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Dévorance
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Livre électronique369 pages5 heures

Dévorance

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À propos de ce livre électronique

En cette douce nuit d’été, alors qu’un léger vent venait caresser les joues d’Eluna, la mort courrait vers elle, ouvrant sa gueule ténébreuse et insatiable. Ses pas n’arrivaient pas à la semer, bientôt elle fut rattrapée, déchirée et dévorée jusqu’à l’âme. La bête savourait ce délicat festin avant d’être interrompue, puis chassée. Les mois s’effeuillaient lentement au sein de l’école où elle avait été recueillie et soignée. Malgré les efforts de ses hôtes pour l’aider à renaître, Eluna n’aspirait qu’à une mort plus salvatrice que l’attente du retour de la bête… Être la proie du plus sanguinaire de tous les vampires n’avait rien d’anodin. Pourquoi elle ? Qu’avait-elle donc de si particulier ? La vie semblait s’acharner contre elle, l’obligeant à faire face à son destin. Partagée entre cette peur qui la rongeait et le désir naissant de pouvoir aider les hommes à lutter contre ces monstres, Eluna allait devoir choisir. Laissez-vous dévorer par cette lente descente aux enfers.
LangueFrançais
Date de sortie13 mars 2014
ISBN9782312021461
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    Aperçu du livre

    Dévorance - Filiz Le Chantoux

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    Dévorance

    Filiz Le Chantoux

    Dévorance

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02146-1

    Chapitre I : Enfer

    « Mieux vaut allumer une petite lumière,

    que de maudire l’obscurité »

    Confucius

    FUREUR

    Audren se leva d’un bond, courut vers la fenêtre et fouilla le paysage sombre de cette nuit d’été. Elle se retourna, et sonda du regard les moindres recoins de la pièce. Se plongeant de nouveau vers l’horizon, ses traits se durcirent et ses mains plaquées contre la vitre se crispèrent.

    Elle sursauta au contact de la main de sa fille sur son épaule. Faisant volte face, elle se dégagea avec douceur et se rua vers le bar qu’elle enjamba d’un bond. Elle poussa une lampe encastrée dans le mur et écrasa un petit bouton noir. Le mur coulissa dans un léger cliquetis de verres et de bouteilles. Elle bourra ses poches, ses chaussettes et son chemisier de couteaux, de dagues et d’étoiles. Eluna, médusée, fixait un petit bracelet métallique que sa mère attachait à son poignet.

    « Caolan ! Fais la sortir ! »

    Eluna recula. Son père déboula, claquant la porte de son laboratoire contre le mur et blêmit en découvrant l’extrême pâleur de sa femme. Se ruant vers sa fille, il l’entraina au centre du salon avant de la lâcher pour écarter une lourde table basse en verre. Sous l’épais tapis que Caolan souleva, apparut une trappe qu’Eluna vit pour la première fois. Dans un râle d’effort, il l’ouvrit et se pencha prudemment au-dessus de l’ouverture. Il descendit l’escalier en pierres, raide et escarpé et tira sur le bras de sa fille qui ne se décidait pas à le suivre. Il se retourna furtivement vers Audren avant de refermer la trappe, le cœur éteint.

    Un fracas monumental déchira l’atmosphère, ou se mêlèrent des bruits de vitres brisées et des hurlements stridents.

    « Maman !

    – Nous ne pouvons plus remonter ! Viens. »

    Caolan refoula ses larmes, empoigna la main d’Eluna et continua sa descente.

    Courant sur les traces de son père, Eluna s’essoufflait et peinait à s’orienter dans ces allées faiblement éclairées. Son cœur explosait chaque fois qu’elle se retournait et son corps bien trop rigide obligeait Caolan à la tirer régulièrement par le bras. Ce dernier se faufilait à travers les différents chemins avec une facilité déconcertante. Les relents de moisi ne semblaient pas l’affecter tandis qu’Eluna était au bord du malaise. Il s’arrêta brusquement et sentit le visage de sa fille s’écraser contre son épaule. D’un geste excédé, elle se frottait le nez en râlant. Il leva la main avec autorité, lui intimant de se taire. Face à eux se dessinait l’esquisse d’une issue dont les lumières de la lune perçaient l’obscurité de la nuit. Un grognement sourd ricocha sur les parois, réveillant dans la chair d’Eluna cette peur si familière qui la rongeait dans ses cauchemars.

