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MATHISBÒK
MATHISBÒK
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Livre électronique532 pages7 heures

MATHISBÒK

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À propos de ce livre électronique

Cachées dans l’anonymat, de nombreuses créatures peuplent la terre. Leur espèce
est malade. Pour les vampires, la reproduction est maintenant impossible. Les
loups-garous perdent en longévité, et seules les nouvelles lunes et les pleines lunes leur permettent la transformation. Quant à la magie, elle est corrompue au sein des sorciers.

Mathias fait maintenant partie de ces êtres surnaturels et doit composer avec ses nouvelles capacités.

Aipherly, la sorcière du village, décide de suivre Mathias et Tim à Londres. Son amour
pour le jeune vampire complique ses vacances, mais aussi le fait que sa pure magie attire toujours de viles créatures.

Les extrémistes, ayant trouvé les responsables de la mort d’Anthone donnent libre cours à leur vengeance.
LangueFrançais
Date de sortie20 juil. 2018
ISBN9782897865351
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    Aperçu du livre

    MATHISBÒK - Natasha Landry

    PARTIE 1

    GUÉRISON

    ET LES TÉNÈBRES ENVAHIRENT LA CITÉ…

    Chapitre 1

    Adaptation

    La petite Valhöll, avril 1883

    —Q uel bordel !

    Un regard oblique dans le sous-sol de la Skalì me décourage. Exactement comme je l’ai laissé hier ; sens dessus dessous. Il y a quelques jours, l’endroit était rangé, et tout était classé dans un ordre impeccable. Puis, je me suis impatienté.

    Mais là, vraiment, tout ce millénaire d’histoire m’énerve, et cela ne s’arrange pas ! C’est une source de magie que je dois trouver dans cette bibliothèque, mais il n’y a que des livres et des objets historiques sans valeur.

    Tim, l’un des vampires qui ont contribué à sauver mon village — et moi, par la même occasion — d’un être infâme durant l’hiver, m’a expliqué les bases d’un bon sortilège.

    Il doit être discret, réaliste, généralement sans forte odeur, et efficace. C’est l’objectif même de la magie.

    Lorsque j’aurai détecté quoi que soit, je pourrai alors interpréter les charmes, même les plus imperceptibles !

    Et moi, je dois le trouver ! Parce que je m’ennuie peut-être !

    Je perds mon temps et mon calme une fois de plus. Ce n’est pas étonnant que je malmène quelques caisses remplies de livres et de reliques qui bloquent mon passage. Ce n’est pas uniquement de la mauvaise foi, c’est curatif. Dieu que cela fait du bien ! Surtout que je peine à gérer ma nouvelle nature.

    En fait — toujours selon Tim —, je dois trouver les sortilèges pour en contrer les effets afin qu’ils perdent toute emprise sur moi. À la condition de rester vigilant, car mes nouveaux pouvoirs de vampire sont trop faibles pour me venir en aide. Je ne les maîtrise pas, pas plus que ma vie d’ailleurs.

    Je dois tout réapprendre, repartir de zéro. Je n’ai rien demandé, moi !

    Je comprends mieux le sentiment d’ignorance d’Aipherly, une citoyenne dévouée.

    Aipherly

    Bref, il est encore un peu tôt pour être dévasté par mes sentiments à sens unique. Heureusement, il y a Tim. Il a toujours des projets pour me changer les idées.

    Tim

    Mon créateur, ou — selon l’étiquette — mon père. Je dois avouer que depuis qu’il m’a sauvé, dans la montagne, je le perçois ainsi. Pas vraiment parce qu’il nous a débarrassés d’un méchant vampire qui m’a vidé de mon sang, ou parce qu’il a terminé la transformation bâclée de celui-ci, mais aussi parce qu’il a pris une place importante dans ma vie, celle qui aurait dû appartenir à Adam.

    Je crois que cela fait aussi d’Anthone mon père. C’est confus, mais je porte l’essence de ce renégat en moi. Cela doit forcément expliquer mes sautes d’humeur constantes. Ma nouvelle personnalité ne correspond pas à l’homme que j’ai été.

    Donc, pour en revenir à des tracas plus gérables, Tim veut connaître les origines de ce sortilège en m’enseignant l’art ingrat de le découvrir par moi-même. Voilà pourquoi c’est lui qui s’occupe de mon petit, et moi qui recherche Dieu sait quoi dans cette saleté millésime !

    Et pourquoi ne pas demander à notre völva ?

    Il y a tant de raisons. Entre autres parce qu’elle prédit la mort alors que je recherche autre chose. Peut-être parce qu’elle se moque de tout, maintenant ? Ou bien parce qu’elle n’a plus cette capacité depuis sa résurrection. De toute façon, si Aipherly l’avait senti, elle aurait tout mis en oeuvre pour le retrouver.

    Donc, c’est à moi de perdre mon temps et de foutre un désordre incroyable à la recherche de quelque chose d’inexistant. Quoi qu’il en soit, ma psyché de vampire se développe de jour en jour, et j’aurai bientôt la faculté de détecter de façon naturelle tout ce qui est magique.

    Tous ces changements alors que ma voie était tracée !

