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Le réclusoir d'Élisabeth de Beaupond
Le réclusoir d'Élisabeth de Beaupond
Le réclusoir d'Élisabeth de Beaupond
Livre électronique486 pages6 heures

Le réclusoir d'Élisabeth de Beaupond

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À propos de ce livre électronique

Papa, maman ? Où êtes-vous passés ? Où sont mes soeurs chéries ? Et mes petits frères adorés ? Il y a encore un instant, nous prenions le frais sur notre terrasse. J'entends encore les rires de mes jeunes frères. Pour quelle raison, tout à coup fait-il si noir ? Où suis-je ? je me sens si seule loin de vous, loin de tout. Et toi Hugo, tu me disais m'aimer, pour quelle raison, désormais, ce silence ? Qu'ai-je fait ? Aurais-je offensé notre Seigneur ?



Et si le sentiment profond d'injustice nourrissait le refus de la mort ? Si la colère, la haine devenaient l'élément essentiel de la survivance de l'être ? L'on pourrait alors difficilement discerner la limite entre le monde des morts et celui des vivants ! Et puis, où situer le mal ? Selon quelle loi ? Par rapport à quelle doctrine ? La définition du bien et du mal est peut-être tout simplement une appréciation selon chacune des cultures voire plus encore, au-delà de notre monde au coeur d'autres réalités ?

Malheur à toi, si tu croises son chemin, elle peut être partout et nulle part à la fois. Sa souffrance laisse dans son sillage un champ de débris dans nos esprits. Ceux qu'Elle ne tue pas, demeureront confus à jamais, dans le désarroi le plus total, ils auront basculé dans la folie. Ce n'est pas de sa faute, ce sont les « Hommes » qui l'ont rendue ainsi, ils l'ont créée. Elle est désormais parmi nous, rôdant dans notre monde. Que Dieu ait pitié de nous.



« Oh douleur, j'apporte les ronces,

Par la peur en vous, mes griffes s'enfoncent. »
LangueFrançais
Date de sortie25 nov. 2021
ISBN9782322420797
Le réclusoir d'Élisabeth de Beaupond
Auteur

Jean-Marc-Nicolas G.

Jean-Marc-Nicolas.G, Né à Marseille, vit dans la région PACA. Il écrit des récits dans le domaine du fantastique, de l'épouvante ou de l'anticipation depuis de nombreuses années. Son adolescence a baigné dans la littérature, romancée par des auteurs tel que Jean Ray, Claude Seignolle, Lovecraft, Robert Bloch, Ray Bradbury et l'inoubliable Edgar Allan Poe. Ses écrits extraits de son imagination émanent également de ses cauchemars et de ses peurs les plus obscures. Tous les mirages de son esprit, il a souhaité les poser sur des pages, exalté par ses chimères, ses fantasmes et ses hallucinations. Son souhait est d'entraîner ses lecteurs dans un univers fantomatique, de les emporter dans une ambiance étrange et démentielle à la lisière de l'inconcevable, de l'inimaginable, de l'irréel jusqu'aux confins de la folie.

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    Aperçu du livre

    Le réclusoir d'Élisabeth de Beaupond - Jean-Marc-Nicolas G.

    — REMERCIEMENTS —

    Remerciement tout particulier à ma femme chérie, sans laquelle ce roman n’aurait pas abouti.

    J’adresse toute ma considération et ma gratitude à mes lectrices et lecteurs fidèles qui m’ont suivi tout au long de mes pérégrinations d’auteur novice. Je leur suis reconnaissant pour le temps et l’attention dont ils m’ont gratifié. J’ai l’honneur et le plaisir de les citer sous leur pseudonyme, ils se reconnaitront :

    J’adresse mes remerciements à Sand Canavaggia, Véronique Rivat et Chantal Bidet pour leur aide à l’élaboration de ce roman. À Chantal Bidet qui a si gentiment prêté sa voix pour relater les premiers chapitres de cette histoire. À Loïc Canavaggia pour la qualité de l’illustration et Charlie pour le design du dos de couverture. Bonne lecture à tous.

    Jean Marc Nicolas.G.

    Le réclusoir d’Élisabeth de Beaupond.

    — TABLE DES MATIÈRES —

    — Introduction

    I — La conspiration

    II — À mort les huguenots

    III — La visite du cimetière des Saints Innocents

    IV — Le grand miroir

    V — Retour à la maison

    VI — Les autres

    VII — Le secret d’une vengeance

    VIII — Les quatre hommes

    IX — À la recherche du passé

    X — Départ pour la Lombardie

    XI — L’arrivée de François

    XII — Sur les bords de la Seine

    XIII — Le départ de Bertrand

    XIV — Le Capitaine de la fille de l’aubergiste

    XV — Les cruches d’Amélie

    XVI — L’entretien avec François

    XVII — Le Museau de l’Ours

    XVIII — Rencontre avec Elle

    XIX — Des labyrinthes à Gabrièle

    XX — Le retour du Capitaine de Lagarde

    XXI — Les frères Caressi

    XXII — Un soir de Noël

    XXIII — Un pasteur pour François

    XXIV — Tristesse du temps qui passe

    XXV — Il n’a rien demandé

    XXVI — Qui habite ma demeure

    XXVII — Les révélations

    XXVIII — Les deux ogres

    XXIX — Au-delà du temps

    XXX — Le silence s’est installé

    XXXI — Et c’est le temps qui court

    — INTRODUCTION —

    Message au Monde des Hommes.

