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L'éveil de l'Ad'Wùis
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L'éveil de l'Ad'Wùis
Livre électronique379 pages5 heures

L'éveil de l'Ad'Wùis

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À propos de ce livre électronique

Que cache l’immense tâche de naissance rouge de la main d’Eva, cette marque familiale héritée de sa mère et de sa grand-mère ? Que veut cet homme mystérieux envoyé par sa grand-mère en personne qu’Eva pensait morte depuis longtemps ? Eva ne soupçonne rien de ses origines et va se retrouver plongée, malgré elle, au milieu d’une guerre de clans…


À PROPOS DE L'AUTEUR

Enfant, Joan Pébac a une imagination débordante. Très vite, il invente des mondes fantastiques et se passionne pour l'écriture. Il passe son adolescence à écrire des poèmes, des nouvelles, de courts romans... Très tôt, il rêve de devenir écrivain. Amoureux de la montagne, Joan s'inspire de ses nombreuses randonnées et plante le décor de son premier roman "L'ÉVEIL DE L'AD'WÙIS" dans un massif alpin fictif, où se déploie petit à petit un monde fantastique jusque là insoupçonné...

LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie3 nov. 2023
ISBN9782384548491
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    Aperçu du livre

    L'éveil de l'Ad'Wùis - Joan Pébac

    PEBAC-Eveilleur-COUV-3.jpg

    Joan Pébac

    L’éveil de l’Ad’wùis

    Épisode 1 : Eva Luna

    Elle était recroquevillée sur sa chaise, terrorisée. Elle était décoiffée, ses cheveux collés aux joues car elle sanglotait. Un moignon blanc apparaissait à la place de sa main gauche sous le haut de pyjama bleu qu’elle portait.

    –Où est-elle ? demanda le grand type debout devant elle. Réponds, vite !

    Elle prononça des paroles incompréhensibles. Le type soupira d’agacement. Les doigts de sa main droite frissonnaient de rage. Il se retenait. Il n’avait aucune envie d’être ici, devant cette femme.

    Elle désigna en tremblant la commode de l’entrée, ensevelie sous un tas de Post-its et de bibelots. Il s’approcha et se mit à fouiller frénétiquement parmi les papiers.

    Il finit par trouver une carte de visite en papier glacé pourpre. Il la lui montra. Elle hocha la tête. Il fourra la carte dans sa poche et quitta l’appartement. Elle se laissa alors retomber sur la chaise plus tremblante que jamais.

    ***

    Des flocons blancs tourbillonnaient lentement dans le ciel gris de Paris. Des bruits de pas légers résonnaient sur le trottoir blanchi. Une femme d’un style particulièrement soigné mais sobre et discret avançait. Sa robe noire voletait au-dessus de ses collants opaques. Elle rajusta son bonnet de laine et fouilla dans son sac à main en cuir. Elle le referma sans avoir trouvé ce qu’elle cherchait. Elle finit par sortir de la poche de sa veste un trousseau de clés. Elle tourna à l’angle de la rue et traversa la place du Tertre, déserte en cette heure matinale, pour atteindre une boutique à la devanture à demi cachée par une grille. C’était une petite boutique de vêtements de créateur, tout en longueur, avec des portants de tous les côtés et un petit comptoir au fond à gauche. Derrière le comptoir, une porte donnait sur l’atelier. Elle accrocha son sac et sa veste à un porte-manteau. Une création en cours était sur une table, près d’une machine à coudre. Il y avait des morceaux de tissus de toutes les formes et de toutes les couleurs, qui formaient un arc-en-ciel de coton.

    Elle entendit du bruit provenant de l’entrée de la boutique. Une femme passa la tête par la porte de l’atelier.

    –Ah, Eva, tu es déjà là, dit-elle.

    –Bonjour, Camille, répondit Eva.

    –Qu’est-ce qu’on a aujourd’hui ?

    –Il faut finir cette robe, et en faire quatre autres sur le même modèle, en y ajoutant des variantes de couleurs.

