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Désobéissance
Désobéissance
Désobéissance
Livre électronique536 pages7 heures

Désobéissance

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À propos de ce livre électronique

Le roi est mort, vive la reine!

Maintenant que Lucifer a disparu, Antarès ne désire plus qu’une seule chose: quitter l’Enfer pour rentrer chez lui. Toutefois, l’idée de son retour trouve peu de partisans au sein de la communauté angélique.

Tandis que les uns veulent regagner l’Éden, Im-Heliah, quant à elle, cherche plutôt à en sortir. Sa terre natale lui manque, de même que son ami Nathan. Or, le détestable chaperon que lui impose son commandant gâche sa visite impromptue. L’envie de contourner les ordres la séduit… Entre Im-Heliah et Menadel, les causes de discorde commencent à s’accumuler ; comment le général réagirait-il si sa milicienne osait lui désobéir à nouveau?

Des anges rescapés d’un autre âge qui reviennent, des révélations qui sont dévoilées sur le passé terrestre d’Im-Heliah et de Nathan… Entre les complots de l’Enfer et les parades de l’Éden, une sombre période s’annonce pour l’humanité…
LangueFrançais
Date de sortie30 mars 2018
ISBN9782897862176
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    Aperçu du livre

    Désobéissance - Annie Larochelle

    Index des principaux personnages

    Sur Terre

    Nathan Boucher (ami d’Amélia/Im-Heliah, nephel, mi-humain, mi-démon)

    Martin Dumarais (sataniste)

    Ophélie Grenier (amie d’Amélia, décédée)

    Lukas Douville (ami d’Amélia, décédé)

    Tina (une fillette Lumière Vive)

    Père Bruno Robert (ami d’Amélia)

    Razvan Sarbesco (prophète)

    Dans l’Éden

    À Praesidio (l’armée de Menadel)

    Menadel de Vinaro (général, bras droit de Michel, frère d’Antarès)

    Im-Heliah de Vinaro (anciennement Amélia Collins de la Terre, milicienne, épouse de Menadel)

    Asaliah de Patet (milicienne, ancienne instructrice d’Im-Heliah, bras droit de Menadel)

    Iaro (milicien, ancien instructeur d’Im-Heliah)

    Manakel (milicien, ancien instructeur d’Im-Heliah)

    Meriah (milicienne)

    Mateo (milicien)

    Nathaël (milicien)

    Jérémi (maître d’armes de Menadel, ancien instructeur d’Im-Heliah)

    Ariel (en poste en Amazonie)

    À Copiah (l’armée de Samaël)

    Samaël de Gandoli (général)

    Pryo (capitaine, bras droit de Samaël)

    Karli (une archère)

    À Eremitah (l’armée d’Uriel)

    Uriel d’Eremitah (général)

    Ariellah (fille d’Uriel)

    Doni (fils d’Uriel)

    Josiel (Ombre, bras droit d’Uriel)

    Clarissah (Ombre)

    Caraniel (un guetteur du Voile)

    À Custodi (siège de la Garde de Michel)

    Michel (commandant suprême de l’Éden, frère de Lucifer et de Gabriel)

    Zahaliel (capitaine de la Garde)

    Eriko (garde)

    Cigaël (garde)

    Corael (garde)

    Ark-Helo (garde)

    Valerio (garde)

    Iridis (garde)

    À Cricero (centre des gardiens)

    Nith-Haiah (patronne des gardiens)

    Sorael (un gardien en poste dans l’Éden)

    Zuani (gardienne du prophète Razvan Sarbesco)

    Saviel (gardien d’un toxicomane)

    Autres anges

    Lelanel ♂ (un séraphin)

    Mahasiah ♀ (un séraphin)

    Yseldah de Maël (gouvernante de Maël, ancienne compagne de Michel)

    Gabriel (gardien du savoir, frère de Michel et de Lucifer)

    Vallalah (fille de Michel et d’Yseldah)

    Mariannah (chercheuse en biologie à Maël)

    Tir-Hael (technicien en biologie de Maël)

    Théodorah (habilleuse de Menadel)

    Omaël (maire de la cité d’Esamar-Par-Heliah)

    L’Équipage du Fol-Espoir

    Emh-Rani (commandante)

    Jolika (seconde d’Emh-Rani)

    Ruhannah (ancienne iucunda de Menadel)

    En enfer

    Antarès de Vinaro (nouveau seigneur de l’enfer, frère de Menadel)

    Gayah (compagne d’Antarès)

    Orobah (nouvelle reine de l’enfer)

    Hadès (ami et allié d’Antarès)

    Briji (alliée d’Orobah)

    Flauro (homme de main d’Antarès)

    Abrahel (chef d’armée)

    Sytri (prince de l’enfer, fils d’Eradiah et de Galateo)

    Lucifer (frère de Michel et de Gabriel, décédé)

    Bélial (un roi de l’enfer, décédé)

    Prologue

    Moi, Im-Heliah de Vinaro, je suis sans doute l’une des femmes les plus comblées et heureuses de toute la Création ! Ma vie s’est assurément révélée difficile par moments, mais aussi très généreuse. Cependant, la solitude s’abat parfois sur moi. Vous savez, le genre de sensation qui nous frappe en plein milieu de la foule, l’impression que l’on a de ne connaître personne, d’être au mauvais endroit ? J’ai alors besoin de parler de la Terre. Mes années terrestres ne me manquent pas exactement — plus maintenant —, mais j’ai envie de discuter avec quelqu’un qui peut me comprendre. Mes frères et sœurs de l’Éden m’offrent toujours une oreille attentive, bien sûr, mais lorsque je m’égare sur le sujet de mon ancienne vie, de ma vie d’humaine, je sens que je les perds ; les anges ne me suivent plus.