    Prenez garde, car vous créez des Mondes, les réalités dans lesquelles naissent et évoluent vos sentiments. Mais vous ne mesurez pas la portée de ce que vous engendrez, car vous n’en avez tout simplement pas conscience.

    Lorsqu’au petit matin, vous vous éveillez, sereins, heureux, en paix, que vous appréciez l’instant du magnifique paysage qui s’offre à vous. Quelque part ailleurs, dans un autre plan de conscience, vous apportez un état de grâce. Le même lever de soleil que vous contemplez, mais infiniment plus beau, plus lumineux, un spectre de couleurs que vous ne pouvez pas imaginer. Ce monde que vous avez engendré, peut s’approcher de ce que vous considérez être la félicité. Vous avez alors créé le bonheur au plus profond des êtres qui peuplent votre « Paradis ». Vous leur avez apporté l’illumination.

    Mais si par malheur, si d’aventure, même par négligence, vous vous hasardiez à la plus mauvaise pensée, aux sarcasmes, à des mots cruels ou pire ! Aux actes les plus immondes ! Alors ne vous étonnez pas de réveiller la bête, cette chose noire, acre, épaisse de ce qu’elle contient, de ce qui sommeille en chacun de nous. Le mal dans son aspect entier, la douleur, l’affliction, le chagrin, le supplice, la torture, l’injustice et le désir de vengeance. Ces sentiments prennent alors corps et donnent naissance à la Bête, ce que vous les hommes nommez « Démon » car vous n’avez pas assez de mots pour citer autrement ce qui est plus ample et plus vaste encore que la simple dénomination de ce que vous avez produit. Vous vous plaigniez alors de subir mille courroux telles les victimes d’un destin que vous pensiez ne pas maîtriser, mais dont vous êtes pourtant les responsables. Vous êtes comme ces enfants inconscients, capricieux et parfois méchants qui jouent avec le feu et pleurent ensuite quand la maison est en flamme. Vous vous rendez compte de votre erreur et de votre ignorance, mais il est déjà trop tard.

    La Dame aux Ronces et aux Aubépines.

    LA DAME AUX RONCES ET AUX AUBÉPINES

    « Oh douleur, j’apporte les ronces, Par la peur, en vous mes griffes s’enfoncent. »

    I —

    LA CONSPIRATION.

    Le 24 août 1572, à Paris, Élisabeth de Beaupond, fille de Hubert de Beaupond et de Marguerite de Beauvois, troisième enfant d’une fratrie qui en compte cinq, rêvasse sur la terrasse de la toiture de la maison familiale en observant le ciel noir constellé d’étoiles. Elle entend subitement des clameurs lointaines, mais elle n’y porte pas plus d’attention que cela. Elle pense tout simplement qu’une fête est donnée en l’honneur d’une personne ou d’un événement familial.

    Elle songe aussi à Hugo de Montalvin, son petit cousin, dont elle est tombée amoureuse à l’âge de seize ans. Elle a fêté ses dix-huit ans le mois dernier et son père lui a promis l’union avec le fils de son petit cousin si ce dernier aime sa fille et promet de la rendre heureuse.

    Les familles de Beaupond et de Montalvin appartiennent au clan protestant fraîchement converti et soutenant le grand Amiral Gaspard de Coligny lui-même cousin de Hubert de Beaupond. Le tumulte, non seulement perdure, mais semble se rapprocher. Ce brouhaha populaire inquiète un peu Élisabeth qui se lève, puis se penche sur le bord de la rambarde. Elle tente de scruter au-delà des rues et des premières toitures voisines de sa maison. Elle croit entendre des cris et des clameurs, mais sans doute se trompe-t-elle, car pour quelle raison y aurait-il une colère populaire ? Les prix étaient fixes, celui du pain demeurait stable. Notre bon Roy Charles IX s’était engagé à protéger les huguenots malgré les manœuvres d’hostilité de la Reine mère Catherine de Médicis. Et puis, notre Roy bien aimé ne s’est-il pas précipité auprès du cousin de papa qui avait été, il y a quelques jours à peine, victime d’une tentative d’assassinat dont on soupçonne un certain Charles Danowitz dit Besme¹, la balle de son arquebuse lui avait arraché la main droite.

