Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les Naturels
Les Naturels
Les Naturels
Livre électronique368 pages5 heures

Les Naturels

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Arrachée aux personnes qu’elle aimait le plus, c’est avec le coeur brisé que Tess et son petit groupe de voyageurs arrivent au campement Isolationniste situé au sein des mystérieuses et arides Terres centrales. Voulant à tout prix être réunie avec James, cet Élu banni qui a conquis son coeur, elle ne
veut rien savoir des rustres Isolationnistes, qui ne soutiennent pas les Gens de l’Est ni les Gens de l’Ouest dans la guerre qui oppose ces deux factions. Cela n’empêche cependant pas qu’il y ait un prix à payer pour bénéficier de leur protection, surtout dans le cas d’une personne aussi puissante que Tess.

Le monde de Tess retrouve son équilibre avec le retour de James, jusqu’à ce qu’elle découvre que sa soeur, Louisa, est retenue prisonnière par cette fripouille d’Élu qu’est George et que sa vie est en danger. Tess fera tout en son pouvoir pour protéger ceux qu’elle aime, mais le prix à payer serait-il trop élevé pour ses moyens?

La série des Âmes perdues de Tiffany Truitt est une histoire palpitante qui invite à réfléchir tout en posant la question à savoir qui est le véritable ennemi... les Élus, qui sont différents de nous, ou les Naturels, qui sont tout juste comme nous?
LangueFrançais
Date de sortie6 mars 2014
ISBN9782897336660
Les Naturels

Lié à Les Naturels

Titres dans cette série (3)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fantasy et magie pour enfants pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les Naturels

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les Naturels - Tiffany Truitt

    Traduit de l’anglais par Guillaume Labbé

    Copyright © 2013 Tiffany Truitt

    Titre original anglais : The Lost Souls: Naturals

    Copyright © 2014 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    Cette publication est publiée en accord avec Entangled Publishing, LLC

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Traduction : Guillaume Labbé

    Révision linguistique : Daniel Picard

    Correction d’épreuves : Nancy Coulombe, Carine Paradis

    Conception de la couverture : Matthieu Fortin

    Photo de la couverture : © Thinkstock

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89733-664-6

    ISBN PDF numérique 978-2-89733-665-3

    ISBN ePub 978-2-89733-666-0

    Première impression : 2014

    Dépôt légal : 2014

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque Nationale du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7

    Téléphone : 450-929-0296

    Télécopieur : 450-929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Truitt, Tiffany

    [Naturals. Français]

    Les naturels

    (Les âmes perdues ; 2)

    Traduction de : Naturals.

    Pour les jeunes de 13 ans et plus.

    ISBN 978-2-89733-664-6

    I. Labbé, Guillaume. II. Titre. III. Titre : Naturals. Français.

    PZ23.T782Na 2014 j813’.6 C2014-940118-3

    Conversion au format ePub par:

    www.laburbain.com

    À ma grand-mère, Judy, Mema, ma sœur, et ma mère — merci de m’avoir appris la signification de la force des mots.

    Prologue

    Je me battrais.

    Je ragerais.

    Je le ferais pour la fille qui vivait en moi…

    La fille qui avait appris toutes les mauvaises choses en grandissant.

    La fille qui n’aurait jamais dû apprendre ce que signifiait vouloir quelque chose.

    Qui avait été avertie du désir, mais pas de l’amour.

    Qui savait comment perdre le pouvoir, mais qui voulait le gagner.

    Qui cherchait les réponses dont elle avait besoin pour survivre.

    La fille qui ne serait damnée par personne.

    Chapitre 1

    Deux jours. C’était tout ce qui séparait mon ancienne vie de ma nouvelle. Deux jours que nous avions passés à marcher dans les bois, chaque pas nous menant de plus en plus près du nouvel endroit qui deviendrait ma demeure ; une communauté d’Isolationnistes.

    Isolationnistes. Un mot qu’on m’avait toujours appris à craindre.

    Et je courrais vers eux.

    Deux jours, encore si loin du camp des Isolationnistes, et j’étais déjà en danger.

    Je pouvais littéralement le sentir.

