore plus jeune que tu ne l’es aujourd’hui. Ce fut pour moi une grande joie et une grande fierté ; mon mari, appartenant à la famille des Boéthos, avait un avenir de grand prêtre devant lui. Malheureusement, deux ans après mon mariage, ton oncle Archélaüs a été déposé par Rome et la charge de grand prêtre transférée à la famille de Seth. Mon rêve de grandeur s’envolait, et pour le reste… je n’étais alors qu’une fillette et je ne pouvais pas savoir…

    - Qu’est-ce que tu ne pouvais pas savoir ?

    - Quand on est une enfant, une fille, on est entourée de beaucoup d’égards. On nous dit que nous sommes la promesse de vie, l’avenir du peuple d’Israël, et on en est fière. Puis, une fois mariée, j’ai compris que je n’étais pour mon mari qu’une terre dans laquelle on plante son vit pour l’ensemencer, une femelle à engrosser. Je ne fus jamais pour lui une femme qu’on aime, qu’on amène à l’extase pour la rendre heureuse. J’avais des élans amoureux, j’avais le désir d’aimer et d’être aimée, ce qui est bien légitime je pense… Dans notre caste des grands prêtres, la femme obtient du respect en tant que mère des enfants de son mari, une certaine déférence de façade, mais de l’amour jamais. Après ta naissance qui a tardé, je me suis refusée à lui ; il avait plus d’égard pour sa jument d’apparat que pour moi !

    - C’est la première fois que tu me parles aussi durement de mon père ; ne crois-tu pas que tu exagères un peu ? Le mariage ne doit pas être toujours aussi sinistre que tu le dis. Ne me dis pas qu’il ne se trouve pas un bon parti pour moi parmi les jeunes gens de notre entourage ?

    - A mon grand regret, je dois te dire non ! Ils peuvent avoir des manières avenantes pour te séduire, mais ton avenir avec eux sera la vie que je mène aujourd’hui.

    - Et penses-tu sincèrement que ce sera mieux avec Antipas ?

    - Oh oui ! Dès que son regard s’est posé sur moi, j’ai senti qu’il avait beaucoup d’amour et de passion à partager. Je l’ai connu, Salomé, nous nous sommes aimés en cachette, et j’en ai été éblouie. C’est une vie telle que celle-là que je souhaite pour toi.

    - Alors pourquoi l’avoir gardé égoïstement pour toi ? Pourquoi ne pas m’avoir donné à lui puisque c’est un si bon mari ?

    - J’y ai pensé, vois-tu, j’y ai pensé. Mais à la réflexion ce n’était pas une bonne solution. Tu sais que ton oncle n’a pas d’enfant, tu sais peut-être aussi qu’il n’a même pas un bâtard de ses nombreuses concubines. Ce qu’il n’ose s’avouer, ce que chacun pense et que nul n’ose dire, c’est que le grand Tétrarque Hérode Antipas est stérile, qu’il ne pourra jamais faire un enfant à une femme. Si tu l’épouses, tu ne pourras jamais lui donner une descendance. Et dieu sait quelle solution il pourra envisager pour y remédier.

    - Et toi, quelle solution proposes-tu ?

    -Antipas est un merveilleux amant et je me suis rendu compte, à son contact, que je pouvais devenir une amante experte. Il m’a dans la peau, il ne me lâchera plus. Dans le contrat que nous avons passé, il m’épouse, il t’adopte et il répudie sa première femme, la nabatéenne. Par ailleurs, je le pousse à négocier avec Rome pour obtenir le titre de roi et il l’obtiendra. Je te donnerai pour mari celui que tu choisiras et ton premier fils sera le seul héritier d’Antipas, il héritera du titre et du trône de roi des juifs.

    - Maman, tu me fais peur, tout paraît trop simple dans ta bouche. Pourtant je te remercie pour l’avenir que tu veux me préparer.

    - Maintenant allons dormir, demain commence la première étape de notre nouvelle vie, dès l’aube, nous partons pour Tibériade. Je serai reine, ma fille, et ton fils sera roi !

    ***

    En ce début de matinée printanière, Chouza, l’intendant du Tétrarque Hérode, a convoqué Jonas, son homme de confiance ; tous deux sont installés à la terrasse de sa villa, au bord de la mer de Galilée. On voit au large des barques de pêcheurs d’où jaillissent, à intervalles réguliers, les filets lancés d’une main experte, qui s’abattent bien à plat sur la surface de l’eau.

    - La pêche est-elle bonne ces jours-ci, demande Chouza à Jonas ?

    - Encore assez, on dirait que les poissons ont envie de venir en surface profiter du soleil printanier.

    - Tant mieux pour tes fils et leurs amis et souhaitons que ça dure car il nous faudra beaucoup de poissons pour la grande fête du mariage de notre Tétrarque avec Hérodiade. Il m’a fait savoir que nous n’avions qu’une dizaine de jours pour le préparer. Le mariage doit avoir lieu une semaine avant la Pâque et sera suivi d’une semaine de festivités ; avec le temps des azymes qui vient juste après, cela fera quinze jours de fête pour le peuple… Et quinze jours de ripailles au palais. J’espère que tout se passera bien malgré le peu de temps que nous avons pour les préparatifs.