    J’avais tant souhaité ce jour ; être jarl et sortir mon peuple de l’ignorance. Comme quoi les grands projets sont pour les rêveurs !

    En vérité, je ne suis maintenant qu’une sous-classe de vampire, prisonnier de 800 ans d’histoire et de poussière. Je dois même penser à me frayer un chemin avant de développer des allergies dans ce labyrinthe. Enfin, je ne crois pas que ce soit possible, mais je souffre encore un peu de certains malaises humains par moment.

    Ma psyché oscille pour la première fois depuis le début de mes recherches. Qu’une petite masse dans l’air qui m’entoure, je l’avoue. De plus, ce n’est rien de visible ou de dommageable, juste un ressenti de puissance, et celle-ci est exaltante. Il se peut même que je l’imagine, tout simplement.

    Et dans la plus grande insouciance, comme inspiré par une quelconque confusion surnaturelle, je recommence à me lamenter sur mon sort.

    Parmi tous mes changements, lorsque je dors, je ne rêve plus. Je revis les dernières heures avant la mutation d’humain à vampire. Ce n’est pas un événement glorieux puisque j’en suis mort.

    Je revois clairement Aipherly, gémissante, puis inerte sur la table nappée de son sang. Je le sens d’ailleurs encore durant ce cauchemar. Puis, sa légère folie lorsqu’elle revient à la vie. Dans les bras de Kharlsefni et Aipherly, mon rêve récurrent se termine dans les pleurs de cette douleur qui me tue.

    Inutile de chercher pourquoi je ne dors plus !

    L’explication rationnelle à la perte de mes rêves ? Je n’ai plus d’âme, mais une bête. Enfin, puisque le virus est toujours au stade infectieux.

    Atchoum !

    — Merde !

    De fourrager à coups de pied dans les caisses a quelque chose de vraiment apaisant.

    — Je perds mon temps !

    J’ignore peut-être ce que je cherche, mais ma psyché oscille de plus en plus. Je suis certain maintenant de ne rien imaginer. Alors qu’elle pourrait m’indiquer une direction, elle se contente de pousser, comme un courant d’air chaud dans l’eau du lac. Elle se déplace, s’accumule et s’accroche à moi.

    D’ailleurs, il est tard ; je devrais tout laisser de côté et retourner à la maison pour m’occuper de mon fils. J’en ai assez, c’est vrai, mais aussi bien terminer ce que j’ai commencé si je ne veux pas encore y être demain !

    Des pas lourds au-dessus de moi me font sursauter, dégageant un épais nuage de poussière.

    Quelques citoyens ont la tâche d’entretenir les bâtiments. Il fallait justement qu’aujourd’hui, alors que je suis d’humeur à semer la terreur, ils viennent ici !

    Un moment de panique fait palpiter mon coeur éteint. C’est souffrant.

    Ils doivent continuer d’ignorer ma présence.

    Ils sentent si bon ! Leur sang m’interpelle. Si onctueux ! J’ai besoin de cette énergie !

    Une crampe me fait plier en deux. Cette souffrance est un rappel de mon humanité d’avant. Il n’est pas arrivé, le jour où je me nourrirai d’une veine. Et ça, ce n’est pas normal. Les tiraillements que je ressens n’ont rien à voir avec la faim, mais la peur de les meurtrir. Des victimes, tel que je l’ai été.

    C’est inédit et sans précédent. Selon Tim, il ne devrait y avoir que le besoin de me nourrir qui me crée des douleurs. D’ailleurs, il ne comprend pas comment je me contrôle ni pourquoi je subviens à mes besoins grâce à l’essence animale. Surtout, comment se fait-il que j’en aie conscience au lieu de sombrer dans la démence du débutant ? Parce que le manque perpétuel, ça oui, je connais !

    Avant, j’ignorais que le sang était rempli de saveur et que cet apport calorique était une telle douceur, un baume sur mes nerfs enflammés. Rien d’étonnant, puisque ce nectar est la vie. C’est bien beau de me nourrir des bêtes, mais je devrais être incapable de m’en contenter. L’explication de Tim : leur substance est moins riche en information. Que l’animal a le piquant brut d’un légume fraîchement cueilli alors qu’un mortel se comparerait à un ragoût, mon repas préféré. Si j’en vidais une soupière pleine avant, j’imagine aisément ce que je ferais d’un humain !

    Un picotement derrière la nuque ainsi qu’une poussée de psyché m’informent que je m’approche de mon but. Je me concentre sur la caisse que j’ai entre les mains, et, ensuite, sur toute la rangée devant moi.

    — Hourra ! XIVe siècle. Je me rapproche du commencement !

    Les documents étaient classés en ordre antichronologique, avant que je m’en mêle. Un regard sur mon bordel me fait culpabiliser quelque peu. Quelqu’un — Nathan — devra tout replacer !

    Le sortilège que je m’apprête à trouver doit être vieux comme le monde alors ! Je vais enfin savoir pourquoi aucun jarl, aucun thing ne peut expliquer notre arrivée sur cette île étrange. C’est peut-être juste une histoire oubliée depuis des siècles ?

