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AIFYSBÒK
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Livre électronique690 pages9 heures

AIFYSBÒK

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À propos de ce livre électronique

Cachées dans l’anonymat, de nombreuses créatures peuplent la terre. Leur espèce est malade. Pour les vampires, la reproduction est maintenant impossible. Les loups-garous perdent en longévité, et seules les nouvelles lunes et les pleines lunes leur permettent la transformation. Quant à la magie, elle est corrompue au sein des sorciers.

Sur une île enchantée et cachée de tous, Aipherly cherchera à fuir les siens pour vivre d’aventure et non d’agriculture. Investie de magie pure, elle attirera l’attention d’êtres surnaturels.

Mathias, à la fois jarl et strandhögg, part demander de l’aide pour sauver son village attaqué par des monstres. Cette aventure lui permettra de se rapprocher d’Aipherly, pour qui il voue un amour profond et passionné. Anthone, un vampire en marge de sa société, avait prédit le déclin des créatures.
Réveillé par une magie pure, il entreprend un long périple pour sauver les siens d’une lente extinction.
LangueFrançais
Date de sortie20 juil. 2018
ISBN9782897865320
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    Aperçu du livre

    AIFYSBÒK - Natasha Landry

    Prologue

    Lettre d’Aipherly

    « Cher amour,

    Je sais, le récit de ma vie est confus, mais je dois me libérer de ce fardeau pour nous permettre à tous deux de comprendre chacun de mes mauvais choix.

    J’ai pris mes précautions, cela dit, pour que toi seul puisses connaître la vérité.

    La répulsion que tu éprouves en ce moment est due à des charmes de confusion, d’oubli, puis d’invisibilité pour protéger ce livre. Et si, malgré cela, un jour, quelqu’un met la main sur mes confidences, il y a un autre sortilège d’illusion avant qu’il atterrisse directement dans mon Niflheim. Certains de ces événements peuvent être incriminants pour nous, mais, surtout, trop de gens ont déjà été témoins de nos malheurs.

    J’ai pu regrouper tous les éléments grâce à mes dons, et à ceux encore plus grandioses de notre fils, Leif. Ne lui en veux pas s’il se montre difficile envers nous.

    Alors, voilà comment tout a commencé pour moi…

    Avec tendresse, Aipherly »

    PARTIE 1

    NERTHUS

    PARCE QUE… PLUS GRAND CONTIENT MON CŒUR…

    Chapitre 1

    Amour révélé libéré

    La petite Valhöll, Suède, mai 1882

    Je ne profite pas vraiment de ce bel après-midi ensoleillé, car trop de tourments me taraudent l’esprit. Je suis choquée par ma matinée.

    La concentration propice à la chasse me fait défaut. Plus tôt, la marche en forêt ne m’a pas apaisée, et la baignade à la rivière n’aura pas été miraculeuse non plus.

    Immobile, arbalète en mains, je semble concentrée sur une proie. Pfff ! Les petits buissons devant s’agitent de plus en plus, et je ne me soucie guère de ce qu’il va en sortir. Je donne l’impression d’être l’une des statues de pierre que nous prions parfois ; banale, figée, et racontant une histoire dramatique.

    Mes longs cheveux blonds — et ternes — sont attachés en une interminable tresse épaisse qui pend toujours sur mon épaule. Mes yeux se démarquent parce qu’ils ne sont pas pareils. Le droit est gris pâle et change selon mes humeurs alors que l’autre est brun foncé. Sous le coup d’émotions intenses — comme en ce moment —, ils sont tous les deux couleur café. Je suis trop grande et trop maigre. Trop, si je me compare aux autres femmes du village. J’ai une poitrine généreuse, et peu de formes aux hanches. Je ne suis pas une beauté ; pourtant, je ne suis pas encore assez laide pour que Nathan me repousse.

    Nathan !

    Notre violente dispute de ce matin me hante. J’ai été plutôt immonde avec lui, et je ne sais plus si je dois en être fière. Je l’ai vraiment blessé, mais il me pardonne chaque fois.

    Il est grand et élancé et ses muscles sont parfaitement dessinés, là où il en faut. Il est très beau et a les traits angéliques. Sa peau est claire, raffinée, et ses yeux verts émettent beaucoup de chaleur. Ses cheveux blonds brillent sous le soleil et sont argentés sous le reflet de la lune. Il ne les attache pas et jamais ils ne sont emmêlés. J’en suis jalouse, bien sûr !

    Cependant, il est vaniteux et entêté. Toutes les femmes se pâment devant lui et lui vouent une adoration sans borne. Ce qui flatte son égo déjà surdimensionné. Il exprime sa reconnaissance en se montrant charmant envers toutes. Pathétique !

    Il est mon promis et je ne l’aime pas, voilà tout. Je le tolère tout juste comme un camarade !

    Et à qui dois-je cette punition ?

    Moi

    Lorsque j’étais gamine, avec mes pairs, j’exaspérais tout le village et nous avons tous été désunis. Mon père s’est empressé de me trouver un autre prétendant de valeur. Trev, mon jumeau, lui pourra choisir avec qui, et quand, il s’unira pour la vie. Si ça, ce n’est pas injuste ! Quoi qu’il en soit, je saigne tous les mois depuis quelques années et mon père refuse d’éloigner plus encore la cérémonie.

    Lisabet, ma grande soeur, a mis 15 ans à se développer un merveilleux corps de femme. C’est à ce moment que Boris a consenti à la fiancer. Ils forment un couple des plus dépareillés et s’aiment maintenant profondément. Je crains fort de ne jamais parvenir à cette relation de respect avec quiconque !

    Un frisson de dégoût et de culpabilité m’assaille à nouveau en repensant à mon promis.

    Ma demeure est mon petit héritage familial dont je ne peux plus me passer, et j’ai l’incroyable privilège d’y vivre seule. Accompagné de mon frère, Nathan était venu m’y chercher dans le matin brumeux et m’avait demandé de l’escorter dans le village pour nous exposer à tous. Je n’avais pas eu le choix.

    Sa tenue était soignée, au même titre que ses cheveux, et il avait apporté des fleurs. Comme toujours ! Ces efforts m’irritaient énormément.

    Sur un banc, il m’avait invité à le rejoindre. Il s’était rapproché un peu trop à mon goût et mon agacement avait été évident. Je m’étais énervée en constatant qu’il allait me chanter la sérénade au Central. Mais j’étais loin du compte…

    Il était un jeune homme de 17 ans maintenant. Et nous serions unis à la vetrnoetr, m’avait-il dit.

    Je panique encore à ce rappel !

    Il m’avait informé qu’il avait tout planifié ; de la couleur de ma robe de noces aux grands travaux de notre maison, bien que je n’ai toujours pas envisagé de la lui laisser en dot. Il avait décidé de tout, tout seul. Mon avenir ! Il avait également commencé à m’expliquer ce qu’il attendait de moi. Repas, famille, ménage.

    Je suis une femme, je sais toutes ces choses !