    L’odeur était familière comme l’idée à laquelle on se promet de ne plus penser et qui refait surface dans l’obscurité absolue de la nuit — les paumes commencent à suer, l’estomac se noue, la peau picote, chaque partie du corps devenant incapable de nier ce qu’on avait si difficilement essayé de refouler.

    C’était l’odeur de la mort.

    C’était la puanteur qui m’avait presque renversée à mon premier jour à Templeton, quand je nettoyai le sang à l’endroit où un élu qui avait fui avait été assassiné. C’était l’agonie de ma sœur qui se mourait en essayant de créer la vie alors qu’aucune vie ne devait exister. C’étaient les corps des jeunes élus que j’avais aidé à enterrer, des élus qu’Henry avait contribué à tuer au nom d’une guerre qui se déroulait sans que j’en aie seulement conscience.

    C’était ma vie avant que je commence à fuir — la vie qui, le croyais-je, était chose du passé. Mais rien n’est resté enterré. L’obscurité trouvait toujours le moyen de ressortir.

    McNair leva sa main, et nous nous arrêtâmes tous. C’était le leader du trio d’Isolationnistes qui m’avait secourue de Templeton. Henry et Robert, des amis de mon ancienne vie au complexe et qui m’avaient aidée à m’échapper, me plaquèrent aussitôt sur le côté et attendirent la suite. McNair semblait âgé d’au moins 20 ans de plus que les deux autres hommes qui voyageaient avec lui, Eric et Jones. Les hommes des régions limitrophes étaient dotés d’une solide constitution, preuve qu’on ne restait plus assis à regarder les autres faire le travail à notre place en vivant dans les bois. Cela différait tout à fait de la vie des naturels qui vivaient dans les complexes construits et protégés par le conseil. Forcés de vivre dans ces bâtiments communs, les naturels ne travaillaient plus et n’allaient plus à l’école. Nous n’avions plus de raison d’être. Nous devions vivre et attendre de mourir.

    Le conseil insista sur le fait que c’était pour notre propre bien, pour nous protéger. Mais, à l’arrivée des élus — des surhommes génétiquement créés comme force militaire pour combattre pendant la guerre et maintenir l’ordre —, nous, les naturels, nés de l’union d’un homme et d’une femme et non dans un laboratoire, n’avions rien à apporter au nouveau monde qui était né de la guerre et de la science.

    Les naturels étaient une génération d’humains nés et élevés pour être dociles et, malgré le statut de naturel que nous avions en commun avec les Isolationnistes, il était frappant de voir à quel point ils étaient déjà différents des gens avec qui j’avais grandi. Leurs cheveux étaient ébouriffés, et leurs barbes négligées. Leurs vêtements étaient sales et usés, mais ils ne se comportaient pas comme certains exclus. Ils ne collaient pas à la définition créée pour eux par le conseil — mais, là encore, qui collait à celle-ci ?

    Ces hommes et femmes ne cherchaient pas une forme de gouvernement. Lorsque la guerre qui déchira mon pays éclata, des décisions difficiles avaient dû être prises par les générations des naturels qui me précédaient. La plupart des survivants qui vivaient dans le secteur de l’Ouest choisirent de se rendre dans les bidonvilles protégés par le bras armé du conseil. En échange de la protection du conseil, plusieurs des miens renoncèrent petit à petit à leurs droits. Nous ne pouvions pas choisir les livres que nous lisions ni la musique que nous écoutions. Bientôt, nous ne serions pas en mesure de décider à quel endroit ou comment nous allions vivre.

    C’était pour notre propre bien, nous disait-on.

    Selon les enseignements de notre gouvernement, c’était notre humanité, notre faiblesse, qui avait été à l’origine de la guerre. Comme on ne pouvait avoir confiance dans le fait que nous allions mettre nos propres désirs avant le bien de notre pays, nous avons permis au conseil de nous enfermer dans des complexes. Nous ne prenions plus de décisions pour nous-mêmes. Nous ne prenions plus aucune décision du tout.

    Mais pas les Isolationnistes.

    C’est ainsi qu’ils fuirent dans des contrées sauvages, vers des lieux que plusieurs croyaient inhabitables suite aux dommages infligés par les combats. Ces gens n’étaient pas des pionniers, mais des barbares ayant choisi de vivre dans la saleté et le péché plutôt que d’accepter la protection du gouvernement et de ses élus.