    Eva désigna une pile de tissus bruts. L’étoffe visible était une popeline de coton aux motifs automnaux où s’entrelaçaient des feuilles rousses d’érable et des bosquets de petits champignons bruns.

    –Nous avons également des pulls à faire et bien sûr des chapeaux. C’est l’hiver après tout, rien ne vaut un couvre-chef élégant. Mais je ferais un point plus précis dès que Jérémy sera arrivé. En attendant, tu peux commencer les finissions, dit-elle en désignant la robe qui était étendue sur la table au milieu des chutes de tissus. J’ai des papiers à faire.

    –Ok, bon courage.

    Le côté administratif, Eva détestait ça ! Mais c’était le fardeau de tout patron d’entreprise. Cela faisait maintenant deux ans qu’elle s’était associée à Jérémy pour ouvrir cette boutique. Ils se connaissaient de longue date. Depuis presque dix ans, pour tout avouer. Ils s’étaient rencontrés au lycée, et avaient vécu leur passion pour la mode en poursuivant les mêmes études.

    L’année dernière, alors que leur affaire place du Tertre prenait de l’essor, ils avaient décidé d’embaucher Camille. Elle s’était révélée une très bonne employée, créative et travailleuse, mais également sympathique.

    Eva s’installa au comptoir, et sortit d’un tiroir des documents qu’elle commença à trier. Cinq minutes passèrent ; seuls les tics tics de la machine à coudre de l’atelier, tels les aiguilles d’une horloge scandaient le temps. Le dling dling de la porte de la boutique vint alors troubler cette routine. Eva leva la tête : un homme venait d’entrer. Il était relativement grand – Eva estimait qu’il mesurait environ un mètre quatre-vingts. Il portait une veste en cuir marron ainsi qu’un chapeau de la même couleur.

    –Bonjour, dit-il, c’est ouvert ?

    Eva jeta un regard furtif à sa montre. 7h56.

    –Bonjour monsieur, répondit-elle poliment. Dans quatre minutes techniquement, mais vous pouvez entrer.

    –Merci.

    –Je peux vous aider ? Vous cherchez quelque chose de particulier ?

    –Je vais me contenter de faire un petit tour dans la boutique pour commencer, merci.

    Elle hocha la tête et se replongea dans les papiers. Les tics tics de la machine à coudre remplirent de nouveau l’espace sonore.

    –E&J, dit-il soudain en prononçant le nom de la boutique, ça vient de E comme Eva Luna ?

    Elle le regarda fixement. C’était une question rhétorique, elle le savait. Elle hocha tout de même la tête en signe de réponse. Il sourit.

    –Je crois que je vais prendre ce chapeau, dit-il, en le posant sur le comptoir.

    L’homme avait une trentaine d’années et portait une barbe blonde naissante qui couvrait sa mâchoire carrée. Son regard bleu intense fixait Eva. Elle se sentait troublée.

    –Cela fera 52,90€ s’il vous plait, dit-elle en glissant le chapeau dans un sac à l’effigie du magasin.

    Il sortit sa carte de crédit. Elle lui tendit la machine. Il composa son code, remercia, et s’en alla. Elle le regarda s’éloigner, pensive. Son regard resta en suspend quelques secondes dans le vide. Elle fut tirée de ses pensées lorsque Jérémy fit son entrée dans la boutique.

    –Waouh, on a du succès, s’exclama-t-il, un client avant huit heures du matin !

    Il se retourna comme pour suivre du regard l’homme qui venait de quitter le magasin, puis porta de nouveau son attention sur sa collègue.

    –Ben dis donc, tu en fais une tête. Qu’est-ce que t’as ?

    –Un peu bizarre le type, se contenta-t-elle de répondre.

    Il haussa les épaules.

    –Il est reparti avec des achats, de quoi te plains-tu ?

    Là encore, c’était une question rhétorique à laquelle elle ne prit pas la peine de répondre. Le reste de la journée se déroula normalement, les clients allaient et venaient, les peintres peignaient sur la place, la machine à coudre faisait son office.