    Il est un peu plus de minuit lorsque deux hommes viennent frapper à la porte cochère de notre maison. Je reconnais l’un d’entre eux par sa voix. C’est Bertrand Lombardo un Italien qui avait accompagné papa et son cousin l’Amiral Coligny² lors de la campagne militaire d’Italie. Il était à ses côtés pendant la bataille de Cerisole et au cours de son séjour à Ferrare chez la duchesse d’Este.

    — Capitaine de Beaupond ! Capitaine de Beaupond ! Ouvrez bon sang, je vous en prie !

    J’entends mon père, accompagné de son aide de camp Constant, tourner la clef dans la serrure de la grosse porte cochère.

    — Qui y a-t-il ? Que se passe-t-il ? Ah, c’est vous Bertrand ?

    L’homme ne laisse pas terminer mon père :

    — Capitaine, vous devez prendre votre famille et fuir maintenant sans attendre. Les Guise ont entrepris une véritable vendetta contre tous les protestants. Ils viennent d’assassiner votre cousin l’amiral de Coligny. On raconte qu’il a été poignardé dans son propre lit par le duc de Guise en personne et ses comparses à coups de dague. Ils l’ont ensuite décapité puis émasculé. Ils traînent actuellement son corps par les jambes à travers les rues de Paris jusqu’au gibet de Montfaucon.

    — Mais pour quelle raison auraient-ils participé à cette forfaiture, bon sang ? Et le Roy, que fait-il ? Et qui sont les véritables responsables ?

    — Je vous l’ai dit, Capitaine, ce sont le duc de Guise, le duc d’Aumale et le demi-frère d’Henri, grand prieur de France, les instigateurs de cette conspiration. Quant au Roy, il est peut-être complice, en tous les cas, il est forcé au mutisme de peur de se retrouver dans une situation de faiblesse. Son épouse ne le soutient pas. Mais le plus grave, c’est la fureur de la foule. Vous ne pourrez pas vous soustraire à la rage populaire. Ils pénètrent dans les maisons, saccagent tout ! Ils pillent, ils violent, ils assassinent.

    Pendant les quelques minutes de cette discussion oppressante, j’ai rejoint papa et inquiète, j’ai écouté.

    — Bonsoir, Mademoiselle de Beaupond, j’explique à votre père que Paris est à feu et à sang. Les catholiques s’en prennent à la communauté protestante qui se fait systématiquement massacrer. Votre cousin Gaspard de Coligny vient d’être assassiné, vous devez fuir sans attendre.

    — Papa tu entends, partons tout de suite, j’ai peur. Nous pourrions nous réfugier dans notre maison de Fontainebleau.

    — Voyez-vous, vous faites peur à ma fille ! Toi, ne te mêlent pas de ces affaires, rejoins ta mère et tes sœurs à l’étage, et va t’occuper de tes jeunes frères.

    — Mais père, vous ne pouvez pas demeurer sourd aux avertissements de Bertrand. Vous devez agir, et protéger votre famille.

    — Je t’en prie ma fille, je n’ai pas de leçon à recevoir de ta part. Je suis conscient de mes responsabilités, toi, tu n’es encore qu’une enfant ! Jusqu’à présent, je vous ai toujours tous protégés, vous n’avez jamais eu à vous inquiéter. Nous n’avons nullement de reproches à nous faire. Et puis, je n’ai pas suffisamment de pouvoir et d’influence pour inquiéter les Guises.

    — Écoutez, Capitaine, si vous ne voulez pas fuir, alors permettez-moi au moins d’emmener votre épouse et vos enfants.

    — Ma famille demeurera près de moi, il est hors de question de nous séparer.

    — Très bien, Capitaine. Alors, bonne chance ! Nous allons fuir par le sud-est, et franchir la Seine. Nous partons en direction de Chalons.

    Mon père referme les deux énormes portes cochères qu’il prend soin néanmoins de verrouiller et de renforcer avec deux énormes poutres pour les caler. À ce moment-là, l’angoisse m’envahit. Une mauvaise impression et un funeste pressentiment rôdent et se posent comme une certitude. Le sentiment de l’irrémédiable, c’est le destin qui vient taper à notre porte. Mon père n’est absolument pas sûr de la situation. Il est Capitaine des troupes royales. Il avait maintes fois bravé la mort dans les multiples combats qu’il avait menés en Italie et dans le sud du Royaume de France. C’est un homme de puissante corpulence, il ne craint personne. Je n’avais jamais vu quelque chose lui faire peur, mais à présent, la situation semble plus préoccupante. Mon père est seul, ses hommes ne sont pas auprès de lui.