    Ils ne suivaient aucune loi. Ils n’avaient de compte à rendre à personne.

    Mais ici, dans les contrées sauvages qu’ils traversaient, ils étaient des dieux. Je le percevais dans chaque mouvement. Ces hommes étaient à l’aise dans les bois, endroit que tous les naturels avaient appris à craindre. Le conseil nous avait dit que nous ne pouvions pas être protégés, pas dans la luxuriance étourdissante et désordonnée de la végétation que seuls les livres m’avaient fait connaître et qui était si différente des gris froids du monde dans lequel nous vivions. Dans ces bois existaient les hommes qui ne voulaient aucun conseil, des hommes en qui on ne pouvait avoir confiance parce qu’ils ne croyaient en rien du tout.

    Et maintenant, ils étaient mes guides.

    Deux jours s’étaient écoulés depuis notre confrontation avec les élus. Deux jours depuis que j’avais dit au revoir à mon ancienne vie. Au revoir à ma sœur Louisa. Au revoir à James.

    Le conseil s’était assuré de m’avoir tout pris.

    On avait fait de moi une menace. Au moment de mon inspection, rite de passage de toute fille, ils constatèrent que je pourrais faire ce que les autres ne pourraient pas — quand je voudrais des enfants, ou si j’en voulais, je pourrais en avoir. Je n’avais pas été tourmentée par la maladie qui en avait tué un si grand nombre, y compris ma propre sœur.

    C’était une autre raison pour laquelle les élus avaient été créés. Les naturels avaient perdu des millions des leurs à la guerre après de nombreuses années de carnage et, si on ajoutait à cela l’incapacité de nos femmes à se reproduire, notre peuple passa dangereusement près de l’extinction.

    Ainsi, le conseil nous convainquit de l’autoriser à créer les élus. Ces êtres furent conçus et élevés dans des laboratoires, sans mère ou père biologique. Ils étaient envoyés aux centres de formation dès l’âge de 13 ans, où ils étaient programmés et formés pour mépriser les personnes mêmes qu’ils devaient protéger, selon ce qu’ils avaient bien voulu nous dire. Nous. Les naturels. Dotés d’une force illimitée, d’une beauté artistique et de pouvoirs dépassant les capacités de l’homme, les élus étaient la nouvelle génération à modeler en de parfaits patriotes pour le conseil.

    Ils devaient simplement attendre que mon peuple meure.

    J’étais cependant la preuve que mon espèce pouvait survivre. Ils ont créé des élus pour contrer le déclin démographique de mon peuple, mais, si l’espoir était permis, preuve certaine que notre espèce ne s’éteindrait peut-être pas, de quoi le conseil pouvait-il nous accuser ?

    Je ne savais toujours pas pourquoi je pouvais faire ce que tant de femmes autour de moi ne pouvaient pas, mais je m’étais fait des ennemis à cause de cela.

    Il y avait toutefois d’autres raisons pour lesquelles mon gouvernement me détestait.

    Ils me détestaient parce que j’étais tombée amoureuse d’un élu. James. Condamnée à purger une sentence parce que ma sœur avait transgressé les règles entourant la procréation, j’avais rencontré James en travaillant au centre de formation de Templeton. Et mon univers avait basculé. J’avais découvert que les élus n’étaient pas quelque chose à craindre. Du moins, pas tous les élus. Bien sûr, ils étaient plus puissants que je ne pourrais jamais espérer l’être, sur le plan physique, mais ils étaient humains. James riait et pleurait. Il ressentait des choses. Il n’était pas une sorte de créature conçue dans un laboratoire et dépourvue d’une conscience de soi. Il m’avait aidée à retrouver ma liberté.

    Ils me détestaient à cause des choses que j’avais vues à Templeton. Des filles abusées parce que personne ne leur avait appris comment parler pour elles-mêmes. Le conseil qui tuait des élus parce que les créateurs pouvaient simplement en créer d’autres, tout en réalisant que, si nous les laissions faire, il pourrait tout nous prendre, y compris tout ce qui faisait de nous des humains. Ils le feraient dans l’intérêt commun. Mais leur définition de ce que cela signifiait et la mienne ne furent jamais au diapason.