    - Je le dirai à mon fils Simon et à son ami Jacques, le fils de Zébédée. C’est une aubaine pour eux : les deux jeunes, André et Jean, les ayant quittés, ils ont dû prendre des journaliers, ça augmente les frais.

    - Et où sont allés ces deux jeunes ?

    - Ils sont allés rejoindre le prophète qui baptise au bord du Jourdain et que les gens n’appellent plus que « le Baptiste », maintenant. Voilà plus d’un mois qu’ils sont partis ; nous en avons longuement discuté ensemble avant leur départ. C’était juste pour se rendre compte… Il faut croire que le discours de cet homme est aussi convaincant qu’on le dit, ils ne sont toujours pas revenus.

    - J’ai entendu parler de ce Baptiste par Jeanne, ma femme, qui le tient en haute estime. Philippe, le précepteur de nos enfants, a décidé aussi de le rejoindre au bord du Jourdain. Si ça continue ainsi, il n’y aura bientôt plus personne pour faire le travail ici… J’ai cru comprendre que ce Baptiste avait un discours très violent contre tous les notables, mais c’est un peu la marque du genre prophétique. Revenons plutôt à notre sujet ; dis bien à ton fils de nous mettre de côté toutes les plus belles pièces de sa pêche à partir de la semaine prochaine et de nous les livrer régulièrement tous les jours à Tibériade. Pour toi, je te confie la maison jusqu’à la fin des festivités car je vais être très pris. Maintenant, il me faut partir si je veux être à Tibériade avant que la princesse Phasaelis prenne la route.

    -Parce que la princesse ne reste pas pour la noce ?

    -Non, d’ailleurs elle n’aime pas Tibériade, l’air y est trop doux ; elle part pour Machéronte, son climat plus sec et plus rude lui convient mieux. Et puis de là, elle voit au loin son pays natal.

    - Et le Tétrarque l’a laissé partir ?

    - Oh ! Le Tétrarque… depuis qu’il a compris que sa femme ne lui donnerait pas d’enfant, il s’en désintéresse complètement.

    ***

    Comme chaque semaine, le surlendemain du Sabbat, Jérémie est descendu de Jérusalem à Béthanie chez ses amis Marthe, Marie et Lazare. Au début, après la mort de leur père il y a quatre ou cinq ans, il l’a fait à la demande expresse de Nicodème le pharisien, maître en Israël et ami du défunt, pour gérer la maison : les filles étaient alors trop jeunes pour assurer seules cette charge. A présent il le fait surtout par amitié ; pourtant les deux femmes lui laissent le soin de superviser les travaux à l’extérieur de la maison. Il est justement en train d’inspecter les planches de légumes avec le jardinier lorsqu’arrive Nicodème. Le pharisien vient lui aussi de loin en loin voir ses protégées. Chaque fois qu’il le peut, il vient le même jour que Jérémie, avec lequel il aime s’entretenir.

    L’apercevant dans le potager, il va le rejoindre en prenant bien garde que les franges de son manteau ne se souillent au contact du sol ou des plantes :

    - Bonjour Jérémie, je vois que tu restes fidèle en amitié.

    - Bonjour maître. Nos amies sont bien bonnes de me faire encore confiance, je commence à prendre de l’âge, et à part donner des conseils, je ne suis plus bon à grand-chose.

    - Je pense surtout que les gens que tu diriges ont bien de la chance de profiter de ton expérience. Je vais maintenant aller saluer les maîtresses de maison.

    - Je vous accompagne, j’ai fini de prodiguer mes conseils ici.

    Marthe et Marie sortent sur la terrasse au moment où ils approchent de la maison. Elles saluent Nicodème ; Marthe propose :

    - Il fait une belle journée, si vous le voulez bien nous pouvons nous installer dehors, sur les bancs de pierre, pour prendre une collation.

    - C’est une bonne idée, approuve Nicodème.

    Marthe se retourne vers la servante qui attend à distance :

    - Apportez des coussins et une table basse.

    En un tour de main, tout est en place et chacun s’assoit. La servante amène des gâteaux, des fruits secs et une infusion d’herbes aromatiques du jardin. La discussion part d’abord sur les banalités d’usage, puis Nicodème prend un air plus grave :

    - Voilà un mois environ, je suis descendu au gué du Jourdain pour aller écouter le prédicateur qui baptise et dont on parle tant. J’ai bien cru reconnaître ce Jean que j’avais rencontré ici le jour du décès de votre père qui était un ami très cher. N’est-ce pas le même Jean que j’ai revu chez toi à Jérusalem et que tout le monde appelle à présent le Baptiste ?

    - C’est bien lui.

    - Qui est-il exactement, et d’où le connais-tu ?

    - Jean est le fils de mon ancien maître, le prêtre Zacharie. A la mort de ses parents, avant d’aller faire un séjour chez les Esséniens, il m’a affranchi et m’a donné la maison que je possède à Jérusalem…

    - Oui, je me souviens maintenant, tu m’en avais parlé. Sa prédication est très dure pour nous les pharisiens, mais encore plus pour les scribes et les sadducéens ; d’ailleurs il est exigeant pour tous, interdisant aux collecteurs d’impôts de voler les gens et aux soldats de s’adonner au pillage. Ce qui m’a le plus intrigué dans ce que j’ai entendu c’est qu’il a parlé de quelqu’un, au milieu de nous, qui est plus grand que lui. On m’a même rapporté que le lendemain, voyant passer un certain Jésus, il aurait dit de lui qu’il est l’élu de Dieu. Tous ces discours me troublent fort. Mais dis-moi, ce Jésus, ne serait-ce pas celui que j’ai aussi rencontré chez toi l’année dernière ?

