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Emprise
Emprise
Emprise
Livre électronique718 pages10 heures

Emprise

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À propos de ce livre électronique

Quatre jeunes humains aux capacités surprenantes, un démon trop puissant pour eux et un ange qui refuse d’abandonner sa protégée…

Afin de sauver ses amis et d’échapper à la damnation du démon, Amélia Collins
trouve refuge sous l’aile de son ange gardien.

Arrachée à sa vie terrestre, pourchassée par le Ciel et l’Enfer, elle doit se faire oublier pour un temps, et rester cachée au coeur de cet Éden si merveilleux. Or, avec son caractère bouillant et son désir de liberté, Amy parviendra-t-elle à trouver le bonheur avec Menadel, tandis que l’ange évolue au sein d’un monde prônant une emprise totale? Saura-t-elle passer outre la grandeur de celui qui l’a choisie pour partager son destin?

Depuis son poste dans les armées de l’Éden jusqu’aux profondeurs infernales, le chant des épées accompagnera les tribulations de cette enfant de la Terre. Menadel et Amélia auront besoin de tout l’amour du monde pour traverser les épreuves de l’Éden et les vengeances de l’Enfer, car les humains, les anges et même les démons se révèlent parfois plus lumineux qu’on l’espère ou plus sombres qu’on le redoute…
LangueFrançais
Date de sortie30 mars 2018
ISBN9782897862145
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    Aperçu du livre

    Emprise - Annie Larochelle

    !

    Prologue

    C’est une Lumière Vive, Menadel. Ce n’est pas le meilleur choix pour toi. Leurs destinées sortent souvent de l’ordinaire, et ces âmes ont de très lourds fardeaux à porter. En clair, ça ne finit jamais bien pour elles.

    — Mais enfin, Nith-Haiah, regarde comme elle brille ! Comment pourrais-je résister… ?

    — Justement mon frère ; si elle brille si fort, c’est qu’il y a une raison ! Marie-Madeleine, Helen Keller, Anjezë Gonxhe Bojaxhiu… toutes des Lumières Vives dont les vies ont été jalonnées de choix déchirants. Si elles reçoivent la force de passer au travers des épreuves, leurs chemins sont semés d’embûches. Et celle-ci brille encore plus fort…

    — Qu’en dit le Livre ?

    — C’est là tout le problème ; le Livre n’en parle pas. Elles sont envoyées comme des surprises au monde. Celle-ci pourrait sauver la planète tout comme elle pourrait sombrer et perdre nombre d’âmes avec elle ; il y a eu des cas… Je préfère la confier à quelqu’un de plus expérimenté que toi.

    — Si sa destinée s’annonce aussi mouvementée que tu le prétends, elle aura besoin de quelqu’un de fort pour la garder, répliqua Menadel avec un sourire espiègle. Douterais-tu de mes capacités ?

    Nith-Haiah scruta l’homme devant elle, les sourcils froncés.

    — Et toi, mon frère, douterais-tu de ma sagesse ?

    Elle secoua la tête, dubitative. Cette humaine nécessiterait certes une attention spéciale, et elle savait que Menadel se dévouerait pour elle. De plus, sa lumière risquait d’attiser la curiosité des bannis ; il était sans doute le mieux placé pour la défendre contre les influences du mal.

    — Tu ne dois pas te perdre en elle, Menadel… J’ai peur qu’elle t’entraîne dans son sillage. Tu sais à quel point nous approchons du terme ; son avènement en ces temps incertains signifie qu’elle jouera un rôle capital dans l’avenir de l’humanité.

    Menadel saisit la femme blonde par les épaules.

    — Nith-Haiah, patronne, je ferai tout pour lui permettre d’accomplir sa destinée, quelle qu’elle soit.

    Ils se jaugèrent intensément, et Nith-Haiah répondit enfin :

    — Tu n’accepteras pas mon refus, n’est-ce pas ?

    — Absolument pas ! ajouta-t-il avec un sourire malicieux.

    — Très bien, mon frère, tu n’as pas à me faire ces yeux-là ! Elle est à toi, concéda-t-elle avec un mouvement de la main.

    Puis, elle déclara soudain :

    — Elle ressemble beaucoup à…

    — Ne prononce pas son nom, l’implora-t-il en se renfrognant.

    — Est-ce cela qui t’attire chez elle ? lui demanda doucement Nith-Haiah.

    Le grand brun se détourna et se concentra sur l’écran qui lui montrait un amas de cellules âgées de quelques minutes à peine, assorti d’images de ce dont l’humaine aurait probablement l’air à différents stades de sa vie. Il se borna dans le silence.

    — Peu importe… continua enfin la blonde. Prépare-toi à être lié à cette âme jusqu’à sa mort. Tu dois prendre cet engagement très au sérieux, mon frère, puisque tu seras responsable d’elle toute sa vie durant !

    — Les vies humaines sont si courtes ; je ne vois pas ce que je risque !

    — Aime-la et protège-la. Quant à moi, je dois en informer les séraphins.

    Elle se détourna pour sortir de la pièce de contrôle, mais elle s’arrêta à mi-chemin.

    — Menadel, cette fille, cette Lumière Vive… Sais-tu ce que cela implique ?

    Il haussa les sourcils, incertain, mais ne répondit pas.

    — Tu devras gérer avec soin celui qui la marquera le premier. Quitte à agir toi-même s’il n’y a pas d’autre option. Si elle devait subir l’influence du mal, qui sait combien d’âmes elle pourrait perdre avec elle ?

    Menadel regarda encore une fois les images de la femme que l’humaine deviendrait dans quelques années, puis il esquissa un petit sourire.

    — Cela ne me posera aucun problème, murmura-t-il pour lui-même.

    n

    Nith-Haiah se présenta au temple d’Esamar-Par-Heliah et attendit le signal l’autorisant à franchir les portes. Elle entra dans une immense pièce, aussi lumineuse que si elle se trouvait sous un soleil de midi. Sept trônes sans dossiers formaient un cercle au centre de la salle sur une dalle de marbre surélevée. Aujourd’hui, un seul séraphin y siégeait. La grande femme blonde s’arrêta à une distance respectueuse de 20 pas, puis elle s’inclina profondément.

    — Que la lumière du Père brille sur tes jours, Nith-Haiah, patronne des gardiens.

    — Et sur les tiens, Lelanel.

    Elle se releva et avança jusqu’au pied de la dalle de marbre.

    — Quelles sont les nouvelles de la Terre, ma sœur ? 

    — Une Lumière Vive est née, mon frère.

    Le séraphin se redressa légèrement sur son siège.

    — Qui as-tu affecté à cette âme ?

    — Menadel l’a réclamée.

    — Est-ce sage ?

    — Je suis persuadée qu’il sera très dévoué.

    — Je n’ai aucun doute sur sa dévotion. Cependant, je me demande s’il saura s’incliner devant la liberté humaine…

    Nith-Haiah baissa légèrement le regard et afficha un demi-sourire.

    — Menadel, s’incliner devant quoi que ce soit ? Ce serait certes une première ! rétorqua-t-elle.

    — C’est peut-être mieux ainsi, qu’elle demeure sous bonne garde. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre une de ces âmes aux mains de l’ennemi maintenant. De toute façon, elle a déjà été attribuée ?

    — Il a été… très persuasif.

    — Peut-être a-t-il besoin d’elle autant qu’elle a besoin de lui… Alors, qu’il en soit ainsi.