    Ils me détestaient parce que j’étais la fille de mon père, qui s’était battu pour la résistance. Mon père ne voulait pas de cette vie pour moi, mais son sang coulait dans mes veines, et ses rêves vivaient dans ma tête. Je devais me battre, moi aussi.

    Ils me détestaient à cause de qui j’étais. La fille que j’essayai si fort de découvrir. Une fille qui voulait plus, même si le simple fait de vouloir quoi que ce soit laissait quelqu’un vulnérable.

    Ils avaient essayé de me voler ma propre vie, mais je m’étais enfuie. Et, même s’ils essayaient très fort, ils ne pouvaient pas me voler mes souvenirs de James. Je m’accrocherais fermement à ceux-ci aussi longtemps que je serais en vie. Je me rappellerais comment, à mes premiers jours à Templeton, ses doigts dansaient avec les miens sur les touches du piano. Le sourire léger qui se dessina sur son visage lorsqu’il apprit mon nom. Sa décision de ne pas me dénoncer parce que je l’intriguais. Le son de sa voix comme nous lisions des livres considérés interdits pour ma race.

    Comment il m’apprit ce qu’était le désir. Le fait de vouloir.

    Et ainsi, un élu avait appris à une naturelle comment être humaine.

    Je me souviendrais de lui aussi longtemps que je serais en vie et j’espérais que ce serait pour longtemps.

    À l’exception du silence lourd et tendu qui nous emprisonnait comme dans une cage pendant notre voyage, l’aventure s’était déroulée sans histoire.

    Mais, dans ce silence, on pouvait sentir des ennuis.

    L’odeur coulait dans ma gorge. Je pouvais y goûter — aigre, âcre, pourrie. J’essayai de retenir ma toux, mais le goût brûlait ma gorge, et mon corps voulait l’expulser. Je me repliai sur moi-même et m’étouffai des accès de toux irréguliers qui jaillissaient de moi. Henry, mon plus vieil ami, plaça une main consolante sur mon dos. Comme moi, Henry avait été lésé par le conseil. Ils avaient assassiné les membres de sa famille parce qu’ils avaient essayé de s’échapper lorsqu’il était enfant. Ainsi, au moment de prendre la fuite, il n’hésita pas à s’enfuir avec moi. Je ne savais pas s’il se sauvait à cause de sa haine envers le conseil ou de ses sentiments envers moi.

    Je réussis à lever les yeux vers lui ; son visage était devenu blanc, et ses yeux étaient pleins d’eau.

    —Tu ne penses pas…, chuchota l’homme nommé Eric.

    McNair acquiesça simplement, et les épaules d’Eric s’affaissèrent. McNair frotta sa main le long de sa mâchoire, respira profondément et regarda Robert.

    —Ça ne va pas être joli, mais je ne vois pas d’autre moyen de le contourner.

    Robert, mon beau-frère, inclina la tête. Aucune allusion à ce dont ils discutaient ne pouvait être lue sur son visage. Il était stoïque. Confiant. Il était un élu, après tout.

    —Penses-tu que c’est un piège ? demanda-t-il.

    —Difficile à dire. Il y a un complexe à plus d’un kilomètre d’ici. Si c’est ce que je pense, alors ils sont proba-blement déjà loin — nul besoin de continuer à protéger la place. Nous avons appris que ce genre de choses avait commencé à se produire.

    —Un complexe ? Si loin ? demandai-je.

    —Ces complexes en périphérie sont beaucoup plus petits. Ils négocient avec des élus plus spécialisés, répondit Robert.

    —Spécialisés ? Je n’aime pas ça, dis-je à mi-voix à Henry.

    —Qu’en penses-tu ? demanda McNair au troisième Isolationniste.

    Je n’avais pas entendu l’homme nommé Jones parler une seule fois de tout le voyage.

    Je ne le blâmais pas de son silence. Il ne me connaissait pas du tout et il était dans les bois à risquer sa vie pour moi. Je me demandai à quoi pouvait ressembler la vie des hommes Isolationnistes. Leurs êtres chers. Bien peu attendaient Robert et Henry au complexe, mais ces hommes pouvaient avoir des familles qui les attendaient. C’était peut-être des pensées pour les siens qui rendaient Jones si calme. Mon sauvetage semblait comporter un risque terrible du fait qu’on devait traverser le territoire du conseil que les Isolationnistes avaient été assez intelligents de fuir il y a des années.