    ***

    Il était dix-neuf heures lorsqu’Eva ferma la boutique. En ce début février, il faisait déjà nuit. Les lampadaires projetaient une lumière blafarde et les touristes étaient encore nombreux à se promener à Montmartre. Elle entreprit de traverser la place. Elle enfila son gant droit.

    –Mademoiselle ! l’appela-t-on soudain.

    Elle se retourna. On lui tendait son autre gant.

    –Vous l’avez fait tomber, expliqua l’homme au regard bleu.

    –Ah c’est vous, merci.

    Elle prit le gant, et l’enfila. Il fixa la main d’Eva, à mesure que la peau de cette dernière disparaissait sous le cuir noir.

    –Parfois, il vaut mieux éviter de perdre ses gants, dit-il en levant les yeux vers le ciel noir. Surtout le gauche.

    –Pourquoi ? Ça porte malheur ?

    Il eut un sourire énigmatique.

    –Ou peut-être bonheur, je ne sais pas. Accepteriez-vous de boire un verre avec moi ?

    –Vous avez attendu toute la journée pour m’inviter à boire un verre après la fermeture ?

    Il haussa les épaules.

    –Dites-moi au moins votre nom.

    –Xavier Latour. Alors, acceptez-vous mon offre ?

    –Je ne pense pas, je suis fatiguée, et je voudrais aller me reposer maintenant, merci quand même.

    Cet homme avait un culot qui lui déplaisait fortement. Cette mise en scène à la nuit tombée, cette approche si directe, avait quelque chose d’effrayant. Combien d’histoires sordides de ce genre avait-elle déjà entendues ?

    –Vous ne me faites pas confiance ?

    Sur ses gardes, elle ne répondit pas et adopta un regard neutre pour ne pas donner à voir son trouble.

    –Bonsoir, monsieur.

    –Bonsoir, mademoiselle.

    Il la regarda s’éloigner en descendant les ruelles piétonnes. Il soupira. Que faire ? Une boule d’anxiété le prenait à la gorge. Il se sentait si peu à la hauteur de cette mission…

    Eva monta dans sa voiture le plus calmement possible. Elle s’y s’enferma. Elle inspira profondément, pour calmer le stress qui l’envahissait. Qui était cet homme ?

    ***

    Elle prit le combiné. Un appel manqué de la part de sa mère. Elle s’en occuperait plus tard, pour l’heure il y avait plus important. Elle chercha un numéro dans le répertoire et le composa. On décrocha.

    –Tu te souviens du client de ce matin ? s’exclama-t-elle sans même dire bonsoir.

    –Oui, répondit Jérémy un peu surpris.

    –Il était là à la sortie de la boutique tout à l’heure, il m’a invitée à boire un verre. 

    –Et alors ?

    –Il m’a attendue.

    –Tu devrais être contente, il t’a trouvée mignonne !

    –Jérémy, ce type me fait flipper.

    –C’était juste une invitation à boire un verre.

    –Écoute, un gars qui m’attend toute la journée alors qu’il aurait pu m’inviter ce matin, c’est déjà bien flippant de base. Mais tiens-toi bien… Il a demandé si le « E » de « E&J » voulait dire « Eva Luna », lâcha-t-elle d’un ton tranchant comme si elle jetait un pavé dans la marre.

    Le silence résonna au bout du fil.

    –Ok, ça c’est flippant, répondit enfin le jeune homme.

    En effet, elle n’utilisait plus son nom complet depuis des années maintenant. Il apparaissait uniquement sur sa carte d’identité, qui ne quittait pas son portefeuille. Eva Luna Chassain. Même si Luna était un prénom qu’elle trouvait objectivement joli, elle estimait qu’il ne lui allait pas. Il avait des sonorités et une signification trop féminines, et les deux prénoms combinés amplifiaient cet effet. Ainsi, elle communiquait uniquement la première partie de son prénom, bien que celui-ci ne lui convienne pas plus. Il fallait s’en contenter, et dépasser la gêne qu’elle ressentait lorsqu’on la prénommait. Elle soupira, retira ses chaussures et s’affala sur son canapé.