    - Je pense effectivement que c’est lui. Mais depuis que vous avez vu l’un et l’autre chez moi l’année dernière, ils ne sont pas revenus à Jérusalem.

    - Ce Jésus, qui est-il pour le Baptiste ?

    Jérémie hésite, il ne se sent pas le droit de parler sur un sujet dont ses amis n’ont jamais rien voulu dire. Il se contente d’expliquer :

    - La mère du Baptiste et Marie, la mère de Jésus, sont cousines. Cette dernière s’est mariée avec un certain Joseph de Nazareth en Galilée. Le Baptiste et Jésus sont donc cousins ; mais Jésus et sa mère habitent en Galilée.

    - Je comprends mieux la situation. J’aimerais bien avoir un entretien avec ce Jésus pour savoir ce que veulent dire toutes ces déclarations. On commence à en discuter sérieusement à la Maison d’Etude. Quoique dans l’immédiat, ce sont surtout les frasques d’Hérodiade, la femme de Philippe Boéthos, qui défraient la chronique.

    - J’ai effectivement entendu des bruits à ce sujet, que se passe-t-il exactement ?

    - Cette intrigante a décidé d’abandonner son mari, qui est aussi son oncle, pour s’acoquiner avec Hérode Antipas, un autre de ses oncles. La classe sacerdotale est aux quatre cent coups.

    - Et pour quelles raisons change-t-elle de mari ?

    - Difficile à dire ; pourtant son mariage avait été arrangé deux ans avant qu’Archélaüs soit déposé par Rome je crois. A l’époque la famille des Boéthos, dont les deux époux sont les descendants, exerçait la charge de grand prêtre depuis le début du règne d’Hérode le Grand. Philippe Boèthos avait toutes les chances d’hériter un jour de cette charge. Seulement, en même temps qu’ils déposaient Archélaüs, les romains ont transféré la charge de grand prêtre à la famille d’Hanne et ne semblent pas près de changer d’avis. Dans ces conditions, Hérodiade préfère sans doute quitter la couche de Philippe pour celle d’Hérode Antipas : lui, a rang de roi. Elle saura bien manœuvrer pour être reine.

    - Tout ceci est navrant, intervient Marthe, la Sainteté du Temple même en est atteinte.

    - C’est vrai, reprend Nicodème. Ça nous conforte dans l’idée que le vrai culte n’est plus vraiment au Temple, mais bien dans chacun de nos foyers. Mais bon, tout ceci nous éloigne de notre sujet. Nous parlions donc de Jésus ; Jérémie, sais-tu où je pourrais le trouver ?

    - Non, je l’ignore, mais dès qu’il se manifestera de nouveau à Jérusalem, passez me voir à la maison : c’est chez moi qu’il loge habituellement.

    Marthe et Marie ont suivi la discussion avec intérêt. Marie se permet de dire :

    - Le Baptiste est souvent à l’emporte pièce, Jésus est beaucoup plus doux et mesuré, je garde en mémoire les paroles qu’il nous a dites la dernière fois que nous l’avons vu, au moment du massacre près de la porte des Esséniens : « La vraie paix n’est pas la paix des armes, celle-là est toujours à reconstruire. La vraie paix est la paix intérieure ; elle seule permettra de construire le Royaume de Dieu ».

    Suit un temps de silence que rompt Nicodème :

    - C’est une parole qui demande réflexion ; le royaume de Dieu n’est pas à construire, il existe déjà, c’est le royaume d’Israël, et il nous revient de droit, nous les fils d’Abraham. Oui, il devient urgent que je discute avec ce Jésus.

    ***

    Jésus est resté quarante jours dans le désert de Judée ; quarante jours de jeûne et de réflexion. Maintenant il sent qu’il doit partir, que le temps de la réflexion est terminé, que celui de la mission est venu. Non pas que tout soit clair dans son esprit, pour l’instant il est comme au fond d’une longue galerie souterraine ; on voit le jour au bout, mais lui est encore dans l’obscurité. Tout s’éclairera au fur et à mesure de sa progression vers la lumière.

    Avant toute chose, il a besoin de retrouver son cousin le Baptiste, de faire le point avec lui. Des songes ont hanté ses nuits dont le sens ne s’éclairera pleinement que dans l’échange. Il descend vers le gué de Béthanie où son cousin baptise, coupant au plus court par des sentiers de chèvres, évitant les épineux et les taillis rabougris et serrés qui poussent dans les replis des ressauts rocheux. Le jeûne a émacié son visage et sa tunique, maintenant trop large, flotte autour de son corps amaigri. A la tombée du jour, il est en vue du gué. Les derniers pèlerins se font baptiser par le Baptiste et deux ou trois de ses disciples. Quand les derniers baptisés ont quitté les lieux, Jésus s’approche. A sa vue son cousin s’exclame :

    - Jésus, te voilà enfin !

    - Oui, me voilà, je suis heureux de te revoir car j’ai à te parler.

    - Ordonne-moi ce que tu veux, je t’obéirai.

