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Déviation: La Clé de lumière - Tome 2
Déviation: La Clé de lumière - Tome 2
Déviation: La Clé de lumière - Tome 2
Livre électronique482 pages6 heures

Déviation: La Clé de lumière - Tome 2

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À propos de ce livre électronique

Tourmentée après une fuite audacieuse, Cora Sandoval doit trouver un moyen d’empêcher les Arrazis de tuer des innocents et de violer, d’exploiter ou de tuer les Scintillas pour prendre leurs pouvoirs. Elle doit également accepter une cruelle trahison : Finn Doyle, le garçon irlandais qui possède une partie du cœur et de l’âme de Cora, n’est pas celui qu’elle croyait.

Menacés d’extinction, recherchés par ceux qui désirent absorber leurs pouvoirs ou les détruire, Cora et les derniers Scintillas survivants doivent résoudre le mystère de la Clé de lumière. S’ils échouent, la vérité restera enfouie à jamais et l’humanité en paiera le prix.

Cora ne se cachera plus. Elle n’acceptera plus que ceux qu’elle aime soient pourchassés. Et elle aura sa vengeance… même si cela doit lui briser le cœur.
LangueFrançais
Date de sortie11 mars 2016
ISBN9782897670061
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    Aperçu du livre

    Déviation - Tracy Clark

    1

    Cora

    L’Irlande est une belle voleuse sans cœur.

    Imprudente et entêtée, j’avais plongé dans sa verdure, son brouillard et son histoire, à la recherche de réponses. Après avoir mené une vie trop encadrée, je voulais être brave. Ma bravoure m’apparaissait maintenant comme stupide. On m’enlevait les gens que j’aimais. L’Irlande était magique et mythique à en donner le frisson, l’effrayant triangle des Bermudes déguisé en paradis.

    J’y ai découvert une partie de moi que je croyais disparue à jamais. J’avais retrouvé ma mère, je l’avais sauvée d’années d’abominable captivité, mais j’avais dû donner mon père en échange. Mon père qui était maintenant étendu, mort, sur le plancher d’une remise poussiéreuse, son corps brutalement drainé de son essence par Clancy Mulcarr. La force vitale de mon père était éteinte à jamais. Je l’avais perdu.

    Et j’avais perdu Finn. Ma cousine, Mari, avait raison quand elle affirmait que l’amour était comme la foudre. J’avais été frappée, ma naïveté s’était embrasée, brûlée en cendres.

    L’Irlande m’avait également dérobée à moi-même. Tout ce en quoi je croyais à propos de ma personne avait soudain été remplacé par un seul mot : Scintilla.

    La force de ma peine et de ma colère me frappa si fort que j’en eus le souffle coupé. Je me penchai en avant sur le siège du passager de la voiture où nous avions pris place pour tenter de reprendre mon souffle. Giovanni serra le volant d’une main et mon bras de l’autre. Il me jeta un rapide coup d’œil avant de regarder dans le rétroviseur.

    — Ça va ? me demanda-t-il.

    Je hochai la tête, mais je doutais pouvoir un jour recommencer à respirer normalement. Plus jamais je ne me sentirais en sécurité. Impossible de se sentir en sécurité quand on est une proie. On court, on se cache, on évite ses prédateurs. On ne baisse jamais sa garde. On lutte, même si la lutte ne fait pas partie de notre comportement normal. « Heureusement, tu es une battante, grâce au ciel », m’avait dit mon père quand j’étais à l’hôpital, alitée et fiévreuse.

    J’ignorais si c’était vrai, mais si je voulais vivre, il valait sacrément mieux lutter.

    Je posai ma tête contre l’appuie-tête, mais je gardai mon regard fixé sur le paysage, pour vérifier si nous étions suivis. Nous n’avions pas encore quitté la propriété de la famille de Finn et Clancy pouvait être n’importe où. J’avais beau scruter les environs par la fenêtre, les images de mon père me hantaient. Pendant de nombreuses années, nous avions vécu seuls et même au moment où notre duo était devenu trio, après le mariage de mon père avec Janelle, même quand notre proximité avait été mise à l’épreuve par mon désir de liberté qui avait grandi avec l’âge, il avait toujours été fort et solide. Et maintenant, il était… parti.

    On m’avait propulsée contre mon gré hors de mon navire, que je regardais voguer au loin, à jamais hors d’atteinte.

    En plus de celles de mon père, des images de Finn interrompaient mes pensées. Sa mâchoire ombragée par un rayon de soleil à travers les séquoias de Californie. La ligne anguleuse de ses épaules quand il enfonçait timidement les mains dans ses poches. Son sourire espiègle. L’odeur épicée de ses baisers. L’énergie dans son regard, qui pouvait pénétrer au plus profond de mon être. Il avait été mon poète vedette de rock. Mon premier et mon seul amour.