    J’avais haussé la voix. En fait, j’ai crié ; plus fort que nécessaire.

    Des enfants ! Il peut se les mettre là où je pense ! Monsieur a faim ! Qu’il aille voir sa mère ! Ma maison ? Qu’il l’oublie, je ne la lui cèderai jamais !

    Je n’avais pas été raisonnable, et maintenant je me sens — un peu — coupable. Bien sûr, les excuses ne font pas partie de mon vocabulaire, et j’anticipe l’heure où mon clan m’y soumettra. Je crois que mes futurs regrets publics entretiennent ma frustration.

    Nathan n’avait pas apprécié. Pas du tout ! (J’ai un rire forcé en me rappelant mes insultes.) Il a hurlé. Bien entendu, il aurait le dernier mot après notre union. Ce n’est pas très intelligent s’il veut s’attirer mes faveurs ! Certains des nôtres étaient passés près de nous et lui avaient témoigné des sourires compatissants, mais rien pour moi ! Ah oui ! de la condescendance.

    C’était plus que je ne pouvais en supporter ; j’ai fui.

    La fierté d’avoir planté Nathan là s’envolait au fur et à mesure que la journée avançait.

    Sur le territoire de chasse de Kharl, mon plus vieux et seul ami — le seul que je tolère en fait —, j’étire le temps avant d’affronter mes fautes.

    Au début de la matinée, il avait voulu me remonter le moral, j’étais alors intraitable. Il avait donc opté pour un silence boudeur. Ce sujet l’ennuie depuis quelques mois déjà, depuis qu’il est lui-même pressé de s’unir. Il ne me donne jamais plus raison. C’est parfois amusant, parfois, comme aujourd’hui, agaçant !

    Avant, il me comprenait. Maintenant, il me répète que c’est notre coutume, que oui, nous serons toujours des amis ! Que Nathan sera bon ! Et bla, bla, bla que je réponds chaque fois pour lui couper la parole.

    Si je me plains, ce n’est pas pour qu’il désapprouve, grands dieux ! Mais il avait persisté dans cette voie.

    Lui aussi m’agace, aujourd’hui. Me voilà donc peu disposée à chasser.

    • • •

    Appuyé sur un arbre, Kharl m’observe sans me voir. Avec ce sourire béat, il songe probablement à sa fiancée ! Il doit se dire qu’il est chanceux, que Dyrfinna attend la vetrnoetr avec le même enthousiasme que lui… Pouah !

    Il est légèrement plus grand que moi d’une demi-tête. Il me semble tellement plus imposant ! Son corps est à couper le souffle. Un coffre épais, des muscles bien ronds, un bassin invitant et taillé à la perfection, une peau basanée, dure et soyeuse.

    Enfin, de ce que je peux voir.

    Dans de meilleures dispositions, je laisse mon imagination glisser sur lui…

    Il a les cheveux bruns clairs et légèrement bouclés pour adoucir un visage carré aux traits forts. Je me demande souvent quels effets ses mèches auraient entre mes doigts. Il est assez bel homme. Pour moi, aucun autre ne lui arrive à la cheville.

    C’est lui qui avait été mon premier prétendant avant que nous ne fassions autant de bêtises. Vieille histoire. J’avais, semble-t-il, une trop mauvaise influence sur lui. Depuis ces écarts de conduite, absents de mes souvenirs de jeunesse, Dyrfinna est sa promise.

    À cause de la bienséance — et surtout d’elle —, on ne se témoigne plus que du respect devant tous. Mais enfin seuls, il est mon meilleur ami. Cela me convient ; nous sommes protégés des commérages, d’un chaperon, et des conséquences.

    Kharl ne s’en plaint pas. D’ailleurs, cela évite de faire du tort à sa future femme.

    Comme si j’allais m’attendrir pour elle !

    Elle est tellement différente de moi. Ce qui est bien ; Kharl aura la vie plus facile.

    Moi, je conteste tout ce qui ressemble à de la soumission pour le plaisir de contester ouvertement le règne tyrannique de notre jarl. Et je suis paresseuse. Quel homme y trouverait son compte ? Nathan ? Non, je ne crois pas !

    Kharl prétend que Nathan refusera de m’épouser si je n’arrête pas avec mes âneries. Pire, qu’un rejet me serait encore plus dévastateur.

    Grands dieux y fassent, je n’attends que ça !

    Ce que Kharl oublie, c’est que Nathan m’est totalement dévoué ! Jamais il n’oserait ! Quant à moi, il ferait mieux de se dépêcher… les mariages sont dans quelques lunes.

    Il semblerait que je sois trop ingrate et imbue pour apprécier les efforts de Nathan. L’imbécile, il perd son temps !

    Toute à mes réflexions, je vois le visage de Kharl se déformer. Oh, oh ! je connais cet air !

    Il est torturé comme chaque fois que nous parlons de l’étrange relation entre Dyrfinna et Arndis, sa meilleure amie. Une affection semblable à celle que j’éprouve pour lui. Quoi qu’il en soit, elle ne le mérite pas.

    Son petit numéro de charme me donne envie de vomir ! Comme il est inconvenant de le rejoindre la nuit ! Selon Kharl, leur jeu les calme, dans l’attente du grand jour.

    Mais que font-ils ?

    Ça, il ne me l’a jamais dit.

    Il m’a avoué qu’il la désirait. Cependant, il l’avait toujours repoussée gentiment après quelques gâteries.

    Pourquoi en est-il si éperdu ? Elle a les traits rudes, elle est menue et légèrement difforme suite à un accident, sans être un monstre non plus.

    C’est le bien-être qu’elle inspire qui la rend belle et pétillante. Ce dont je suis peu disposée à reconnaître devant lui !

    Comme ses soeurs, elle a les cheveux blond-roux, bouclés et épais, des yeux verts et rieurs. C’est une petite femme, et les hommes sont extrêmement protecteurs vis-à-vis d’elle. Kharl n’y échappe pas.

    Je suis forcée d’admettre qu’elle est aimable, serviable. Trop facile à aimer. Elle n’est pas paresseuse. Non, elle est plutôt dévouée à la communauté. Elle ne proteste jamais. Elle semble écouter et comprendre tout le monde. Elle est d’un positivisme sans pareil.

    Elle me tombe sur les nerfs !

    Kharl doute de sa pureté, pourtant. Elle le harcèle de moins en moins la nuit venue. Je sais à quoi il pense en ce moment. Connaissant mon opinion, il garde pour lui son conflit intérieur.

    Devrait-il révoquer cette union ? Non, il dit être trop vieux pour les dernières jeunesses du village.

    Peut-être la punir sévèrement ? Non plus. Jamais il ne lèverait la main sur qui que ce soit ; homme, femme, enfant. Ce n’est tout simplement pas son genre.

    Pourrait-il lui pardonner et porter le masque du déni ? C’est sûrement ce qui va arriver. Pour l’instant, ça lui réussit.

    Cependant, je crains que cela ne le rende fou. Je dois lui faire comprendre qu’elle est néfaste pour lui.