    Pourtant, j’ai envie de me rappeler maman et papa, qui sont partis bien trop tôt. De revoir dans mon esprit le sourire de ma tante Simone qui m’a recueillie quand je suis devenue orpheline. Je veux me souvenir d’elle et de mes amis, Ophélie et Lukas. Ils sont tous les trois morts par la faute de Bélial… J’ai besoin de rire de mes années d’adolescence, quand je pratiquais la magie. De penser aux moments où Ophélie, Lukas, Nathan et moi exorcisions les démons. Je voudrais narrer encore le mal que Bélial, cette brute abominable, m’a infligé et la paix que j’ai enfin éprouvée au moment où je lui ai tranché la tête — en enfer !

    J’ai besoin de parler de ce qui a suivi, de ce qui hante toujours mes nuits, l’assujettissement auquel Lucifer m’a soumise. L’outrage des démons de la troisième légion de Bélial, sous les yeux de mon bien-aimé, les avanies, la torture, la douleur… Je n’ose pas accabler mes frères angéliques avec ce récit ; cela les troublerait. Je souffre encore des séquelles ; inutile de les en affliger en plus… Je voudrais au moins pouvoir leur expliquer combien Frédéric — mon fils que j’ai porté pendant quelques mois — me manque, puisqu’il est probable que je ne puisse plus jamais enfanter. Son don qui, combiné au sang de Menadel, m’a transformée en l’ange que je suis aujourd’hui.

    Menadel, mon doux amour ! J’éprouve parfois le besoin pressant de parler de lui, de moi, de nous. Or, ce n’est pas possible, n’est-ce pas ? Aucun soldat n’a envie de m’entendre déblatérer contre son général… Bien sûr que nous nous disputons à l’occasion. De façon spectaculaire, même ! Je me rappelle très bien la première fois où il m’est apparu, quand j’étais encore Amélia Collins, une citoyenne de Mirabel âgée de 19 ans. Et je me souviens de notre mariage « arrangé » et de cette première nuit de délices… Je crois que je suis tombée amoureuse dès la première seconde, même si je l’ignorais à ce moment-là ! Il me fait toujours perdre la tête, mon général, mon mari — mon âme sœur ! Quel choc ç’a été de découvrir que mon ange gardien était en réalité l’un des trois généraux qui gouvernent la totalité des armées de l’Éden !

    Samaël aussi est l’un de ces généraux. Non ; il vaut mieux conserver les souvenirs de notre courte aventure dans une pièce de mon esprit, verrouillée à double tour. Samaël et moi… En fait, il n’y a pas de « Samaël et moi ». Fin de l’histoire.

    Enfin, pour toutes ces raisons, j’ai décidé de consigner mes mémoires sur tablette. Je viens de la Terre, et tout le monde n’a pas la capacité de voir les choses à ma façon. Mon ami Nathan me manque terriblement… Si seulement un gardien veillait sur lui, je pourrais recevoir quelques nouvelles, mais les nephilim n’en ont pas ; Nate a été engendré par une mère humaine et un père démon. Menadel considère qu’il vaudrait mieux que je l’oublie. Peut-être qu’il a raison ; penser à la Terre me ramène des souvenirs doux-amers… Tant de choses se sont passées depuis mes 19 ans ! Cinq années terrestres se sont écoulées, donc presque une année de l’Éden.

    En fait, je devrais plutôt me concentrer sur l’avenir. Lucifer est mort, et Antarès, le frère de mon mari, a pris la tête de l’enfer. Nous vivons des temps bien incertains. L’apocalypse devait advenir, mais maintenant, qui sait ? C’est encore ma faute ; j’ai bouleversé toute l’histoire !

    Il faudrait que je m’efforce de devenir un bon ange. Car même aujourd’hui, je n’y arrive pas toujours…

    Partie I

    Désobéissance

    La liberté des Lumières Vives

    Chapitre 1

    Le roi est mort ! Vive la reine !

    Une grande table en bois richement ornée se dressait devant les marches menant au trône. Un banc assorti en cuir usé démontrait que l’homme l’utilisait plus souvent que le siège dominant la salle. Il n ’entretenait aucun désir d’y grimper lui-même et de s’octr oyer une royauté de pacotille. Antarès savait que le véritable pouvoir ne résiderait pas dans les mains du prochain démon qui s’y assiérait, mais bien dans les siennes.

    Pour l’heure, il lui importait de mettre un peu d’ordre dans le chaos qui régnait en enfer depuis la mort de Lucifer. Les querelles intestines lui prenaient déjà plus de temps que ce qu’il pouvait se permettre de leur en accorder. Menadel et sa compagne avaient travaillé pour lui en éliminant Danah et Mars, ses principaux rivaux. Toutefois, s’il tenait les autres rois sous sa férule, l’instabilité de la situation ne faisait aucun doute. Trop de démons étaient devenus stupides en enfer, et les personnes stupides pouvaient se révéler plus dangereuses qu’un ennemi intelligent dont on pouvait anticiper les actions… à la condition d’être plus brillant que lui. Et Antarès l’était.

    En fait, ce qui tracassait réellement le nouvel intendant, c’était la précarité de l’enfer en soi. Très peu de gens avaient accès à ce savoir, pour l’instant. Il devait se hâter de placer ses pions avant que la vérité soit connue de tous.

    Avec un soupir fatigué, il activa un bloc-notes psychique ; des images et des annotations apparurent au-dessus de la table. Les informations contenues sur ce dispositif ne se révéleraient qu’à lui seul. Il s’agissait de l’un des rares gadgets toujours en état de marche qu’il avait pu rapporter de l’Éden. L’enfer abîmait les appareils fonctionnant à l’énergie psychique d’une manière qu’il n’avait pas encore réussi à contrer.