    Finn avait une façon de fissurer ma carapace et d’exposer ma force et ma beauté. Et comme ce moment d’émerveillement qui survient quand on ouvre une géode, pour la première fois de ma vie, j’avais été émerveillée de découvrir de quoi j’étais capable. Et maintenant, sans mon père, sans Finn, je ne savais pas si je pourrais rassembler les morceaux de moi pour me reconstruire.

    Était-ce ainsi la vie ? Devais-je vraiment me voir grandir à travers les yeux des autres pour apprendre comment devenir mon propre miroir ?

    J’étais certaine qu’un miroir révèlerait le vide que je ressentais. Le vide n’était pas rien. C’était un nuage nocif qui remplissait les trous qui m’habitaient maintenant.

    J’ouvris les yeux pour regarder par la vitre de la voiture à la recherche de poursuivants. Outre ma grand-mère, qui vivait au Chili, nous étions les trois derniers Scintillas dont je connaissais l’existence. Ma mère, Giovanni et moi avions pris la fuite pour vivre. Le brouillard irlandais dans lequel nous nous étions enfoncés en sortant de la prison souterraine de Clancy s’était épaissi et les arbres semblaient maintenant jaillir d’un tapis de nuages blancs sur lequel nous roulions actuellement. Giovanni enfonça le frein quand la porte menant au manoir de la famille de Finn se matérialisa soudain devant nous. Elle se dressait, noire et imposante. Verrouillée.

    — Elle ne s’ouvre pas automatiquement ? lança Giovanni en appuyant sur l’accélérateur.

    Son accent italien laissait deviner la même panique que celle qui m’habitait. Nous devions sortir d’ici, de cet antre d’Arrazis qui vivaient pour tuer. Ou qui tuaient pour vivre.

    Enfin, peu importe.

    C’étaient des meurtriers.

    J’ouvris la portière d’un coup de pied. Le brouillard s’infiltra dans la voiture comme un fantôme indésirable qui voulait nous agripper par les chevilles pour nous extirper du véhicule.

    — Reste dans la voiture, je vais ouvrir la porte, dit Giovanni en m’attrapant par la main.

    — Non. Reste au volant. Nous pourrons repartir plus vite si j’ouvre la porte. Je reviens.

    Je laissai la portière ouverte, puis je courus jusqu’à l’énorme porte en fer. Je tirai sur les barreaux glissants, mais la porte refusa de bouger. Je regardai par-dessus mon épaule. Les phares m’éblouirent, mais je vis Giovanni et ma mère, recroquevillée sur la banquette arrière. Je levai un doigt pour indiquer que ce ne serait pas long. À travers le brouillard, je remarquai un panneau électronique près de l’allée de gravier, derrière la voiture. J’y courus et, de mes mains tremblantes, j’appuyai sur les boutons dans le noir. La porte resta obstinément immobile.

    — Je n’y crois pas ! criai-je en frappant du pied le panneau à plusieurs reprises.

    Je pouvais sentir ma peur et ma frustration sous ma peau. Je venais d’échapper de justesse aux Arrazis. Je n’avais pas l’intention de laisser ce panneau de pacotille me garder enfermée.

    — Cora.

    Mon cœur était déjà si serré de douleur que je sursautai en criant. Je n’avais pas besoin de me retourner pour savoir que c’était Finn qui s’avançait vers moi. Il arriva près de moi et pianota un code sur le panneau. Les chaînes de la porte se mirent en mouvement. Je poussai un soupir de soulagement, mais je m’en voulus de ne pas avoir senti Finn approcher. La terreur et le chagrin avaient engourdi mes instincts. Il me faudrait toujours être plus alerte, si je voulais rester en vie.

    Je sentis une autre partie de moi se briser quand je regardai Finn. Je mordillai ma lèvre tremblotante.

    Le brouillard l’enveloppait, parsemant ses cheveux et ses longs cils de gouttelettes qui me firent penser à des larmes. Il était à la fois beau et terrifiant. À cause de moi, son aura n’était plus le coucher de soleil d’amour, de désir et de force que j’avais appris à découvrir en Californie, quand notre amour était comme une fleur naissante. Toutes les couleurs de son aura avaient disparu, remplacées par un blanc pur qui irradiait de son corps comme des cristaux de neige suspendus dans l’air autour de lui et glissant sur la courbe de ses épaules.

    L’aura blanche des Arrazis avait une apparence angélique, mais il ne fallait pas se laisser berner.

    — Et ton père ? demanda Finn en montrant la voiture.

    Je regardai par-dessus mon épaule pour voir les deux silhouettes dans la voiture. Ma mère était étendue sur la banquette arrière, tandis que Giovanni occupait le siège du conducteur. Il scrutait à travers les vitres pleines de gouttes d’eau pour me voir.