    Un léger mouvement sur sa droite le ramène ici avec moi, dans le temps présent.

    Un renard s’abreuve à une source, inconscient du danger qui le guette. Je l’ai vu sortir des fourrés il y a un petit moment, mais ce n’est plus lui ma proie, c’est l’homme tout près de moi.

    Kharl dresse son arc, puis le redescend. Il préfère me faire de grands signes peu discrets pour que je le vise. Je ne réagis pas.

    Il me le désigne, le pointant du doigt. Il pioche même du pied pour attirer mon attention. C’est lui que j’admire en réalité. Et je ne veux pas plus tuer cette belle bête que lui.

    Finalement, il glousse. J’ai ce pouvoir de lui redonner sa bonne humeur. Bien sûr à mes dépens ! Et je vis le retour de son affection pour moi. Franchement plus agréable.

    Une tendresse sans fin le submerge lorsque nous sommes ensemble. Chaque fois, j’en ai le souffle coupé, laissant un vide toujours plus grand dans mon coeur. Ce n’est pas son amitié que je désire !

    — Il n’aura pas de deuxième chance, se moque-t-il de moi.

    L’animal réalise enfin notre présence et s’éclipse.

    — Ne le loupe pas ! s’écrie-t-il, faussement pressé.

    Je préfère ne pas répondre. Ma voix dévoilerait mon malaise, car je suis trop éblouie par sa fière posture. Ses muscles tressautent sur de puissantes cuisses. J’en devine leur aisance à me porter… je dois me ressaisir.

    D’un balancement de la main, j’écarte toutes tentations.

    — Quand nous serons mariés, déglutis-je, que vais-je devenir ? M’emmèneras-tu chasser ? Me tolèreras-tu à tes côtés ? Non !

    Et voilà comment la colère ramène la voix. Mais j’ai encore la gorge nouée par son rejet et le désir que j’éprouve.

    Notre amitié, c’est tout ce que j’ai ; elle est plus que précieuse. Chaque fois que je l’admets, je suis anéantie par la vérité de le perdre. Depuis plus d’un an que je l’aime, et je souffre de son indifférence. Je lui témoigne trop d’affection, et lui reste froid à tous les signes.

    Dans cette histoire, il n’y a que mon âme qui est corrompue.

    — Tu sais que cela nous est interdit, grogne-t-il d’impatience. Et ne pense pas y aller seule !

    Normalement, j’aurais souri devant le défi. Maintenant, j’imagine Dyrfinna entre nous. Ça, c’est hors de question !

    Une fois de plus, je tremble de douleur. J’en suis arrivée à ne plus pouvoir lui dissimuler combien j’en suis chagrinée. Il s’en doute tout de même, je le vois dans ses malaises à me faire face.

    — Pourquoi en discutons-nous encore ? ajoute-t-il avant que j’intervienne. Nous ne sommes plus des enfants aujourd’hui.

    — Nous ne le serons jamais plus ! que je parviens à lui reprocher.

    C’est là qu’il s’emporte. Il grommèle des jurons et lance son arme dans les fourrés.

    Ma douleur, ou l’attachement que je lui voue, l’indispose. De plus, je l’agace avec mes pleurnicheries. L’automne passé, il avait même tenté de m’interdire son territoire, mais avait refusé que j’y vienne seule. Il me tolère tout juste parfois.

    Dans son charabia, il s’abstient de justifier les coutumes du village, car je les connais et je les méprise déjà.

    À quoi bon se répéter ? Je le rends fou avec mes lamentations ! Et la dispute continue ainsi…

    La colère enfle en lui. Son caractère se forge enfin. Il sera dominant, comme les autres hommes. Cela aura juste été plus long pour lui.

    Je le coupe dans sa diatribe pour moi aussi libérée de ma rage. Les yeux mouillés, je puise tout mon courage pour lui faire face et l’empêcher de m’embrouiller avec ces kyrielles de paysans dociles.

    — Je pars cette nuit pour ne jamais revenir. Jamais je n’épouserai cet imbécile. Ce n’est pas lui que j’aime. Pas lui !

    Je le regarde avec insistance. Au moins, je ne le supplie pas !

    En une enjambée, Kharl me rejoint. Il agrippe mes épaules et me secoue. Plus de doute, il est en colère.

    Je culpabilise en réalisant avoir poussé le bouchon un peu trop loin. Ç’aurait dû être une victoire, pourtant.

    Et aussi violemment que cela a commencé, il s’immobilise.

    — Tes amours sont des chimères. Fais-toi à l’idée d’épouser Nathan, cingle-t-il.

    Ah ! Nathan est encore entre nous !

    — Des chimères ? protesté-je.

    — Tu ne l’aimes peut-être pas, mais Nathan est réel ! Il est ce que tu peux avoir de mieux !

    Il est ce que tu peux avoir de mieux !

    C’est bien ce qu’il m’a dit ? Que c’est douloureux ! Ne pourrait-il pas se taire ? Je regrette maintenant de connaître le fond de sa pensée.

    — Grands dieux, Kharl. Je ne peux pas lui faire de faux espoirs !

    Il ne relève pas, car nos mariages sont, et seront toujours dans l’intérêt de la communauté.

    — Et où iras-tu ? lâche-t-il entre les dents.

    Quoi qu’il ait cessé de me secouer, il serre fort mes bras. Il respire profondément avant de diminuer la pression. Jamais il n’a été agressif ; il faut croire que là, il en a plus qu’assez. Ou bien est-ce mon évasion qui l’ébranle ? Je le souhaite tellement !

    — C’est ici chez toi, Aify ! Tu dois accepter Nathan, il est parfait pour toi.

    Ou peut-être pas !

    Cette pensée semble le traverser, expliquant les traits soudainement crispés de son visage.

    Je pleure, et malgré cela, il en rajoute. Il lui faut le dernier mot. Comme toujours !

    — Tu lui obéiras, comme il se doit ! Fais-toi une raison.

    Sa voix devient sinistre. Il y a une longue pose, puis je hoquète lorsqu’il enchaîne.

    — Tu apprécieras.

    Vient-il vraiment de cautionner mon viol ? Je crois qu’il le comprend lui aussi, car il ferme les yeux avant de les rouvrir subitement.

    — Je suis envahi d’images de Nathan qui te domine, murmure-t-il tristement. Je t’imagine te débattre.

    J’ai ces mêmes images alors que les sanglots inondent mes joues. Tout ceci est affreux. Mon avenir ici est peu reluisant. Pourquoi y resterais-je ?

    Il a un air coupable. Du pouce, il essuie mes larmes jusqu’à effleurer mes lèvres.

    « Embrasse-moi maintenant ! » que j’aimerais lui dire. À quoi bon ? Cela le mettrait en colère.

    Il serait si facile de m’excuser de le torturer ainsi. Sauf que, je ne peux accepter ce qui m’attend.

    — Je n’ai pas de sentiment pour lui, Kharl ! J’avais espéré… que tu me suivrais.