    –Quelqu’un que tu connais lui a sûrement parlé de toi, et c’est pour ça qu’il est venu à la boutique, tenta Jérémy.

    –J’ai un mauvais pressentiment.

    –Te fais pas de soucis.

    –Tu as sûrement raison… Merci Jéré, à demain.

    –Ciao bella.

    Elle raccrocha et entreprit de rappeler sa mère. Elle attendit longtemps avant qu’elle ne décroche.

    –Tu en mets un temps pour rappeler…

    Sa voix était tremblante.

    –J’étais au travail. Si c’était urgent, tu pouvais m’appeler sur mon portable. Ça va ? Tu as l’air bizarre.

    –Je… J’ai perdu ton numéro de portable.

    –Il est enregistré dans ton téléphone maman.

    –Oui c’est vrai, mais tu sais bien que je ne suis pas douée avec ces trucs-là. Je voulais te dire que…

    Il y eut un silence.

    –Passe-moi Johanna, dit doucement Eva.

    Il y eut un silence puis une voix retentit à l’autre bout du fil.

    –Bonsoir Eva, j’allais partir.

    –Excuse-moi. Je voulais juste savoir comment elle allait.

    –Pas fort… Quand je suis arrivée ce matin elle était en train de faire une crise de panique, elle marmonnait des choses incompréhensibles. Ce n’est pas la première fois mais ça faisait un moment qu’elle n’en faisait plus. Je suis inquiète. Tu sais, je ne suis pas là pour la surveiller en permanence. Elle serait mieux dans un établissement adapté.

    –Le psychiatre a dit que ça n’était pas nécessaire et puis on en a déjà discuté, j’aimerais qu’elle reste chez elle.

    –Comme tu voudras. Il faut que je te laisse. Bonne soirée.

    Elle laissa le combiné. Le silence se fit.

    –Maman ?

    Rien.

    –Maman ? Tu es là ?

    –Oui, finit-elle par répondre.

    –Ça va aller ?

    –Oui.

    ***

    Le soir suivant, Eva fermait la boutique à l’heure habituelle. Elle jeta un coup d’œil à droite et à gauche, un peu stressée. Elle vit alors se dessiner le chapeau de l’homme dans la pénombre. Il s’approcha, arborant le même air énigmatique que la veille. Il la salua et lui proposa de nouveau de boire un verre avec lui. Elle refusa catégoriquement.

    –Comment vous convaincre ? insista-t-il.

    –Il faut savoir laisser tomber. Non, c’est non ! C’est presque du harcèlement là…

    Il inspira profondément, tentant de masquer son anxiété et son irritation.

    –Le problème est que je ne peux pas laisser tomber. Je dois vous parler.

    Le cœur d’Eva tambourina dans sa poitrine et dans ses tempes. Elle se demandait sérieusement si elle devait partir en courant ou bien appeler au secours.

    –Et pourquoi donc ? demanda-t-elle sèchement. J’ai dit non, laissez-moi tranquille, allez draguer quelqu’un qui en a envie !

    Il la regarda avec des yeux ronds, comme stupéfait.

    –Il y a méprise. Vous êtes charmante, certes, mais ce n’était pas le but premier de mon invitation.

    Eva commençait vraiment à prendre ce type pour un psychopathe. Elle lui tourna le dos et s’éloigna d’un pas pressé. Il la rattrapa et la retint par le bras gauche. Elle entreprit de se débattre.

    –N’ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal.

    –Mais vous êtes malade !

    Un couple s’approcha de la scène.

    –Tout va bien mademoiselle ? demanda l’homme.

    Xavier Latour lâcha Eva.

    –Tout va bien, répondit-il à sa place.

    Elle remercia d’un hochement de tête les personnes qui venaient d’intervenir et pressa de nouveau le pas vers sa voiture. Une fois de plus, il était sur ses talons.