    Je voulus répondre à la question de Finn, mais je n’arrivai pas à prononcer le mot qui sonnait comme le claquement d’une porte : « Mort. »

    Finn comprit. Je pus le deviner en le voyant lever les mains en signe de désespoir, avant de les laisser tomber et de les lever de nouveau.

    Ta sé in ait na fhirinne anois.

    Je ne compris pas ce que Finn prononça dans sa langue irlandaise maternelle et je ressentis une décharge quand il tendit les mains, ce qui me rappela son baiser, qui avait failli me tuer. Il avait tendu les mains ainsi, le soir où j’avais découvert qu’il était Arrazi. Son avide aura blanche avait jailli de son corps et du bout de ses doigts pour occuper toute la salle en aspirant mon âme.

    Je reculai instinctivement en direction de la voiture.

    — Je vous retrouverai…

    — Non ! criai-je en l’interrompant et en levant la main.

    La phrase de Finn m’avait frappée de plein fouet tandis que j’agrippais la portière de la voiture. Je n’entendais que la voix grave de Clancy Mulcarr dans ma tête.

    « Je vous retrouverai tous. Et quand je vous aurai retrouvés, je vous tuerai, tous les trois. »

    Ma gorge se serra et je ravalai mes larmes.

    — Ce que tu dis ressemble trop à ce que ton oncle Clancy m’a dit.

    2

    Finn

    Voir Cora s’écarter de moi comme ça faillit me tuer.

    J’étais déjà à moitié mort.

    Pas assez mort.

    Il fut un temps où ses yeux émeraude expressifs me regardaient avec confiance, adoration et curiosité. Main­tenant, je n’y voyais qu’une sombre agonie et la peur. Elle avait raison de me craindre. J’avais failli tuer celle que j’aimais.

    Et maintenant, elle s’éloignait de moi pour toujours. Je serrai les poings en boules de douleur en regardant les phares de la voiture disparaître dans le brouillard. Cet enfoiré d’Italien qui se trouvait dans la voiture avec elle allait devenir le chevalier de Cora. Je détestais Giovanni pour ce qu’il lui avait dit, que ce que je ressentais pour elle n’était pas de l’amour. Il lui avait dit de ne pas confondre le besoin avec l’amour, que j’étais attiré par elle simplement pour ce qu’elle était et non par qui elle était. Comment pouvait-il savoir ce que je ressentais ? J’avais voulu être avec Cora dès la première fois où je l’avais vue. Elle était belle et sincère et plus je me rapprochais d’elle, plus elle faisait partie de moi.

    Était-ce par amour ou par besoin ? Seigneur, c’était les deux.

    C’était une lame à double tranchant.

    Et si Giovanni avait raison ? Le doute rôdait dans le brouillard et grimpa sur mes épaules pour s’immiscer sous ma peau. Le nuage du doute était suffisamment lourd pour que je sois porté à me condamner, et même si je détestais Giovanni Teso pour ses mots durs, j’étais heureux de savoir que Cora ne serait pas seule. Il tâcherait de la protéger. Il prendrait soin d’elle. Il ferait ce que je ne pouvais pas.

    Quand le brouillard eut avalé la voiture, je me tournai vers la maison. Deux lumières jaunes de part et d’autre de la porte m’éclairaient, observaient mon cheminement solitaire sur l’allée de gravier. À chaque pas, la colère se faisait plus sourde en moi, chaque gravier écrasé sous mon pied ancrait la haine plus profondément dans ma poitrine. J’avais un objectif : mon oncle Clancy était drogué, inconscient, dans le sous-sol de la maison. Je voulais être présent quand il reviendrait à lui.

    Ma mère m’intercepta à la porte, le visage plein d’appréhension. Elle tendit la main à mon passage.

    — Pas maintenant, dis-je entre mes dents.

    Je ne m’arrêtai pas et me dirigeai vers l’escalier menant au sous-sol, où se trouvait l’homme qui avait enfermé Cora dans le but de se nourrir de son aura pour je ne sais combien d’années, comme il l’avait fait avec sa pauvre mère pendant plus d’une douzaine d’années. Quel genre d’homme était capable de telles atrocités ?

    « Un Arrazi », me souffla mon esprit.

    Peut-être, mais je n’étais pas comme les autres Arrazis. Je ne ferais jamais ça. Je refusais de devenir comme eux. Et si la trahison de Clancy me faisait mal jusqu’au plus profond de mon être, la trahison de mes parents était encore pire. Ne pas m’avoir dit plus tôt la vérité sur ce que j’étais, avoir attendu si longtemps que j’avais mis en danger la seule personne à qui j’avais donné mon cœur, m’avoir laissé vivre ma vie sans m’expliquer que j’étais né pour tuer : c’était quelque chose que je ne leur pardonnerais jamais.

    À mi-chemin dans l’escalier menant au sous-sol, mon père m’agrippa pour me forcer à me retourner.

    — C’est inutile, Finn. Clancy est parti.