    Antarès devait absolument placer quelqu’un sur le trône. Comme il y réfléchissait depuis longtemps, sa liste de candidats potentiels s’était considérablement raccourcie. En réalité, son choix était déjà arrêté. Cependant, l’ancien bras droit de Lucifer s’attendait à débourser quelque chose…

    Il consulta de nouveau les renseignements glanés sur Orobah au fil des années. Une image de la femme s’imprima directement dans son esprit. Grande et élancée, elle avait des cheveux d’un blond chatoyant qui cascadaient sur ses épaules. Ses yeux de lapis-lazuli brillaient d’intelligence. Un demi-sourire flottait en permanence sur son visage, comme si tout autour d’elle était un prétexte à l’amusement. En fait, elle s’amusait souvent et beaucoup… La femme à l’air si envoûtant avait tout conservé de son ancienne apparence angélique, ce qui la servait bien. Les autres démons avaient tendance à la sous-estimer à cause de sa beauté, ne croyant pas ce qu’une créature si exquise puisse receler de méchanceté. Car Orobah était cruelle. Elle était égocentrique. Et ses appétits charnels s’avéraient particulièrement détestables.

    Depuis longtemps déjà, elle conspirait pour l’amener dans ses donjons, mais chaque fois, Antarès s’était défilé. Orobah le répugnait ! Au fil des années, à force d’être cloîtrée en enfer, elle était devenue une bête assoiffée de sang. Et l’intendant n’éprouvait pas la moindre attirance pour ces types de jeux sexuels. Enfin, pas dans le rôle du dominé…

    Il chassa ces pensées de son esprit et se concentra à nouveau sur la fiche de la femme. Brillante, elle avait su demeurer dans les bonnes grâces de Lucifer, ce qui lui avait amené la fidélité de nombreux démons. Elle ne commandait aucune armée de façon directe, mais elle pouvait toujours compter sur le dévouement de plusieurs chefs de clans. Orobah détiendrait donc une force de frappe suffisante pour intimider les éventuels opposants. Une fois le prochain dirigeant nommé, Antarès n’avait pas envie de repasser par les étapes du couronnement, advenant le cas où le nouveau monarque serait tué. De plus, si la blonde disposait de l’ambition nécessaire pour briguer le pouvoir et le conserver une fois acquis, elle restait suffisamment novice dans l’art de régner pour qu’il puisse la manipuler à sa guise. Il saurait avoir barre sur elle.

    Comme il analysait ses dernières notes, la double porte de la salle du trône s’ouvrit doucement, et Orobah s’avança gracieusement, presque en glissant sur le sol. Sa robe translucide toute blanche mettait savamment ses attributs féminins en valeur. Antarès l’étudia avec soin comme elle approchait. Sa beauté éclairerait l’enfer, et sa cruauté effraierait les autres démons. Oui, décidément, elle représentait un bon choix.

    — Tu as demandé à me voir, grand intendant ? s’enquit-elle d’une voix suave.

    — Oui, ma dame, déclara Antarès en opinant légère­ment de la tête. Et je suis heureux que tu aies accepté de me rencontrer. J’ai un cadeau pour toi.

    — Un cadeau ? Qu’ai-je donc fait pour le mériter ?

    Il contourna la table et s’avança vers la blonde, qu’il ne dépassait que de quelques centimètres. Prenant négligemment appui sur ses mains, il continua :

    — Le roi est mort, et ses descendants sont… hors course, disons. J’ai pris l’intendance du royaume, mais un intendant n’est pas un roi. Il faut quelqu’un sur ce trône, fit-il en pointant le siège de Lucifer, sans quoi l’anarchie la plus totale s’installera.

    — Je ne comprends toujours pas pourquoi tu m’as fait venir, Antarès. Tu n’as jamais sollicité mon avis auparavant. Je croyais qu’il n’y avait que cette précieuse Gayah ; êtes-vous en froid ? Saurai-je te séduire enfin ?

    — Rassure-toi, ma toute belle putain sanguinaire, tu n’as aucune chance de m’attirer dans tes donjons. J’ai autre chose pour toi, quelque chose de bien meilleur. Ferme les yeux, Orobah.

    La blonde s’exécuta sans aucune hésitation, ce qui prouva à Antarès qu’elle lui faisait confiance, plus même qu’elle l’aurait dû. Il se plaça derrière elle, mit les mains sur ses yeux et sauta jusqu’en haut des marches. Il guida la belle afin de la faire s’asseoir sur le trône richement orné de joyaux précieux. Son souffle s’accéléra lorsqu’elle comprit où elle se trouvait, et une légère rougeur vint teinter ses adorables joues.

    Le démon ôta ses mains et les laissa traîner sur ses épaules, caressant la femme du bout des doigts jusqu’à ce qu’il effleure la naissance de ses seins. Il se pencha vers elle et murmura à son oreille :

    — Ouvre les yeux, beauté fatale ; je t’offre l’enfer !

    Orobah obéit. Bien qu’elle s’y attendît, elle ne put retenir une exclamation de joie et de surprise. La salle du trône s’étendait devant elle dans toute sa splendeur, avec ses colonnes de pierre sculptées, ses plafonds en ogives et ses frises interminables. Antarès avait pris soin de faire désactiver toutes les œuvres que Lucifer avait précédemment exposées, celles dans lesquelles des myriades de femmes étaient torturées sans fin. D’ailleurs, il spécifia :

    — Tu pourras choisir toi-même la décoration, mettre quelque chose à ton image.

    — Antarès, je… ne comprends pas !

    Elle se retourna vers lui, soupçonneuse.

    — Pourquoi veux-tu faire de moi ta reine ? Pourquoi ne prends-tu pas le pouvoir toi-même ? La moitié de l’enfer te suivrait sans discuter. Je te suivrais !