    Dehors la foule gronde. Nous entendons désormais très distinctement les cris de terreur des personnes qui se font éjecter de leur habitation pour se faire égorger ou poignarder sur le seuil de leur porte. Je monte au deuxième étage de notre maison pour rejoindre la terrasse sur la toiture. Je vois alors un horrible spectacle, il y a tant et tant de sang qui se répand sur les pavés et qui s’écoule dans les rigoles, que je ne peux réprouver un haut-le-cœur. Je vomis tout le repas du soir, mais je veux encore regarder les scènes de massacres et la folie des hommes. Une femme enceinte, je la connais, est éventrée, on y extrait son bébé que l’on fracasse contre le mur de sa maison, de l’autre côté de la rue. Mais quelques femmes m’ont aperçue, elles me signalent du doigt aux hommes qui les accompagnent, elles commencent à m’invectiver. La foule enragée se dirige vers notre porte cochère qu’elle frappe et frappe encore puis ne parvenant pas à la défoncer, elle y répand de la poix fondue pour y mettre le feu. Elle s’embrase instantanément.

    Je suis terrorisée, ma mère me rejoint avec mes deux jeunes frères et mes deux sœurs ainées. Seuls, mon père et nos trois domestiques sont demeurés dans la cour du rez-de-chaussée, tous les quatre armés d’un pistolet et d’une arquebuse pour chacun d’entre eux. Mon père pense que ça devrait suffire pour impressionner la meute assoiffée de notre sang, en attendant le prévôt et les milices communales qui devraient arriver pour imposer l’ordre.

    La porte enfin calcinée, encore fumante, vole en éclats par le choc d’un bélier improvisé dont la foule s’est dotée pour pouvoir la fracasser. Elle surgit dans la cour, armée de fourches, de haches, de quelques hallebardes et de sabres. Elle se rue sur mon père et nos quatre domestiques pour se faire faucher cruellement par le feu redoutable des arquebuses, relayées par leurs pistolets. Mais malgré la dizaine de corps gisant au sol et le sang qui se répand abondamment, elle n’est nullement impressionnée et ne renonce pas. Après un court instant de confusion, elle ne se replie pas. Au contraire, elle est en rage de plus belle, exaspérée, furieuse, elle reprend son assaut. C’est désormais à l’arme blanche que le combat reprend, on s’embroche entre hommes et femmes, chacun se plante mutuellement épée, sabre et hallebarde, perçant, taillant, coupant les chairs, sectionnant les muscles, déchirant les habits noyés de sang, en éventrant certains. Mais le nombre finit par avoir le dessus sur mon père et nos domestiques, submergés par la meute enragée. Ils finissent par succomber les uns après les autres. J’ai pris la précaution de verrouiller la porte de la cour qui donne accès à notre appartement puis celles qui mènent à notre terrasse de la toiture. Ma mère s’est blottie dans le pigeonnier avec mes jeunes frères tandis que mes deux sœurs ainées attendent, impassibles, d’un pied ferme, armées d’une épée à la main, la foule, hurlante, vociférante, remplie de haine.


    1 Charles Danowitz du Besne : dit Besme, ou Bême, ainsi appelé parce qu'il était natif de Bohême. Il dut son ascension sociale à la faveur des Guise et fut le principal acteur du meurtre de Gaspard II de Coligny : c'est lui qui jeta le corps de la victime par la fenêtre.

    2 Amiral de Coligny : Les majuscules sur les noms de ce texte mises sur les titres et les particules sont faites intentionnellement.

    II —

    À MORTS LES HUGUENOTS.

    J’observe les derniers moments de ma famille, ma mère et mes deux jeunes frères sont apeurés. Armand n’a pas sept ans et Gaspard à peine onze. Ils sanglotent silencieusement au creux des bras de ma mère. Mes deux sœurs se tiennent droites dans leurs bottes, prêtes à en découdre. Elles possèdent cette forme de noblesse dans leur conduite tout empreinte de dignité. Elles acceptent de mourir les armes à la main. À cet instant précis, je n’ai jamais été aussi fière d’elles. J’aperçois des larmes couler doucement sur leurs joues, elles sont résignées à la cruelle fatalité. Marie renifle, son nez coule, elle s’essuie avec sa manche.

    L’espoir nous abandonne peu à peu. Nous comprenons que c’est la fin. Mes deux jeunes frères ne seront probablement pas épargnés. J’ai vu le sort que la foule a réservé à la femme enceinte, ses deux enfants du bâtiment d’en face ainsi qu’au tout jeune enfant de sa voisine de palier.

    La foule hostile hurle des insanités, les femmes nous conspuent, elles nous nomment par nos prénoms. Je reconnais là, les voix de quelques-unes d’entre-elles, elles étaient nos voisines de rue. Elles saluaient maman lorsque nous nous promenions. Je suis horrifiée de tant de haine à notre encontre. Les coups contre la dernière porte se multiplient, ils s’accélèrent, deviennent plus bruyants, plus puissants. J’entends la fureur augmenter, car la meute des fauves est hargneuse, jalouse, stupide, cruelle. Nous entendons les railleries, les moqueries de nos voisins. La populace s’acharne sur cette porte qui marque la dernière barrière qui nous sépare de la fin.