    Je regardai Jones et voulus qu’il ait une famille. J’avais besoin de croire qu’ils avaient tous quelqu’un qui les attendait de l’autre côté de ces bois — qu’ils avaient quelque chose qui leur donnait une raison de marcher. Quelque chose au-delà du moment présent, au-delà de l’horreur qui nous attendait. Je savais déjà ce que je laissais derrière.

    Je devais croire que j’avais choisi la meilleure vie.

    Jones marcha jusqu’à McNair et chuchota à son oreille. Je me demandai pourquoi il sentait le besoin d’être si secret, mais un simple coup d’œil à la façon dont il poin-tait son regard sur Robert me fit comprendre ; il ne lui faisait pas confiance.

    Je pouvais en quelque sorte comprendre la méfiance de Jones. Il n’y avait pas si longtemps, je ne lui faisais pas confiance moi non plus, mais cela n’avait aucun rapport avec le fait qu’il soit un élu. Sa trahison était survenue avant même que je sache ce qu’il était. À son entrée dans notre complexe, j’avais senti ce que ma sœur, Emma, ressentait pour lui, et Robert m’avait promis de la protéger. Mais elle était tombée enceinte et avait péri. Pendant longtemps, je ne blâmai que lui. Je ne comprenais pas ce que c’était d’aimer à ce moment-là ; je voyais seulement de la manipulation et de la tromperie dans leur relation.

    Mais Robert avait beaucoup aidé à mon sauvetage, et mes sentiments à son égard étaient maintenant confus.

    Lorsque Jones eut terminé, McNair se mit à déchirer une bande de sa chemise et me la tendit.

    —Utilise ceci pour couvrir ta bouche et ton nez. Ça ne va qu’empirer.

    Je pris le tissu et l’appuyai sur mon visage. Sans perdre de temps, McNair commença à marcher, et nous emboîtâmes le pas. Même avec le tissu, je pouvais sentir que l’odeur devenait de plus en plus forte. Jamais au cours de ma vie n’avais-je éprouvé quoi que ce soit de si odieux que je n’arrive plus à maîtriser mon corps. J’étais certaine que la puanteur allait me coller à la peau, qu’elle allait s’imprégner dans mes pores. Même si je pouvais oublier ces moments passés dans les bois, avec le sentiment envahissant que je ne pourrais jamais en sortir, j’étais certaine que l’odeur allait me suivre pour toujours.

    C’est à ce moment-là que je le vis. Nous arrivâmes si rapidement à la clairière que je n’eus pas le temps de me préparer, quoique cela semblât constituer un thème récurrent de ma vie. C’était un complexe. Du moins, c’est ce que cela me semblait être. Mais quel genre de personnes vivaient si blotties dans les bois ? Oui, mon complexe avait été entouré, mais pas comme cela. Pas au fin fond de la vaste nature, dans l’espoir vain de se cacher. Non. Ce complexe n’avait pas sa place ici.

    Malgré tout, il y était — le rappel que des naturels étaient toujours en vie, qu’ils respiraient, qu’ils existaient toujours. Peut-être n’avions-nous que peu de temps devant nous en tant que peuple, mais nous existions encore.

    —Ne devrions-nous pas nous enfuir de cet endroit en courant ? demandai-je, mon cœur battant à vive allure.

    Un complexe signifiait qu’il y avait des élus dans les environs, et cela semblait le dernier endroit où tout fugitif voudrait se retrouver.

    —Nous n’avons rien à craindre ici, mon enfant, répondit McNair. Les dommages sont déjà faits.

    —Là, monsieur, dit Jones tout en pointant son doigt vers l’horizon.

    Une fumée noire s’élevait dans le ciel couvert de gris — une couleur harmonisée à jamais aux vies de ceux forcés de vivre dans les complexes.

    Henry fit quelques pas en direction de la fumée sans nous attendre, tandis que McNair s’assit au sol comme s’il s’installait pour pique-niquer.

    —Peut-être devrions-nous voir ce qui se passe là-bas, dis-je en espérant que ma voix n’avait pas semblé aussi chancelante à leurs oreilles qu’aux miennes.