    — Je n’ai pas le désir de régner. Lucifer est mort ; je l’ai bien servi, et je servirai aussi mon prochain suzerain.

    — À la condition que ledit suzerain soit désigné par toi…

    L’homme acquiesça de la tête doucement.

    — Explique-moi d’abord pourquoi tu m’as choisie. Qu’est-ce qui te fait croire que je ne me retournerai pas contre toi ?

    — Pourquoi donc le ferais-tu ? Tu viens de dire que tu m’aurais suivi sans discuter !

    Il se plaça devant elle, un bras autour de ses épaules.

    — Orobah, réfléchis ! Aucun des rois n’a de querelle avec toi. Tu es forte et intelligente, et tu as le soutien de nombreux chefs de clans. Tu ne possèdes pas d’armée personnelle, mais tu n’es pas impliquée dans les conflits non plus. Je suis persuadé que tu démontreras suffisamment de sagesse pour ne pas laisser arriver les troupes de l’Éden sur nos têtes de sitôt. Tu sauras mener ce royaume d’une poigne de fer. Dis-moi, qui d’autre que toi verrais-tu assis à cette place ?

    Le discours d’Antarès la toucha malgré elle. Ses paroles résonnaient haut et fort dans son esprit narcissique. Elle, la reine toute-puissante de l’enfer ? Et pourquoi pas ?

    — Je ne suis pas un jouet que l’on manipule à sa guise, Antarès…

    — Orobah, tu sais très bien que je n’ai jamais eu le désir de te manipuler — ni aucune partie de toi, d’ailleurs ! Cela dit, je t’offre mes services à titre de conseiller et de bras droit, comme avec Lucifer. C’est obligatoire, et ça vient avec le poste.

    — Ce trône est tentant, mais celui ou celle qui y prendra place se trouvera sous la menace constante. Si j’accepte le risque, il y aura un prix à cette… promotion.

    — Je n’en espérais pas moins de toi, soupira-t-il, agacé. Nomme-le.

    — Eh bien…

    La future reine passa les doigts dans les cheveux d’Antarès et caressa sa joue imberbe.

    — Il semble que je n’aurai jamais le père, mais je saurai me contenter du fils…

    Le grand brun se redressa, les lèvres serrées. Comment pouvait-elle savoir ? Cette femme représentait un danger plus sérieux que ce qu’il avait imaginé… Or, nier maintenant ne lui servirait de rien. Comme pour lui donner raison, elle le rassura, une lueur malicieuse au fond de l’œil :

    — Je crois que tu voulais garder cette information pour toi, conseiller… Ne t’inquiète pas, je resterai discrète !

    — Ce ne sera pas possible ; j’ai besoin de lui. Quand tu es excitée, tu t’oublies ; tu risquerais de le tuer.

    — Oh ! allons, grand intendant, je peux le réparer et recommencer autant de fois que je le veux ! Les humains guérissent si facilement !

    — Et le père te suffirait-il ? rétorqua-t-il après une courte pause. Ou bien suis-je trop vieux pour allumer la chienne usée que tu es ?

    De grands yeux bleus ornés de longs cils le fixèrent avec incrédulité.

    — Je n’y crois pas ! fit-elle en se levant à son tour. Aurais-je enfin trouvé mon levier contre toi ?

    Antarès eut un bref éclat de rire.

    — N’espère pas une telle chose ! À la vérité, j’ai moi-même difficilement accès à ce gamin. Tu ne pourras jamais l’approcher.

    — Néanmoins, tu viens tout juste de t’offrir sur mon autel à sa place ! Tu dois avouer qu’il y a là apparence de point sensible…

    — Je te l’ai dit, j’ai besoin de lui. L’offre est une occasion unique, à prendre ou à laisser. 

    Comme Orobah feignait de réfléchir, Antarès sut qu’il avait ferré son poisson. Il déglutit en songeant à ce qui l’attendait, mais cela ne représentait qu’un mauvais quart d’heure à passer. L’opportunité de la châtier se présenterait certainement plus tard…

    — C’est d’accord, Antarès, je veux bien prendre la direction de l’enfer. Tu peux t’agenouiller devant ta reine, déclara-t-elle solennellement.

    — Le roi est mort ! Vive la reine !

    Il toucha le sol de son front. Comme il se relevait, Orobah l’empoigna par les cheveux.

    — Et maintenant, je veux ma récompense ! Oh ! Antarès, si tu savais comme j’ai rêvé de jouer avec ce corps ! Tu vas découvrir ce que tu as manqué durant toutes ces années ! Qui sait, peut-être en redemanderas-tu ?

    n

    Orobah les avait téléportés dans un sombre donjon. Le seul éclairage consistait en une dizaine de torches dégageant une flamme verdâtre. Une main agrippant toujours fermement la chevelure d’Antarès, elle effectua un mouvement de son autre bras. Des serpentins doux et soyeux s’enroulèrent autour des membres de l’homme. La blonde le relâcha et attendit qu’il soit complètement immobilisé par les bandelettes de tissu.

    — Je pourrais te satisfaire beaucoup mieux si je n’étais pas entravé. Oh, ma reine !

    — Je te libérerai plus tard, premier conseiller ; ne t’inquiète pas !

    Elle marcha vers lui et prit son menton dans sa main, le forçant à la regarder.

    — Je préfère ma viande bien attendrie, mais surtout… saignante !

    Sur ces mots, elle se détourna et glissa hors de sa robe tout en s’éloignant. Antarès soupira ; il aurait vraiment souhaité ne pas en venir là ! Il tira sur ses liens pour en tester la solidité, mais il ne réussit qu’à les faire se resserrer davantage autour de ses bras et de ses jambes. Orobah lui jeta un regard de biais et sourit. Il avait compris et se tiendrait maintenant tranquille.