    Partie I

    La Terre

    chapitre 1

    Une mauvaise journée

    Amélia sortit sans un mot de la voiture de Nathan. Elle monta sans se retourner les escaliers qui menaient au petit studio au-dessus de la pâtisserie de sa tant e.

    Nathan et Lukas avaient respecté son silence en la ramenant chez elle. La jeune femme aurait d’ailleurs été bien incapable de tenir une conversation. Tout son être était engourdi, se refusant à revivre les événements de la nuit qui s’achevait.

    Elle entra chez elle comme une automate et se versa un verre de whisky sans aucun autre artifice, ce qu’elle faisait rarement, car elle détestait le goût puissant du spiritueux. La jeune femme vida son verre d’un seul trait, grimaça et se resservit.

    La gorge brûlante, elle sauta dans la douche. Encore. Elle frotta son corps vigoureusement, comme si le sang et les excréments lui collaient toujours à la peau. Puis le moment vint où il n’y eut plus rien à laver ; les souvenirs ne partaient pas au lavage. Elle sortit, enfila son peignoir et se laissa tomber sur le sofa, son troisième verre à la main.

    Elle aurait encore pu repousser l’échéance, allumer la télévision pour distraire son esprit souffrant, mais elle comprit qu’elle devrait faire face, tôt ou tard, au déluge d’images et de douleur qui s’abattrait sur elle. Alors, elle capitula.

    n

    Quelques heures plus tôt…

    Comme toujours, Amélia Collins commença sa journée très tôt en ce jeudi de novembre froid et pluvieux. La modeste pâtisserie artisanale de Mirabel, Aux Divins Délices, était fort achalandée en cette période d’avant Noël. Sa première bourde fut de renverser par terre un plateau complet de cupcakes au chocolat, des petits gâteaux sans gluten à préparer pour l’après-midi. Après quelques gros mots bien sentis à voix basse, elle se remit aux fourneaux.

    Ensuite, le batteur sur socle rendit l’âme. Nouveaux jurons… Plus tard dans la journée, elle dut affronter la colère de la cliente aux cupcakes, bien qu’elle ait pris soin de l’aviser du délai par téléphone. La dame exigeait un rabais pour le retard qu’elle avait subi. La jeune pâtissière eut envie de jeter un sort à la vieille bique pour qu’elle s’étouffe avec ses maudits gâteaux !

    Ce n’est pas qu’Amélia était une sorcière ; elle détestait ce mot. Simplement, en lisant beaucoup durant son adolescence, après la mort de sa mère, elle était tombée sur des ouvrages… éclairants. Elle avait retenu quelques sortilèges, certains bons et d’autres moins sympathiques. Jusqu’à ce qu’elle apprenne à utiliser la force vitale — elle n’aurait pas su comment décrire ce pouvoir —, la sienne et, plus tard, celle des autres. Adieu les chandelles, les encens et les formules compliquées !

    Toutefois, elle constatait aujourd’hui qu’elle avait vampirisé les gens, s’appropriant quelque chose qui leur appartenait et qu’elle n’avait pas le droit d’utiliser sans leur permission. Mais quelle ivresse c’était d’être investie d’autant de puissance ! Les événements se mettaient en place comme par magie ; elle se trouvait toujours au bon endroit, au bon moment. Elle se sentait belle, populaire, et on recherchait sa compagnie. L’adolescente d’alors, avec beaucoup de naïveté, avait ressenti cette invincibilité, comme si elle se distinguait de la masse, comme si elle était bénie ! Elle avait appris à s’entourer de gens à la personnalité vibratoire élevée afin d’augmenter son propre niveau énergétique.

    Jusqu’à ce jour de juin où l’accident s’était produit. La jeune Amélia s’était mise en colère contre son professeur de latin — une chipie qui semblait immunisée contre son charme — parce qu’elle lui avait collé une retenue. Par inadvertance, et sans y toucher, l’adolescente avait mis feu à son bureau. Toute la classe avait été témoin de l’incident, et les ragots avaient commencé. « Sorcière, freak », murmurait-on dans les corridors. Elle s’était soudainement retrouvée ostracisée. Le malheureux épisode avait été comme une douche froide pour Amélia, mais avec le recul, elle comprenait maintenant qu’il s’agissait sans doute de la meilleure chose qui lui soit arrivée.

    L’année suivante, elle s’était liée d’amitié avec Ophélie Grenier, qui l’aimait pour qui elle était, tout simplement. Aujourd’hui, la magie continuait d’attirer et de séduire la petite rouquine, mais elle ne la pratiquait presque plus. Elle faisait même amende honorable en s’impliquant ici et là dans sa communauté. Elle renonça donc à son idée d’ensorceler la vieille chouette aux cupcakes et se contenta d’égrener un chapelet d’insultes silencieuses.

    Amélia dut ensuite aller s’approvisionner en margarine blanche à Montréal ; le livreur avait eu une panne, et elles avaient besoin de margarine blanche « là, tout de suite » pour terminer la préparation de glaçage d’un gâteau de bachelorette. Elles ne voulaient pas y passer la nuit, et le cours d’aikibudo d’Amy était prévu ce soir-là. Depuis cinq ans, cet art martial tenait lieu de rituel hebdomadaire sacré pour elle. Cette discipline correspondait bien à sa personnalité : le meilleur moyen de ne pas recevoir un coup, c’est encore de ne pas être devant quand il survient.

    Puis, le pire arriva avec un coup de téléphone de Nathan.

    — Amy, maître Lavigne, il faut y aller ce soir.

    — Pas question, rétorqua-t-elle. J’ai mon cours aujourd’hui.

    — Je sais, mais il en peut plus. Il a peur de ce qu’il pourrait faire si jamais… commença Nathan. Impossible d’endurer une seule nuit de plus dans son état. Il va nous rejoindre au refuge.

    — Nate, c’est un mauvais moment ! J’ai besoin de ma soirée. Enfin quoi ! Ça fait plus d’un mois que ça dure, et là, maintenant, il ne peut pas attendre une seule journée ?

    — Le type est dans un sale état, tu devrais le voir… Il se souvient pas de sa dernière vraie nuit de sommeil ou de la dernière fois où il a mangé un vrai repas, insista le jeune homme.

    Amy poussa un soupir de résignation ; le devoir l’appelait.

    — OK, mais c’est la dernière fois que je rate mon cours. On se rejoint au refuge vers 19 h. J’avertis Ophélie. Nate, ça va aller ? Tu es prêt comme ça, à la dernière minute ?

    — T’inquiète pas pour moi, princesse ; je suis toujours d’attaque, tu le sais bien.

    — D’accord, à ce soir.

    Amélia expliqua la situation à sa tante pour ensuite parler avec son amie au téléphone.

    — Félie, c’est pour aujourd’hui, prépare-toi. J’ai la désagréable impression qu’il ne sera pas rigolo, celui-là.

    — Zut, je ne suis pas prête !

    — Moi non plus ; ça ne m’arrive pas souvent, mais j’ai envie d’assassiner quelqu’un…

    La nuit s’annonçait longue…

    n

    Ophélie Grenier passa prendre Amélia vers 18 h pour se rendre directement au refuge. La grande brune avait été une vraie bénédiction pour Amy lorsque cette dernière avait perdu son père quelques années auparavant. Elle logeait dans un petit appartement à Montréal et suivait un stage comme technicienne en biochimie. Sa vie amoureuse se résumait à une suite de hauts et de bas avec son chef de département… marié à une autre femme.