    Bouleversée, je ne parviens pas à retenir une seconde vague de larmes. Ce qu’il a changé, maintenant que la Festarmàl est proche.

    Mes genoux flanchent, et Kharl me maintient toujours aussi solidement. J’appuie mon front sur son torse, lui cachant la chute de mes pleurs.

    Son corps devient moins rigide, comme s’il lâchait enfin prise. Il pose une main sur ma nuque et me révèle d’une voix rauque, mais plus pour lui-même.

    — J’espérais réussir à calmer la tempête que ces mariages éveillent en moi, qu’il grimace. Taire mon coeur qui s’affole à tes sourires ou quand tu ris de mes fantaisies. Je souhaitais vraiment que cela finisse par me passer, mais je suis fatigué de nier mon besoin de toi.

    Ébahie, je ne peux croire ce que j’entends. Moi qui pensais que c’était sans espoir ! Je recule pour le regarder avec intensité tout en gardant le silence, encourageant ses confidences.

    — Je suis embarrassé chaque fois que tu es affectueuse ou que tu glisses ta main dans la mienne. Même si je te repousse, je me sens particulier. J’ai des images de nous dans ma tête, Aify, et c’est mal ! Tu ne peux pas partir ! s’écrie-t-il.

    C’est trop beau, il ne manque plus que le petit mot d’amour si simple et si révélateur.

    — J’aimerais…

    Oui ?

    Mais il garde le silence.

    Il m’affectionne ! C’est maintenant évident grâce à ses révélations.

    — Ce que nous partagions, c’est insuffisant, renchérit-il, loin d’en être émerveillé.

    — Je sais.

    — Quel imbécile je fais ! proteste-t-il.

    — Je sais, souris-je malgré moi.

    Il grimace, se penche et m’attire à lui. Je l’enlace fortement ; il est tout pardonné. Et de façon plus égoïste, j’ai besoin de me calmer entre ses bras.

    — Tu m’es chère Aify ! murmure Kharl.

    J’ai un léger mouvement de recul. Je suis à ma place contre son torse chaud et puissant. J’y suis protégée. Mais lui être « chère » m’est franchement insupportable. J’en attends plus de sa part. Je ne rouspète pas, surtout que je suis sans voix malgré la déception.

    Kharl refuse de nommer ses émotions. Si cela l’aide à se sentir mieux. Ce droit à l’amour nous est peut-être inaccessible, mais il est bien là !

    Las, il soupire et m’effleure de ses lèvres. Ne pouvant plus s’arrêter, il couvre mes joues, ma bouche, et ce, de plus en plus affectueusement. Je n’ose bouger, ce moment est magique. Il sera un merveilleux souvenir que j’emporterai avec moi !

    Ses baisers sont brûlants et soyeux sur ma peau. À quoi joue-t-il ? Qui console-t-il maintenant ? Il me savoure, il en redemande sans voir son invitation. Kharl est honnête, il ne me déshonore pas sciemment.

    Je tourne la tête pour être embrassée à pleine bouche, agrippant sa chemise. Sa résistance se brise enfin, je vais recevoir son affection.

    Ses lèvres chaudes et délicates me donnent le vertige. J’ai les jambes de plus en plus molles, et des chaleurs, à des endroits intimes, inusités, et qui se rapprochent dangereusement de Kharl.

    Je gémis à ce contact primitif et plein de promesses. Kharl est droit, juste et loyal. Je réalise qu’il libère un secret qu’il avait judicieusement gardé pour lui. Il sera uni pour la vie à Dyrfinna, mais dans la passion, c’est moi qu’il désire. Ce n’est pas pour rien que je lui fais perdre la tête !

    Il dénoue ma cape qui glisse au sol. Vêtue d’une fine chemise, je frissonne lorsqu’il revient sur moi. Je suis brûlante pour lui.

    Ses lèvres écrasent les miennes, les écartent. Nos langues se cherchent, se trouvent, et fusionnent naturellement. Le sang bat dans mes tempes, tant que je n’entends que nos soupirs lascifs.

    À mon tour, je savoure sa bouche chaude et humide, sa langue agile et épaisse. Je me délecte du besoin ardent qu’il a de moi. Sur la pointe des pieds, je m’offre toute entière. Il répond à chacune de mes embrassades, laissant une traînée de feu sur mes lèvres ainsi que dans mon corps.

    L’ampleur de mes émotions me surprend. Comme il est bon de s’y aventurer. Je ne veux surtout pas que ça s’arrête. J’ai des chaleurs, et nos baisers sont de moins en moins chastes.

    Impatiente, je lui arrache sa tunique pour le caresser. J’ai les doigts fébriles tant je le désire. Sa peau est dure, chaude et douce. Nue, glabre, parfaite, comme je l’ai si souvent imaginée ! Je ne peux cesser de l’explorer, et Kharl se prête au jeu.

    Je ne peux détourner les yeux de son torse que je possède enfin. D’instinct, je souhaite qu’il me couvre de son corps. Ressentir son émoi fait monter une nouvelle vague de chaleur. Je veux cette tendresse qui me revient. Cela brûle en moi, dans mon bas-ventre. Toutes ces merveilleuses sensations créent une pression dans mon entrecuisse que je serre en frémissant.

    Entraîné par une passion interdite, Kharl me laisse le découvrir. Un sursaut délectable l’envahit alors que je promène délicatement mes doigts de plus en plus bas, suivant ses muscles, son nombril jusqu’à un élément dur de son pantalon. J’ai moi-même une crampe à cette hauteur. J’allais croiser les cuisses lorsqu’il se presse contre moi pour que j’en saisisse la vigueur. J’en gémis de félicité.

    — Aify, murmure-t-il sur ma joue, dans ce même état d’excitation.

    Si je le trouvais beau, là, je peux affirmer qu’il est magnifique !

    Il descend ses baisers dans mon cou. Avec plus d’insistance, il mordille mes épaules. Des frissons me transpercent de part en part. Les gémissements de Kharl se changent en de petites plaintes. Il est troublé, désorienté, et assoiffé. Je me sens comme lui. Je comprends enfin l’amour que j’éprouve pour lui.

    Je réponds ardemment à cette tendresse, car je suis une femme dans ses bras, je ne suis plus une simple amie un peu trop envahissante.

    J’encadre sa nuque, glissant ses cheveux entre mes doigts. Merveilleux ! Ma main retourne poursuivre son exploration jusqu’à son pantalon. Je ne résiste pas longtemps avant de tirer l’élastique et de l’effleurer du bout des doigts, incertaine.

    Ce contact, cette délirante sensation, c’est nouveau pour moi. La chaire est sensible et une goutte perle. D’instinct, je l’étends.

    Je serre encore plus fort les cuisses au grognement de Kharl. Il a un déhanchement incontrôlé alors que mon corps me rapproche de lui, de son membre. Je me sens… vide ?

    Il appuie cette virilité dure sur moi dans de laborieux soupirs. Il ne tente pas de le dissimuler, loin de là. J’imagine tout bonnement qu’il souhaite que je le touche ?