    D’une alcôve, elle sortit quelques instruments qu’elle laissa tomber par terre devant lui dans un fracas métallique qui n’augurait rien de bon. En prenant tout son temps, la nouvelle reine enfila de fins gantelets blancs aux ongles longs et acérés. Elle saisit un fouet dont les lanières de cuir noir s’entrelaçaient de fibres métalliques blanches. Enfin, elle s’approcha d’Antarès, et à l’aide de ses gantelets, elle mit ses vêtements en pièces, dessinant sur sa peau quelques zébrures sanguinolentes au passage. Ses plaintes fusèrent malgré lui lorsque les griffes de métal lacérèrent sa chair.

    — Où t’es-tu procuré tout cet animatium ? Nous avons du mal à en trouver pour nous forger des armes ! lança-

    t-il, irrité.

    Pour toute réponse, il reçut un brusque coup de fouet qui lui déchira le torse. Avec consternation, il s’aperçut que les fibres blanches tressées dans les lanières de l’instrument se composaient également de la précieuse matière.

    — Quand tu t’adresses à moi, tu dis « ma reine » ou « majesté », chien de démon !

    — Oui, ma reine, se reprit-il.

    Ce n’était pas le moment de faire le fier ! Antarès se surprit à regretter sa décision… Orobah avait intérêt à bien régner ! Il lorgna les liens qui le retenaient et se demanda s’il saurait s’enfuir. Il pourrait toujours essayer de sauter si les choses traînaient en longueur. Attrapant son regard, elle le détrompa.

    — Mon bel Antarès, n’y compte même pas !

    Elle s’approcha encore de lui et promena sa bouche sur son visage, léchant ses joues à grands coups de langue.

    — Vois-tu, ces jolis rubans sont également tissés d’animatium. Tu es tout à moi, mon vertueux premier conseiller ! Tu ne sortiras d’ici que lorsque j’en aurai fini avec toi !

    Elle se recula, et les lanières de cuir et de métal arrachèrent une nouvelle plainte à l’homme devant elle.

    — Et crois-moi, poursuivit-elle, comme ceci est ma seule et unique occasion de te baiser à ma guise, je compte en profiter ! Ta peau sera rouge de sang, et tous tes orifices se retrouveront occupés au maximum. Ta voix sera éraillée après que tu aies tant crié et supplié ta reine de te délivrer et de t’accorder enfin ton plaisir !

    — Je vois très bien la partie où je crie, oh, ma reine, mais le plaisir reste loin de mes pensées pour le moment, répliqua-t-il, acerbe.

    Orobah passa une main entre les cuisses écartées d’Antarès et remonta ses doigts doucement, plantant ses griffes dans la chair tendre en y gravant de légers sillons écarlates. Elle s’arrêta à l’aine, effleurant à peine les testicules.

    — Ça viendra, Antarès, ça viendra !

    — C’est pour moi, ce bâillon ? Allez, dépêche-toi, qu’on en finisse, majesté.

    — Oh, non ! Je veux me délecter de tes cris ! Ceci n’est pas un bâillon. C’est pour moi, en fait, pour empêcher que ton sang entre dans ma bouche, expliqua-t-elle avec un grand sourire enjôleur. Après tout, nous ne souhaitons pas activer un Lien de sang entre nous, n’est-ce pas ? Gardons notre relation sur un plan strictement professionnel.

    — Parce que tu appelles ça professionnel…

    Il reçut un autre coup de fouet, en travers des cuisses cette fois. Nouveau cri.

    — Ma reine ! ajouta Antarès, comprenant son erreur.

    La morsure de l’animatium lui infligeait une douleur atroce, comme si des centaines d’épines enflammées pénétraient sa chair et son âme. Il avait déjà hâte d’en avoir fini avec Orobah ! La femme installa la pièce de cuir sur sa propre bouche puis donna enfin libre cours à sa sauvagerie. Elle se déchaîna sur Antarès, impuissant.

    La quasi-totalité de ses instruments passa, d’une façon ou d’une autre, sur le corps immobilisé ; des pinces, des crochets, des scies, des pieux et des tas d’autres objets dont l’homme n’avait même jamais eu connaissance… Comme promis, Orobah lui remplit tous les orifices. À la fin, le démon se demanda s’il lui restait quelques gouttes de sang dans les veines ! La douleur hantait toutes ses pensées, et il regrettait sérieusement sa décision. Le souvenir de sa sœur — plus exactement sa belle-sœur — étendue sur la pierre de l’autel et violée sans relâche par les démons de Bélial, battue et déchirée de tous les côtés, s’imposa à lui avec force ; il comprenait un peu ce qu’elle avait dû ressentir. Peut-être aurait-il dû intervenir avant que la troisième légion au complet lui soit passée dessus ? Or, cela s’était produit du temps de Lucifer, et il n’aurait pas pu se permettre de démontrer une quelconque sentimentalité devant le seigneur. De toute façon, elle avait survécu, n’est-ce pas ? Il était maintenant celui en proie à des problèmes !

    Enfin, quand il crut qu’il ne pourrait en supporter davantage, Orobah mit fin au supplice. Elle le libéra de ses liens et le porta jusqu’à un lit recouvert de douces fourrures. Lorsque ses plaies furent guéries, le soulagement déferla dans tout son être, si intense qu’Antarès en éprouva de la reconnaissance, obnubilant l’origine de ses souffrances. Quand elle le chevaucha enfin, il était dans un état d’esprit adéquat pour donner tout le plaisir du monde à sa souveraine. Antarès cria aussi, avec le peu de voix qu’il lui restait, pour qu’elle lui accorde le sien.

    Le pacte était scellé ; l’enfer avait une nouvelle reine.