    Je touche chacun des livres, je m’imprègne de leur odeur — dans l’espoir de faire au plus vite —, mais il y a encore une interférence avec mes buts. Et je recommence à ruminer.

    Aipherly

    Je peux passer à autre chose ? Non, bien sûr que non ! Il y a toujours eu un lien entre nous ; magique, spirituel et physique. Je lui suis totalement dévoué ; excité et frustré par notre relation des plus compliquées. Dans les faits, il n’y a pas que mon apparence qui a changé, mais mon amour pour cette femme s’est muté en un besoin primitif, viscéral. Au même titre que le sang me préserve et me nourrit, qu’il me garde en vie, j’ai besoin d’elle, de ma femelle.

    Cependant, pour Aipherly, je ne suis plus rien, je ne suis même plus un homme. Et probablement qu’elle ne voit que la créature d’Anthone. Aussi bien me faire à cette idée des plus dérangeantes et désagréables.

    Je devrais au moins accrocher son regard ! Être vampire, c’est être fort, et d’une beauté hypnotique pour tromper l’ennemi. La preuve, j’ai rajeuni et mes vieilles blessures se sont énormément estompées. Ce sont mes cellules qui se régénèrent à chaque nutrition. De plus, je dois dépenser toute mon énergie avant de devenir fou. Je m’entraîne donc avec Trevor, mon beau-frère, ainsi que son jumeau. J’ai pris du muscle. J’ignorais que c’était possible, mais mon corps a continué de se développer ; une seconde poussée de croissance à 34 ans !

    J’ai donc l’air d’un jeune homme de 25 ans, musclé et en parfaite santé, et mes cheveux sont aussi blonds que ceux de mon fils d’à peine 3 ans. Je peux maintenant me promener torse nu, car je ne traîne plus les sévices d’amour d’Adam. Toutes les femmes, sauf une, se pâment devant moi. Elle ne se retourne plus jamais sur mon passage, pas plus qu’elle ne rougit ni ne bafouille comme avant.

    D’un autre côté, Aipherly empeste les sortilèges à des lieux à la ronde, et ceux-là sont franchement répulsifs. Même Tim ne les reconnaît pas. Nous ignorons donc en quoi ils lui sont bénéfiques. Au moins, pour le bien de ma santé mentale, je n’enquête pas de ce côté.

    Je ne devrais pas chercher son affection. J’ai une femme — dévouée — à la maison. Elle est une bonne maman pour Kôri, mais jamais elle ne sera mienne. Dieu NON, ce qu’elle peut m’exaspérer ! Kayrôna n’est pas en reste. Elle a mon total consentement pour trouver de la tendresse chez d’autres hommes. La pauvre malheureuse, c’est ça ou mon détachement total.

    — XIIIe siècle !

    Je me dis que Tim serait heureux de bouquiner derrière moi ; c’est lui, l’érudit ! Et soudainement, je me souviens que je recherche un sortilège. L’idée de sa fonction allait se préciser, et je pourrais enfin m’occuper de mon garçon.

    Puis, je pense avec aigreur à son avenir. J’ai vraiment un trouble de l’attention en ce moment, parce que j’ai oublié la raison de ma présence ici. Je ne fais que chercher, et ressasser les souvenirs. Je peux le faire, confortablement installé dans mon bureau.

    Je n’aimais pas cette pièce. Elle me rappelait l’homme que voulait faire de moi Adam. Je l’ai donc restaurée. Ce que je ne peux pas faire avec la créature que je deviens. Les choix qui s’offrent à moi n’en sont pas vraiment, et ne sont pas les miens.

    Je m’effondre de douleur sur le sol poussiéreux, comme chaque fois que j’y pense. Des impulsions de chaleur, suivies par d’autres, glaciales, me traversent. Tim m’en balance toujours lors de mes crises pour me changer les idées. Cela est efficace, même à travers notre lien forgé par notre lignée. Ce qui m’aide vraiment à me ressaisir est de me rappeler que je suis sur le chemin de la défaillance. Je me relève donc, tremblant, en énumérant les conséquences.

    Avec Tim, on parle souvent des signes annonciateurs de l’éveil de la bête. Si celle-ci se réveille et qu’elle me domine, je deviendrai un monstre. Un monstre mort ! Définitivement et irréversiblement mort par la main des Anciens, puisque par définition, je suis déjà mort. Ou intemporel, comme préfère me le rappeler mon père.

    C’est trop risqué de garder un défaillant dans la famille, de lui permettre de violer un ami ou d’assouvir ses bas instincts sur d’innocents piétons. Cela informerait les humains quant aux mystérieux secrets qui les entourent. Tellement que l’une des tâches de Tim est de les capturer, d’éliminer la menace.

    Il y a heureusement quelques altérations visibles. Ils deviennent fous parce que la bête et leur psyché prennent le dessus. Leur apparence change ; des oreilles qui pointent, la peau qui perd de sa pigmentation jusqu’à n’être colorée que par le derme, les cheveux qui tombent, le corps qui s’allonge et se replie sur lui-même, des ailes qui permettent de voler et des protubérances qui apparaissent un peu partout.

    C’est ce qui différencie une défaillance d’une simple cruauté de personnalité. Bien sûr, je me réfère à Anthone dans ce cas.