    Amélia n’aimait pas du tout l’idée d’avoir raté sa confession au père Bruno avant le combat, mais le temps leur avait manqué. Le refuge, un petit chalet qui appartenait à un de leurs amis, Lukas Douville, n’était en fait qu’une vieille cabane de pêche qu’il avait un peu agrandie et rénovée. Il y avait installé un générateur et un puits artésien. Le lieu, un peu au nord de l’Estérel, était perdu en forêt à 20 minutes en voiture de toute civilisation. La terre appartenait au père de Lukas, qui possédait d’ailleurs un joli chalet à l’Estérel.

    Élancé, châtain, plein d’entrain et soucieux de son image, Lukas venait d’une famille aisée. Un grand cœur et une tête solide complétaient le portrait. Il avait longtemps poursuivi Amy de ses attentions, en vain. Il s’était fait une raison, et s’il la draguait encore à l’occasion, c’était plutôt en blague que par désir réel.

    Quant à Amélia — rouquine, 19 ans —, elle avait eu la chance d’aller vivre chez sa tante Simone après la mort de son père. Cela lui avait épargné d’entrer dans le système. La mère de la jeune femme était décédée à la suite d’un long combat contre le cancer lorsque cette dernière n’avait que 12 ans. Son père avait suivi quatre ans plus tard, victime d’un accident de chasse. Enfant, elle avait également perdu sa petite sœur Megan à cause d’une méningite. Comme toute sa famille élargie — qu’elle connaissait à peine — demeurait en Écosse, elle avait été très heureuse de pouvoir demeurer au Québec avec Simone. Après la perte de ses parents, la jeune femme avait terminé son cégep en psychologie et décidé de prendre une année sabbatique avant de s’inscrire à l’université.

    Elle avait donc commencé à travailler pour sa tante à la pâtisserie et constaté que la confection de gâteaux lui plaisait. Cela rendait les gens heureux ! Elle s’impliquait aussi à la soupe populaire et donnait un coup de main au père Bruno Robert lorsque l’église organisait des événements spéciaux. Ces activités lui suffisaient pour l’instant, avec tous les tourments émotionnels qu’elle devait gérer.

    Malgré les épreuves qui avaient jalonné sa jeunesse, Amélia demeurait résolument positive. Quand ils n’étaient que tous les deux, Nate disait qu’elle brillait littéralement par sa foi — sa foi en Dieu d’une part, mais également en la vie, dans l’espoir inébranlable que les choses peuvent toujours s’améliorer.

    À l’opposé du spectre de tempérament, Nathan restait très secret sur ses activités et sur sa vie en général. Le ténébreux artiste travaillait dans un salon de tatouage. Doté d’un rare talent, ses dessins étaient sombres et effrayants, mais magnifiques. Il était élancé et beau garçon. Il avait le teint pâle et ses cheveux noirs lui tombaient constamment devant le visage. Son corps était orné de nombreux tatouages, et ses yeux affichaient parfois une dureté inquiétante. Une aura de mystère l’environnait, entre douceur et malice.

    Le jeune homme possédait des capacités singulières, supérieures à ses pairs. Les autres savaient qu’orphelin de mère — elle était décédée à sa naissance — et de père inconnu, il était passé par de nombreux foyers d’accueil où il avait vu et subi… un peu de tout. Taciturne, il avait pourtant réussi à charmer Amélia, qui s’était laissé séduire à quelques reprises, repoussant un peu les limites de leur amitié.

    Les quatre jeunes gens qui se rassemblèrent ce soir-là formaient un groupe pour le moins improbable. N’eût été leur aventure commune dans le stationnement lors d’une fête de l’ami d’un ami — les choses vont vite sur le Net —, ils ne se seraient probablement jamais parlé. Pourtant, ils comptaient les uns sur les autres, et leur loyauté était indiscutable.

    Les deux jeunes femmes arrivèrent enfin au refuge et constatèrent que les garçons les avaient précédées. Elles se hâtèrent dans la petite cabane afin d’échapper au froid mordant de novembre. À l’intérieur les attendaient Lukas, Nathan et maître Quentin Lavigne.

    L’homme dans la cinquantaine était un ancien associé du père d’Amélia. Quentin Lavigne et Julien Collins étaient avocats en droit criminel. Ils travaillaient souvent pour certaines bandes de motards, au grand désespoir de la jeune Amy, qui désapprouvait les activités professionnelles de son père. Ils se saluèrent, puis le criminaliste s’adressa à elle :

    — Quel heureux hasard que je sois justement venu chez le père Robert pour mon… problème. Je suis content de te revoir Amélia ! dit-il en lui serrant la main un peu trop fort. La dernière fois, c’était au funérarium… Perdre ton père si jeune, quelle tristesse ! Tu as l’air bien, poursuivit-il. Tu resplendis, en fait !

    — Merci, Maître Lavigne, mais je vais avoir besoin de ma main maintenant.

    — Oh ! bien sûr, je suis désolé, fit l’homme, qui ne semblait en réalité pas désolé du tout.

    Se faire ainsi rappeler la mort de son père avait mis Amélia très mal à l’aise et elle passa à un cheveu de décommander la soirée. Cependant, puisqu’ils étaient tous rassemblés, elle s’était dit qu’il valait mieux en finir. De plus, Nathan avait dit vrai ; l’homme n’était plus que l’ombre de lui-même. Lorsqu’elle l’avait vu la dernière fois, c’était un solide gaillard au visage rond et à l’air très imbu de lui-même. Ce soir, pourtant, il devait peser 25 kilos de moins, des cernes bleus marquaient le contour de ses yeux, et une étincelle de folie brillait dans son regard. C’était peut-être dû au fait que ses pupilles semblaient complètement dilatées, donnant l’impression d’un iris entièrement noir — un signe courant de possession. Ses cheveux, autrefois bruns et bien coiffés, pendaient lamentablement sur sa tête devenue presque grise. Il portait un t-shirt, et sur ses bras, on pouvait voir plusieurs ecchymoses violacées.

    Malgré tout, Amélia avait beaucoup de mal à faire abstraction de la répulsion instinctive qu’elle ressentait à son endroit. L’avocat avait beau affecter des manières civilisées, elle se sentait personnellement visée par ses mauvais sentiments ; elle pouvait presque toucher la haine de l’homme, comme un mur qui la repoussait et contre lequel elle devait lutter constamment pour rester debout…

    Quentin Lavigne était allé consulter le père Robert, qui avait ensuite parlé de son cas avec les quatre jeunes gens. Le prêtre n’avait émis aucun doute sur l’affection de l’avocat : il était possédé. Il n’y aurait rien d’officiel dans les registres, et l’archevêché n’avait pas donné son aval. En fait, l’archevêque lui-même ne saurait rien de ce cas. Le père Bruno Robert avait vu les résultats que ces jeunes gens obtenaient ensemble, et il se disait que Dieu avait bien le droit d’emprunter les chemins qu’Il voulait, même si cela n’entrait pas dans le plan des hommes ! Il les aidait donc de son mieux et leur envoyait parfois certains cas, comme celui de ce soir, lui-même n’ayant ni la formation ni l’envie de devenir un exorciste.

    — Bon, si on s’y mettait ? proposa Nathan. Tout le monde est prêt ?

    Les autres participants murmurèrent leur assentiment. Lukas et Nathan installèrent ensuite Lavigne sur un siège au centre de la pièce pour lier ses poignets aux bras de la chaise avec une corde et entraver ses pieds. Devant la réticence de l’avocat, Nathan expliqua qu’un exorcisme durait parfois plus longtemps que prévu et qu’une personne possédée pouvait représenter un danger pour les officiants ; il ne s’agissait que d’une mesure préventive.