    Les doigts fébriles de Caolan cherchaient sur le mur un levier qu’il abaissa d’un geste brusque lorsqu’il le trouva. Les parois se mirent à trembler, un grondement résonna de plus en plus fort à mesure que l’onde s’approchait d’eux. Une lourde grille en fer s’abattit dans un crissement métallique, entre eux et la sortie, enfonçant ses larges pointes dans la terre sèche. Un épais nuage de poussière se souleva et Eluna se mit à tousser. Caolan était de marbre, fixant l’horizon avec la certitude que quelque chose allait se produire. Il n’attendit pas longtemps, un cri strident provenant d’une contre allée déchira leurs tympans. Caolan brandit son arme, la pointa vers sa fille et tira.

    Eluna écarquilla les yeux, une mèche de ses cheveux se souleva au passage d’un courant d’air furtif. Elle fit volte face mais ne vit rien. Les cris avaient disparu. Emportée par son père, elle le suivit dans une direction opposée, une main enfoncée dans son ventre sans réussir à faire passer son point de côté. Avec la même expertise, Caolan condamna une nouvelle issue, faisant tomber une énorme grille devant la sortie. Cette fois, des ombres bondirent en piaillant leur mécontentement, s’agitant comme des bêtes informes. Les mains posées fièrement sur ses hanches, Caolan les toisait. Alerté par le cri d’Eluna, il se retourna et se rua vers elle. Dans sa précipitation, il glissa et perdit son arme. Un monstre enveloppa Eluna, enfonçant ses griffes dans ses épaules. Il la fit tomber par terre l’écrasant de tout son poids. Son visage s’approcha d’elle, sa main osseuse et difforme harponna son menton. Eluna n’eut pas le temps de voir qui l’attaquait, la chose explosa dans une flopée de confettis grisâtres.

    Son père se pencha vers elle, son arme encore fumante à la main, et examina ses blessures. Elle ne bougeait pas, apathique. Elle se contentait de le regarder arracher la manche de sa chemise et envelopper ses plaies méticuleusement. Il l’aida à se relever et tous deux errèrent inlassablement parmi les galeries souterraines, condamnant chaque sortie qui se présentait devant eux jusqu’au moment ou Caolan renonça. Les épaules renfrognées, il retourna sous la trappe d’accès de la maison. Il étreignit Eluna, glissa ses doigts dans ses cheveux et déposa un tendre baiser sur son front avant de lui faire signe de monter l’escalier. D’un mouvement de tête elle refusa mais le regard assassin de Caolan la fit changer d’avis. Elle grimpa les marches et s’acharna pour ouvrir la lourde trappe. A peine l’eut-elle soulevée qu’elle la lâcha.

    « Monte Eluna ! »

    Les piaillements, plus intenses, crissaient de toute part, transperçant la tête d’Eluna. Elle tremblait en repoussant la trappe et fut si violemment alpaguée qu’elle crut que son bras allait s’arracher de son corps. Sa mère la tira vers elle, pendant que son pied refermait le passage. Les yeux d’Audren perdirent tout leur éclat quand elle condamna cet accès ; resteraient à jamais gravés en elle les cris de Caolan et les tirs frénétiques qui sonnèrent le glas. Elle resserra son étreinte autour de sa fille qui s’effondrait par terre.

    Les ricanements de ces hyènes sortirent Eluna de sa torpeur, l’obligeant à faire face à cette étrange réalité. Les lieux étaient dévastés, des éclats de verre scintillaient comme un tapis de paillettes, les rideaux déchiquetés flottaient au vent, tels les voiles d’un bateau fantôme. La plupart des meubles avaient subi les frasques d’un ouragan et plus étrange encore, Audren savait se battre. Elle ne se contentait pas de se défendre, elle maitrisait parfaitement ses gestes, son espace et sa force : jamais elle ne manquait sa cible, faisant exploser ces bêtes dans une myriade de cendres volatiles, ses sauts légers et graciles lui donnaient une impression d’apesanteur et ses coups d’une force peu commune, étaient portés à leur juste mesure, sans gaspillage. Eluna fixait sa mère de ses grands calots verts quand des aiguilles déchirèrent son bras et l’obligèrent à participer à cette fête. Elle tenta de se dégager mais le monstre l’étouffa. Dans son regard aux lueurs rougeâtres se décelaient des intentions démoniaques. Ses traits étaient grossiers, mais ce serait presqu’un homme si on y regardait bien… Il lui griffa le cou, ouvrant sa gueule démentielle avant de voleter en poussières. L’étoile qu’Audren lui avait lancée continua sa course pour s’encastrer dans un mur.