    Et pourquoi ne pas me venger sur cette caisse pour voir jusqu’où elle rebondit ?

    Elle le mérite puisque je réalise que je la fouille pour la seconde fois. C’est probablement un indice que je suis près de mon but.

    Mais lequel déjà ?

    « Trouver le sortilège » résonne en moi.

    C’est la voix de Tim au travers de mon esprit. C’est la première fois que je l’entends alors que nous sommes autant éloignés. Elle me fait le même bien, même si la clarté de notre lien est anormale : toujours selon ses dires.

    Qu’a-t-il dit d’autre sur les charmes et la confusion ? À moins qu’il ait mentionné l’oubli. Ne serait-ce pas plutôt des perturbations émotionnelles ? Ou encore la difficulté à se concentrer ?

    Je n’en ai plus le moindre souvenir.

    C’est en soupirant d’exaspération que je classe les caisses pour ne plus m’en approcher. Je perds suffisamment de temps déjà à les fouiller sans avoir à recommencer plusieurs fois !

    Et comme si j’avais fait le tour de mes malheurs, je me rappelle que je suis la piste d’un charme qui m’est inconnu.

    Chercher ce maudit sortilège est tout un défi pour ma psyché faible et explosive. Je la sens se répandre autour de moi, chaude et froide. L’étrange signature s’étend à peine, et je suis loin de pouvoir la projeter sciemment sur qui que ce soit, ou quoi que ce soit. Dans une centaine d’années, je pourrai contrôler cette force avec plus de précision. Si le CFA me permet de vivre jusque-là !

    Ah ! oui, une autre complication ! Les Anciens ! Alors, on attend que je sois un meilleur vampire — à défaut de dire défaillant — pour me présenter à eux.

    — Je vais tout brûler !

    Dieu que j’en meure d’envie ! Surtout lorsque je pense à ces êtres hautement supérieurs !

    Je ne suis pas tout à fait transformé, et je ne laisserai pas ces crétins — Ô Tout-Puissants Anciens — décider de mon sort ! D’ailleurs, il n’y a pas que moi à prendre en considération. Les enquêteurs ont tous commis quelques erreurs de protocole pour venir en aide à mon peuple cet hiver. Leur propre châtiment ne les inquiète pas. Je pourrais en faire autant si ma vie ne dépendait pas de ces tierces personnes.

    Parmi les fautes de Tim, il a contribué à la mort d’un sorcier corrompu, il a marqué Aipherly du sang des Vycomtes et fait de moi son fils. Il s’est aussi affiché comme étant une créature à quelques humains. Rien de cela n’est autorisé, bien entendu.

    Mes pensées et ma solitude ne m’aident franchement pas. J’avais espéré que cette mission m’empêcherait de ressasser toute cette merde qui m’est tombée dessus, mais j’avais aussi cru que je trouverais un objet ensorcelé dans la même journée alors que j’y suis depuis quatre jours.

    Puis, alors que je ne sais plus pourquoi j’avance au travers de ces caisses, une forte odeur pestilentielle vient heurter mes sens. Au point où j’arrête de bouger. Je m’y concentre avec pour seul objectif de comprendre cette anomalie. Cela n’est pas un animal mort, mais je dois tout de même nous en débarrasser.

    Alors, vient une poussée de ma psyché pour enrober la caisse que j’ai entre les mains. Plutôt que d’apparaître en un courant, elle perdure. C’est exaltant, mais faible, si je la compare à celle de père.

    Je regarde la caisse et une vérité s’impose à moi.

    Je le tiens ! Je le tiens, ce foutu sortilège !

    Envahi d’adrénaline, je vide la boîte. Ma propre vitesse m’étourdit.

    — Enfin !

    Je le crie avec un soupçon de colère. Les pas au-dessus de ma tête cessent de marteler le sol. Il se passe une bonne minute avant que ceux-ci ne reprennent leur activité. Je les avais oubliés, ceux-là !

    Grands dieux ! Je le sentais depuis le début !

    Cependant, je suis trop soulagé pour être réellement frustré. La fierté prend rapidement le dessus.

    Je respire comme si cela m’est capital en remplissant à nouveau la caisse. En réalité, ce surplus d’oxygène ne fait que m’enivrer de tout ce qui m’entoure et me crée des malaises.

    J’ai tout de même un mouvement de danse pour exprimer ma joie.

    Mon trésor tout entier entre les mains, je pars sans un regard pour le bordel que j’ai laissé. C’est l’insistance de Tim dans ma tête qui me conduit droit à la maison tant j’ai un urgent besoin de la rapporter à la Skalì. Tout au fond, et bien cachée de nos yeux !

    Chapitre 2

    Kay

    Je rentre chez moi en coup de vent. La boîte est tordue sous mes doigts tant je combats le sortilège. Je suis assez ridicule pour m’appuyer sur la porte en fermant les yeux et en soufflant pour une course qui ne m’a pas éreinté. Ce qui m’a épuisé a plutôt été de me concentrer sur les quelques amis que j’ai croisés en chemin alors que mon instinct voulait que je retourne à la Skalì pour y déposer mon précieux chargement.