    –Eva Luna ! appela-t-il.

    Son cœur battait la chamade.

    –Comment connaissez-vous mon nom ?! hurla-t-elle enfin.

    –J’ai connu votre grand-mère maternelle.

    Elle s’immobilisa.

    –Il y a quelques jours, sur son lit de mort, elle m’a chargé de vous retrouver. Je le lui ai promis, vous comprenez.

    Figée par la stupeur, elle bégaya :

    –Ça… ça n’a aucun sens, ma grand-mère est morte avant ma naissance !

    Xavier Latour secoua doucement la tête.

    –Non, elle est morte il y a dix jours.

    Eva pensa soudain à l’état psychologique de sa mère et elle en eut la nausée.

    –Je ne peux pas vous croire, bafouilla-t-elle et elle s’engouffra dans sa voiture pour démarrer aussi sec.

    Il ne tenta pas de la retenir cette fois. Il en avait déjà assez fait pour ce soir. La suite viendrait naturellement.

    ***

    Elle gara sa voiture en bas de l’immeuble. Elle tenta de calmer ses nerfs ; ses mains tremblaient sur le volant. Elle prit de grandes et profondes inspirations. Doucement, l’angoisse retomba et elle s’apaisa un peu. Elle finit par quitter sa voiture pour monter au troisième étage. L’appartement était calme et les faibles bruits de la télé dans la chambre du fond se faisaient entendre. Elle s’y rendit et trouva sa mère allongée contre une pile d’oreillers. Johanna venait probablement de s’en aller. Myriam sourit en voyant sa fille. Elle éteignit la télé.

    –C’est gentil de venir me voir.

    –Maman, commença-t-elle et elle se tut.

    Comment parler de ça avec sa mère sans déclencher une crise ?

    –Parle-moi de ta mère, s’il te plait.

    Myriam fronça les sourcils et se tassa sur sa pile d’oreillers.

    –Pourquoi ?

    –Comme ça.

    –Je n’aime pas en parler.

    –Je sais.

    –Elle est morte il y a longtemps.

    –Quand ?

    –Je ne sais plus.

    –Comment s’appelait-elle ?

    Myriam détourna le regard.

    –Elisabeth.

    –Je sais, mais… Elisabeth comment ?

    –Naftali. Laisse-moi maintenant.

    Elle gémit.

    –J’ai mal, dit-elle, j’ai mal. Donne-moi mes cachets.

    Elle se tenait l’avant-bras gauche. Le membre fantôme se rappelait souvent à elle, d’autant plus quand elle était fragile psychologiquement. Lorsque les traumatismes se réveillaient, sa main disparue semblait brûler de douleur, comme si elle était encore là et qu’elle prenait feu. Eva se précipita et remplit un verre d’eau puis l’amena avec un cachet à sa mère. Elle n’insista plus.

    ***

    10h13. Dling dling. La porte du magasin s’ouvre. Jérémy soupire de soulagement.

    –Où étais-tu ? J’essaye de te joindre depuis huit heures, Eva !

    –Désolée.

    –Qu’est-ce qu’il y a ?

    –…

    –C’est ta mère ?

    –Oui. Elle ne va pas très bien en ce moment, et en plus je l’ai contrariée hier soir.

    –Pourquoi ?

    –Je voulais en savoir plus sur ma grand-mère. Elle ne voulait pas en parler et ça lui a déclenché les douleurs habituelles.

    Elle ne mentionna pas à Jérémy ce que Xavier Latour lui avait révélé la veille au soir.

    ***

    Le massif des Morges¹. C’était le lieu de naissance de sa mère. Mais comment le village s’appelait-il exactement ? Un nom d’arbre. Le… le… Ça commençait par un C elle en était sûre. Le… Le Châtaigner ! C’était ça ! Elle chercha le numéro de la mairie sur internet et appela.

    –Mairie du Châtaigner, bonjour.

    –Allô bonjour, je vous appelle à propos du décès d’Elisabeth… Naftali.