    - Il ne s’agit pas de commander ou d’obéir, j’ai simplement besoin de discuter avec toi de certaines choses.

    - Mais tu es « l’Agneau de Dieu », celui qui vient sauver le peuple, moi je ne suis rien.

    - Ne crois pas cela, voilà plus de vingt ans que nous échangeons sur les expériences que nous vivons, il n’y a aucune raison que cela change. J’espère pouvoir encore souvent confronter mes idées aux tiennes.

    Un des disciples intervient :

    - C’est donc toi Jésus, je ne t’avais pas reconnu. J’ai l’impression que tu ne te souviens pas plus de moi : Je suis Simon de Nazareth, le fils d’Ananias.

    - Oui, ça me revient ; j’avais conseillé à mon cousin de te contacter pour rencontrer les Zélotes de Galilée.

    - Exact ! D’ailleurs ici tout le monde m’appelle Simon le Zélote. J’avais un peu perdu la trace de ton cousin après qu’il nous ait quittés ; mais quand le bruit a couru qu’il baptisait dans le Jourdain, j’ai décidé de le rejoindre.

    Le Baptiste les interrompt :

    - Montons jusqu’au bivouac, la nuit va être vite venue.

    A moins d’un stade de là, un campement très frustre est aménagé sous le surplomb d’une barre rocheuse. Quelques blocs de roche entourent l’emplacement d’un foyer délimité par des pierres plates. André, un des disciples jette une poignée d’herbes sèches sur les braises ; une légère fumée bleutée s’élève, vite suivie par une flamme dansante sur laquelle le disciple pose méticuleusement des brindilles de bois puis des branches. Le Baptiste a décroché l’outre pendue dans un repli de la paroi pour qu’elle soit plus au frais ; il la tend à Jésus :

    - Bois, tu dois avoir soif ; je suppose que tu as marché toute la journée.

    Jésus se désaltère ; puis rendant l’outre à son cousin :

    - Il y a bien longtemps que je n’ai pas bu une eau aussi douce et aussi fraîche.

    - La nourriture est frugale ici, mais pour l’eau, nous avons effectivement une source excellente pas loin de là. Elle ferait presque oublier le vin.

    Rapidement le feu a fait suffisamment de braise pour qu’on place dessus une marmite en terre remplie d’eau. Lorsqu’elle bout, on jette dedans quelques herbes aromatiques. D’un recoin de la falaise fermé par une pierre plate, le Baptiste a sorti une galette de blé.

    - Aujourd’hui c’est fête, un baptisé s’est montré généreux en nous laissant du pain. Ce n’est pas souvent le cas ; quand ça arrive, c’est toujours le fait des plus pauvres, jamais des riches : eux ne savent pas la valeur du pain et le sens du don, ils sont trop repus.

    Ce frugal repas terminé, dans la douce lueur chaude du feu que le disciple alimente parcimonieusement, le Baptiste demande à Jésus :

    - Ces quarante jours de réflexion n’ont-ils pas suffi pour mûrir ton projet, que tu aies besoin d’en discuter encore ?

    Jésus élude le côté quelque peu sarcastique de la question :

    - Durant tout ce temps j’ai prié pour avoir la sagesse et essayer de savoir quelle voie je devais suivre. Je me suis remémoré tout ce qui a fait ma vie jusqu’ici en me référant à ce que j’ai appris de mes parents et aussi des tiens. J’ai repris le fruit de mes réflexions à partir de mon expérience personnelle et à partir de toutes tes démarches auprès des divers courants qui traversent le peuple juif. Il y a quelques jours, j’ai fait un songe ; peut être faut-il appeler cela une révélation, peu importe. Le diable venait me trouver et me disait : « Si tu es fils de Dieu, ordonne à cette pierre de se transformer en pain. » je lui répondais : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain ». Il m’emmena alors sur une montagne si haute qu’il me semblait voir toutes les nations de la terre. Là, il me dit : « Je te donnerai la puissance et la gloire de tous ces royaumes, si tu te prosternes devant moi ». Je lui ai répondu : « Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, à lui seul tu rendras un culte ». Il est revenu à la charge une troisième fois, Je me suis retrouvé sur le pinacle du temple et il m’a lancé ce défi : « Jette-toi en bas car il est écrit : Dieu donnera des ordres à ses anges pour qu’ils te gardent et te portent dans leurs mains ». A cela j’ai répondu : « Il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ». Après cela je me suis réveillé.

    - C’est un beau songe qui me semble facile à interpréter, Je pense que tu as répondu juste, d’ailleurs Satan ne t’aurait pas laissé en paix si tu n’avais pas bien répondu.

    - Je n’en doute pas, surtout pour ce qui est de me jeter du haut du Temple ou de soumettre les nations. La gloire facile et la puissance ne sont en aucun cas la voie à suivre pour parvenir au royaume de Yahvé. Mais il me semble que sa première proposition pourrait être bonne : transformer les pierres en pain, n’est-ce pas quelque chose de similaire que Yahvé a fait au désert pour son peuple en lui donnant la manne ?