    Pendant ce temps, les filles terminèrent d’installer les instruments sur la table repoussée contre un mur. Elles y disposèrent une nappe blanche, les livres d’exorcisme — l’un validé en 1998 et une réédition du manuel de 1626 dont ils ne se servaient jamais —, un gallon d’eau bénite et une boîte en or renfermant le saint chrême. Elles sortirent également des cierges pascals, une dague cruciforme, un crucifix d’autel, de l’encens fait à base d’oliban, de bois de santal et de myrrhe, ainsi qu’un gros sac de sel. Tous les objets avaient été dûment bénis par le père Bruno. Elles passèrent à leur cou des croix de saint Benoît, des médailles sur lesquelles on pouvait lire entre autres l’inscription « vade retro satana, numquam suade mihi vana ». Elles constituaient leur plus précieuse protection contre la possession et les agressions démoniaques.

    Après quelques formules d’usage et les aspersions d’eau bénite, Nathan déclama enfin :

    — Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit…

    Durant la lecture du rituel, Amélia se concentra profondément. Se faire posséder par un démon restait une expérience atroce qu’on ne souhaiterait pas à son pire ennemi. Si maître Lavigne n’entrait pas dans ses bonnes grâces, il demeurait une victime digne de sa compassion. Elle s’efforça donc de trouver en elle l’amour et la pitié pour ce qui restait d’humain chez lui. Une tâche ardue, car elle n’avait jamais aimé l’avocat ; elle le trouvait narcissique et autosuffisant, et il contribuait à remettre les criminels en liberté. « Si un démon est entré en lui, c’est parce qu’il a ouvert une porte quelque part », se disait-elle. Malgré cela, la jeune femme se fit violence pour chasser son aversion et concentrer sa force sur Nathan, qui l’utiliserait pour exorciser définitivement le démon du corps de Quentin Lavigne.

    Nathan sauta, comme toujours, la partie faisant appel à l’archange Michel — « Quand on a besoin des anges, ils ne sont jamais là ! » affirmait-il. « Qu’ils aillent se faire foutre ! » Puis il passa directement à l’exorcisme en tant que tel.

    — Je te conjure, Satan, ennemi du salut des hommes…

    Maître Lavigne commença alors à respirer plus bruyamment, fermant ses poings et tirant sur les sangles qui le retenaient à la chaise.

    — Détachez-moi, les enfants. Je ne suis vraiment pas à l’aise comme ça ! supplia-t-il.

    Ils avaient tous l’habitude d’entendre les protestations des victimes, aussi Nathan continua-t-il sans broncher :

    — Quitte ce serviteur de Dieu…

    « Lui, un serviteur de Dieu, ça sonne faux ! » songea Amélia, qui pouvait sentir la haine du démon. L’homme gro­gnait maintenant, comme sous le coup de la douleur. Les lumières se mirent à vaciller dans la petite cabane avant de s’éteindre complètement. Rien d’inhabituel jusque-là.

    — Reconnais la puissance et la vertu de Jésus-Christ…

    Comme l’exorcisme s’achevait, les râles du démon — car c’était maintenant bien lui qui s’exprimait par la bouche de sa victime — devinrent des cris de désespoir.

    —… notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne pour les siècles des siècles. Amen.

    Nathan se tut, et les lumières se rallumèrent. La tête de Quentin Lavigne reposait sur sa poitrine ; il était en nage et respirait avec difficulté.

    Amélia se sentit complètement drainée, mais aussi quelque peu soulagée ; après le degré de haine qu’il avait exsudé, elle s’était attendue à des complications. Or, l’exorcisme était terminé, et maître Lavigne ne semblait pas blessé. Pourtant, elle percevait que quelque chose n’allait pas. Il régnait toujours une pulsation malsaine dans l’air… Quentin Lavigne aurait dû être complètement épuisé, sa force vitale réduite au minimum, mais il paraissait au contraire vibrer à un niveau indécent ! Ses doutes se confirmèrent lorsqu’elle consulta Nathan du regard.

    Le garçon avait des capacités psychiques supérieures aux siennes. Il pouvait utiliser l’énergie de ses amis pour accélérer le processus de l’exorcisme et chasser les démons hors du corps des victimes par la force de sa volonté. Il possédait également une grande faculté de persuasion. Nathan savait donc avec certitude si la libération avait été un succès. Ce qu’Amélia lut alors sur le visage du jeune homme ne la rassura aucunement. C’est à ce moment que la créature ayant pris possession de Quentin Lavigne commença à ricaner.

    Lukas et Ophélie relevèrent la tête, sortant de leur intense concentration. Ils semblaient confus tous les deux. Nathan prit la parole :

    — Qui es-tu, sale fils de pute ?

    — Oh ! déjà les familiarités ! Il est vrai que toi et moi, nous sommes en quelque sorte apparentés, mais je te trouve un peu rude pour une première rencontre, répondit la créature d’un ton mielleux.

    — Qu’est-ce qu’il raconte ? s’étonna Ophélie.

    — Ne parlementez pas avec le démon ! intervint Amélia.

    Celui qui possédait l’avocat se tourna alors vers elle.

    — Amélia Collins ! s’exclama-t-il tout sourire.

    La jeune femme garda le silence, sentant une boule se former dans son estomac. Elle n’aimait pas du tout l’idée qu’un démon — un qui résistât à un exorcisme de Nathan, qui plus est — l’appelle par son nom… Elle avait l’habitude que des êtres infernaux dévoilent leurs mauvais coups et leurs péchés au cours d’une libération. Lorsqu’ils comprenaient ce qui leur arrivait, les anges déchus paniquaient et s’en prenaient à toutes les personnes présentes pour les déconcentrer. Toutefois, celui-là ne semblait pas du tout effrayé ; il avait plutôt l’air de s’amuser, ce qui ne pouvait rien présager de bon…

    — Je te l’ai dit plus tôt, poursuivi la créature en s’adressant toujours à la jeune femme, mais je ne crois pas que tu m’aies écouté. Tu resplendis de lumière, ça en crève presque les yeux. N’est-ce pas, Nathan ?

    — Nate, qu’est-ce qu’il veut dire ? lui demanda-t-elle.

    — Laisse-le faire, Amy.

    — Ta force intérieure, Amélia, continua le démon, ta foi, ton espérance ; tu illumines la pièce ! Les autres ne sont là que pour faire joli, des bibelots. Ta seule puissance serait amplement suffisante pour que ton ami nephel puisse renvoyer presque n’importe lequel d’entre nous en enfer, lança-t-il en désignant Nathan. Presque tous. Mais pas moi, évidemment.

    Amélia était perplexe. « Nathan, un nephel ? C’est ridicule », se braqua-t-elle. « De telles choses n’existent pas ! » Le démon poursuivit encore :

    — On entend des murmures entre les mondes, je suis venu vérifier par moi-même. Il est vrai que tu possèdes une grande force, mais je crois qu’il convient de te remettre un peu à ta place, de t’enseigner l’humilité !

    Il effectua un mouvement de sa main droite pour la refermer en direction d’Amélia. Cette dernière ressentit une violente douleur au ventre qui lui arracha un cri. Elle perdit momentanément tout contrôle sur son corps, tombant à genoux. Avec consternation, se rendit compte qu’elle était en train de relâcher le contenu de ses intestins dans ses pantalons.

    — Mais comment il peut faire ça ? parvint-elle à articuler.