    Assis sur le canapé, Kôri a déjà la tête relevée, curieux de mon entrée fracassante. J’entre dans mon bureau en lui promettant de revenir sans m’attarder sur son regard déçu. Je fouille la caisse en espérant ne plus jamais revoir le dépit l’animer. Je culpabilise. Je suis son père, je ne peux lui témoigner ce manque d’intérêt !

    L’odeur du sortilège m’agresse toujours, mais je suis trop heureux de pouvoir enfin oublier le sous-sol poussiéreux pour m’en plaindre. J’étale tout sur ma table de travail à la vitesse qui fait de moi un être supérieur. Les humains croiraient que tout est apparu par magie. Seulement une partie de la vérité, en fait. Les plus performants ont même le temps de jouer avec leur esprit, suggérant que ces objets étaient posés là depuis le début. C’est impressionnant à voir.

    Je trouve un LeifsBòk, un BjarnarsBòk, un ThorvaldBòk et un petit journal de bord odorant. La source du sortilège !

    Dès que je l’ai en mains, l’irrépressible envie de le perdre, de le ranger derrière des livres sur mon étagère ou au-dessus de l’armoire me reprend. Je pense même à aller le reporter là où je l’ai pris. Je croyais que son pouvoir s’effacerait en le retrouvant, mais j’ai tout faux ; je dois en maîtriser ses effets pour l’obnubiler totalement.

    La déception de mon fils m’aide à me concentrer sur autre chose. Ça, je peux y remédier. Je me dépêche de classer les autres bouquins dans la bibliothèque avant de le rejoindre.

    Je regarde le livre entre mes mains sans toutefois le consulter. L’histoire ne m’a jamais vraiment intéressé, mais l’éternité qui s’offre à moi change la donne. Je rechigne tout de même à y consacrer du temps. Comme si le chercher n’avait pas été suffisant !

    Par des jeux interactifs, Tim enseigne à Kôri les couleurs et les formes : des carrés, des ronds, des hexagones. Il est bien meilleur qu’Adam ne l’a jamais été. D’ailleurs, je ne l’aurais laissé à ce vieux fou pour rien au monde, pas même un après-midi.

    Je vénère les dieux de l’avoir appelé à eux avant son heure ! Le fantôme de Dyrfinna a fait un travail remarquable sur ses nerfs. De plus, être vidé d’un litre de sang régulièrement l’aura achevé, c’est certain. Il était âgé et malade. Et, comble de bonheur, Frimmans n’a pas tardé à le suivre. Moi, je dis bon débarras !

    Mon fils délaisse Tim pour s’asseoir sagement à mes côtés. Je suis fier de lui. Il est si jeune ; Adam n’aura pas eu l’occasion de le pervertir. Encore moins de le marquer de sa cruauté, comme je l’ai été.

    — Une histoire d’aventure, lui montré-je.

    Les yeux illuminés par l’excitation, il tente de me l’arracher des mains. Envoûté par mon fils, j’en rajoute.

    — Je crois qu’il y a tout plein de cartes au trésor, de monstres et de sorcières.

    Il me regarde de son air très sérieux. J’y suis allé un peu fort ; il n’a que trois ans, après tout.

    — Devrons-nous attraper les sorcières ?

    Il acquiesce malgré son effroi. Il me rend vraiment fier. J’enchaîne d’une mimique surprise.

    — Ou bien, toi et moi, on cherche des trésors ?

    En vérité, j’ignore ce que contient ce livre.

    De nouveau excité, Kôri hoche la tête.

    — Alors, on regarde ?

    Je l’assois sur moi et ébouriffe ses longs cheveux blonds et soyeux. Il ne veut pas que je les lui coupe. Je n’y vois aucune objection tant que la frange ne lui tombe pas devant les yeux.

    Tim choisit ce moment pour nous interrompre.

    — C’est donc l’objet que nous cherchions ? Il semble vieux et ordinaire, mais je ressens sa puissance.

    — Nous ?

    Je passe par notre lien pour que mon garçon n’entende pas mes remarques acerbes.

    Tim rit en s’emparant du livre. Il le tient délicatement entre ses doigts. Il le tourne, le renifle, le caresse, et examine l’épaisse reliure de cuir beige décoloré. Il est impressionné comme un enfant. Puis, il le tend à mon fils qui s’empresse de l’imiter. Kôri ne constate rien de particulier, mais il joue les grands savants. Il nous fait rire à chacune de ses mimiques. Tim reprend le petit livre et l’inspecte à nouveau.

    — C’est probablement important.

    La vie entière du village est inscrite sur notre muraille. Si des jarlar venant d’autres contrées passaient par ici, ils sauraient à qui s’adresser. Ce n’est pas près de se produire puisque nous sommes seuls depuis toujours sur cette île. Enfin, avant l’arrivée des gobelins.

    — Plausible.

    Tim ne parvient pas à détacher son regard de l’antiquité.

    — Ce livre est impossible à déchiffrer. Nous allons devoir le montrer à Aipherly.

    Incrédule, je me penche au-dessus de son épaule pour constater qu’effectivement, les écritures dansent sur le papier. L’avoir consulté le premier, je n’aurais pas été surpris.