    Chapitre 2

    Le chaperon

    Im-Heliah patientait dans le petit bureau entièrement vide. Deux des murs se constituaient d’écrans vitrés qui, pour l’instant, ne montraient qu ’une image blanche sur fond bleu : deux ailes déployées de chaque côté d’un serpent majestueux. Elle avait vu cet emblème à d’autres endroits dans les rues de Maël.

    Les quelques fois où elle y était revenue, la jeune femme avait dévoré la cité des yeux. Durant son premier séjour, elle avait quitté le centre pour se rendre chez Samaël alors qu’elle était encore aveugle. Mais depuis, elle avait eu l’occasion d’admirer la cité de verre, qui portait merveilleusement bien son nom.

    Des tours s’élevaient à l’assaut du ciel en étincelant sous le soleil, les plus hautes de tout l’Éden. La ville entière semblait faite de verre de toutes les couleurs, harmonieusement choisies comme si elle essayait de concurrencer l’arc-en-ciel du Voile, la porte sidérale qui marquait l’entrée de leur monde. Le spectacle était saisissant, et Im-Heliah n’avait pas manqué de survoler la cité un bon moment avant de se poser.

    Le centre de recherche en biologie constituait un joyau parmi les plus belles tours ; l’aiguille, dont les fenêtres déclinaient toutes les nuances de bleu, s’élevait d’au moins 100 étages. Au sommet se dessinait le fameux symbole des ailes et du serpent en plaques colorées. La jeune femme ne put s’empêcher de relier le serpent au fait que l’institut avait été fondé par Lucifer.

    Elle ressentait toute l’ironie de la situation, puisque sa présence ici découlait justement des blessures qu’il avait lui-même causées… Lors de son dernier examen de suivi, Mariannah, la chercheuse responsable de son cas à son retour de l’enfer, lui avait confié qu’elle aurait aimé tenter quelque chose.

    — Comme tu le sais, Im-Heliah, quand tu es arrivée ici l’année dernière, nous avons dû réparer plusieurs de tes organes en urgence avec des tissus de synthèse. Maintenant que tu es guérie et reposée, je peux te proposer une greffe de tes propres cellules, avait expliqué la scientifique. Je t’ai déjà avisée que dans l’état actuel des choses, il te sera impossible de concevoir un enfant. Dans l’éventualité d’un succès, tes organes pourraient se reconstruire de meilleure manière. Il y aurait peut-être — et j’insiste sur « peut-être » — de l’espoir.

    — Je le souhaite ardemment ! s’était exclamée Im-Heliah. La nouvelle de ma stérilité a beaucoup ébranlé Menadel ; je crois que ça le rend plus triste que ce qu’il avoue.

    — Ce n’est pas pour lui que je fais ça, mais pour toi ; Menadel peut bien engendrer autant de descendants qu’il le désire, avait poursuivi la scientifique en haussant les épaules. Tu n’es pas la seule femme de l’Éden.

    Cette révélation angoissait Im-Heliah. Bien sûr, la possibilité existait, mais elle éviterait à tout prix d’en arriver là ! Les anges ne cautionnaient pas la fécondation in vitro, pratique pourtant courante sur la Terre ; les habitants de l’Éden refusaient de créer la vie dans un flacon de verre. Or, elle n’avait aucune envie d’imaginer Menadel dans les bras d’une autre…

    Im-Heliah était donc venue aujourd’hui pour que la chercheuse tente d’accomplir un nouveau miracle. Cette dernière entrait justement dans le bureau. Elle portait une robe ajustée toute blanche. Quelques mèches cuivrées s’échappaient d’une drôle de coiffe, également blanche, qui pendait mollement derrière sa tête.

    — Im-Heliah ! Que la lumière du Père brille sur tes jours, la salua-t-elle distraitement.

    Ses yeux étaient rivés sur quelque chose qui n’était visible qu’à elle seule, au-dessus du petit feuillet de métal qu’elle tenait. La chercheuse se dirigea directement vers le fond de la pièce et, d’un geste de la main, envoya le contenu de son bloc-notes vers le mur. Des images s’affichèrent un peu partout, accompagnées de rapports de santé truffés de termes techniques.

    — Nous possédons ton matériel génétique en bonne quantité. Toutefois, il vaut mieux prélever de nouveaux échantillons en fonction des organes à reconstruire, attaqua Mariannah sans préambule. Pour ce qui est de ton utérus, il y en a peu, mais nous allons essayer.

    — Toutes les cellules sont-elles artificielles ?

    — Les tissus utérins sont soit synthétiques, soit corrompus, précisa la chercheuse.

    — C’est rassurant…

    — Je ne suis pas ici pour te rassurer, mais bien pour t’expliquer ce qui peut être accompli. Tout d’abord, nous devrons retirer des fragments sains, ce que nous exécuterons dans un instant.

    — C’est comme une opération ?

    — Non ! s’exclama Mariannah, scandalisée. Nous ne sommes pas des bouchers de la Terre ! Nous les prélèverons par télékinésie. C’est très délicat à réaliser, mais je suis la meilleure. Tu devras quand même être placée dans un état alternatif de conscience. Tu ne ressentais pas de douleur avant d’être transférée chez Samaël, n’est-ce pas ?

    Im-Heliah confirma le fait, notant encore une fois comme les gens de Maël démontraient peu de considération pour les grades militaires. Toutefois, la chercheuse ne lui laissa pas le temps de développer ses pensées.

    — Excellent, car j’ai demandé le même technicien, Tir-Hael. Le lien est déjà créé entre vous. Je m’occuperai personnellement de l’extraction. Tu devras modérer tes activités pour le reste de la journée ; tu pourrais ressentir une légère sensibilité. Je te conseille de quitter Praesidio. Dans une demi-semaine, lorsque nous effectuerons la greffe, il te faudra au moins trois jours de repos complet. Pas question de poursuivre un entraînement militaire.