    Nathan intervint alors :

    — Qui es-tu ? Par le pouvoir du Christ, réponds-moi !

    Le démon grimaça avant de rétorquer :

    — Ne parle pas de choses que tu ne connais pas. Tu sais bien que tes pouvoirs à toi ne viennent pas de ce côté-là !

    Nathan se concentra de toutes ses forces. « Merde, ce chien de démon a réussi ; j’ai complètement perdu Amy ! » Puis il tenta de frapper mentalement l’entité infernale avec sa question :

    Qui es-tu ?

    La créature accusa finalement le coup.

    — Je m’appelle Bélial, et je suis venu pour elle, céda-t-il en pointant Amélia.

    Nathan blêmit visiblement avant de s’adresser à ses amis :

    — OK, ça suffit. On passe en mode préconcile.

    — Quoi ? s’étonna Lukas. Mais on n’a jamais…

    — Luke, travaille avec moi, le coupa Nathan. Le démon ment, Ophélie et toi comptez autant qu’Amy dans la cérémonie. Et j’ai besoin de vous maintenant ! Putain, Amy, ressaisis-toi ! Me laisse pas tomber !

    Les quatre amis n’avaient jamais tenté l’ancien rite, mais il se révélait, selon les exorcistes du Vatican, drastiquement plus efficace que le nouveau rituel modifié en 1990. Lukas se secoua avant d’aller chercher le sac de sel, avec lequel il traça une ligne par terre, autour du démon ; dorénavant, plus personne ne pensait à lui comme à Quentin Lavigne. Ophélie prit un verre et le remplit d’eau bénite avant d’y verser une quantité généreuse de sel.

    Amélia restait clouée sur place, tentant de se secouer de l’horreur qu’elle était en train de vivre. Elle se releva péniblement, très mal dans sa peau et ses vêtements souillés qui empestaient.

    Nathan saisit le saint chrême et commença à tracer des croix sur le visage de l’avocat. Ce dernier se mit à grimacer en tentant de se soustraire à Nathan sous le coup de la douleur, mais Bélial, puisque tel était son nom, continua de ricaner.

    — Vous êtes mignons, les enfants ! Mais cela ne fonctionnera pas non plus. Je ne partirai pas avant de l’avoir complètement détruite.

    — Pourquoi ? souffla alors Amélia.

    — Parce que je ne t’aime pas, rétorqua le démon, fielleux. Parce que tu as renvoyé certains de mes subordonnés en enfer. Parce que tu as tué ton père, qui était précieux pour moi. Parce que tu brilles trop fort et parce que ça me fait plaisir, voilà pourquoi ! Ah ! et aussi parce que tu empestes, comme la merde que tu es.

    — Ne parle pas au démon, Amy ! intervint Nathan avec toute l’autorité dont il pouvait faire preuve.

    — Je n’ai pas tué mon père ! hurla la jeune femme avec désespoir. C’était un accident !

    Nathan se dirigea vers elle pour la secouer par les épaules.

    — Tu joues son jeu ! Arrête ! On tirera ça au clair plus tard. J’ai besoin que tu me soutiennes ! Félie, fais-lui boire le verre, poursuivit-il à l’adresse de l’autre jeune femme tout en se dirigeant vers l’autel pour changer de manuel.

    Ophélie s’approcha pour verser la mixture sacrée dans la bouche de l’homme… qui la lui recracha au visage. Un peu effrayée et ne sachant comment faire avaler l’eau bénite au démon, elle ôta alors la croix de saint Benoît de son cou pour la poser directement sur le front de la créature. Elle comptait provoquer une réaction de douleur afin que l’entité mal­veillante ouvre la bouche et qu’elle puisse y verser l’eau bénite.

    — Non, Félie, ne fais pas ça ! cria Lukas en la voyant faire.

    Ophélie se trouvait désormais à l’intérieur du cercle de sel qui devait contenir le démon, sans aucune protection. Elle croisa son regard, et ce fut la dernière chose dont elle se souviendrait.

    Pendant ce temps, Nathan se remit à lire :

    Exsúrgat Deus et dissipéntur inimíci ejus

    Ophélie se dirigea lentement vers Amélia.

    Exorcizamus te, omnis immunde spiritus…

    — Qu’est-ce que tu fais, Félie ? demanda la rouquine.

    Ergo, drago maledicte et omnis légio diabòlica…

    Ophélie s’approcha de son amie pour la saisir à la gorge. Lukas s’avança vers elles en criant :

    — Elle est sous son influence !

    Il tenta ensuite de retenir Ophélie par les épaules, mais celle-ci se tourna vivement et, avec une force surhumaine, l’envoya valser dans les airs jusqu’au mur, qu’il heurta violemment.

    Deus coeli, Deus terrare, Deus angelorum… poursuivait Nathan de toutes ses forces.

    Il était maintenant seul face au démon. Amélia, totalement déconcentrée par la douleur et les excréments, se débattait comme elle le pouvait contre Ophélie, qui ne faisait pas mine de faiblir. Lukas comprit alors que l’unique façon d’empêcher Ophélie de faire du mal à Amélia était de neutraliser Bélial. Il alla donc chercher le gallon d’eau bénite pour en asperger copieusement l’homme immobilisé sur la chaise. Il y eut un bruit de grésillement, comme si sa chair cuisait, et Bélial poussa un véritable cri de douleur cette fois. Les lumières recommencèrent à vaciller.

    Enfin, Amélia parvint à se défaire de la prise d’Ophélie et tenta de l’immobiliser au sol, comme elle l’avait pratiqué tant de fois en aikibudo.

    —… cujus regni non erit finis…

    Ophélie se dégagea. Amy se sauva en direction de l’autel sur lequel se trouvaient les instruments leur permettant d’officier l’exorcisme ; elle vit la dague et s’en empara. Ophélie se jeta à nouveau sur elle, la précipitant au sol. L’arme à la main, Amélia essaya d’atteindre son amie sans trop la blesser, mais cette dernière serrait sa gorge de plus en plus, insensible à la douleur. La petite rouquine commença à paniquer tandis que sa vision s’obscurcissait. Lukas tenta quant à lui d’envoyer toute son énergie vers Nathan, qui continuait d’officier.

    Amélia sentait qu’elle perdait la partie, alors dans un ultime effort qui relevait de l’instinct de survie, elle planta la dague. Une fois. Ophélie ne lâchait pas prise. Elle frappa de nouveau, sans plus de succès. Enfin, elle atteignit son amie à la gorge, recevant un flot de sang tiède sur son visage et dans sa bouche.

    Per Christum Dominum nostrum. Amen, acheva Nathan.

    Le corps de Quentin Lavigne fut agité d’un spasme effroyable, et il poussa un dernier cri de rage :

    — Amélia Collins, je te damnerai, toi et tous ceux que tu aimes !

    Puis il s’immobilisa complètement.

    Ophélie tomba lourdement sur Amélia, inanimée.

    n

    Les genoux remontés contre elle, Amy sentait les larmes rouler sur son visage. Elle vida son verre de whisky puis le lança violemment contre le mur, où il se fracassa. Elle avait encore le souvenir confus de constater la mort d’Ophélie et de maître Lavigne. Des garçons qui discutaient de disposer des cadavres. D’elle qui prenait une douche au refuge et revêtait les habits trop grands de Lukas. Les pensées se bousculaient dans son esprit. S’être fait humilier devant ses amis, la haine du démon à son égard, le meurtre d’Ophélie. Avoir peut-être tué son père…

    Les enquêteurs avaient dit qu’une pièce s’était coincée et que l’arme de chasse avait explosé au visage de Julien Collins. Qu’il avait dû se tromper en la remontant — un accident bête. Or, ce qu’elle n’avait jamais révélé à qui que ce soit, c’est qu’elle avait nettoyé les armes que Julien Collins comptait utiliser lors de son week-end de chasse. Bélial avait réussi à insinuer le doute dans son cœur quant à sa responsabilité.