    Ce sexe est plus que pointé et peu manoeuvrable. Kharl tressaille en l’encerclant de mes doigts. Je n’ose pas augmenter la pression de peur de lui faire mal.

    L’exploration faite, je ne sais pas quoi faire, manquant de plus en plus d’assurance. Je m’apprête à me retirer, ignorant comment combler mon homme, lorsqu’il manoeuvre ma main pour la diriger. Puis, il donne un coup de bassin explicite. Sous ses halètements fort encourageants, je comprends vite le type d’effleurement qu’il réclame. Ses yeux s’assombrissent et son autre main se crispe un instant sur ma hanche.

    Excité comme jamais, il enlève délicatement ma chemise ; j’ai un mouvement de recul, intimidée par ma nudité. Je le regarde, il m’observe avec vénération. L’embarras disparaît. Je suis grisée par le désir que j’y voie, ivre de bonheur sous ses caresses curieuses, exploratrices et enveloppantes. Et soudain, elles s’attardent sur ma poitrine.

    — Je ne peux te résister plus longtemps ! susurre-t-il à mon cou alors qu’il cherche à passer une jambe entre mes cuisses.

    Il épouse mes seins, dessine leur forme. Puis, dans une faim toute nouvelle, sa langue chatouille mes mamelons durcis, les titillant. Je soupire son nom. Je n’ai jamais reçu de telles caresses, si bonnes et douloureuses à la fois. Les yeux mi-clos, je me laisse aller à ce bien-être, glissant vers le prélude de l’amour tant attendu.

    Je suis prise de vertige, et encouragée par ces sensations plaisantes. Kharl me soulève alors de terre et m’étend sous lui, au sol. Nous doublons l’intensité de nos attouchements, ce qui ne calme en rien notre émoi. J’y passerais bien des heures sans jamais m’en lasser. Les frictions ne suffisent plus à mon besoin toujours plus dominant, mais j’ignore quoi faire.

    Puis, nous perdons nos pantalons dans cette bataille où seul l’amour triomphe. Et tout devient clair. Le désir de m’unir, de le posséder en une longue caresse me foudroie, m’interpellant au plus profond de moi. Entrecroisant mes jambes aux siennes, je délivre ma passion en mordillant et baisant chaque parcelle de peau que je peux atteindre.

    Je me tortille lorsque ses mains explorent mon entrecuisse moite. Je pousse des cris et je bouge en rythme avec lui jusqu’à me contracter sur ses doigts. Je suis incroyablement bien !

    Kharl me fixe, libérant mon front de ses mèches rebelles. Je comprends qu’elles sont les petites gâteries de Dyrfinna ! Ma jalousie se transforme en un besoin encore plus fort de lui. Loin de se douter de ce qu’il y a dans ma tête, Kharl est enchanté par mon enthousiasme à recommencer.

    Dans son étreinte, j’ai l’impression d’être la plus belle chose que ses mains n’ont jamais tenue, et j’en suis ravie. C’est moi qu’il admire et qui le comble, pas sa fiancée.

    Avant que je ne me calme, il glisse ses jambes entre mes cuisses. Son sexe me caresse comme l’ont fait ses doigts plus tôt. Cela me procure une seconde vague de plaisir et d’étonnement. Je comprends maintenant quel est ce vide, et jusqu’où il peut nous amener.

    Il s’abandonne à moi. Trop de sensation, trop d’excitation qu’il libère ses pulsions de baisers et d’attouchements. Tout son être réclame son dû. N’y tenant plus, sans me consulter, il me pénètre d’un seul coup de reins. Il m’envahit comme jamais, et cette intrusion est bienvenue. D’instinct, nous connaissions le chemin.

    Je laisse échapper un cri de douleur et de surprise à la déchirure. Je ne savais pas que cela pouvait être douloureux. Pourtant, qu’il se retire me laisse incomplète.

    Kharl prend conscience que c’est ma première fois. Jamais il n’a douté de moi par ailleurs ! Il a peut-être été un peu brutal, mais cet accouplement trouble son contrôle. Je l’empoigne par les fesses, enroule mes jambes autour de sa taille, exigeant de lui qu’il revienne et qu’il continue. Je veux de cette concupiscence, cette allégresse déchaînée par notre amour.

    Honteux, il s’excuse et entreprend un va-et-vient avec lenteur, interrompu par ses baisers. La douleur laisse rapidement la place à la caresse dure et profonde, et je me relâche au gré des douceurs qu’il m’offre.

    Je lui abandonne mon innocence.

    Je soulève le bassin, m’accordant aux rythmes et aux déhanchements de plus en plus saccadés de Kharl. Égaré dans la frénésie, il accélère à mon invitation. Nos râles se perdent dans le silence enchanteur de la forêt.

    Tous élancements presque disparus, mon chant d’amour favorise l’activité et j’en redemande. Les jambes autour de sa taille, je me cambre, arque les hanches, m’étire et suis la danse. Entre mes bras, Kharl plisse les yeux et il gémit à mes oreilles jusqu’à ce que nous soyons couverts de sueur.

    Je m’imprègne de ses sourires. De spasmes d’ivresse à l’orgasme, une étincelle en lui nous emporte.

    Ensemble et unis, nous découvrons que l’assouvissement d’un plaisir aussi intense peut réconforter. Un long grognement de satisfaction explique l’explosion en moi de la jouissance qu’a eue Kharl, mon amant. Notre première expérience a été stimulée par l’amour que nous nous témoignons.

    • • •

    Prisonniers de nos corps, nous rions ensemble. Kharl reste en moi, s’accordant le temps que nos battements de coeurs reprennent la note. Lorsqu’il se retire… je maudis tous les dieux dont je connais les noms.

    Pendant une bonne heure, il me garde sous lui sans m’écraser, récupérant simplement des forces. Je vois dans son visage qu’il n’en a pas fini avec moi, qu’il souhaite encore me faire l’amour. Qui suis-je pour lui refuser ce souhait ?

    Il caresse mon sternum et descend les doigts entre mes seins.

    — Si douce ! murmure-t-il, concentré.

    Ses mains effleurent délicatement mon ventre. Il fixe mes jambes qui s’ouvrent d’elles-mêmes dans une invitation muette.

    Pour cette passion, je bouleverserais la terre entière. C’est égoïste, mais pour le moment, seuls nous existons. Je lui ai donné mon innocence, mon affection. Et lui, l’espoir d’un avenir meilleur.

    — Pourquoi, Aify ? nous questionne-t-il.

    Il m’embrasse vigoureusement, sans attendre d’explication. Je ne comprends pas sa question de toute façon.

    — Kharl, pars avec moi ! gémis-je plutôt.

    Pour toute réponse, il m’étreint à nouveau, une union de nos corps dans une parfaite symbiose et un accord silencieux. Nous nous aimons alors que le temps file.