    Prendre congé maintenant s’avérerait compliqué, car elle était assignée au Dôme. Cependant, comme le travail de messager n’était pas très prenant, elle estima qu’elle serait en mesure de compléter sa journée. Pour les trois jours qui lui seraient nécessaires plus tard, elle pourrait prétexter un manque de repos à cause de ses mauvaises nuits et se retirer à Farek ; le capitaine Gorond ne s’y opposerait pas.

    De plus, Menadel se trouverait toujours à Tarkel, pour le recrutement. Même si elle attendait son retour avec impatience, son absence l’arrangeait, car elle ne désirait pas lui en parler. Elle craignait de lui donner de faux espoirs. Elle-même, à son corps défendant, nourrissait de grandes attentes quant à cette opération de la dernière chance. Si son corps pouvait fonctionner à nouveau comme il le devait, elle aurait l’impression d’avoir enfin gagné sur l’enfer et sur Lucifer. Pour l’instant, l’ange déchu semblait la narguer encore, par-delà la mort.

    — D’accord, Mariannah, je me débrouillerai. Je suis prête.

    n

    Im-Heliah s’ennuyait ferme. Elle fixait, sans les voir, les écrans sur sa console de communication. Il ne s’y passait rien du tout ; aucune image ne changeait, aucun témoin ne s’allumait, et son esprit dérivait sans cesse. Son ventre était encore légèrement douloureux à la suite de l’extraction qu’elle avait subie la veille. Ses pensées vagabondèrent vers Tarkel, la cité où s’effectuait le recrutement militaire.

    Tarkel était située tout près de Lemar — « tout près » étant, bien sûr, relatif à la démesure de l’Éden —, très au sud de Praesidio. Tout près de Gandoli et de chez Samaël. La jeune femme chassa cette idée de son esprit ; le général aux longs cheveux châtains et aux yeux d’émeraude n’y avait pas sa place.

    De toute façon, Samaël ne se trouvait pas à Gandoli. Il avait rejoint Menadel à Tarkel ; les deux généraux enrôlaient. Jérémi devait également s’y rendre pour sélectionner la nouvelle vague de recrues qui ferait partie de l’infanterie de Menadel.

    Im-Heliah avait supplié son compagnon de lui permettre de l’accompagner, prétextant qu’elle était aussi douée que n’importe quel milicien pour repérer les jeunes talents. Elle-même représentait l’une des enseignantes de choix des soldats. De plus, le maître d’armes lui manquait grandement ! Mais Menadel avait refusé tout net. Il l’avait assignée à Praesidio, la principale ville de sa garnison, arguant qu’il lui restait encore un millier choses à apprendre avant de juger des aptitudes des autres.

    En fait, la jeune femme se doutait qu’il l’avait laissée derrière pour éviter qu’elle passe plus de temps que nécessaire en compagnie de Samaël. Elle comprenait, mais cela la contrariait.

    Que Menadel ait choisi Asaliah pour l’accompagner l’agaçait encore plus… La très belle Asaliah, selon les termes du général. Asaliah qui ne remettait jamais un ordre en question, Asaliah au comportement irréprochable. Asaliah qui, en plus d’être sa sœur d’armes, était devenue son amie la plus chère. La petite rouquine se retrouvait donc à Praesidio sans son mari et sans sa sœur la plus proche de son cœur. Même si Menadel lui avait assuré qu’il ne se passerait jamais rien avec la magnifique blonde, la situation lui déplaisait vivement.

    Pour couronner le tout, les capitaines Gaël et Gorond, qui s’occupaient respectivement des messagers et de la ville militaire en l’absence du général, lui avaient fortement recommandé, puisqu’ils n’avaient pas exactement autorité sur les miliciens, de suivre l’entraînement de base du Dôme. Im-Heliah avait protesté, avançant que si une bataille devait se déclarer, elle serait au beau milieu des combats, et non bien sagement plantée derrière l’une des consoles du centre de messages. Les officiers n’avaient pas l’habitude de rencontrer d’opposition, même de la part des miliciens. Nullement impressionné par le rang de la rouquine, le capitaine Gaël avait affirmé qu’elle pourrait tirer plusieurs leçons de son temps au Dôme, ne serait-ce que la patience. Ne désirant pas s’attirer la réprobation générale en résistant davantage aux officiers de Menadel, Im-Heliah avait obtempéré.

    Elle se retrouvait donc captive du centre de message, à 2 000 mètres dans le ciel, à devoir observer sans arrêt des écrans sur lesquels il ne se passait absolument rien. Elle ne serait autorisée à quitter son poste qu’à la tombée du jour, lorsque Noxi, la grosse lune, avalerait finalement le petit soleil rouge de l’Éden. Im-Heliah se mordait déjà l’intérieur des joues… Elle se sentait prisonnière, et elle avait des fourmis qui lui picotaient les jambes à force de ne pas bouger, même si les fourmis en question ne reflétaient qu’une manifestation psychologique de son ennui ; le corps d’un ange n’éprouvait aucun problème de circulation sanguine causé par l’inaction. Au moins, elle profiterait de quelques minutes pour se délier les ailes en se rendant à son tour à la cantine, retrouver ses frères et sœurs miliciens. Après cela, il lui faudrait regagner ses quartiers pour y dormir, seule.

    Le matin suivant le départ de Menadel, Im-Heliah avait pensé rejoindre les logements de la Milice. Or, elle y avait vite renoncé, ne parvenant pas à quitter son lit où flottait encore l’odeur de son mari. Elle avait probablement agi avec sagesse, car avec l’absence de son compagnon qui se prolongeait, ses cauchemars revenaient la hanter. Dans un nouvel environnement, ses mauvais rêves seraient sans doute survenus dès le premier matin. Seuls les draps, qui sentaient bon comme l’air des montagnes et l’humus — comme Menadel — les avaient tenus à distance jusque-là.