    Bien sûr qu’elle lui en voulait, elle détestait le travail qu’il faisait ! Mais Julien Collins restait son père, et elle l’aimait ! Elle n’aurait jamais rien fait pour le blesser, même incons­ciemment. Pourtant, le démon avait dit qu’elle l’avait tué…

    Et Ophélie, elle avait des parents et un petit frère qu’Amélia connaissait bien. Comment pourrait-elle les regarder dans les yeux à présent ? Elle ne méritait pas de vivre. Elle s’était laissé atteindre et ébranler par le démon, elle était tombée dans le piège comme une débutante. Elle avait abandonné Nathan, et l’avocat était mort. Elle avait assassiné Ophélie.

    La jeune femme sentait que quelque chose s’était brisé en elle. Une fissure s’était ouverte avec le premier coup porté à son amie et s’était agrandie avec chaque autre frappe de la dague sacrée. Tout son être s’était finalement écroulé lors­qu’elle avait compris que Félie était morte de sa main. Elle ne parvenait même pas à amoindrir sa culpabilité en se disant qu’elle n’avait fait que défendre sa propre vie. Amélia n’aurait eu qu’à tenir quelques secondes de plus, le temps que Nathan et Lukas viennent à bout du démon… La douleur était insupportable ; la jeune femme se sentait écrasée par le poids de la culpabilité et de la honte. Sa lumière s’était éteinte, peu importe ce que cela voulait dire. Bélial avait réussi à instiller la peur et le désespoir dans son cœur.

    « Je vais me damner si je continue à vivre… » Peut-être était-ce l’action du whisky sur son cerveau souffrant ou bien la haine de Bélial qui la poursuivait encore, mais pour la première fois de sa vie, une porte qu’elle avait ignorée jusque-là s’ouvrit dans son esprit. Malgré les embûches, Amy avait toujours su que la vie venait reprendre ses droits. Or, cette fois, elle entrevit une échappatoire pour faire taire la douleur, pour expier ses fautes, pour fuir. Une solution finale.

    Elle se résolut à en finir avant de perdre complètement son âme aux mains de Bélial. Elle se leva avec peine et se dirigea vers sa chambre. Dans sa commode se trouvait un petit revolver Smith & Wesson de calibre .38, hérité de son père. Toujours en peignoir, elle le déposa sur son lit et revêtit un jeans et un chandail chaud. Elle attrapa son manteau et son sac à main avant de revenir chercher l’arme et une seule balle.

    Si elle devait mourir, ce ne serait pas dans le studio de sa tante. Elle avait provoqué assez de dégâts comme ça ; inutile de traumatiser en plus la douce Simone qui avait été si bonne avec elle. Amy refusait de lui imposer la découverte de son cadavre et toute la saloperie de cervelle et de sang sur les murs. « Je suis un monstre, je ne suis qu’une merde, le démon a raison… »

    En entrant dans la voiture, la jeune femme sentit presque la paralysie la gagner. Elle fit quand même route vers la rivière du Nord, située à quelques minutes seulement de chez elle. Le ciel commençait à se colorer de rose après la nuit si noire. Amélia connaissait un endroit tranquille en amont du parc où elle était allée faire du kayak quelques années auparavant, dans une autre vie, semblait-il, tellement ces instants de bonheur paraissaient lointains. Une vie où les démons se contentaient de faire frissonner les humains dans les séries télé.

    Le trajet passa vite. Trop vite. Elle se gara le long de la route et descendit sans hâte un minuscule sentier qui menait à la rivière. En entrant dans l’eau, le froid la mordit instantanément, lui donnant des crampes dans les pieds. Bien que le niveau de l’eau fût bas, Amy eut du mal à avancer en raison de la force du courant. « La rivière ne veut pas de moi ; elle ne veut pas que je meure ici », se dit-elle dans un sursaut d’espérance.

    Le visage sans vie d’Ophélie revint la hanter. La douleur gronda comme un feu dans sa poitrine, et son mince espoir disparut. Elle entendit les paroles du démon qui la menaçait de s’attaquer à son âme et, pire encore, à tous ceux qu’elle aimait…

    En tremblant, elle sortit le Smith & Wesson de sa poche, inséra la balle dans le chargeur et embrassa le canon. « Papa, Ophélie, Monsieur Lavigne, pardonnez-moi. » Sa profonde inspiration se brisa en un sanglot désespéré. Amélia arma le chien et mit le doigt sur la gâchette.

    — Sais-tu ce qui arrive aux âmes des suicidés, Amélia ? clama alors une voix.

    n

    Pendant ce temps, en enfer…

    — Tu es déjà de retour, Bélial ? Et seul…

    La voix de celui qui avait parlé était calme et harmonieuse, mais le reproche n’en restait pas moins terrifiant.

    — Ce n’est qu’un contretemps, seigneur. Le nephel est plus fort que je le croyais.

    — Sait-on qui est le père de ce garçon ?

    — Non, mais ça n’a aucune importance. Il m’a surpris, c’est tout. Je ferai mieux la prochaine fois. Je réussirai.

    — Je l’espère pour toi… Je la veux ici par n’importe quel moyen, Bélial. Tu m’entends ?

    — Bien sûr, seigneur ! Je ne te décevrai pas. Mais tu crois vraiment qu’il va venir la chercher jusqu’ici ?

    — Je connais mon frère mieux que lui-même. Va-t’en, maintenant. Et réussis. Sinon, je te livrerai moi-même aux anges, en Amazonie.

    Sans répondre, Bélial déglutit, s’inclina profondément et tourna les talons. Il l’avait échappé belle ! Il se demandait encore comment il avait pu commettre une telle erreur. Il devait mieux planifier la prochaine fois… Il secoua la tête et s’élança en heurtant quelqu’un au passage.

    — Regarde où tu vas, sale rat !

    — Antarès ! Quel plaisir de te voir ! Toujours aussi charmant…

    — Alors, il paraît que le grand roi Bélial s’est fait botter le cul par un simple nephel… se moqua le dénommé Antarès avec un demi-sourire.

    — Les informations circulent vite…

    — Je suis l’information, Bélial.

    — Alors laisse-moi t’en donner une de plus, cracha-t-il. Le morveux est déjà mort. Il ne le sait pas encore, c’est tout !

    Sur ces mots, il reprit son chemin. Après avoir parcouru quelques mètres, il se retourna et lança par-dessus son épaule :

    — Et ton petit frère aussi, c’est un homme mort !

    Antarès attendit que le démon disparaisse hors de sa vue, puis il revint sur ses pas. Il quitta le palais de Gehinnon et se dirigea vers le quartier des succubes, qui ressemblait en fait à un bidonville, tapissé de déchets et de substances innommables. Lorsqu’ils l’aperçurent, les succubes se dispersèrent et coururent se mettre à l’abri. Les plus hardis — ou ceux qui n’avaient pas eu le temps de s’enfuir — tombèrent à genoux, touchant le sol souillé de leur front. Antarès passa devant eux sans leur accorder le moindre regard. Il se rendit jusqu’au centre de ce bidonville, où ceux qui appartenaient à un maître avaient érigé des abris de fortune. Il entra dans un minuscule réduit fait de carcasses et d’os.