    –Veuillez patienter.

    Quelques minutes plus tard, quelqu’un d’autre la prenait au téléphone.

    –Allô bonjour.

    –Bonjour, je vous appelle à propos du décès d’Elisabeth… Naftali, répéta-t-elle toujours en hésitant sur le nom de famille.

    –Quel est votre nom ?

    –Eva Naftali. Enfin… Eva Luna Chassain.

    –Quel est votre lien de parenté avec Elisabeth Naftali ?

    Eva marqua un court silence. Les mots qu’elle allait prononcer lui semblaient si étranges.

    –Ma grand-mère.

    Ce lien de parenté lui paraissait tellement théorique. Elle ne pouvait s’imaginer la femme que sa grand-mère avait été… Myriam ne parlait presque jamais de sa propre mère. Elle appartenait à un lointain passé brumeux.

    –Toutes mes condoléances, lui répondit-on. Je cherche les informations dans le logiciel si vous voulez bien patienter.

    Il y eut un silence.

    –Allô madame ?

    –Oui.

    –J’ai l’acte de décès sous les yeux, c’est bien ça que vous vouliez ?

    –Oui.

    Réponse automatique. Que pouvait-elle bien dire d’autre ?

    –Vous pourrez venir le chercher à la mairie avec une pièce d’identité.

    –Euh… D’accord. Dites-moi…

    –Oui ?

    –Quelle est la date exacte du décès ?

    –Le 12 février, madame, il y a onze jours.

    –Je vous remercie, répondit-elle et sa voix se brisa.

    Son interlocutrice ne pouvait réaliser l’invraisemblance de cet échange. Eva la salua. Elles s’apprêtaient toutes les deux à raccrocher, quand la secrétaire de la mairie s’exclama :

    –Madame, attendez !

    –Oui ? répondit Eva.

    –Puis-je prendre vos coordonnées ? Le notaire vous contactera dans la journée.

    –Le... notaire ?

    –Oui pour l’héritage. Personne n’a réussi à joindre la famille de la défunte jusque-là, c’est un miracle que vous m’appeliez.

    Eva dicta son numéro de portable.

    –Je vous remercie madame, et encore toutes mes condoléances.

    Eva raccrocha, sous le choc. Ce Xavier Latour disait donc vrai. Pourquoi sa mère avait-elle menti sur son passé ? Que savait réellement Eva sur Myriam, à part qu’elle avait brutalement quitté son village natal il y a vingt-six ans ? Elle ressentait une sorte de colère et de ressentiment parce qu’on lui avait caché l’existence de cette grand-mère, bien en vie, pendant tant d’années. Quelles en étaient les raisons ? Et pourquoi Xavier Latour cherchait-il absolument à la retrouver ? Ce n’était pas un homme mandaté par la mairie ni le notaire, de toute évidence, il l’avait dit lui-même : sa grand-mère avait chargé Latour de la retrouver. Il se tramait autre chose. Mais quoi ?

    Elle rumina ces pensées durant les heures suivantes, ayant du mal à se concentrer sur quoique ce soit. Elle ne pouvait qu’attendre l’appel du notaire, sans rien faire, et elle se sentait impuissante... Heureusement, le notaire rappela dans la journée comme prévu. Une fois les présentations faites, il rentra rapidement dans le vif du sujet.

    –Votre grand-mère n’ayant pas fait de testament, l’héritage revient à ses enfants. J’aurais donc besoin de joindre vos parents.

    –Mon père est décédé et je suis légalement responsable pour ma mère.

    –Ah ! Vous serez donc mon interlocutrice. J’aurais besoin de vous rencontrer au plus vite, de nombreux documents doivent être signés rapidement. Nous étions bloqués.

    –Quand l’enterrement a-t-il eu lieu ?

    –Le 15 février, madame.

    –Qui l’a payé ?

    –Monsieur Xavier Latour a avancé les frais.

    Eva resta un moment perplexe.

    –Est-ce que vous avez son numéro ?