    • • •

    Le vent caresse nos corps nus et les oiseaux roucoulent tout autour de nous. Quelques rayons du soleil filtrent toujours au travers des feuilles. Nous nous sommes trouvé un petit coin de paradis rien qu’à nous. Enfin, je prends conscience que la vie se manifeste à nouveau.

    Les jambes entremêlées, nous nous reposons finalement de toute cette tumultueuse passion. Kharl est silencieux, et torturé.

    Je suis déterminée à lui laisser le temps dont il a besoin pour faire la paix avec son âme. Pour lui, c’est une révélation, alors que pour moi, c’est la confirmation que je ne pourrai jamais aimer que lui.

    — J’ai envie d’être avec toi bien que cela soit impossible.

    Oh, non ! il réfléchit au lendemain, et à ses répercussions. C’est trop tôt, mais je me garde bien de protester.

    Je le caresse tendrement pour calmer nos corps réactifs. Tant de promesses et d’amour partagés, il ne peut pas faire comme si ce n’était rien !

    — C’était merveilleux ! soufflé-je, tentant de demeurer forte pour lui.

    C’est la première fois que Kharl ne me dissimule pas sa nature passionnée. Je ne souhaite pas qu’il gâche tout par ses scrupules.

    Nous devions évacuer les lieux pour une vie meilleure. Mais pour l’heure, je resterai dans ses bras tant qu’ils me sont offerts. Et parce que ses tourments me torturent, je me crois obligée de rajouter :

    — Je veux décider à qui et quand je me donne, Kharl. C’est important.

    Il se raidit. Un voile de regrets assombrit soudain ses yeux. Les remords l’accaparent et il ne me les partage pas tous.

    — Nous connaîtrons une fin tragique. Nous serons pourchassés, marqués au fer, et probablement bannis.

    J’ai le souffle coupé — mais je suis toujours persuadée que nous trouverions une solution —, je retiens des larmes de dépit.

    — Pour épargner ta vie, je pourrais m’accuser d’ignominie. Mais là encore, je ne veux pas mourir !

    Plus il réfléchit, moins la fuite et notre union semblent envisageables. Malheureusement, je ne peux arrêter ses sombres pensées.

    — Suis-je dans mon droit de te forcer à rester ? J’en doute, sinon j’en abuserais. Qu’avons-nous fait ?

    Me repoussant, il culpabilise, la tête entre les mains. Je ne suis plus présente pour le dialogue entre lui et sa conscience.

    Jusque-là, j’étais sans voix, mais un vil sentiment de colère dénoue ma gorge. Je suis choquée de sa facilité à nous bafouer. Cet amour, il me semblait beau, pur et surtout, plus fort que tout.

    — Nous n’avons rien fait de mal. Je caresse sa joue pour contrer mon irritation. C’est toi que je veux. Personne d’autre ! confessé-je, gênée malgré tout ce que nous venions de partager. Je t’aime, voilà tout.

    Je le regarde se recroqueviller sur lui-même. Maintenant que je connais l’étendue de sa passion, je refuse de me priver du droit d’exiger son affection.

    — Ce n’est pas tout, Aify ! Il y a nos familles qui comptent sur nous, que nous avons trahies.

    Il a malheureusement raison, cela ne peut être aussi simple. Mais je ne partage pas ses craintes. Peut-être suis-je égoïste, mais c’est à nous-mêmes que nous mentons si nous faisons comme s’il ne s’était rien passé. Non, je ne peux pas nous faire ça !

    — Tu vas épouser un homme bon qui plus est. Il est mon ami, peux-tu le comprendre ? Sa voix est empreinte de douceur et de chagrin. J’ai aussi trompé la confiance que ta famille a en moi. Je ne devais être que ton gardien !

    Ouille !

    Et le monde s’écroule. Il ne me considère plus, s’éloignant pour prendre appui à un arbre, dos à moi, à quelques mètres de notre petit paradis.

    Je dois intervenir, je ne peux le laisser aller dans cette voie. Je me lève et l’enlace, embrassant ses épaules. Je prends garde de lui dissimuler ma colère grandissante.

    — Je vais te dire ce que je sais, moi. C’est toi qui m’as fait vivre ce qu’il y a de plus merveilleux, l’amour. Je t’en remercierai toujours. Que je t’aime et… ma voix s’étrangle.

    Je voulais lui assurer que j’emporterais ce précieux souvenir avec moi, mais ce n’est pas ce qui est sorti de ma bouche.

    — Pourquoi devrais-je accepter que tu la touches ? Que tu l’aimes ? Elle ! m’écrié-je, méprisante. Je ne peux assister à cela !

    — Cela suffit !

    Je regrette d’avoir déballé ma jalousie. Puis, cette vérité me remet à ma place, réalisant tout à coup que je ne suis pas dans mon droit d’exiger quoi que ce soit de lui. Sauf que, j’attends bien plus de lui. Par contre, je suis trop fière pour le relancer et le supplier comme elle, elle le fait si bien. Je lui ai déclaré mon amour et lui, silence. Il est resté prudent. Sans le regarder, je repasse mes vêtements et je m’en retourne au village, le coeur et la tête confus. La situation n’est pas aussi dramatique qu’il semble le croire.

    Je me demande quand cette liaison a débuté. Est-ce d’aujourd’hui ? Ou si notre amitié s’est développée d’année en année ? Ai-je commencé ce petit jeu, ou est-ce Kharl ? Sommes-nous réellement coupables de cet amour ?

    Sur le retour, plus je réfléchis, et plus je suis à mon bonheur, oubliant la souffrance des derniers instants. Je sais qu’il n’a pas profité de moi ou d’un moment de faiblesse. Malgré ses silences, il m’aime, c’est évident. J’avais eu besoin de cette affection pour me consoler et c’était arrivé là, dans ces bois féériques.

    Je croise les jardins, toujours incapable de me ressaisir. Je regarde ma soeur y travailler avec un oeil nouveau.

    Le soleil décline, et je réalise qu’il y aura conséquence pour mon retard et je m’en moque.

    Chapitre 2

    Punition

    Notre communauté est au centre d’une île, entourée d’une dense forêt et d’une muraille de pierre élevée sur laquelle sont gravés quelques symboles inconnus. Presque tout le territoire est surélevé et gardé par d’énormes saillies rocheuses mortellement tranchantes, apportant une deuxième fortification. À mon souvenir, très peu de bêtes sont parvenues jusqu’à nous, et jamais d’étrangers encore.

    À l’entrée du village, à l’intérieur des grilles de fer, il y a nos cinq jardins autosuffisants. Malgré l’heure tardive, ma soeur travaille et son époux l’assiste. Ils finissent d’arroser les légumes, petits travaux relaxants et salissants.

    J’ai envie de les rejoindre pour les saluer. Ces deux êtres, aux caractères bien différents, rient de bon coeur chacun à son bout de rangée. Lisabet — Lisa — est la compréhension incarnée, et Boris — Bo —, l’autorité. Où elle est force et douceur, son mari est dureté et sévérité, mais ils se complètent bien.