    — Clari ! appela-t-il à voix basse.

    Une seconde plus tard, une jeune fille apparut devant lui et s’inclina profondément.

    — Seigneur ?

    — As-tu de quoi écrire ?

    Le succube lui tendit une petite tablette métallique ; l’objet, d’une technologie hautement avancée, semblait incongru dans cet environnement, mais les succubes liés à des maîtres humains jouissaient d’une meilleure position que les autres. Antarès griffonna une formule sur la tablette et la rendit à la jeune fille.

    — Donne ceci à ton maître. Attends qu’il le demande, mais d’une façon ou d’une autre, cela doit lui parvenir. Bélial est furieux contre lui et a juré sa mort.

    Le succube lut ce qui était écrit puis opina de la tête.

    — Je protégerai mon maître au mieux de mes capacités, seigneur. Sois-en assuré.

    La jeune fille s’inclina à nouveau profondément devant Antarès, qui repartit d’où il était venu sans un regard en arrière.

    chapitre 2

    Aveux

    Amélia hoqueta de surprise. Elle était pourtant seule l a seconde d’avant. « Ça y est, je pète les plombs ! » pensa-t-elle. Elle se dépêcha d’enlever le canon de sa bouche, comme une enfant prise en faute.

    Quelques secondes lui furent nécessaires pour détailler l’inconnu. Ce qui la frappa en premier lieu était quelque chose d’invisible : l’immense pouvoir qu’il possédait. Même Nathan n’avait jamais atteint ce niveau de vibration ! De plus, il lui semblait étrangement familier, comme si elle le connaissait… Très grand, robuste, les cheveux ondulés d’un brun doré, les yeux noisette et une barbe de quelques jours… son âge restait impossible à deviner. Sa voix grave et chaude l’atteignait en plein cœur. Il émanait de lui une délicieuse odeur, comme l’air de la forêt et de la montagne. Il portait un long manteau de cuir foncé qui traînait dans l’eau. En dessous, Amélia pouvait apercevoir une chemise pâle et un jeans marine. L’homme était d’une beauté à couper le souffle ! « J’ai déjà rêvé de lui », se souvint-elle.

    Elle se secoua et tenta d’interpréter ce que ses oreilles avaient entendu, mais la surprise lui avait fait oublier ce que l’homme avait dit.

    — Quoi ? demanda-t-elle.

    « Bravo, championne ! Ça sonne vraiment intelligent… » se reprocha-t-elle. Or, la situation était déjà absurde de toute façon ! Elle-même se retrouvait au milieu d’une rivière glacée au petit matin avec une arme chargée à la main — dans sa bouche cinq secondes plus tôt —, et un homme inconnu mais familier et prodigieusement immobile, avait surgi de nulle part et s’adressait à elle par son nom…

    — Sais-tu ce qui arrive à ceux qui décident de rejeter le cadeau de la vie à la face du Père ?

    « Il ne va pas me donner des leçons de morale, quand même ! » pensa-t-elle.

    — Mais qui… qui êtes-vous ? bredouilla-t-elle, dépassée par la situation.

    — Les humains qui s’ôtent la vie subissent un sort singulier, poursuivit-il en ignorant sa question. Ils sont con­damnés à revivre en boucle les événements qui les ont menés au suicide. Ils traversent le désespoir et la douleur sans arrêt jusqu’au jour du jugement dernier. Ce n’est guère mieux que l’enfer. Le Père est particulièrement agacé par ceux qui refusent de voir l’inestimable cadeau qu’Il leur a accordé en leur donnant la vie.

    Amélia ne souffla mot. Comment pouvait-il savoir une telle chose ? Qui était cet étranger pour lui parler ainsi ? Des milliers de questions se bousculaient dans la tête de la jeune femme. De longues secondes s’écoulèrent en silence.

    — Mais que me voulez-vous ? articula-t-elle enfin.

    — Tu es ivre, et tu as froid. Nous devrions avoir cette conversation dans un autre lieu.

    L’homme s’approcha d’elle sans effort apparent pour lutter contre le courant et la toucha à l’épaule. Amélia amorça un mouvement de recul avec une seconde de retard — « Maudit whisky ! » se dit-elle — et buta contre la table de salon. Sa table de salon. Elle se rendit compte avec stupeur qu’elle était de retour dans son studio. « J’ai vraiment pété les plombs ! » pensa-t-elle.

    Soudain, le doute et la peur la gagnèrent ; c’était sûrement encore un tour de ce maudit Bélial ! C’était la seule explication.

    — Arrière, vassal de l’enfer ! Ne m’approche pas ! cracha-t-elle.

    L’homme ne broncha pas, mais l’ombre d’un sourire vint flotter sur ses lèvres.

    — Je ne suis pas un démon, Amélia.

    — Alors, qui êtes-vous, pour l’amour du Ciel ? cria-t-elle alarmée.

    L’étranger prononça son nom. La confusion la gagna ; elle lui demanda de répéter. Il s’exécuta. Elle entendait parfaitement au moment où il parlait, mais dès que sa voix se taisait, elle ne parvenait pas à se rappeler ce qu’il avait dit.

    — Je ne comprends rien ; qu’est-ce qui se passe ici ?

    Amélia était tout près de craquer. « Je deviens folle. Je veux juste mourir tranquille… » Le grand brun reprit :

    — Tu ne peux pas retenir mon véritable nom ; tu n’es qu’une humaine.

    — Et vous êtes quoi, alors, si vous n’êtes ni un démon ni un humain ?

    — Je suis un ange. Je suis responsable de toi. Vous nous appelez généralement des anges gardiens, bien que ce soit assez réducteur comme terme.

    Sa conscience mit beaucoup de temps à traiter l’information. C’était tellement insensé qu’il aurait aussi bien pu dire qu’il venait d’Alpha du Centaure ! Les oreilles de la jeune femme bourdonnaient. Les pensées tourbillonnaient dans sa tête à une vitesse si folle qu’elle ne parvenait pas à se concentrer sur une seule à la fois.

    Si elle doutait toujours de la nature angélique de son interlocuteur, elle savait au fond d’elle qu’il ne s’agissait pas d’un démon. Sans avoir les capacités de Nathan, elle avait pris l’habitude de repérer ces chiens de l’enfer quand elle les voyait, les signes étaient nombreux. Celui-ci ne diffusait aucune haine, aucun trouble ; sa présence se révélait assez rassurante, et il possédait effectivement une énergie trop grande et trop différente pour un humain. « Un ange ? » pensa-t-elle. « Est-ce possible ? »

    Après plusieurs secondes, son agitation s’apaisa, remplacée par la colère. Même s’il s’agissait de l’homme le plus remarquable qu’elle ait vu de sa vie, elle ne pouvait faire abstraction de la fureur qui s’installait en elle — qu’il soit un ange ou pas. Elle le fusilla du regard.

    — Dis-moi, où te cachais-tu hier soir ? siffla-t-elle.

    — Je n’avais pas le droit d’intervenir.

    — Mais tu peux m’empêcher de me suicider ?

    — Je ne le devrais pas non plus.

    — Alors, tant qu’à accomplir quelque chose d’interdit, pourquoi ne pas l’avoir fait six heures plus tôt ? Mon amie serait toujours en vie ! hurla-t-elle.

    Sous le coup du désespoir, le tutoiement avait remplacé le respectueux vouvoiement.