    –Oui bien sûr. Attendez, je vous le dicte.

    Aussitôt après avoir raccroché, elle composa le numéro de Xavier Latour. Elle ne savait que penser de cet étrange personnage. Elle était à la fois reconnaissante qu’il eut payé l’enterrement, et furieuse du comportement qu’il avait eu avec elle.

    –Allô ?

    –Eva Luna Chassain à l’appareil, dit-elle sèchement. Je vous remercie d’avoir payé l’enterrement de ma grand-mère, je vous rembourserai au centime près dès que j’aurai l’argent. Il aurait été plus intelligent de m’expliquer tout cela clairement. En attendant, je vous prie de ne plus me harceler.

    –Eh, doucement. Je ne veux pas être remboursé. Je veux vous voir. J’aurais eu du mal à vous expliquer la situation clairement, premièrement car elle est très compliquée, deuxièmement car vous ne m’en auriez pas laissé le temps !

    –Monsieur Latour, vous n’avez donc pas conscience que votre comportement et votre façon de m’aborder ont été particulièrement effrayants pour moi.

    Il y eut un silence.

    –Je vous prie de m’excuser si j’ai paru menaçant, finit-il par dire.

    –Je vous rembourserai, insista Eva. Au revoir.

    Elle appela Jérémy dans la foulée. Elle lui annonça qu’elle prenait une semaine de congé car sa grand-mère était décédée et qu’elle devait signer des papiers à quatre heures de TGV de Paris.

    –Mais ta grand-mère n’est pas morte avant ta naissance ? s’exclama-t-il.

    Fatiguée à l’avance de devoir éclairer cette situation noueuse, elle s’adonna au mensonge et expliqua qu’il s’agissait de son autre grand-mère. Jérémy était confus car il avait le souvenir que celle-ci aussi était déjà décédée et qu’Eva n’avait plus aucuns grands-parents vivants, mais il n’insista pas. Elle lui raccrocha presque au nez. Elle n’avait pas du tout envie de lui expliquer la situation, bien qu’elle soit très proche de lui. Elle sentait que cette affaire méritait de la prudence et de la discrétion.

    Le lendemain, elle sautait dans le premier train pour Manléry. Elle y loua une voiture et commença la pénible ascension qui la conduirait jusqu’au massif des Morges.

    Elle n’y avait jamais mis les pieds. Ses parents avaient jadis quitté le massif et coupé les ponts avec toute sa famille, lui avait-on expliqué un jour. Peu de temps après, son père était mort dans un accident de voiture, quelques mois avant la naissance d’Eva. Le même accident dans lequel sa mère avait perdu sa main – l’année où était censée être morte sa grand-mère décédée ce 12 février…

    De ces évènements terribles – les traumatismes familiaux et l’accident de voiture -, sa mère avait gardé d’importantes séquelles psychologiques. Trouble de stress post-traumatique, anxiété généralisée, grave dépression… Elle avait séjourné régulièrement dans des hôpitaux spécialisés ; ainsi, Eva avait passé la majeure partie de son enfance en famille d’accueil. Il y avait des jours meilleurs et d’autres très difficiles… Des jours où sa mère allait plutôt bien et où il était possible d’avoir une conversation calme avec elle pourvu qu’on n’évoque pas de sujets sensibles et déclencheurs, et d’autres où elle enchaînait les crises.

    Pour échapper à ces réflexions désagréables, Eva monta le volume de la radio alors que Mowgli’s Road² se jouait. Elle avait envie de couvrir le bruit de ses pensées.

    Après d’innombrables tournants, elle finit par arriver en vue d’un panneau indiquant « Le Hameau », où se trouvait la maison natale de sa mère. Situé sur la commune du Châtaignier, il ne comportait pas plus de six maisons, dont seulement trois n’étaient pas encore de vieilles demeures vides et abandonnées. Les longues bâtisses étaient imposantes. De grands toits pentus surplombaient des murs de granit qui donnaient à l’ensemble un aspect brut. Tout autour, la nature régnait. Loin de Paris, les arbres dominaient et les montagnes surplombaient le hameau.