    Avançant vers eux, j’ai un sourire attendri. Leur amour repose sur le respect, et il est profond. Je n’en veux pas, de ce pain-là, alors que pour eux, cela leur réussit à merveille.

    Au premier coup d’oeil, Lisa voit ma gaieté, mes yeux pétillants et mes joues écarlates, car je rougis devant son examen. Elle sait tout du sport que je pratique en cachette, et qui est avec moi pour me protéger et m’enseigner cet art. Kharl, mon camarade de chasse. Ou mon gardien, selon la perception de ma famille. Mais un ami en qui ils ont toujours pu avoir confiance.

    Trop rapidement, elle comprend le déroulement de ma journée. Bien sûr, il était évident que notre relation se développerait ; elle se reproche souvent son manque de rigueur quant à notre amitié inconvenante.

    Elle se garde de tout commentaire accablant, me faisant plutôt la bise. Ensuite seulement elle se permet de s’inquiéter, attisant la curiosité de son mari.

    Je me suis encore mis les pieds dans les plats !

    — Que faisais-tu donc ?

    Lisa soustrait discrètement une feuille de mes cheveux que j’ai recoiffés à la va-vite sur le chemin du retour.

    — J’étais à la rivière…

    — Kyn s’inquiétait ! Et Adam a tout de suite vu que tu n’étais pas à ta place. Tu dois apprendre à être à l’heure, Aify. Jour de repos ou pas.

    Évidemment qu’elle me couperait la parole avant que je m’incrimine, Bo n’apprécierait vraiment pas ! Elle me réprimande toujours, sans grande conviction d’ailleurs.

    — Laisse-la y aller ! proteste mon beau-frère, grognon.

    Lisa lève simplement les yeux au ciel.

    Avec entrain, je fais un saut rapide chez moi, la maison la plus reculée du village, en lisière de la forêt.

    Traversant ma cuisine, je sifflote et danse tout en me préparant, ce qui est effrayant me connaissant bien. J’inspire profondément pour maîtriser la joie excessive qui me possède. Claquant la porte, ma vie me semble plus belle et pleine d’espoir malgré la tâche ingrate que je pars accomplir.

    Longeant une rue secondaire de terre battue, j’observe les enfants qui y jouent encore. Pour une fois qu’ils ne m’énervent pas ! Contrairement à mes habitudes, je les salue avec plaisir, me mêlant aux rires.

    Passant les deux jardins les plus à l’est, je constate bien malgré moi qu’ils sont maintenant déserts. La situation est parfaite pour fuir. Je n’évalue plus les risques, mais les chances d’être accompagnée par Kharl. J’arrête, cachée par le hangar, et combats la folle envie de courir vers l’inconnu. À ma gauche se trouvent les portes de ma prison, grande ouverte. Invitante et pleine de promesses.

    Dépitée, je tourne à droite sur la rue principale pour me rendre au Central — ainsi appelé par tous — et préparer le buffet communautaire. Je ne peux plus faire de détours possibles, et je suis suffisamment en retard de toute façon.

    Tous les soirs d’été, lorsque le ciel est clair et clément, on se réunit au Central où nourriture et bière sont au rendez-vous. Devant un bon repas en communauté, la plupart échangent sur leur journée de travail et leurs impressions en général. Normalement, les femmes préfèrent s’occuper des enfants à la maison, laissant leurs hommes se divertir seuls.

    Lorsque la saison froide arrive et que tous les labeurs sont finalisés, ces festivités s’achèvent pour quelques lunes. Ce sont les vacances qui commencent pour moi alors que des couples se rapprochent, ou vivent de réclusion tout en songeant à leur famille. J’enfonce la tête entre les épaules en pensant à mon avenir peu reluisant avec Nathan.

    Je constate que les légumes sont lavés, coupés et mijotent déjà. Il ne reste que les cuisines à nettoyer.

    Je suis vraiment en retard, mais j’aperçois mon kyn et je l’embrasse chaudement avant de faire du rangement.

    Mon père a toujours été frêle, mais maintenant qu’il est un vieil homme, il décline rapidement. Je sens de plus en plus ses os sous mes mains. C’est inquiétant.

    Politique, labeurs et boissons sont les sujets dominants de nos soirées. Je ne salue personne, blasée de ces éternelles histoires. Je me dépêche pour reprendre mon retard, mais je dois avouer que mes cousines ont trimé pour moi, je leur en dois une !

    Peu concentrée sur mon travail — monotone —, j’aperçois Kharl qui arrive de chez lui. Il s’est changé. Il m’ignore en passant à mes côtés. Une pointe de tristesse ne m’assombrit pas tant je suis à mon bonheur.

    Comme à l’accoutumée, il discute avec ses soeurs où il leur donne des conseils pour les sauces, s’inspirant de ses envies du jour.

    Il glisse un regard vers moi, et nos yeux se croisent. Notre expérience est trop récente pour feindre le détachement. Étonnamment, il me salue. J’en rougis jusqu’à la racine des cheveux.

    Nathan profite de ce moment pour me rejoindre et ma bonne humeur s’envole.

    — J’aimerais te parler.

    Je hoche la tête sans oser le regarder.

    — Où étais-tu ? Je t’ai cherché après avoir livré les herbes de Bekan.

    Il est agité, peur que notre dispute du matin se poursuive. Sauf que je suis fatiguée et extrêmement coupable déjà. Bien que je suis trop rayonnante.

    — Je me baignais.

    Je dissimule ma honte en frottant avec acharnement un des nombreux comptoirs qui n’aura sûrement jamais autant brillé.

    — Tu es allée nager ? Est-ce que l’eau était agréable ?

    Heureusement que j’y avais glissé un gros orteil !

    Je soupire de soulagement en voyant mes cousines approcher et onduler les hanches. Mes rejets sont plutôt contraires aux attentions qu’il reçoit habituellement des autres femmes. Sous peu, elles le monopoliseraient…

    — Non ! Elle est encore trop froide. Je me suis endormie à l’ombre, plaidé-je comme excuse pour ma disparition.

    — Je regrette pour ce matin. Je… J’étais nerveux et je ne t’ai rien demandé.

    — Cela est oublié.

    — Je le vois, tu sembles… reposée.

    Il glisse une fleur dans ma natte et je me retiens de justesse de la lancer au bout de mes bras. Cela aurait été grossier et injurieux devant tous.

    J’ai déjà à m’excuser de mon attitude. Pas besoin d’en rajouter !

    • • •

    — Que faisiez-vous aujourd’hui, jeune demoiselle ? me surprend jarl Adam. Vous manquiez à l’appel.

    Le chef de notre village me regarde droit dans les yeux alors que je m’assoyais à peine pour me nourrir. Mine de rien, il attendait que je ne sois plus sur mes gardes pour me prendre en faute. Cela ne présage jamais rien de bon.

    Mitigée entre colère et crainte, je sais que je vais être punie là, devant tous. Rien de nouveau. Évidemment, le silence se fait parmi les convives.