    Le Baptiste garde le silence, les disciples suspendent leur souffle, attentifs à ce qu’il va répondre. Enfin il parle :

    - La manne, nombreux sont ceux qui en on vu une fois ou l’autre dans le désert, mais toujours en quantité infime. Le vrai miracle, c’est qu’il y en ait eu pour nourrir toute une foule pendant quarante ans. Mais le vrai symbole, c’est qu’en acceptant la manne que Yahvé lui donne, le peuple signifie qu’il le reconnaît pour son Dieu. Si tu avais accepté la proposition de Satan, tu reconnaissais son pouvoir sur toi.

    - Merci pour cet éclairage. Je ne doutais pas, mais ma perception des choses était brouillée. A présent tout est clair. J’aurai d’autres points à débattre avec toi, mais il se fait déjà tard.

    - Oui, mieux vaut se reposer car dès le petit jour nous allons être sollicités. Tu peux rester avec moi, cependant après demain je compte me mettre en route pour Beth-Shan. C’est aussi un lieu de passage important, et je sens que mon destin doit se jouer là-bas. Mais peut-être préféreras-tu monter directement à Jérusalem ? C’est le centre de notre foi et de notre peuple ; c’est là qu’il faut annoncer la parole.

    - Tu as raison, mais je t’accompagnerai jusqu’à Beth-Shan, ça me rapprochera de la Galilée où je dois rejoindre ma mère pour le mariage du fils d’une de ses cousines à Cana.

    - Est-ce bien raisonnable d’aller fréquenter ces lieux de beuveries ? C’est par l’ascèse que nous devons gagner le royaume et encore plus l’annoncer. Mais nous aurons le temps d’en rediscuter.

    Jésus s’est éloigné un peu pour s’allonger et dormir. André, tout en rassemblant les braises du feu pour la nuit, demande au Baptiste :

    - Ce Jésus, c’est bien celui dont tu nous as dit : « C’est l’Agneau de Dieu, quand il reviendra du désert, suivez-le »?

    - Oui, c’est bien lui.

    - Nous sommes trois ici des bords du lac de Gennézareth, Philippe, Jean fils de Zébédée et moi-même. L’un d’entre nous va partir pour Capharnaüm pour inviter ceux de nos frères qui le souhaiteraient à venir le rencontrer ; ils nous rejoindront à Beth-Shan.

    - Vous avez raison, c’est autour de lui qu’il convient maintenant de vous rassembler ; il faut qu’il croisse et que je diminue.

    Le lendemain, à la première heure, De nombreux pèlerins sont là, attendant le baptême. Ils ont fait la route de nuit pour être les premiers, malgré les dangers encourus. Ils sont en prière au bord du Jourdain. En arrivant près du gué, Jésus les découvre dans le jour naissant.

    - Tu vois cette foule, lui dit le Baptiste, elle a soif de justice, soif de la libération du joug romain, de celui des élites de son peuple : les sadducéens, les scribes, les pharisiens… Nous devons leur rappeler sans cesse la parole que Yahvé met dans la bouche du grand Isaïe :

    « Mon peuple, je le guérirai, je le consolerai, je le comblerai de réconfort, lui et ses affligés ».

    Philippe a déjà pris la route de la Galilée. Il a été désigné car outre Jacques et Simon, frères de Jean et André, il a un ami, Barthélemy, scribe à Tibériade ; il voudrait lui parler du Baptiste et de Jésus. En marchant bien, il lui faut quatre jours pour monter à Capharnaüm et deux pour redescendre à Beth-Shan.

    Au bord du Jourdain Jean et ses disciples ont baptisé toute la journée ; Jésus s’est joint à eux.

    Son cousin, tout en baptisant, harangue la foule, l’invitant au repentir. Vers le soir arrive une caravane importante avec une forte escorte militaire ; elle établit son campement tout près du fleuve. Par un réflexe de peur habituel devant des soldats, la foule des pèlerins quitte les lieux. Quelques militaires descendent les chevaux au bord de la rivière pour les faire boire. Jean les invective :

    - Vous qui venez faire boire vos chevaux, avez-vous pensé à vous abreuver vous-mêmes de la parole de Dieu ?

    Le décurion qui commande le détachement dévisage le Baptiste d’un œil incrédule, puis répond :

    - La seule parole qui compte pour nous est celle de notre maîtresse, la princesse Phasaelis. Si tu es le prophète dont on parle tant depuis quelques temps, sache que nous n’avons d’ordre et de conseil à recevoir que de la princesse et de son mari le Tétrarque Hérode. Alors, laisse-nous tranquilles.

    Les bêtes désaltérées, le détachement est remonté au campement. Quelques-uns des pèlerins qui s’étaient éloignés reviennent prudemment pour se faire baptiser. Quand les derniers s’en vont, au moment où commence à luire l’étoile du berger, un petit groupe de soldats descend au bord du Jourdain. Ils ont laissé leurs armes au camp.

    - Que voulez-vous, leur demande le Baptiste ?

    L’un d’eux prend la parole :

    - J’étais de la décurie qui est venue faire boire les bêtes. J’ai entendu ta parole tout à l’heure, je n’ai rien dit car j’étais en service. Mais je l’ai rapportée à quelques amis de l’escorte ; maintenant que nous avons fini notre service, nous venons te voir. Nous savons ta renommée et nous voulons que tu nous dises ce que nous devons faire pour obtenir le pardon de Dieu et gagner son royaume ?

    - Le mieux, ce serait de tout abandonner et de me suivre.