    Je ressens de la part de ces gens tant de bêtises, tant de méchancetés, tant de haine, qu’il m’est impossible de comprendre. Vivions-nous alors parmi des hypocrites sans nous en douter ? Avons-nous prononcé des paroles malheureuses ou peut-être eu des gestes mal à propos ? Se pourrait-il que nous les ayons blessés dans leur dignité ? Comme le baiser refusé par ma sœur au fils du palefrenier de la rue Saint-Germain, seulement parce qu’il n’était pas à son goût, certainement pas à cause de sa position sociale. Ou encore du refus de mon père de recruter et d’engager dans les armées du Roy, Gontran, le fils de l’aubergiste.

    Je pense à tous ces actes de la vie courante auxquels nous n’avons peut-être pas assez prêté attention. À présent en entendant nos voisins nous injurier, je commence à comprendre. On nous jalousait et nous vivions au milieu d’un nid de scorpions, nous n’en avions tout simplement pas conscience.

    — À mort les huguenots ! À mort les de Beaupond ! Que Dieu nous assiste ainsi que notre bon Roy Charles pour nous accompagner dans notre action de vengeance au nom du duc de Guise.

    La porte finit par céder sous les multiples coups de ces hommes et femmes enragés. Dans ce brusque mouvement, les premiers assaillants chutent à terre, immédiatement ensevelis par les suivants. Ils forment un véritable amoncellement de corps qui s’enchevêtrent les uns sur les autres, se débâtant pour tenter de se relever. Mes sœurs profitent de la confusion générale pour percer de leur épée avec hargne et acharnement les imprudents qui se tordent de douleur. Leur lame, successivement, s’enfonce dans leurs chairs comme dans du beurre. Mais le nombre des assaillants finit par avoir le dessus, les hommes et les femmes envahissent notre grande terrasse, déferlant sur toute sa surface. Après avoir encore embroché quelques assaillants et en avoir entaillé d’autres, elles sont finalement ceinturées et plaquées sur la grande table de bois. L’accès vers le pigeonnier dans lequel se sont réfugiés maman et mes deux jeunes frères est désormais libre. Plus aucun de nous ne peut leur barrer le chemin. On tente d’abord d’arracher Armand des bras de ma mère, mais elle résiste et le tient fermement serré contre elle. Puis c’est au tour de Gaspard qui a conservé secrètement une dague sous son gilet. Il parvient à la planter cruellement dans l’œil d’un homme qui hurle de douleur, au moment où l’on s’apprête à s’emparer de lui.

    Au même instant, j’ai armé mes deux pistolets à silex que papa m’avait offert à son retour d’Italie. Je déclenche le feu sur le groupe qui tente d’extraire maman et mes deux jeunes frères du pigeonnier. Les crânes de deux hommes éclatent sous l’impact des deux billes de plomb répandant leur cervelle sur maman et mes frères. De rage, des femmes se jettent sur moi et me plaquent au sol pendant que j’observe, impuissante, mes deux petits frères, se débattant avec vigueur, être arrachés des bras de ma mère. Ils sont soulevés en l’air et passent au-dessus de moi. Ils sont précipités par-dessus la rambarde de notre terrasse. J’entends le cri désespéré de maman qui se termine par une phrase prononcée, par l’un des assassins, restera gravée à jamais à mon esprit.

    « — Meurt, chienne de protestante ! »

    Puis deux fourches se plantent simultanément dans son ventre et dans sa gorge. Bien que les coups fusants dans mon ventre et le pied d’un inconnu écrasant mon visage, je peux apercevoir maman s’étouffer et lâcher une dernière plainte de douleur. Le sang jaillit de sa carotide pendant que sa robe, tel un buvard, se remplit d’une large tache de sang qui grandit rapidement. Ses yeux se révulsent, le dernier souffle l’abandonne, quittant la vie qu’elle nous a donnée. Elle est morte, désemparée de cette vision cruelle, je rage, je me débats pour tenter de me libérer de la dizaine de mains qui se sont emparées de moi. Puis désespérée, je m’abandonne en pleurs.

    — Prenez-la en poids ! Ne l’exécutez pas encore ! Nous allons nous amuser avec elle !

    Alors que l’on me porte jusqu’au banc de pierre, et que l’on m’arrache tous mes vêtements, je regarde mes sœurs, inertes, sans expression. Elles sont abusées par des hommes mal rasés et sales pendant que des femmes leur tiennent les bras et les jambes. Je tente encore de résister, je me contorsionne, je me cabre, je me débats pour tenter d’échapper à leur étreinte dégoûtante, mais rien n’y fait. Je suis avilie, déshonorée, mortifiée, salie, humiliée. Pourtant, je les supplie, je les implore de m’épargner, mais rien n’y fait. Puis tout ce vacarme, cette cohue et les railleries semblent s’éloigner, les ricanements et les sarcasmes aussi. Je ne sens plus les mains qui tiennent mes cuisses écartées, je ne vois plus que le ciel noir d’encre, parsemé d’étoiles. J’entends vaguement dans un son étouffé, les conversations comme lorsqu’enfant, je me bouchais les oreilles. Quelques visages, quelques regards passent encore au-dessus de ma tête. Je ne sens plus mes membres, je ne sens plus les battements de mon cœur, ils n’ont plus cet air de colère et de rage, mais seulement un air distant, presque navré. Je me sens bien, sereine, en paix.