    — Iaunn partait à votre recherche après son repas, m’apprend-il, poursuivant la conversation.

    Du regard, je suis sa main vers le strandhögg et tressaille. Il est un excellent pisteur. Fort dans son domaine, personne ne demeure longtemps égaré.

    Ayant l’attention de tous, Adam se rassoit. Il donne l’impression de recommencer à manger, mais il joue surtout dans son assiette.

    Grand, légèrement bedonnant, il a la mi-cinquantaine. Il porte les cheveux longs, châtain clair et une petite barbe un peu plus rousse. Sa tunique au col en V dévoile quelques poils et une peau roussie par le soleil. Son ample pantalon vert est bouffant et fermé par de vieilles bottes qui semblent chétives pour sa corpulence. Il arbore un tatouage sur le côté droit du visage, le Mjöllnir. C’est le marteau de Thor.

    Lui non plus, je ne l’aime pas, et c’est réciproque. C’est juste que je ne me rappelle plus pourquoi ces hostilités entre nous.

    Il est le maître incontesté d’environ trois cents habitants, possède la plus grande des chaumières et le pouvoir absolu. L’arrogance des jarlar et l’ambition de ceux qui ont de l’éducation. Tout le contraire de ses pauvres villageois.

    Dans sa spacieuse maison, il vit avec sa très renfermée épouse, Lawenda, leur gouvernante Özurr, sa fille de 15 ans, Nikolina, et son fils Mathias, âgé de 34 ans. Celui-ci lui succèdera prochainement pour une trentaine d’années ; et à son tour, son gamin prendra la relève, car nous, simple paysan, n’avons pas le droit de vote.

    Jarl Mathias a perdu sa femme durant l’hiver dernier, le laissant seul avec le jeune Kôri, âgé de deux ans. Il n’assiste jamais au banquet, préférant s’occuper de son petit. Il est solitaire, tellement qu’on ne le voit jamais. Je le crains… lui et son règne.

    Le père d’Adam, Frimmans, vit dans le domaine au côté de la demeure familiale. En outre, c’est une bergerie qui appartient au chef. Il y a plusieurs entrepôts, un puits et une autre grosse maison. C’est là qu’il habite, pas avec les moutons ! Le grand-père est le pire, j’évite même de penser à lui ! De toute façon, la suprématie de ce clan m’enrage.

    Adam a une fille aînée, Helga. Elle est mariée à Fiòrleif, le frère de Kharl. Kesta, âgée de sept ans, et la petite Nala, âgée de cinq ans, sont le fruit de leur passion. Ils ont une coquette habitation près de Kyn Jòn, le père de son époux, où ils vivent en harmonie. Elle, je l’aime, bien que je lui aie très peu parlé. Elle a toujours de beaux sourires sincères.

    Sa benjamine, Nikolina, est prête pour la brùdlaup. Par contre, elle n’a pas de prétendant malgré les efforts qu’il déploie. Il n’a pas dû trouver les bonnes menaces !

    Ils ont tous les cheveux châtain clair, et le bleu acier de leurs yeux est aussi froid qu’il peut être chaleureux. Leurs traits et leur tenue vestimentaire les différencient de nous.

    Je quitte mon siège pour me placer face aux jarlar. Je fléchis légèrement le genou et regarde le sol.

    — Jarl Adam, je suis navrée. Je me suis endormie près de la rivière, dis-je sans bouger.

    Il ne se laisse pas berner par mon apparente soumission.

    — Ainsi, vous occupez vos journées à dormir plutôt que besogner !

    Il prend une seconde bouchée comme s’il s’agissait d’une banale conversation alors que je reste immobile. Je suis plus qu’habituée à me retrouver au centre de tous pour être punie, et toutes les raisons sont stupides.

    — Vos cousines ont travaillé fort pour combler votre absence. Vous leur dites simplement que vous vous êtes endormie ? Bien sûr, vous êtes navrée ! Pauvre fille, c’est moi qui suis navré pour vous.

    Il me scrute sévèrement.

    — C’est ma journée de repos, jarl. Je n’ai pas regardé le temps passer.

    — Il n’y a pas de repos pour les banquets. Vous le savez ! s’écrie-t-il.

    — Pardonnez-moi, jarl.

    Il est réellement grognon. Je n’insiste pas plus.

    — Pourriez-vous vous intéresser à la moisson et aux banquets comme nous tous ? Bien non, il est toujours plus agréable de se faire choyer, me nargue-t-il.

    Quelle moisson ? Il n’y a que quelques pousses dans les champs ! Que puis-je récolter ? Néanmoins, je me tais. Il affiche mes fautes, j’attends les reproches. Viendront bien assez vite les conséquences.

    Dans cet ordre.

    — Je suis sincèrement navrée, abdiqué-je.

    — J’y pense, qui vous accompagnait aujourd’hui ? demande tout à coup mon chef. — J’étais seule, jarl Adam.

    J’espère que mon trouble est bien caché. Je sens la vile accusation faire son petit bout de chemin dans l’assemblée. Je prends peur. Pour cause, il s’acharne sur moi. Je m’alarme quant à la conséquence, finalement.

    — J’en doute. Non, je ne peux tout simplement pas vous croire.

    Il me regarde fixement, comme si mon comportement me dénonçait.

    Il a raison de moi. C’est certain, il me voit blêmir. Mes jambes se mettent alors à trembler. Satisfait de ces indices, il jubile devant la torpeur de mon père et de Nathan. Il reprend une attitude implacable pour s’adresser à moi.

    — Visiblement, vous étiez avec le mauvais homme.

    — J’étais seule ! plaidé-je.

    — Menteuse ! crie-t-il. Si vous étiez mon enfant, c’est 10 coups de ceinture que vous recevriez pour votre libertinage et vos mensonges. (Il hoche la tête vers mon père avant de me regarder à nouveau.) Vous vous excuseriez haut et fort à chacun.

    Le message est on ne peut plus clair. De cruauté, il impose cette sentence à mon père. Soky, si doux et si vieux.

    Tout le village est en émoi. Les murmures se perdent dans le silence, comme dans un second plan. Une vague d’effroi m’afflige. Il est rare ce châtiment ! Du moins, je n’en garde aucun souvenir. Toutes nos fautes sont généralement pardonnées, moyennant des heures supplémentaires de travail. Et l’adultère est puni par le fer. Le bannissement s’est rarement vu. Mais être fouetté ? Adam m’en veut franchement !

    Ma vision s’embrouille. Cependant, j’ai encore l’orgueil de retenir mes larmes. Cette sentence a beau être injuste, nul ne s’y oppose. Je peux les comprendre puisqu’en ce moment, nous avons tous très peur de notre chef.

    Mon regard se pose sur ses deux filles et j’aperçois leur compassion. Elles détournent alors les yeux.

    Malheureux, mon père délaisse son repas, détache lentement sa ceinture. Il marche dans ma direction, au centre de tous et devant le jarl. Je l’implore silencieusement, appréhendant subitement ma sentence.

    Soky est contre la violence. S’il conteste

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