    — Je ne connais pas ce sortilège.

    — Étonnant, le nargué-je.

    Nous en étions à imaginer plusieurs aventures de chasses au trésor et de princesses à sauver pour le plaisir de Kôri lorsque la porte s’ouvre doucement sur Kay.

    Sa longue chevelure rousse est remontée en chignon, mais des mèches crépues indiquent une certaine activité. C’est une très belle femme, passionnée, et probablement intelligente. Ce qu’elle fait pour mon fils, c’est tout simplement remarquable. J’ai fait le bon choix en me décidant pour elle. J’aimerais juste pouvoir la supporter.

    — Kay ! s’écrie Kôri, me sortant de mes pensées.

    Elle ouvrait ses bras lorsqu’elle m’a aperçu, soudainement mal à l’aise.

    — Je suis certain que vous avez su rester discrète.

    Je m’approche pour l’aider à se débarrasser de sa cape. Les journées doivent être encore un peu fraîches. Les variations de température ne m’incommodent plus, maintenant.

    Les yeux pétillants et les joues rougies, elle hoche simplement la tête.

    Elle est imprégnée d’un homme qui devrait lui être inaccessible. Je grogne sournoisement dans un brusque changement d’humeur.

    — Je vous ai surpris avec Kharl, murmuré-je. Je croyais avoir été clair en ce qui concerne les hommes mariés.

    C’est faux, je ne l’ai pas vu, mais son odeur est identifiable entre toutes. De plus, il m’a nourri à la montagne. J’ai maintenant son empreinte à l’intérieur de moi.

    Kay tressaille.

    — Je vais préparer le souper, fait-elle en me regardant droit dans les yeux.

    Elle me défie ! Une montée de rage s’empare de moi. La main de Tim sur mon épaule, je me ressaisis. Finalement, je m’écarte d’elle, et elle soupire, soulagée.

    Mon père est chagriné. Kharl est le mari de notre sorcière, et elle souffre toujours des actions d’Anthone, son propre frère de lignée, sur mon peuple. L’air s’alourdit. C’est uniquement un mince filet de sa psyché qui s’échappe malgré lui. La mienne en comparaison est tellement plus faible qu’il m’est inutile de chercher à la réfréner. Mes humains ne ressentent alors qu’un unique courant d’air. Mais c’est un début.

    Quand même, je devais mettre un frein à cette idylle, et ce soir, je suis d’humeur pour discuter.

    Calme-toi.

    Pourquoi ? Je n’en ai rien à faire. Qu’elle se tape qui elle veut. Mais Kharlsefni ?

    — Et Aipherly dans tout ça ?

    — Calme-toi, me répète-t-il.

    J’aime bien qu’il se fasse ma conscience. Un surnom qui lui plaît d’ailleurs.

    C’est facile pour lui de se contrôler, car il a plusieurs siècles d’expérience derrière lui. Pour ma part, aussi infime que soit mon pouvoir, il est incontrôlable et il se manifeste quand bon lui semble. De plus, je subis tellement de changements depuis des mois ; mon corps est en souffrance, ce qui me rend très nerveux, agité et impulsif.

    — Faites-moi une assiette, crié-je à ma femme dans la cuisine plutôt que de me calmer.

    Elle est surprise. J’entends d’ici le petit cri qu’elle réfrène à temps malgré tout. C’est enfin ce soir que je nous séparerai, car cette mascarade a assez duré. Elle a le droit au bonheur, et moi, je ne suis plus gouverné par la dictature d’Adam. Il y a trois mois, il était tellement malade que j’ignore pourquoi je n’ai pas contesté cette loi absurde. Il est trop tard maintenant pour me le reprocher, mais j’ai fait disparaître cette clause et quelques autres depuis.

    Quant à lui, mon fils sourit, plein d’espoir, insensible à ma psyché. C’est la première fois que je reste pour le repas depuis ma transformation, ce qui me force à reconsidérer mes projets.

    Il aime Kay ; elle est une mère pour lui.

    C’est en grommelant que je retourne dans mon bureau pour me calmer, tout compte fait.

    • • •

    — C’est prêt ! crie Kay, faussement enjouée.

    Bras repliés derrière la tête, pieds croisés sur le bureau et en équilibre sur ma chaise, je soupire. Je n’ai pas encore pris de décision quant à notre relation.

    C’est donc le dernier que je m’assois à table.

    Kay s’est surpassée ! Il y a tellement de saveurs qui m’envahissent que je ne pourrais dire de quoi est marinée cette volaille. Les légumes bouillis ne ressemblent plus qu’à de la gibelotte. Le pain semble excellent, mais lui aussi est trop odorant. C’est l’estomac noué que je bois une gorgée de vin. Son goût est amer. Mais qu’est-ce qui m’a pris de m’inviter à table ? C’est seulement pour ne pas décevoir mon fils que je ne me désiste pas.

    D’une oreille distraite, j’écoute les politesses de Tim tout en picorant les aliments de ma fourchette. Tout cela me semble bien tendre.

    — Aipherly n’est-elle pas votre amie ? (Mon père émet un grognement désapprobateur par notre lien.) C’est notre séparation, ou la leur que tu veux ?