    - Ca, nous ne le pouvons pas, le métier de soldat est le seul que nous connaissions, c’est notre gagne-pain. Tout abandonner, c’est au-dessus de nos forces. N’y a-t-il pas d’autres voies pour gagner le Royaume ?

    - Je comprends, je ne suis pas là pour vous juger. Je puis vous baptiser si vous vous engagez à ne molester personne au-delà de votre devoir de soldat. De plus, n’allez pas dénoncer faussement pour vous faire bien voir et ne pillez pas, contentez-vous de votre solde.

    Les hommes se sont avancés dans l’eau pour se faire baptiser. L’un d’entre eux exprime sa joie en grec. Le Baptiste demande à André :

    - Que dit-il ?

    - Il proclame la grandeur de Yahvé et sa supériorité sur tous les dieux de son pays, non pas parce qu’il est plus fort, mais parce qu’il est à la fois plus exigeant et plus tolérant.

    Comme l’homme s’attarde un peu, heureux de trouver quelqu’un qui parle sa langue natale, André lui demande :

    - Si ce n’est pas trahir un secret militaire où allez-vous avec votre maîtresse ?

    - Il n’y a aucun mystère, nous allons à Machéronte.

    - Comment se fait-il que le Tétrarque n’accompagne pas sa femme ?

    - Le Tétrarque va prochainement prendre Hérodiade en seconde épouse. La princesse Phasaelis ne tient pas à être de la noce ; elle préfère s’éloigner de Tibériade.

    Au nom d’Hérodiade, le Baptiste interpelle André :

    - Que dit-il au sujet d’Hérodiade ?

    - Elle va se marier prochainement avec Hérode.

    A cette nouvelle, le Baptiste explose de colère :

    - Ainsi, les rumeurs qui circulent sont vraies. Cette vipère lubrique abandonne son mari qui est aussi son oncle pour se jeter dans la couche d’un autre de ses oncles. Pourtant elle descend d’une famille de grands prêtres ainsi que l’homme qu’elle quitte… Comment peut-on en arriver à bafouer ainsi nos lois les plus saintes !

    Surpris par cette brusque sortie, le soldat s’empresse de rejoindre les autres qui remontent déjà vers leur campement.

    L’incident clos, le Baptiste et ses disciples remontent vers leur bivouac. Jésus, qui les accompagne, s’est rapproché d’André :

    - D’où te vient cette connaissance du grec ? Ce n’est pas la langue du peuple. D’où viens-tu toi-même ?

    - C’est une histoire pas ordinaire. J’ai perdu mes parents alors que j’avais peut-être cinq ans. Mon père était un gros commerçant, phénicien je crois, de culture grecque. Il avait décidé de venir s’installer à Tibériade qui était une ville nouvelle et dynamique. Nous faisions route entre Séphoris et Tibériade en suivant un détachement romain pour plus de sécurité. La colonne a été attaquée, je dois la vie à ma mère qui tout de suite a eu le réflexe de me cacher sous un buisson épais en me recommandant de ne pas bouger jusqu’à ce qu’elle revienne me chercher. J’ai fermé les yeux et bouché mes oreilles pour ne rien voir et ne rien entendre, attendant que ma mère vienne me chercher. Je ne l’ai jamais revue… Le reste m’a été raconté par Simon qui m’a trouvé ; je le considère comme mon frère.

    - Qui est ce Simon ? Comment t’a-t-il retrouvé ?

    - Simon est le fils d’un pêcheur du lac de Tibériade.

    - Attends, Simon et André pêcheur… Mais alors tu es le fils de Jonas, l’homme de confiance de Chouza.

    - C’est exact. Il y a à peine deux mois, les témoignages sur ton cousin ont commencé à se répandre en Galilée. Tout de suite Simon et moi nous avons été subjugués par le message, Jacques et Jean, nos compagnons de pêche, aussi. Après en avoir discuté avec notre père et le vieux Zébédée, père de nos amis, nous avons décidé que les deux plus jeunes, Jean et moi, irions d’abord pour nous rendre compte. Quand Philippe, le précepteur des enfants de Chouza, a été au courant de notre décision, il s’est joint à nous avec l’accord de Suzanne, la femme de Chouza. Philippe est un érudit, c’est aussi mon ami ; c’est à lui que je dois de n’avoir pas oublié ma langue maternelle.

    - Justement on en revient à ton histoire dont j’ai interrompu le récit. Comment Simon t’a-t-il trouvé ?

    - A douze ou treize ans, il avait décidé de rejoindre un groupe de résistants ; ceux de chez nous ne sont pas des brigands. Mais pour donner l’assaut à ce détachement romain, ils ont dû s’allier avec d’autres groupes de rebelles ; c’est de ceux-là qu’est venu le malheur. Avant l’attaque, il avait été convenu de tuer les soldats mais de laisser la vie sauve aux gens de la caravane, en se contentant de les dépouiller de leurs richesses. Simon, vu son jeune âge, avait été laissé en retrait pour faire le guet, c’est ainsi qu’il a vu où ma mère me cachait. Mais les autres n’ont pas respecté le contrat, ils n’ont pas fait de quartier. Simon était tellement écœuré par ce massacre général, qu’il n’a pas voulu rester avec les résistants. Dès qu’ils sont partis, il est venu me chercher ; je me suis d’abord débattu, mais à force de persuasion il a réussi à me calmer et j’ai fini par le suivre. Son père m’a accueilli comme si j’étais son fils. C’est lui aussi qui m’a mis en contact avec Philippe pour que je ne perde pas ma culture. Je ne les remercierai jamais assez tous. Je partage leur vie ; je suis maintenant un vrai pêcheur galiléen.