    — Ramassez ces corps puis chargez-les sur les tombereaux. N’oubliez pas les quatre femmes là-haut. Vous m’embarquez rapidement tout ça et vous m’emmenez tout ce beau monde au cimetière des Saints Innocents.

    On saisit mon corps par les poignets et les chevilles pour le balancer puis le jeter par-dessus d’autres corps gisant déjà sur le plateau de la charrette, mes sœurs sans connaissance viennent ensuite s’écraser sur moi. Puis c’est au tour de mes deux jeunes frères dont les visages ont été déformés par la chute du deuxième étage.

    Je pleure de rage, mais je ferme les yeux pour ne plus avoir cette horrible vision. Je suis bientôt écrasée sous un monticule de corps raidis par la mort, ensanglantés. Surtout, ne pas bouger, ils ne doivent pas remarquer que je suis toujours vivante. Ils ne se sont aperçus de rien. Ne pas cligner des yeux, ne pas respirer. Il est curieux qu’il me soit aisé de garder mon calme, alors que je ressens néanmoins une grande lassitude. Je n’ai plus de douleurs, je ne sens plus mon corps, victime des outrages de ces monstres.

    Le tombereau se met en branle, deux hommes le tirent pendant que deux autres le poussent et d’autres l’entrainent par les côtés.

    — C’est fichtrement lourd, heureusement que vous êtes venus nous assister. Parce qu’à la vue du nombre de corps, moi j’dis qu’on va mettre toute la journée pour les évacuer.

    — Et moi, j’dis que j’en ai cure de me traîner tous ces morts jusqu’au cimetière. Ça fait l’quatrième voyage et puis c’est épouvantable tous ces cadavres qui pourrissent là-bas, l’odeur est insupportable.

    — Tu as raison Roger, c’est insoutenable cette puanteur, nous risquons de tomber malade avec tous ces miasmes. Alors une fois arrivés là-bas, on ne traine pas, on jette rapidement les corps dans la fosse et on détale aussi sec.

    — Ouais, aussi sec.

    Après avoir été secoués par le rythme cahoteux des grandes roues du charreton, rebondissant sans cesse sur les pavés des rues de Paris, nous pénétrons dans le cimetière des Saints Innocents. L’odeur curieusement ne m’importune pas, j’ai l’impression d’avoir perdu mes sens. Ce doit être le choc que j’ai subi. Toutefois, je ressens la crainte et la peur des hommes qui m’entourent, de l’émanation de leur transpiration et de leur crasse, de leur haleine fétide provenant de leurs dents gâtées.

    Puis, j’entends qu’ils s’emparent rapidement des dépouilles les unes après les autres. Je ne peux me retourner pour ne pas attirer l’attention, je ne vois dans mon esprit que le ciel noir constellé d’étoiles. Ils jettent hâtivement et sans ménagement les corps de ma mère, de mes deux sœurs, puis c’est au tour de mon père dont le tronc a été séparé de la tête. L’un des gaillards s’empare de celle-ci par les cheveux puis la tient en l’air. Il le conspue, l’insulte, vocifère face à ce visage aux yeux mi-ouverts, vitreux, sans vie, puis, il lui crache dessus, ses compagnons s’esclaffent. Sales vermines, si mon père était encore vivant, tu n’aurais jamais osé t’adresser ainsi à lui.

    L’atmosphère empuantie par les émanations cadavériques a pris forme. Je peux désormais la percevoir, je vois son exhalaison flotter comme une forme de conscience d’elle-même. Soudainement, ils me saisissent et me jettent dans cette fosse pestilentielle, les corps malingres et désarticulés de mes petits frères suivent. Ils s’écrasent sur moi. Je pleure silencieusement de peine et de rage. Je m’enfonce dans une forme de magma boueux fait de cadavres en décomposition. La panique s’empare de moi, je veux crier, mais je n’y parviens pas. J’entends le chuchotement des morts, le grouillement des millions de vers comme un gargouillement répugnant. Ils sont partout, ils pénètrent mon corps et mes organes intimes, ils ont déjà commencé à entamer ma chair, je ressens des picotements sur tout mon être.

    Et ces chuchotements qui n’en finissent pas, j’entends des plaintes et des gémissements, produits par la souffrance et les regrets. Une mélasse, forme de bouillie, mélange de terre et de liquides putrides, s’est formée dans les profondeurs de l’immense fosse à purin humain. Je tente de m’agripper partout, pour ne pas m’enfoncer plus loin, mais je glisse dans l’abject, au milieu de la charogne, au cœur de ce qu’il y a de plus répugnant. Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie, je n’ai jamais ressenti autant de colère, de haine, de dégoût à la fois, et ce, d’une telle intensité. J’enrage de tant d’infamie, je suis furieuse de tant d’injustice. Je sens en moi toute l’abomination, la répugnance de ces hommes qui ont massacré ma famille, ceux que j’aimais le plus au monde. Ceux qui étaient ma raison de vivre, ma raison d’exister. Il a fallu seulement une nuit pour anéantir tout cela.