    Je n’y vais pas par quatre chemins ! Je suis direct, je ne fais pas de détour même si je froisse généralement les gens, mais je ne m’excuse pas plus. Heureusement, ma femme le sait et ne le prend pas comme un affront. Tout de même, elle sursaute, insultée. Elle désire notre désunion maintenant, mais en même temps, elle regarde mon fils et ne le souhaite plus. Cela se lit bien dans les réactions de son visage. En fait, elle se doute que je ne me débrouillerai pas aussi bien qu’elle. Elle aime sincèrement mon garçon, et cela devrait me remettre en question. Que je pense à Kôri ou à Kay, c’est moi l’égoïste dans cette histoire.

    — Ils ne sont plus ensemble, se justifie-t-elle.

    — Mais ils ne sont pas séparés à ce que je sache !

    Pour cela, le couple doit en aviser les things ; ceux-ci mèneront une enquête avant de me donner leur avis. C’est ensuite à moi d’approuver ou de rejeter cette demande. Alors, non, ils n’ont pas entrepris cette démarche !

    — Kharl est toujours aussi choqué que son épouse, m’apprend mon père.

    Il est vrai que je n’aurais jamais soupçonné Kharlsefni d’être aussi libertin avec les femmes. Je suis étonné même si je connais chacune des épreuves qu’il a traversées. Mais s’il y a bien un couple que je croyais amoureux et heureux, et surtout, plus fort que tout, c’est bien celui-là !

    D’après la rumeur, beaucoup de demoiselles vont chez lui. Autrement, il passe le reste de son temps seul dans les bois ! Je n’y croyais pas, mais ils semblent que j’en ai la preuve !

    Jusqu’à maintenant, Tim ne s’est jamais trompé, alors s’il pense que Kharlsefni et Aipherly sont profondément malheureux, je le crois. De plus, il se nourrit toujours de lui, il est son permanent, son garde-manger ! Cela crée forcément un lien. Il est donc à même de le comprendre mieux que quiconque.

    Je regarde ma pauvre femme. La vie ne lui a pas plus souri depuis. Chaque nuit, elle est envahie d’horribles cauchemars, ignorant que ses souvenirs cherchent à remonter à la surface. Chaque jour, je la rejette. Si elle avait su que je ne la désirais pas — et que je ne la désirerais probablement jamais —, elle aurait refusé cette union. Mais voilà, elle pense devoir se battre contre le fantôme de ma défunte, Évelyne. Pour ne pas la blesser plus encore, je n’ai jamais eu le coeur de lui révéler la vérité.

    — Je ne crois pas que ce soit le temps d’en parler, murmure-t-elle en désapprobation.

    Elle lance des regards discrets vers Tim et Kôri. Je ne suis pas d’accord. Le petit ne comprend pas, et mon père se fait la voix de ma conscience. Il sait tout de moi, de nous, et dans les moindres détails, aussi gênants soient-ils.

    Mais elle a raison. Je suis trop dur avec elle, je la juge sévèrement. Je lui dois de la reconnaissance, en réalité, et je devrais faire des efforts. Sauf que c’est plus facile à dire qu’à faire. Elle est de trop dans ma maison, même si elle est nécessaire !

    — Nous trouverons une solution, murmuré-je en guise d’excuse.

    Un inconfortable silence s’installe. Je joue dans mon assiette plus que je tente de manger. Cela a l’air vraiment réussi, pourtant. Le fumet qui s’en dégage est un douloureux rappel de mon vivant. Ce n’est pas que ce soit de bons souvenirs, mais j’étais humain, à cette époque peu lointaine ; j’étais un père, un frère et un futur souverain.

    — Helga nous invite à la fête de Kesta.

    Kay me sort de mes rêvasseries.

    — Est-ce là que vous avez passé le reste de votre après-midi ?

    Mais qu’est-ce que je dis ? J’ai voulu la taquiner, mais il est vrai que ce n’est pas drôle. De plus, ma voix trahit une rage profonde. Cela n’a rien à voir avec elle, mais c’est ce que je deviens ; un être amer. Pourtant, je ne parviens qu’à projeter cette colère sur elle.

    Comme elle ne répond pas, Tim s’empresse de poursuivre la conversation.

    — Nous serons présents pour célébrer ses huit ans, sourit-il avec sincérité.

    Je le soupçonne d’être heureux, peu importe la raison de festoyer. Sur ce point, nous sommes bien différents.

    Je m’assombris… encore des histoires de famille ! Et quand je dis encore… c’est entièrement de ma faute. J’ai aboli les banquets. Les clans ont compensé cette perte en se réunissant régulièrement. Y compris le mien !

    — Bon, je suppose que je devrai remettre la réunion à plus tard ? dis-je, le nez dans mon assiette.

    — Tu sais que mon nom complet est Kayrôna ?

    Mais qu’est-ce qu’elle est ridicule !

    — J’étais là à notre cérémonie !

    Je le crache avec dégoût. Je la fixe effrontément pour qu’elle comprenne à quel point je le pense. Je réalise qu’elle parlait à mon petit. Vraiment, je me fais honte !