    Arrivés à leur bivouac, André s’éclipse pour s’occuper du feu.

    Jésus s’approche de son cousin et lui demande :

    - Tu comptes toujours partir pour Beth-Shan ?

    - Oui, et cela dès demain. Nous y monterons en trois jours de marche en faisant étape pour une journée à Adama au gué du Yabboq puis à Abel-Méhola. Il nous faut proposer le baptême au plus grand nombre possible.

    ***

    Au quatrième jour de marche, en fin de matinée, Philippe arrive à Tibériade. Il règne dans la ville une effervescence inaccoutumée. Il se dirige vers la synagogue près de laquelle son ami Barthélemy a son échoppe d’écrivain public. En entrant dans la boutique, Philippe constate que son ami est seul :

    - Les affaires sont en baisse ?

    - Oui momentanément, c’est dû aux évènements qui se préparent.

    - Quels évènements ?

    - D’où sors-tu pour ne pas être au courant de ce qui se passe ? Le Tétrarque Hérode se marie dans quelques jours ; sa nouvelle épouse Hérodiade vient juste d’arriver et toute la population est occupée à décorer la ville.

    - Mais alors quel était cet équipage que j’ai croisé en remontant la vallée du Jourdain ? J’ai bien reconnu les oriflammes de notre Tétrarque.

    - C’était sans doute l’escorte de la princesse Phasaelis qui fuit la noce… On peut la comprendre. Mais dis-moi, que faisais-tu au bord du Jourdain ?

    - Il y a un mois et demi, je suis descendu avec Jean et André, les pêcheurs, pour rencontrer le nouveau prophète qui baptise aux bords du Jourdain. Son discours est formidable ; il nous a invités à baptiser avec lui.

    - J’avais entendu parler de quelque chose de ce genre ; et à présent tu rentres, c’est fini ?

    - Non au contraire. Nous étions avec lui depuis quelques jours quand s’est présenté Jésus, tu en as sans doute entendu parler, c’est le charpentier de Nazareth qui a travaillé quelques années par ici, c’est aussi le cousin du Baptiste.

    - Oui, je vois de qui tu parles.

    - Jésus a demandé à son cousin de le baptiser, puis il est parti au désert. Après son départ, le Baptiste nous a dit : « C’est lui l’agneau de Dieu dont parlent les prophètes. Dès qu’il reviendra du désert, suivez-le ». Et ce Jésus est revenu voilà cinq jours. Nous avons suivi ses discussions avec son cousin et nous sommes convaincus que c’est lui le Messie. D’ailleurs Le Baptiste nous l’a confirmé en nous disant : « C’est maintenant autour de lui qu’il faut vous rassembler ; il faut qu’il croisse et que je diminue. » André et Jean sont restés près d’eux et moi je viens demander à Jacques, frère de Jean, et à Simon, frère d’André, de venir nous rejoindre. A toi aussi je viens poser la question : veux-tu être des nôtres ?

    - Attends ! Tu me dis que ce Jésus est de Nazareth, et tu crois qu’il peut sortir quelque chose de bon d’un bled pareil ?

    - Cesse de plaisanter et réfléchis sérieusement à ma proposition. Je repasse demain à la même heure pour avoir ta réponse. En attendant je file pour être ce soir à Capharnaüm.

    Le soleil n’est pas encore couché lorsque Philippe arrive à Capharnaüm, il se dirige directement vers le port. Il sait qu’à cette heure, ceux qu’il cherche doivent être là ; soit qu’ils aient péché de jour et c’est l’heure où ils rentrent, soit qu’ils préparent la pêche de nuit et ils ne partiront que plus tard. Comme il arrive sur la grève, Simon, qui vient de finir de vendre son poisson, le voit arriver :

    - Enfin vous revoilà ! Mais où sont les autres ?

    - Je suis revenu seul, André et Jean sont restés là-bas. Je viens en leur nom vous inviter à nous rejoindre.

    - Comme vous y allez, vous les jeunes !

    Jacques qui s’est approché renchérit :

    - Voilà un mois et demi que vous nous avez laissé tomber et maintenant vous voudriez qu’on aille vous rejoindre ? Ce n’est pas très sérieux.

    - Ne nous condamnez pas avant de m’avoir écouté… Si nous sommes restés si longtemps, c’est que nous avons vécu quelque chose d’exceptionnel.

    - C’est bon, se ravise Simon, aide-nous à finir le travail et nous irons en discuter tranquillement chez moi.

    Tous se mettent à préparer la pêche du lendemain en rangeant soigneusement les filets dans les barques. Quand tout est en ordre, Simon donne à chacun sa part du fruit de la vente et les journaliers s’en vont. Les trois amis se dirigent vers la maison de Simon pas très loin de là.

    Pierre ouvre la porte de la cour au fond de laquelle on voit une chambre en construction.

    - Ne faites pas attention au bazar, s’excuse Simon, je suis en train de préparer une chambre pour recevoir dignement mon épouse dans six mois.