    « Papa, pour quelle raison n’as-tu pas écouté Bertrand Lombardo ? Tu as toujours été entêté, jusqu’à cette nuit, cela t’avait servi, mais cette fois-ci nous a été fatale. À quoi bon tout cela ? Si nous avions fui, nous aurions pu éviter ce drame. Nous serions encore en vie et je ne me retrouverais pas seule désormais. »

    Tout à coup, j’entends d’autres hommes revenir alors que je suis sur le point de m’extraire de la fange visqueuse et repoussante du charnier putride. Je cherche fébrilement tout autour de moi un endroit où me cacher. Là-bas au coin de la fosse, derrière le tas d’aubépines et de ronces séchées. Peut-être que… oui, c’est cela, il faut que j’y parvienne. Je me décide à ramper avec hâte à travers les cadavres ensanglantés, mutilés, décharnés et noircis pour la plupart d’entre eux. J’arrive près des buissons secs et épineux pour m’y accrocher et m’y réfugier. Je m’agrippe aux branches bardées de milliers d’aiguilles incisives, de centaines d’épines acérées aux piquants redoutables qui pénètrent mes mains, s’enfoncent dans mon corps. Je sens leurs griffures venimeuses comme des morsures cuisantes, mais je n’ai pas mal, après tout que m’importe. J’ai si peur que les hommes me fassent subir de nouveaux supplices et souillent mon corps de plus belle. Je suis prête à supporter mille autres tourments, si bien que les échardes de ces plantes sauvages me semblent être des caresses. Je m’enfonce alors au plus profond du fourré de ronces, je m’abrite dans le buisson d’aubépines, au milieu de ses tiges et branchettes, je m’entoure de celles-ci, je m’entortille, elles m’enlacent. Ces hommes s’approchent tout en causant. J’ai si peur qu’ils m’aperçoivent ! Je m’enfonce toujours plus profondément sous les rameaux remplis d’épines déchirant mes chairs telles des crochets s’y plantant cruellement. Les vives agressions de leurs pointes intrusives qui devraient être d’une douleur insoutenable deviennent une douceur, un réconfort, un plaisir. Je me perds presque dans la conscience de l’euphorie. Je suis calme, je suis le silence ! Je m’incruste dans cette végétation repoussante, j’en deviens une partie, un prolongement. Je n’ai pas mal, je suis la douleur, je n’ai plus peur, je suis la peur, je suis la ronce et l’aubépine.

    Le jour se lève…

    — Il est où ?

    — Par-là, je crois, ah ! Je le vois. Par décision du juge, nous avons ordre de récupérer le corps pour le transporter au gibet de Montfaucon. Il sera pendu par les pieds jusqu’au pourrissement complet. Il se balancera aux côtés de l’amiral de Coligny, son cousin !

    Je réalise que les intrus parlent de mon père. Je sais que le gibet de Montfaucon est l’humiliation suprême pour les familles, car elles ont interdiction de récupérer le corps de leur défunt afin de leur permettre de dignes funérailles dans la tradition chrétienne. L’âme alors, ne rencontrera jamais la paix !

    Je regarde la dépouille de mon père extraite de la fosse commune, du moins sa carcasse sans tête. Je suis effondrée, écœurée de tant d’outrages faits à ma famille.

    Toute la journée, je vais devoir demeurer parmi les cadavres, alors que les tombereaux ne cessent de déverser des centaines de corps sans vie. Aucun d’eux n’a pas subi une amputation, la décapitation ou de terribles dégradations corporelles. Je n’ai jamais vu autant de morts et autant d’atrocités perpétrées sur des êtres humains. La nuit va enfin arriver, ma peine et ma colère n’ont pas cessé, je réalise que plus jamais, je ne reverrai mes jeunes frères, mes sœurs et ma mère. Dieu n’a rien fait, je l’ai pourtant imploré d’intervenir ce soir-là, de tout mon cœur, de tout mon être, mais il est demeuré sourd à mes suppliques. Quel Dieu peut-il demeurer sourd et aveugle à tant d’infamie ? Il n’a même pas eu pitié de mes petits frères. Ils n’avaient fait de mal à personne, ils étaient d’adorables petits anges.

    « Je vous hais tous, soyez maudits !

    Quant à toi, oh Dieu des hommes !

    À jamais, sache-le, je te renie,

    J’apostasie, je te répudie en somme. »

    La nuit est tombée, je dois songer à quitter ce lieu épouvantable. Mais où vais-je aller à présent ? Certainement pas à la rue Le Clos de Notre-Dame. Je pourrais peut-être me réfugier dans notre maison de Fontainebleau où nous nous rendions en famille tous les étés. Je devrai être prudente et y rester cloitrée afin de ne pas attirer l’attention. Surtout, ne pas me faire remarquer, jamais ! J’ai vu ce qu’ils font aux huguenots, lorsqu’ils les reconnaissent. Je devrais vivre désormais cachée… oui, cachée.