    La pauvre, les larmes lui montent aux yeux. Le regret soudain que j’éprouve réveille une résonnance qui vrille dans ma tête. Je dois respirer avant de m’effondrer sur le sol. Lorsque la douleur sera passée, j’irai me regarder dans la glace pour évaluer ma défaillance.

    — Calme ta rage, me conseille Tim, conscient de mes angoisses.

    Il a raison, je ne ressens pas que la culpabilité. Une infecte animosité est aussi devenue ma compagne de tous les jours. Je déteste ce que je ressens ; être ainsi vulnérable, et me mettre à nu devant tous !

    — J’ai faim, répliqué-je avec hargne.

    Ma mauvaise humeur se fait envahissante, et il me semble que l’envie d’affronter tout un chacun est forte. Cela me décentre de mes symptômes et je peux reprendre une certaine contenance.

    Pour appuyer mes dires, je tente un regard dans le cou de ma femme, sur une palpitation très — trop — apparente. Je sais que la douleur reviendra, mais avec l’écho de la précédente, je peux plus facilement endurer.

    — Nous irons chasser ce soir. Encore.

    Tim me communique une légère pointe de déception, car je me nourris toutes les nuits. Une bien lente adaptation ! La transformation n’est pas réellement complétée. Il y a toujours cette partie humaine en moi. Je la déteste autant que la créature que je deviens. Sur ce fait, il ne peut rien pour moi, je dois trouver mon équilibre. Seul et à mon rythme. Une pensée, un mantra, quoi qu’il en soit, cela me ramène toujours à un niveau plus serein.

    — Merci.

    Par contre, Tim aime nos parties de chasse. C’est le plus facile de tout mon apprentissage : attendre, traquer, attaquer, manger ! C’est ainsi que je devrais gérer ma transformation, mais je suis trop rancunier pour me conformer.

    J’esquisse enfin un petit sourire en coin pour qu’ils comprennent tous que ma bonne humeur est de retour.

    Kay finit par se détendre en s’occupant de mon fils.

    J’en suis d’abord soulagé, mais toujours aussi honteux. Mérite-t-elle le bonheur ? Tout à fait. Son coeur est gros comme le monde. Je ne peux plus la faire souffrir.

    — Nous trouverons une solution, Kay, lui répété-je. Vous ne serez pas une honte pour votre famille. Accordez-moi encore un peu de temps pour y réfléchir.

    Misérable, elle en laisse échapper sa cuillère, qui résonne dans son assiette. La vibration aiguë m’agresse. D’impatience et d’inconfort, je me relève en invoquant tous les dieux.

    Tous dans la cuisine me regardent comme si j’étais un spécimen. Je flaire la peur sur elle, une peur viscérale de moi. Une odeur très alléchante, cependant. Un héritage d’Anthone !

    Que va-t-elle s’imaginer ? Que je lèverais la main sur elle ? C’est ce qu’aurait fait Adam, sinon pire. Mais pas moi !

    — Ressaisis-toi, m’ordonne Tim.

    Quoi ? Lui aussi doute de moi ? Croit-il vraiment que je puisse corriger mon épouse à l’aide de mes poings ?

    — Pourquoi ? Vous êtes si drôle ?

    Mais je ne ris pas, pas plus qu’eux. Je suis animé de haine pour mon ouïe sensible et mes yeux qui ont tendance à brûler au soleil malgré les gros verres teintés. Pour ma renaissance et ma dextérité qui m’obligent à réapprendre la motricité de mes doigts, mais aussi de tous mes membres. Tout me fâche lorsque je me ridiculise ou que j’en souffre physiquement. Ce n’est pas sorcier !

    — Je… Vous… enfin… tente-t-elle d’éclaircir sa voix.

    Je me rassois afin qu’elle comprenne que je ne la frapperai pas. Je peux au moins faire ça.

    — Pardonnez-moi, Kayrôna, je sais me montrer grossier, parfois. Et bien trop souvent envers vous, lui avoué-je.

    Son coeur reste chargé d’amertume.

    Nos conversations finissent toujours ainsi, mais généralement, je ne suis pas à table. Puisqu’ils n’ont pas vidé leur assiette, je ne peux donc pas les quitter.

    Pour me distraire de tous ces arômes, je deviens involontairement attentif à sa circulation sanguine. Elle a si soudainement accéléré qu’elle résonne au travers de la cuisine pour activer ma faim.

    Je dois mettre ma main devant mes canines pour ne pas les alarmer, elle et mon garçon. Je tente de me faire pardonner parce que je lui dois toute ma gratitude de bien s’occuper de mon fils.

    — Écoutez, je ne vois pas vraiment de problème à notre arrangement. Vous êtes une bonne personne, Kay, et vous avez le droit au vrai bonheur d’une famille. Je conçois maintenant que… j’aurais dû contester les exigences d’Adam.

    Elle se décompose devant moi, tant de déception que de soulagement. Sa palpitation continue à battre aussi vite dans son corps et heureusement que j’en souffre, parce que je m’attablerais sur son poignet.

    — Mathias, pas sans son autorisation !

    Tim se croit obliger de me rappeler les rares règlements entre vampire et humains.

    Je sursaute. Pour qui me prend-il ? Puis, je

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