    Je m’appuyai contre le mur de calcaire.

    — Parti ? Où ça ?

    La main sur ma chemise se détendit et mon père soupira. Les traits de son visage esquissèrent une moue.

    — D’abord, il est allé à la remise où j’avais dit à Cora et aux autres de se cacher. Ensuite, je n’en ai pas la moindre idée.

    — Il a tué son père, dis-je en comprenant enfin ce qui s’était passé.

    Je pouvais sentir ma force me quitter en pensant à Cora, qui devait avoir regardé son père mourir. Horrifiant.

    — Comment ont-ils réussi à s’échapper ? demandai-je.

    Je me demandais surtout où était Clancy et s’il réussirait à les rattraper.

    — Je ne sais pas, répondit mon père. Ils ont lutté. L’ami obséquieux de Clancy, Griffin, a été poignardé à mort. Clancy était déjà parti quand je suis arrivé. Les autres ont de la chance d’être toujours en vie.

    — Tu les as aidés, dis-je, soudain rempli de sentiments partagés. Tu les as aidés quand tu aurais pu tuer…

    Le regard de mon père se teinta de sympathie.

    — Tu l’aimes. Si je l’avais tuée, je t’aurais tué. Je ne pouvais pas faire subir cela à mon propre fils.

    — Non. Au lieu de cela, tu m’as presque laissé la tuer ! dis-je en repoussant mon père, qui glissa sur les marches, mais il s’agrippa de chaque côté de la cage d’escalier.

    L’ombre de ma mère se dessina dans l’embrasure. Je lui lançai un regard noir.

    — Vous avez tous les deux mis la vie de Cora en danger en ne me révélant pas de quoi j’étais capable. Vous ne m’avez rien dit sur ce qu’elle était.

    Je constatai que je pleurais quand je sentis mes larmes couler dans mon cou, où les battements de mon pouls s’accéléraient.

    — Nous aurions dû t’en parler plus tôt, dit ma mère de son habituelle voix froide et impassible.

    Était-elle devenue incapable de ressentir des émotions après toutes ces années passées à tuer ?

    Mon estomac se noua.

    — Pourquoi avez-vous décidé d’avoir un enfant ? Pourquoi avez-vous volontairement choisi de donner naissance à un autre tueur ? C’est impardonnable.

    Ma mère tripota la croix dans son cou.

    — Ne sommes-nous pas des créatures de Dieu ? Ne sommes-nous pas ici pour une raison ? Nous ne tuons pas pour le plaisir. Nous ne tuons pas pour un territoire. Nous ne tuons pas pour soutenir un quelconque dogme. Nous tuons pour survivre. Et nous ne sommes pas les seuls à le faire en ce bas monde.

    J’avançai vers elle sans détourner mon regard, jusqu’à ce que je sois nez à nez avec elle.

    — Je suis persuadé d’une chose : ce monde serait meilleur sans nous.

    3

    Cora

    La maison, geignit Gráinne de la banquette arrière, cette fois avec plus d’énergie.

    Giovanni et moi échangeâmes un regard. Ma mère était dans cet état depuis que nous nous étions enfuis de la remise. Elle marmonnait sans cesse à propos de la maison et elle répétait le nom de mon père. « Benito. Benito. »

    Chaque fois qu’elle prononçait ce nom, je sentais une pointe s’enfoncer dans mon cœur.

    Je devais trouver un moyen d’arrêter les Arrazis. Je devais trouver un moyen d’assurer notre sécurité.

    — Benito…

    « Papa. »

    — J’aime croire qu’une partie de ton père vit toujours, dit doucement Giovanni.

    Il ne me regarda pas en parlant, gardant plutôt le regard fixé dans le brouillard transpercé par les phares.

    — Dans l’âme de Clancy ? crachai-je, dégoûtée par cette idée.

    — N’empêche.

    Nous étions obligés d’avancer lentement en raison de l’épais brouillard et de la route sinueuse. Rongée par le besoin d’aller plus vite, je constatai soudainement que j’appuyais fortement le pied au plancher. Clancy pouvait être en train de nous suivre. Il pouvait flotter avec nous dans la voiture comme un fantôme grâce à son sortilège de projection astrale. Comment pouvions-nous nous cacher d’un homme avec de tels pouvoirs ?

    — Va à Trim, Cora, dit ma mère, d’une voix plus assurée que jamais.

    — Où est-ce ? demanda Giovanni.

    — La maison où j’habitais quand j’étais jeune, répondis-je en me tournant vers ma mère et en tendant la main pour lui toucher la jambe. Pourquoi aller là-bas ? Il n’y a rien pour nous dans cette maison. Ce n’est plus notre maison.

    Gráinne écarquilla les yeux, qui devinrent durs comme des billes de verre.

    — Ce sera toujours notre maison.