    Aussi curieuse que je pusse être de vouloir connaître la cause de la fumée et la signification des mots énigmatiques de McNair, une partie de moi me retenait de faire un pas vers l’avant.

    —Je sais déjà ce qui est arrivé. Mais je pense que c’est une bonne idée pour toi d’y aller, répliqua-t-il en regardant son arme à feu plutôt que moi.

    À notre premier jour complet de voyage, j’avais trouvé impossible de ne pas fixer l’arme proscrite qu’il portait avec tant d’aisance. À l’exception des images qui avaient été diffusées à la télévision par les personnes qui travaillaient pour le sous-comité de propagande du conseil, je n’avais jamais vu un naturel armé.

    Je détournai péniblement les yeux de l’arme pour regarder Robert. Son visage ne démontrait toujours aucune expression, et il n’arrivait pas à me regarder.

    —Il a raison. Tu devrais suivre Henry.

    Jones et Eric restèrent eux aussi cloués sur place. Je respirai à fond et me forçai à marcher. Je ne pouvais pas rester à cet endroit, pétrifiée par la peur de l’inconnu. J’ai passé toute une vie à faire cela, et ça ne m’a rien donné de bon. Je dépassai le complexe en me demandant comment un endroit où tant de naturels se trouvaient pouvait être si calme, si tranquille. Le sol déboulait légèrement sous mes pieds, et j’escaladai la colline jusqu’en haut malgré la douleur continue dans mes cuisses.

    À mon arrivée au sommet de la colline, j’aperçus le dos d’Henry. Il se tenait debout, complètement immobile, et me fixait sur cette colline. La manière dont la brise décoiffait ses cheveux au-dessus de sa tête, son air qui donnait l’impression qu’il était si paisible… Je savais qu’au moment où j’allais faire un autre pas, j’allais ruiner ce moment à jamais. Peu importe ce qu’il regardait, je le verrais aussi — une autre image que je ne serais jamais capable d’effacer de mon esprit.

    Les corps. Tant de corps.

    À la différence des corps des élus que j’avais aidé à enterrer et qui avaient semblé dormir plutôt que d’être morts, ceux-ci n’étaient pas en paix. Il devait y en avoir des douzaines — des enfants comme des personnes âgées. Personne n’avait essayé de protéger les gens qui ne pouvaient pas se sauver la vie eux-mêmes. Couchés grossièrement dans l’herbe comme une mer de fleurs sauvages. Les corps étaient criblés de trous de balles et couverts de sang d’un violet foncé. Un corps, celui d’un enfant qui ne pouvait être âgé de plus de cinq ou six ans, présentait quatre blessures. Une balle n’était-elle pas suffisante ?

    Ces personnes étaient des naturels. Le conseil prétendait que les élus protégeraient ces gens. Mais quelqu’un les avait laissés tomber. Je voulais pleurer, sangloter, hurler pour ces gens — des gens dont personne ne semblait se soucier. Ces gens-là étaient des miens, et je ressentais une douleur profonde pour les souffrances qu’ils avaient dû endurer.

    —Ils ont manqué leur coup, chuchota Henry.

    Je voulais tourner la tête pour le regarder, mais je ne pouvais pas arrêter de fixer le petit enfant dont les jambes étaient dissimulées sous le corps d’une femme et d’un homme plus âgés. Étaient-ce ses parents ? Avaient-ils essayé de le protéger ? Ou étaient-ce deux étrangers qui avaient été balancés par-dessus lui ? Jetés comme des ordures — exactement de la même manière dont le conseil nous voyait.

    —C’est pour cela qu’ils ont tiré sur lui tant de fois. La première balle a dû l’atteindre au pied ou peut-être au bras. Et il a couru. Il voulait vivre ; alors ils ont tiré sur lui jusqu’à ce qu’il meure.

    L’instant d’un moment, je me demandai pourquoi Henry parlait si bas. Nous étions les seuls êtres vivants. Je me raclai la gorge.

    —Qui les a tués ?