    Un homme en doudoune attendait sur un parking enneigé, debout à côté de sa voiture. Elle se gara, enfonça son bonnet sur sa tête, remit son anorak et se regarda un instant dans le rétroviseur. Il ne restait plus grand-chose de son élégance habituelle sous les épaisseurs nécessaires pour affronter le froid. Elle cacha alors derrière son écharpe le bas de son visage dont elle détestait secrètement les formes fines. À quoi bon souffrir son reflet puisqu’elle était de toute façon dans cet accoutrement, loin des rues de Montmartre ? Elle se décida enfin à sortir de sa voiture.

    –Il fait froid hein ? lui sourit le notaire. La maison de votre grand-mère se situe en bas, dit-il avec son accent du coin, en désignant un chemin étroit non déneigé qui descendait en pente raide vers une destination invisible. Je vous déconseille de descendre en voiture là !

    Comme Eva restait de marbre, il remisa son sourire et lui serra la main sobrement.

    –Voici les clés, dit-il, toujours avec son accent dépaysant. Je vous laisse vous installer et trier les affaires. Vous passerez bien demain à mon bureau pour les papiers.

    Il lui tendit sa carte et un trousseau de clés.

    –Merci.

    –Les voisins vous ont mis le poêle et l’électricité en route hier.

    –D’accord, merci.

    –Bon et ben, bonne journée.

    –Merci, vous aussi. À demain.

    Il commença à s’éloigner mais il sembla se raviser. Il se tourna vers elle, et ajouta, avec un clin d’œil entendu :

    –On est contents de vous avoir ici, vous savez !

    Et il s’éloigna. Qu’avait-il voulu dire par là ?

    ***

    Les murs étaient de granit clair, le toit recouvert de neige, les volets bleus en bois fermés. Un trottoir en béton gris protégé par une avancée du toit entourait la maison. Elle y tapa ses bottes pour en faire tomber la neige puis entra. Elle se retrouva dans un salon carrelé de blanc aux murs tapissés de papiers peints marron et rouge avec des fleurs jaunes à la mode des années 70-80 qui rapetissait la pièce et lui donnait un air vieillot. Elle posa son sac de voyage. À gauche, il y avait une porte qui donnait sur une première chambre, qu’elle trouva presque vide avec pour unique mobilier un vieux lit double. Face à la porte d’entrée du salon se trouvait la porte de la cuisine. Lorsqu’elle y entra, une vague de chaleur la réchauffa. Le poêle trônait, énorme, près du mur qui communiquait avec le salon et face à une table de bois massif. C’était en fait une vieille cuisinière très large dans laquelle il y avait un emplacement pour faire chauffer des plats. La cuisine communiquait avec la seconde chambre à coucher, décorée de la même manière que le reste de la maison. En face du lit, une grande armoire en bois. Elle l’ouvrit. Le bois grinça. L’armoire contenait des habits et un étage de cartons tout en haut. Elle retourna dans la cuisine et s’assit à la table, en face du feu, pour se réchauffer. Elle essaya d’imaginer quel genre de personne avait pu vivre dans cette maison. Elle n’avait pas des goûts exquis en matière de décoration en tout cas. Après un instant de silence respectueux où elle n’osait pas bouger, elle se leva et sortit son pique-nique de son sac de voyage. Il était treize heures vingt et elle avait rudement faim. Après avoir dévoré son sandwich, elle décida d’aller faire les courses pour la semaine. Elle trierait les affaires plus tard.

    À son retour, elle aperçut une voiture supplémentaire garée sur le parking. Elle supposa qu’il s’agissait des voisins qui lui avaient remis le chauffage et l’électricité. Il serait de bon goût d’aller les remercier, même si, il fallait l’avouer, elle n’était pas d’humeur à échanger des banalités. Malgré tout, la politesse la plus basique le lui imposant, elle frappa à leur porte. Des bruits de pas

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