    — Ce n’est pas prudent d’aller dans un endroit qu’ils connaissent, dit Giovanni, formulant les mêmes craintes que moi.

    — Je sais. J’essaie de trouver…

    Soudain, Gráinne se pencha en avant pour agripper l’antique clé en argent qui pendait à mon cou. Elle fit tourner entre ses doigts les cristaux pyramidaux rouges qui se joignaient au sommet pour former une sorte de sablier dans la tête de la clé.

    — Cette clé, dit-elle. Tu l’as trouvée. Tu n’étais pas censée la trouver. Pas toi. Tout a commencé à tourner mal quand on m’a donné cette clé. C’est alors que j’ai su que…

    — Su quoi ?

    — J’ai su que certaines personnes étaient prêtes à tout pour garder la vérité enfouie, dit-elle avec un sourire dément. Eh bien, j’ai quelque chose qui leur appartient. Moi aussi, je suis capable d’enterrer des vérités. Nous devons aller à la maison et creuser, dit Gráinne dans un flot de paroles anxieuses.

    Je lui repris la clé et la glissai sous ma chemise.

    — Qu’ouvre cette porte ? lui demandai-je.

    Cette clé avait visiblement une signification pour Clancy. Elle était assez importante pour que mon père l’enfouisse sous un séquoia albinos, à Santa Cruz, à la demande de ma mère, qui voulait que personne ne la retrouve.

    Mais je l’avais trouvée.

    Les yeux tachetés de vert de Gráinne pointèrent vers le ciel, puis ils se posèrent de nouveau sur moi. Elle esquissa l’ombre d’un sourire.

    — Le ciel ?

    Dès que je commençais à croire qu’elle avait retrouvé ses esprits, Gráinne sombrait dans la folie. Je me retournai pour observer le paysage brumeux ponctué de clôtures. Tout mon corps était tendu d’anxiété.

    Giovanni me fit sursauter en tendant la main pour fouiller dans la boîte à gants.

    Cristo, dit-il. Plus personne n’utilise une carte de nos jours. Nous devons nous arrêter pour en acheter une.

    Quelques minutes plus tard, il s’arrêta à une station-service.

    — Vas-y. On pourrait me reconnaître, dis-je en pensant à la vidéo de la caméra de sécurité de l’aéroport, où deux innocents étaient tombés à mes pieds, morts.

    Avant de mourir, mon père parlait des morts mystérieuses qui se produisaient partout dans le monde et de sa théorie de l’énergie sombre. Je me souvenais de son explication passionnée : « L’augmentation de la fréquence des désastres naturels est signe que nous traversons une grave crise, une situation de déséquilibre mondial, mais le signe le plus probant, ce sont ces gens qui meurent dans des circonstances mystérieuses. »

    Mon père croyait que les Scintillas représentaient la clé pour corriger ce déséquilibre, mais comme Giovanni, je savais parfaitement ce que j’avais vu à l’aéroport, ce jour-là : un Arrazi qui s’éloignait et dont l’aura était parfaitement blanche après avoir tué sa proie.

    Je me cachai le visage pour que les passants ne me voient pas et je retins presque mon souffle jusqu’à ce que Giovanni revienne. Le danger nous guettait partout. Nous étions chassés par les Arrazis, pour qui nous valions plus que de l’or sur le marché noir et, selon Clancy Mulcarr, nous avions des ennemis qui voulaient nous voir morts encore plus que lui ne voulait nous posséder. Pouvait-il s’agir de cette mystérieuse Société dont il faisait partie ?

    Je surveillai les alentours, sur mes gardes. Le monde était plein d’ennemis que nous ne connaissions pas. Nous devions nous évanouir dans le brouillard jusqu’à ce que nous ayons trouvé un plan d’action.

    Une fois sur l’autoroute en direction de Trim, le comportement de ma mère passa de celui d’un lapin acculé par un chat à celui d’un enfant qui observait dehors en plaquant le visage et les mains contre la vitre froide. Avait-elle l’impression d’avoir retrouvé la liberté, après tant d’années enfermée ?

    Elle était stupide si elle se sentait libre.

    — À droite, dit-elle à Giovanni, qui avait déplié une carte sur ses genoux en conduisant.

    La pluie s’était arrêtée, mais la chaussée était toujours glissante et réfléchissante. Les lampadaires illuminaient le bitume de cercles jaunes sous la voiture. Je tâchai de ralentir les battements de mon cœur affolé tandis que nous nous arrêtions devant la maison de mon enfance. Quand Finn m’avait emmenée ici, l’endroit m’avait semblé magique. Mes souvenirs m’étaient alors venus sous la douce lumière de l’amour et de la découverte. Et maintenant que j’y revenais, j’avais l’impression d’entrer dans un cauchemar.