    — Je n’ai pas besoin qu’on protège ma vie, mais bien mon âme. Ophélie, elle, en avait besoin ! poursuivit-elle sur le même ton.

    — Ton âme n’est pas damnée — pas encore, expliqua l’ange avec patience. Tu as défendu ta vie.

    — J’ai tué mon amie. Et le démon a aussi dit que j’ai tué mon père ! Je ne peux pas vivre avec ça sur ma conscience.

    — Julien Collins est mort à son heure, selon le plan du Père. Tu ne cherchais pas à lui nuire ; tu n’as été que Son instrument.

    Le bourdonnement dans les oreilles de la jeune femme s’intensifia encore. Du coup, son affliction augmenta d’un cran.

    — Le plan ? rugit Amélia, la gorge irritée à force de crier. Est-ce que la mort d’Ophélie faisait aussi partie du plan ?

    — Non, le démon a outrepassé ses droits. C’est la raison qui m’a poussé à intervenir.

    La jeune femme baissa la tête, les joues en feu. « J’ai été manipulée pour tuer, par Dieu et par le diable ! » songea-

    t-elle.

    — Je suis un instrument de mort, alors… Raison de plus pour quitter cette vie dégueulasse où les démons ont des droits que les anges n’ont pas. Où était-il, le gardien d’Ophélie, quand je l’ai poignardée à trois reprises ?

    — Il a choisi, répondit-il avec une pointe d’amertume dans la voix. Amélia, ta douleur est profonde, je le comprends, continua-t-il plus doucement, mais le Père t’a offert un grand cadeau avec ta force intérieure et la beauté de ton âme, et je refuse que cette dernière soit souillée. Bélial te poursuivra sans relâche jusqu’à ce que tu sois totalement corrompue et que ta lumière soit éteinte — ou que tu aies traversé dans l’autre monde. Tu auras besoin de toutes tes forces pour lui résister. Mais tu dois garder la foi, tu peux y arriver ! Ton histoire ne doit pas s’arrêter ici, même si désormais, tout a changé…

    — L’exorcisme n’a pas fonctionné ?

    — Oui, vous avez réussi. Mais Bélial n’est pas n’importe qui. Il n’aura pas besoin d’attendre en file pour revenir sur Terre ; il sera de retour bientôt.

    — Dis-moi alors, pour quelle raison devrais-je rester en vie ? demanda-t-elle, la voix brisée.

    L’ange s’approcha et s’assit à côté d’elle. Il posa une main sur son bras. Contre toute attente, ce simple contact envoya des signaux très inconvenants au cerveau de la jeune femme.

    — En mettant fin à tes jours, tu entrerais dans son jeu, et il obtiendrait ce qu’il veut. Je suis ici pour protéger ton âme d’abord et ensuite, si possible, ta vie. Or, si tu tiens absolument à terminer ton voyage sur la Terre, je trouverai un moyen pour sauver bien plus que cela.

    Amélia ne comprenait plus rien. En fait, il y avait un moment qu’elle sentait que toute réalité lui échappait. « Sa main est posée sur mon bras… » Il poursuivit :

    — Pour l’instant, tu dois te reposer. Je reviendrai te voir très bientôt avec une proposition. Jure-moi seulement que tu n’attenteras pas à tes jours avant mon retour.

    Elle garda le silence.

    — Crois-tu que tes amis Lukas et Nathan ont vraiment besoin d’apprendre ta mort ?

    La jeune femme se sentit bête tout à coup ; elle n’y avait pas pensé ! Ophélie était aussi leur amie…

    — Ta douleur t’aveugle, poursuivit-il, et c’est compréhensible ; c’est humain. Mais d’autres souffrent également.

    Grâce à la fureur qu’elle avait éprouvée jusque-là, la jeune femme avait réussi à éloigner la charge émotionnelle qui menaçait de la submerger. Cependant, en se décentrant d’elle-même, elle sentit un raz-de-marée fissurer sa fragile digue.

    — Tu auras une solution ? demanda-t-elle enfin. Tu me promets que je pourrai mourir et garder mon âme ?

    — C’est promis.

    Amélia poussa un profond soupir.

    — OK.

    — Jure-le, la pria-t-il avec douceur.

    — Je jure de ne pas prendre ma vie volontairement.

    Puis elle s’effondra finalement, en larmes. Un serment était une chose qu’elle respectait encore. La plupart du temps. Cependant, elle venait ainsi d’éliminer le seul moyen qu’il lui restait pour échapper à sa douleur… et à Bélial. Elle se sentait dépossédée du contrôle sur sa vie, de sa liberté. Elle avait la désagréable impression de s’être trahie elle-même. Tenant toujours son bras, l’ange mit l’autre main sur sa nuque, et la jeune femme sombra immédiatement dans un profond sommeil.

    n

    Complètement nus dans la nuit de novembre, Lukas et Nathan tremblaient de froid comme des feuilles au vent devant le brasier qu’ils avaient allumé pour brûler leurs vêtements. La dernière chose dont ils avaient tous besoin, c’était la présence d’indices pouvant mener les policiers sur leurs traces.

    Plus tôt, Nathan avait « emprunté » une voiture, et les deux garçons étaient allés incinérer le corps d’Ophélie sur la Rive-Sud de Montréal, près du mont Saint-Bruno.

    Quant au cadavre de l’avocat, après l’avoir aussi passé à la rôtissoire, enlevant toute possibilité de le reconnaître, ils l’avaient balancé dans le fleuve Saint-Laurent. De retour au refuge, ils avaient nettoyé toute trace de lutte et de sang dans la petite cabane ; ils avaient été très minutieux. Il ne leur restait plus qu’à se débarrasser des vêtements dans les flammes. Heureusement, le générateur installé par Lukas leur fournirait de l’eau pour une douche salvatrice bien chaude !

    Lorsque le travail fut achevé, le soleil se levait. Nathan rompit le silence :

    — Je comprends pas ce qui s’est passé. C’est un vrai fils de chienne, celui-là.

    — Tu l’as renvoyé au sud, non ?

    — Je crois. Je sais pas. J’ai tout saboté…

    — Arrête Nate ! T’étais tout seul contre lui, tu ne peux pas t’en vouloir pour ce qui s’est passé ! dit Lukas en tentant d’encourager son ami. Il t’a traité de quoi, déjà ? De nephel ?

    Ils replongèrent quelques instants dans leurs pensées respectives. Finalement, Nathan se leva.

    — Le mieux est d’aller dormir. Il faudra qu’on reparle de tout ça, mais là, ça ne sert à rien. On est trop crevés.

    — C’est vrai ! lança Lukas en s’étirant et en bâillant à s’en décrocher la mâchoire. Penses-tu qu’Amy… ?

    Il laissa sa phrase en suspens. Nathan se retourna et le regarda, soucieux.

    — Je sais pas, man. Elle avait l’air vraiment mal. En me levant demain — non, tantôt —, la première chose que je vais faire, c’est l’appeler pour voir comment elle va.

    Nathan sortit du refuge, grimpa dans sa Mustang et roula vers Montréal. Quand il arriva chez lui, il se souvenait à peine du chemin parcouru tant il était fatigué. Une fois dans son appartement, il renonça à mettre de la musique et fila tout droit vers sa chambre. Une seule chose l’intéressait : s’écraser sur son lit et oublier. Il se fichait de l’avocat comme d’une guigne, mais la mort d’Ophélie l’avait ébranlé. Félie était une fille bien, et elle ne jugeait personne. Elle avait un bon sens de l’humour, et les

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