    A la voix de son fils, la mère de Simon paraît dans l’embrasure d’une porte :

    - Tiens, un revenant, s’exclame-t-elle en voyant Philippe ! Je suppose que vous mangez tous ici ce soir ?

    - Oui maman, nous avons à discuter sérieusement.

    - Et bien, prenez votre temps, il faut que je revoie mes plans, je n’attendais pas tout ce monde.

    Les trois amis vont s’asseoir dans un coin de la cour pour goûter à la douceur de cette fin de journée. Quand ils sont installés, Simon invite Philippe à parler. Celui-ci raconte les prédications du Baptiste, la foule des pèlerins qui viennent se faire baptiser, ses invectives contre les riches et les puissants, son attention pour les plus pauvres… Il appelle à changer radicalement de comportement. Et puis il leur parle de Jésus :

    - Lorsqu’un homme comme le baptiste vous dit de quelqu’un : « Suivez-le, il est l’Agneau de Dieu et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure », il veut vous faire comprendre qu’il vous désigne le Messie. Quand on suit les conversations de ces deux là, on est transcendé… J’ai dû prendre sur moi-même pour m’arracher à eux et venir vous chercher. Faites ce que vous voulez, mais je vous jure que si vous ne venez pas, vous en aurez des remords par la suite. Venez les rencontrer, ils remontent le long du Jourdain. Le Baptiste a prévu de rester un moment au gué de Beth-Shan.

    Chacun réfléchit en silence, puis Jacques prend la parole :

    - Vous les jeunes, vous êtes idéalistes, mais nous, il faut bien que l’on garde les pieds sur terre. Nous avons des charges et des responsabilités ; il me reste quelques dettes à régler et Simon a sa maison à finir. Et toi, tu viens nous demander de tout laisser tomber alors même que nous avons l’opportunité, avec les festivités des noces du Tétrarque, de faire un coup qui nous mettra à l’aise. Nous ne pouvons pas partir au moment même où il faudrait précisément pêcher de jour et de nuit. Non, ne compte pas sur nous.

    - Je ne suis pas tout à fait de ton avis, lui fait remarquer Simon. Ce que tu dis est vrai, mais moi j’aimerais bien savoir qui est ce Jésus tout de suite pour en avoir le cœur net. Demain, nous irons pêcher dans le sud du lac, du côté de Gadara. Avant de revenir sur Capharnaüm après la pêche, vous me déposerez près de Sénnabris. Vous reviendrez me chercher le surlendemain à la même heure ; je te le jure Jacques, je ferai avec toi cette campagne de pêche.

    Jacques finit de manger le frugal repas que la mère de Simon vient de servir, puis il regarde son associé d’un air dubitatif :

    - Je sais que tu es une tête de mule et que tu feras ce que tu veux. De plus, c’est toujours toi qui as décidé en dernier ressort de ce que nous devions faire, et je n’ai jamais eu à m’en plaindre. Mais je t’en conjure n’y reste pas plus de deux jours. Allez, bonne soirée, je rentre.

    Philippe se lève aussi, mais Simon le retient :

    - Dors ici, ce sera plus simple ; tu ne veux tout de même pas faire la route de nuit, demain il sera temps.

    ***

    Dans le palais d’Hérode, le brouhaha des préparatifs s’est apaisé pour la nuit. Alors que les premières étoiles commencent à clouter le firmament, Hérode Antipas se présente à la porte des appartements d’Hérodiade. Le gardien l’annonce et la servante le fait entrer.

    - Te voilà enfin mon grand étalon, tu t’es fait désirer. J’étais là dès la cinquième heure, impatiente de te revoir, et tu arrives à la nuit.

    - Tout doux ma biche, ne te prends pas pour une panthère et rentre tes griffes. Je voulais te laisser le temps de te reposer de ton voyage, trois journées de cheval c’est épuisant pour une frêle femme. De plus, je suis très pris par les préparatifs de notre mariage. Mais à présent, je suis tout à toi pour la nuit.

    - Ta biche s’est bien remise des fatigues du voyage elle est prête à recevoir tes assauts. Mais dis-moi, mon frère Agrippa que j’ai vu en arrivant, m’a confié que tu as laissé partir ta gazelle du désert, la nabatéenne.

    - Oui, elle me l’a demandé et j’ai trouvé que c’était aussi bien ; elle n’apprécie pas vraiment que je prenne une nouvelle femme et sa mauvaise humeur aurait gâché la fête.

    - Lui as-tu précisé au moins les termes de notre contrat ; sait-elle que tu la répudies ?

    - Surtout pas, j’attends que la fête soit passée pour le lui dire ; je ne voudrais pas lui donner l’occasion de faire un scandale. Mais ne t’inquiètes pas, ce qui est écrit est écrit, je ne reviendrai pas sur les termes de notre contrat.

    - Dans ce cas, viens dans mes bras, j’ai deux semaines de passion accumulée à te donner.

    ***

    Jésus, le Baptiste et leurs disciples se sont mis en marche dès l’aube pour la dernière étape qui doit les conduire à Beth-Shan. La piste serpente au pied des monts de Samarie à la limite de la vallée verdoyante du Jourdain. Sur les premières pentes encore douces de la montagne, de minuscules champs d’orge mûrissent sur la moindre parcelle de terre arable. Des cultivateurs vont aux champs pour les premières moissons, la

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