    Étonnamment, Gráinne ne bondit pas hors de la voiture dès qu’elle fut complètement arrêtée. Elle resta assise sur la banquette, les yeux écarquillés, pour examiner la petite maison blanche couverte de lierre avec une porte rouge vif, comme dans mes souvenirs. La maison où elle avait passé tant d’années avec mon père, avant de disparaître.

    Son nez se plissa quand elle grimaça d’inquiétude. Nous avions tous peur. Mon estomac s’était noué dans mon ventre et Giovanni scrutait l’horizon pour s’assurer que personne ne venait nous voler notre aura, en serrant la poignée noire du couteau avec lequel il avait attaqué Griffin dans la remise.

    J’étais incapable de regarder ce couteau. Griffin n’était pas le seul à avoir senti sa lame s’enfoncer dans sa chair. Je pouvais sentir l’élancement dans mon cou, à l’endroit où sa lame avait entaillé ma peau, laissant une ligne de sang séché. Je réprimai un sanglot en pensant à mon père à genoux, le ventre taché de rouge après avoir été poignardé par Griffin. Il m’avait alors regardé, incrédule. J’étais la dernière personne sur qui il avait posé le regard avant que ses yeux deviennent vitreux.

    Était-ce de l’amour que j’avais vu au plus profond de son regard, ou des reproches ?

    — Qui vit ici maintenant ? chuchota Giovanni en ouvrant la portière pour ma mère et en l’aidant à sortir de la voiture.

    — Non, non, marmonna Gráinne. Personne ne devrait vivre ici. Benito m’a dit qu’il ne se départirait jamais de la maison. Cora, ton père m’a donné cette marguerite le jour où tu es née, expliqua-t-elle en caressant la marguerite de métal de ses doigts fins quand nous franchîmes la porte rouge menant à la cour de la maison.

    — Est-ce étrange pour toi de m’appeler Cora ? lui demandai-je.

    Elle m’avait donné le nom de Marguerite à ma naissance, que mon père avait changé en Cora quand nous avions fui aux États-Unis.

    Tout était sans vie chez Gráinne. Ses cheveux noirs qui tombaient, inertes, sur ses épaules, le regard qu’elle posa sur moi en répondant doucement :

    — Nous n’étions pas les mêmes à l’époque.

    — Je ne me sens pas en sécurité ici, dit Giovanni en examinant la propriété.

    — Je ne me sentirais pas en sécurité même si j’étais dans un autre fuseau horaire ou sur une autre planète, dis-je.

    Giovanni hocha la tête.

    — Y a-t-il une clé, mère ?

    — Mère ? articulai-je en silence.

    Il haussa les épaules et une boucle blonde tomba sur ses yeux bleus cernés des ecchymoses qu’on lui avait infligées en le faisant prisonnier.

    — Il faut bien que quelqu’un l’appelle ainsi, dit-il de son ton arrogant.

    J’étais sur le point de lui dire d’aller chercher sa propre mère et d’arrêter d’accaparer celle que je venais de retrouver, mais je n’en fis rien. Il ne pouvait pas le faire et ne le pourrait jamais. Je ne connaissais pas tous les détails de son histoire, mais je savais qu’il avait perdu ses parents quand il était jeune, comme ma mère avait perdu la sienne. Je savais que pour la première fois de sa vie, il avait trouvé deux autres Scintillas. Il n’était plus seul. Était-ce si difficile de le laisser « m’emprunter » ma mère ?

    Je croyais que Gráinne, mère, irait vers la porte pour nous faire entrer dans la maison et nous protéger de l’immense ciel rempli d’étoiles et du monde rempli d’ombres, mais elle contourna la maison pour aller dans la cour arrière, en direction d’une grappe de marguerites sauvages qui regardaient la lune. Je me souvins des visions qui m’étaient apparues à ma première visite, je me souvins de l’avoir vue dans cette cour, occupée à planter. Gráinne se laissa tomber à genoux, ses longs cheveux tombant de chaque côté de son visage, et elle enfonça ses mains nues dans la terre. Je compris soudainement que je ne l’avais pas vue planter des fleurs dans ma vision.

    Je l’avais vue enterrer quelque chose.

    Ma mère arracha furieusement les fleurs en les jetant au loin comme un dieu lançant des éclairs. Je me demandai si j’avais eu l’air possédée comme elle, le jour où j’avais déterré la clé sous le séquoia albinos. C’était troublant de la voir ainsi.

    — Maman, dis-je en hésitant à prononcer ce mot étrange. Laisse-nous creuser. Nous devons nous dépêcher et partir d’ici au plus vite.

    Ses bras tremblaient comme des brins de blé au vent. Giovanni la prit sous les bras et la souleva pour l’aider à se relever, puis il se mit à genoux près de moi pour m’aider à creuser la terre empilée depuis des années sur le secret de ma mère.