    Curieusement, je m’interrogeai sur la couleur des yeux du garçon. Étaient-ils de la même couleur que ceux d’Henry, un autre garçon qui voulait si désespérément vivre ? Henry avait survécu. Il faisait partie de ce voyage. Il avait fait le choix de venir avec moi et, bien que je fusse toujours furieuse contre lui de m’avoir caché tant de secrets, je tendis maladroitement ma main vers la sienne en continuant de fixer le petit garçon. La main d’Henry trouva la mienne sans grand effort.

    —Les élus.

    La voix de McNair venait d’en arrière de nous. Je pouvais les entendre, le reste de notre groupe. Le lugubre silence avait été brisé.

    —Pourquoi ? fut la question qui réussit à s’échapper péniblement de ma gorge sèche.

    Je me rendis compte que McNair était resté en arrière pour nous donner, à Henry et à moi, le temps de découvrir par nous-mêmes les corps.

    Il y a des choses que vous devez voir pour croire.

    —Le conseil est en train de perdre la guerre. Les gens de l’Est deviennent plus forts jour après jour. Tu penses que ton gouvernement est allé trop loin en jouant à Dieu ? Tu devrais entendre les rumeurs qui courent sur ce que les gens de l’Est ont fait. Des abominations, il paraît. Ils n’ont désormais plus le temps de s’inquiéter des naturels.

    —Mais avec des armes à feu ? Je pensais que le conseil les avait bannis, dis-je.

    —On dirait qu’ils ont changé les règles. Étonnée ? demanda sèchement McNair.

    —De toute façon, c’est rapide. Efficace. Et, il n’y a pas de doute, ils ont tous été pris par surprise, ajouta Eric.

    Je sentis un frisson descendre le long de mon dos. J’avais appris au cours des deux derniers mois que les élus n’étaient pas les monstres à qui j’avais rêvé, que leur existence était plus compliquée que cela. Ils étaient autant un produit de la propagande du conseil que nous, les naturels, l’étions. Mais je voyais aussi ce dont ils étaient capables et je ne voulais pas penser à ce que les gens de l’Est créaient dans leurs laboratoires. Si le conseil réagissait si rapidement et durement, ils devaient avoir été pétrifiés.

    —Mais pourquoi les tuer ? Pourquoi ne peuvent-ils pas se contenter de laisser la race des naturels disparaître ? demandai-je.

    Je craignais de connaître déjà la réponse — nous pouvions et pourrions toujours être éliminés. La science l’avait garanti. Je n’arrivais pas à croire que c’était le cas.

    —Le conseil ne veut pas gaspiller ses ressources. Pourquoi se soucier des naturels maintenant qu’ils ont le pouvoir absolu ? Leurs mensonges, ceux stipulant que les élus ont été créés pour nous protéger, ont seulement dû être entretenus jusqu’à ce qu’ils aient pu construire un nouveau monde, celui où on ne les questionnerait plus jamais. Ils commenceront par des complexes comme ceux situés près des frontières entre les territoires occupés par les Isolationnistes et les gens de l’Est. Et ensuite, ils les détruiront tous, dit Robert en venant se placer debout à mes côtés.

    —Comme si nous n’avions même jamais existé, répondit Henry, dont le ton sombre avait été remplacé par son habituelle amertume.

    —Vous n’aurez pas existé. Ils feront disparaître chaque mention jamais enregistrée des naturels, répondit Robert.

    —Comment le savez-vous ? demandai-je, incapable de retenir le scepticisme de ma voix.

    Comment pourrait-on faire disparaître un peuple entier de l’histoire ? Ils devraient se débarrasser de l’art, de la musique et des livres qu’ils ont permis aux élus d’accumuler.

    Mais n’avaient-ils pas réussi à tout prendre des naturels ?

    —Je le sais parce que cela fait longtemps que je suis un élu. J’étais un très bon élu, en fait. Je croyais. Ne détourne pas ton regard de la vérité — pas maintenant alors que tu as fait tout ce chemin. Le conseil dressait une liste des gens de notre complexe…

    —La liste de déportation. Mais je pensais qu’elle devait dissimuler… Dissimuler mon meurtre.

    Le conseil était prêt à simuler une déportation pour cacher ma mort parce que j’étais capable de faire ce que le conseil avait dit aux naturels ce qu’il était impossible de faire. Je pouvais créer la vie,

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1