    III —

    LA VISITE DU CIMEETIÈRE

    DES SAINTS INNOCENTS.

    La nuit que j’ai attendue avec tant d’impatience, j’en profite pour sortir de cette fosse puante. Je parviens à m’extraire du fatras de ronces et d’aubépines qui, curieusement, ont envahi tout un côté de l’immense fosse à charnier. Je rampe aussi près du sol autant qu’il m’est possible, j’ai peur, si peur que l’on me voit, j’ai l’impression de faire corps avec la terre et de creuser un sillon dans son sein. Je me dirige vers l’église des Saints-Innocents, en me souciant toujours de ne point me faire remarquer. Je me plaque au sol aussi près qu’il m’est possible de l’être. Je rampe avec tant de crainte, silencieusement, furtivement dans un mouvement feutré. Je me plaque à terre, je me frotte au mur du reclusoir, je suis le mur, comme j’ai été le sol et la poussière.

    Je me retourne une dernière fois vers la fosse à charnier, je perçois encore la robe très caractéristique de maman, je ne vois plus qu’un bras et sa main demeurée raide comme une branche d’arbre, comme si elle me disait aurevoir. Je pense à cette femme qui nous a tant aimés. Je me remémore lorsqu’elle nous chantait, à mes sœurs et à moi, des comptines et des berceuses. Elle était ma confidente, elle était mon amie.

    Quatre hommes terrorisés, paniqués, ont fui le cimetière des Saints Innocents en cette nuit du 25 août³. Ils rapportent avoir vu une forme rampante ressemblant vaguement à une femme composée de bras, de jambes et de doigts de forme fine et allongée telle des racines de ronces et d’aubépines. Ils ont abandonné leur tombereau sur place, rempli de cadavres et ont décampé aussi vite que possible ! Un sergent d’arme et un peloton d’arquebusiers et de hallebardiers ont été dépêchés. Après un repérage de tout le cimetière, ils n’ont rien remarqué d’inquiétant. Néanmoins, le bruit court que le Diable rôde dans ce lieu. Plus personne ne souhaite s’y rendre si une solide garde n’est pas dépêchée sur place. Or, il est important de terminer d’évacuer les milliers de corps qui jonchent encore les rues et les places de Paris avant qu’une épidémie ne frappe la capitale. Le ballet incessant a repris dans le courant de la journée du 26 août avec son cortège de tombereaux remplis de cadavres, empilés en un amoncellement sordide d’hommes, de femmes et d’enfants ensanglantés. Dans la course effrénée de ce manège macabre, des hommes ont remarqué dans un angle de la fosse sud-est, un arbuste d’aubépines resté sec jusqu’à l’avant-veille s’est mis à fleurir instantanément. Tout le monde a pris ce phénomène pour un miracle, un signe de Dieu pour légitimer l’exécution des huguenots

    Le massacre de la Saint-Barthélemy dura deux jours et une nuit à Paris, mais perdura quelques jours de plus à travers les autres villes du royaume. Les Guises avaient lancé une véritable vendetta destinée à éliminer leurs adversaires, mais ils n’avaient pas prévu l’embrasement général du peuple qu’il fut mal aisé de contrôler et d’arrêter dans son élan enfiévré par le plaisir bestial de massacrer et de piller.

    J’ai aimé ces soirs d’hiver où nous nous blottissions dans le petit salon du premier étage contigu à nos chambres, pour nous raconter les derniers potins de la famille ou des voisins, tout en brodant, en cousant ou en tricotant. Parfois, nous passions des soirées entières à jouer au Jacquet. Ma sœur Catherine était une mauvaise perdante et rageait à chaque fois qu’elle était mise en échec, ce qui nous faisait toutes éclater de rire.

    Papa avait été souvent absent de notre maison à cause de sa charge. Mais lorsqu’il était là parmi nous, nous l’assaillions de questions sur ses voyages, ce qui le faisait franchement rire de bonne grâce devant tant de candeur de notre part.

    Ah bon ? Vous appelez mes campagnes militaires des voyages ? disait-il, et il riait, riait.

    Mais, il nous contait néanmoins quelques aventures pittoresques, des situations ubuesques qui nous faisaient rire. Seule, maman souriait à peine. J’ai compris plus tard pour quelle raison elle gardait un air grave. Elle savait que son homme ne partait pas en voyage d’agrément, mais pour faire la guerre et qu’il risquait constamment de perdre la vie. Tous ces moments extraordinaires passés et cette bonne humeur constante au sein de notre famille, plus jamais nous ne les vivrions.

    Papa traitait le personnel de maison avec beaucoup d’égards, d’ailleurs Constant, l’un d’entre eux partait avec

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