    Je tressaillis quand je vis Giovanni utiliser le couteau pour creuser, me souvenant de l’entaille douloureuse dans mon cou et de la brûlure dans mon dos. Je n’avais pas eu le temps d’examiner la marque que le couteau avait burinée dans ma peau, mais je savais que je portais maintenant sa marque. Je ne comprenais toujours pas pourquoi certains objets me marquaient ainsi quand j’en extirpais des souvenirs, mais je portais maintenant plusieurs tatouages qui témoignaient de mon pouvoir de Scintilla, la psychométrie.

    Le couteau détenait un souvenir qui nous avait aidés à nous enfuir de la remise. J’avais bluffé en parlant à Clancy Mulcarr de ce que le couteau m’avait révélé. Trois. Quelle était la signification mystique des trois Scintillas ? Clancy était si fier de nous avoir capturés. Mais il avait peur. Il voulait désespérément cacher son trésor aux yeux de quelqu’un ou de quelque chose appelé « la Société ». Je devais découvrir qui était derrière cette Société et comprendre pourquoi Clancy avait besoin de trois Scintillas.

    En creusant à deux, nous progressions beaucoup plus vite. Le ciel indigo prit une teinte laiteuse et un éclat de lumière apparut à l’horizon.

    — Ton premier lever de soleil en liberté, dis-je à ma mère en pensant aux milliers de lunes qu’elle avait gravées dans le plancher de bois durant sa captivité.

    L’une de ces lunes gravées avait marqué la paume de ma main. L’anneau de trèfles à mon doigt, la clé sur mon épaule, la lune dans ma paume, une marque que je n’avais pas encore vue dans mon dos et la coupure dans mon cou. Les cicatrices visibles de ma nouvelle vie.

    J’étais étourdie tellement j’étais épuisée, je luttais contre le sommeil pour continuer de creuser, quand Giovanni s’écria :

    — Hé ! Je crois que j’ai senti quelque chose.

    Nous creusâmes plus rapidement en scrutant le trou. Nous vîmes un objet blafard comme une pierre blanche et nous creusâmes encore pour le déterrer.

    Je m’assis sur mes talons.

    — Est-ce que c’est ce que je crois ?

    Ma mère, qui s’était assoupie, adossée contre la maison, se réveilla en sursaut et ouvrit les yeux. Giovanni extirpa l’objet de la terre à l’aide du couteau, puis il le prit doucement.

    — Merde alors ! hurla-t-il en laissant tomber l’objet.

    Nous remontâmes rapidement sur l’herbe.

    — Oh, mon Dieu, dis-je en me tournant vers ma mère. Tu as enterré un cadavre !

    4

    Cora

    Seigneur, Cora, tais-toi ! siffla Giovanni en jetant un coup d’œil à la ronde.

    — Ce n’est pas un cadavre, chantonna ma mère avec un sourire à glacer le sang. Ce n’est qu’une main.

    J’échangeai un regard à la fois perplexe et horrifié avec Giovanni. Pourquoi Gráinne nous avait-elle fait venir ici ?

    — La main de qui ? fis-je d’une voix chevrotante.

    Comme Gráinne ne répondait pas, je me mis à faire les cent pas sur l’herbe. Je frissonnais de froid et de fatigue. Je sentais la peur se poser sur moi comme la bruine qui flottait dans l’air. J’étais totalement déconcertée et exaspérée. Je fus prise de tremblements incontrôlables.

    — C’est grotesque, chuchota Giovanni.

    Le ciel s’éclairait de minute en minute et je constatai que la lumière m’effrayait encore plus que l’obscurité. En plein jour, n’importe qui pouvait nous voir dans cette cour, couverts de sang et d’ecchymoses, occupés à déterrer des os à l’aide d’un couteau. Heureusement, les gens normaux ne pouvaient pas voir notre aura argentée qui s’animait aux lueurs de l’aube. Une lumière s’alluma dans la maison voisine. Le monde s’activait autour de nous.

    — Nous devons partir d’ici.

    Nous baissâmes tous les yeux vers le trou, sur les os si minces qu’ils étaient presque élégants, les os d’une main enfoncée dans la terre comme si elle s’accrochait à la poussière à laquelle elle allait retourner. Giovanni tendit le bras dans le trou pour enlever la terre sur chacune des jointures des doigts élancés et j’aperçus un éclat, un objet qui reflétait la lumière du soleil levant.

    — Qu’est-ce que c’est ? Un anneau ? murmurai-je.

    Cela semblait être un simple anneau d’or. Chaque cellule de mon corps frissonna de dégoût quand je tendis la main dans le trou pour faire glisser l’anneau du doigt.

    Je fus immédiatement projetée dans un autre temps.

    Une lutte brutale.

    Sauvage.

    Une question de vie ou de mort.