    C’était la première fois qu’ils se séparaient aussi longtemps depuis qu’Im-Heliah était retournée chercher Menadel en enfer. Si pendant l’absence de ce dernier, elle avait pu trouver le réconfort et le sommeil dans les bras de Samaël, elle se retrouvait maintenant seule face à l’armée de démons qui revenait la hanter dès qu’elle fermait les yeux. Elle devrait peut-être renoncer à dormir tant que son mari demeurait au loin… Im-Heliah soupira bruyamment ; son esprit conscient comprenait que l’enfer appartenait au passé et que tous ses tortionnaires avaient été éliminés. Cependant, les avanies commises sur elle avaient laissé des blessures toujours bien présentes dans sa psyché… Elle avait maintenant tout le loisir d’y réfléchir, puisque rien d’autre ne pouvait la distraire !

    Même les messagers avaient l’air de s’ennuyer. Toutefois, lorsqu’elle avait essayé d’engager la conversation, ils ne s’étaient pas montrés très loquaces. Ils agissaient tous comme si l’Éden pouvait tomber si un seul d’entre eux levait les yeux de ces satanés écrans !

    Pour couronner le tout, elle devait rester debout ; les sièges brillaient par leur absence dans le Dôme. Sans être fatiguée, la jeune femme avait du mal à se départir de certaines habitudes humaines, comme celle de s’asseoir lorsqu’elle ne faisait rien. Et avec son ventre encore sensible, elle aurait bien pris un siège !

    Donc, Im-Heliah s’ennuyait ferme.

    n

    — Est-ce moi qui imagine des trucs ou est-ce qu’ils les font de plus en plus jeunes ? demanda Menadel en se grattant la tête.

    — Tu peux bien te plaindre de l’âge des recrues ; ton meilleur élément n’a pas encore 25 ans… terrestres ! lança Samaël d’un ton moqueur.

    — C’est différent… ronchonna le grand brun.

    Les deux généraux avaient passé la moitié de la journée à étudier les jeunes hommes et femmes venus s’instruire à Tarkel dans le but d’être acceptés dans l’armée. Ils arrivaient, assoiffés d’histoires et d’aventures, mais la vaste majorité comprenait vite que la vie militaire se révélait bien différente de la vie ailleurs dans l’Éden. Ils retournaient donc dans leurs communautés, certains avec déception et d’autres avec soulagement.

    — As-tu repéré quelqu’un, Asaliah ? reprit Menadel à l’attention de son assistante.

    — Deux sœurs qui viennent de Fragra, mon général. Elles manquent de force, mais elles semblent déterminées, surtout la plus jeune. Il y a aussi un garçon d’Obscurio.

    — Oui, j’avais remarqué les filles, acquiesça-t-il.

    — Évidemment que tu avais remarqué les filles ! s’exclama Samaël en riant et en lui assénant une bourrade amicale.

    Menadel haussa les épaules.

    — Continue d’observer, Asaliah. J’aimerais trouver au moins une dizaine de nouveaux membres potentiels pour la Milice.

    — Bien, mon général !

    La femme aux yeux blonds le salua et s’éloigna.

    — Je croyais que tu emmènerais Im-Heliah avec toi, déclara Samaël.

    — Elle devait parfaire sa formation, répliqua l’autre général, évasif.

    Quelques secondes plus tard, Menadel reçut un avertissement de son comm, une petite sphère métallique qui servait, entre autres, aux communications. Il activa mentalement son appareil.

    n

    L’esprit d’Im-Heliah flottait d’une pensée à l’autre. Soudain, elle reçut un appel télépathique.

    Amy, je veux te voir. Te fais pas de bile, tout va bien ici, mais j’aimerais beaucoup te parler en tête à tête. Je peux pas t’entendre, mais j’espère que toi, tu reçois mon message…

    « Nate ! » constata-t-elle, surprise. « Il a dû utiliser mon vieux téléphone… Je suis étonnée que le lien se rende encore jusqu’à moi ! » Ça faisait si longtemps qu’elle l’avait vu ! Elle faillit sauter à l’instant. Toutefois, elle se rappela les ordres et se retint. Menadel avait interdit à tout le monde de sortir de l’Éden ; elle était coincée ! Il lui fallait trouver un moyen.

    Sans y réfléchir davantage, craignant de perdre courage, Im-Heliah ouvrit un canal de communication.

    — Im-Heliah, que puis-je pour toi ?

    Le ton du commandant Michel dénotait un soupçon de contrariété. Cependant, comme elle l’avait mis dans une réelle colère par le passé, cela n’impressionna pas la jeune femme, qui prit quand même soin de le saluer d’une profonde déférence. Elle n’était presque pas intimidée. Presque. Elle rougit à peine…

    — Mon commandant, j’aimerais te demander l’autorisation de me rendre sur la Terre pour voir mon ami Nathan. Il a besoin de me parler.

    Tous les autres messagers se retournèrent vers elle et la trucidèrent de leurs regards. Comment osait-elle déranger le commandant pour cela alors que cette sortie contrevenait directement aux ordres du général ?

    — Pourquoi ne demandes-tu pas à Menadel ?

    — Mon général recrute à Tarkel, mon commandant, et le capitaine Gorond n’a pas l’autorité nécessaire pour me l’accorder.

    Ce n’était pas tout à fait exact, puisque le capitaine remplaçait Menadel pendant son absence. Or, Im-Heliah ne voulait même pas lui en parler ; elle connaissait déjà sa réponse. Malgré cela, Michel ne releva pas le fait.

    — Tu n’es pas une gardienne…

    — Je sais, mon commandant, mais c’est la première fois qu’il m’appelle. Je te

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