    J’avais été projetée dans le souvenir énergique et violent contenu dans l’anneau. Je vis ma mère comme si j’étais moi-même le porteur de l’anneau. Nous combattions, emmêlés. Les images me frappèrent en rapide succession, éblouissantes comme des éclairs. Une confrontation, une course, puis une dernière image, terrifiante, de ma mère abattant une énorme hache sur une main qui s’était dressée pour arrêter la lame.

    La main tomba.

    Atterrit sur le sol avec une terrible irréversibilité.

    Les doigts tendus.

    Je vis l’anneau dans la vision. J’eus le souffle coupé quand je reconnus l’anneau. C’était le même que celui que j’avais vu à la main de Clancy Mulcarr, l’insigne à deux triangles. Et il correspondait aux pyramides cristallines rouge rubis qui se reliaient à leurs extrémités au sommet de la clé suspendue à mon cou. Que signifiait ce symbole ?

    Dans la dernière image qui me vint, je vis ma mère prendre la main coupée avant de s’enfuir.

    Je ressentis des pointes de douleur sur mon avant-bras. Je savais que je porterais la marque de cet anneau. Je pouvais déjà sentir la brûlure dans ma chair. Je repris mon souffle et posai mon regard sur ma mère chétive, au corps atrophié par les années de mauvais traitements, à l’esprit partiellement troublé par les traumatismes et les années passées à voir son aura drainée à répétition. Seigneur, quels sévices elle avait endurés ! Elle possédait une immense force intérieure.

    Je la connaissais à peine, mais j’avais appris récemment que nous ne connaissions jamais personne, pas même soi-même.

    — Tu as lutté pour ta vie, dis-je respectueusement.

    — J’ai lutté pour notre vie à tous, répondit-elle en prenant l’anneau pour cracher sans retenue sur l’insigne avant de l’essuyer. J’ai enterré cette main après avoir été attaquée. L’anneau ne signifiait rien pour moi jusqu’à ce que je voie un anneau identique au doigt de Clancy, tout à l’heure. C’était la première fois que je le voyais porter ce bijou.

    Elle me tendit la bague avec un regard dégoûté.

    Je serrai ma mère dans mes bras, heureuse de savoir qu’elle cachait une immense férocité, une grande force en elle. Je l’avais sous-estimée. Son esprit était troublé, mais elle était encore suffisamment lucide pour savoir que cet anneau pouvait être important. Il était assez important pour que l’Arrazi qui l’avait gardée enfermée pendant près de treize ans le porte, pour que la personne qui l’avait attaquée le porte. Cet anneau devait bien signifier quelque chose.

    Trop de vérités avaient été enfouies. Elle avait eu raison de venir déterrer celle-ci.

    Giovanni tenait la main squelettique par un doigt, comme s’il donnait un spectacle de marionnettes macabres avec une main coupée, puis il jeta la main dans le trou avant de commencer à l’enterrer.

    — J’ai besoin de quelque chose à l’intérieur, dit Gráinne sans plus d’explication.

    Elle se dirigea vers la porte arrière, retira doucement une pierre branlante détachée du mortier des fondations et sortit une clé du trou derrière celle-ci. Un chien aboya au loin, les oiseaux s’échauffaient la voix et le vrombissement des voitures se faisait entendre. Le monde continuait de se réveiller.

    — Je devrais peut-être attendre à l’extérieur, dit Giovanni, pour surveiller les environs. Dis-lui de se dépêcher. Nous sommes ici depuis trop longtemps.

    Je hochai la tête et suivis Gráinne dans la maison. L’air était rempli de parfums des objets usés par le temps et de poussière.

    — Il faut se dépêcher, dis-je à ma mère, alors que j’aurais aimé avoir le temps d’explorer la maison et de caresser les objets pour me laisser envahir de leurs souvenirs.

    J’étais prête à endurer de nombreuses marques pour revoir mon père.

    Je retroussai mes manches pour voir la marque laissée par l’anneau. Un triangle noir s’était formé sur chacun de mes avant-bras. Je rabaissai mes manches, dégoûtée à l’idée de porter à jamais la marque d’un Arrazi. Je pensai alors aux marques invisibles que portait ma mère et repris le contrôle de mes émotions. Mes cicatrices n’étaient rien comparées aux siennes.

    Ma mère traversa la cuisine avec l’assurance d’une personne qui savait exactement où elle allait.

    — Est-ce douloureux d’être ici ? lui demandai-je.

    — C’est douloureux de savoir que mon rêve de nous voir tous les trois réunis est…

    Elle ne fut pas capable de terminer sa phrase.

    Les rêves étaient morts avec mon père.

    La cuisine était morne, vidée de son cœur. Je fis glisser mon regard sur les surfaces poussiéreuses. Une table de chêne contre le mur, des pots qui avaient autrefois contenu de la farine, du sucre et du thé, le carré de la porte de la cave à légumes découpé dans le plancher, l’évier de style fermier, vide et sec. Une serviette brodée toujours suspendue à un crochet que je caressai d’un doigt en

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