    Au même moment, une sordide fumée blanchâtre s’engouffra dans chaque recoin de la pièce, glaçant l’atmosphère. Chacun eut un mouvement de recul, et dans une parfaite synchronie, tous se mirent à genoux, le poing tendu vers le sol, en s’inclinant révérencieusement. Même Audren rendit les armes, fixant ce qui restait de la porte d’entrée. Ses jambes se mirent à trembler quand arriva une ombre longiligne. L’homme arborait un chapeau borsalino¸ une longue gabardine cintrée, et des chaussures en crocodile, faites main. Seule sa bouche était visible, sous les larges bords du feutre, affichant un croissant de lune montant vers le ciel. Il s’arrêta sur le perron et leva la tête.

    « Bonsoir Audren. Tu ne m’invites pas à entrer ? »

    Sa voix mielleuse contrastait avec le respect qu’il imposait de sa simple présence.

    « J’aurai du me douter que c’était toi !

    – Qui d’autre… voyons. Tu me déçois ce soir, quel manque de discernement ! »

    Elle le fusilla du regard.

    « Voici donc ta fille. Ma chère Eluna qui nécessite tant de protection. »

    Il la déshabilla du regard, s’engouffrant au plus profond de son âme. Incapable de supporter cette intrusion, Eluna baissa la tête.

    « Ne t’avise pas de la toucher, grinça Audren. »

    Elle retira son bracelet et le fit claquer sur le sol, un long fouet métallique s’en déroula, crachant des étincelles.

    « Hum, c’est pour moi…Ne pas me rate pas.

    – Ne t’inquiète pas pour moi. Comment as-tu fait pour que je ne te sente pas venir ?

    – Ah, oui… J’ai eu l’extrême délicatesse de ne pas m’annoncer, vois-tu. Il m’était tellement plus distrayant de voir ton visage se liquéfier à ma venue. Il s’avère que chemin faisant, un badaud errant malencontreusement en ma direction m’a offert l’opportunité inespérée de pouvoir t’offrir cette agréable surprise. Avec philanthropie, il m’a permis de me saupoudrer, dirai-je, de son sang. Ainsi, ne pouvais-tu guère sentir mon inestimable fumet, très chère. »

    Tout en parlant, il ouvrit sa gabardine, lui montrant son corps maculé de sang. Les traits d’Audren se déformèrent.

    « Tu es ignoble !

    – Merci. »

    Il se recentra sur Eluna.

    « Tu es plutôt fade, mais je te veux.

    – Jamais Falken ! »

    Audren le fouetta au visage, sans désormais retenir ses coups. Malgré l’entaille faite sur sa joue, Falken ne cilla pas. Il l’attendait patiemment. Les autres membres de l’assemblée restaient prosternés silencieusement pendant qu’Eluna s’évertuait à se lever. Ses jambes toujours cotonneuses l’obligèrent à s’appuyer contre une chaise. Les palpitations de son cœur paralysaient tout son corps, elle n’arrivait plus à marcher. Elle chancela, poussée par une bourrasque glaciale et fut soulevée de terre pour finir écrasée contre le mur. Elle suffoqua. Une main de fer enserra sa gorge, elle s’accrocha à ce bras et tentait de respirer mais ses poumons s’atrophiaient inévitablement. Des bourdonnements fusaient autour d’elle, elle mit un certain temps à réaliser qu’il s’agissait de sa mère qui hurlait son nom. Falken regardait d’un air impassible sa jeune proie. Il souriait de la voir se débattre et s’approcha d’elle, caressant son cou de son nez. Il respira son odeur et poussa un râle de plaisir. Sa langue dégustait sa nuque avec gourmandise et cueillait les larmes salées qui ruisselaient en silence.

    Seulement quelques secondes s’écoulèrent mais elles se cristallisèrent dans l’âme d’Eluna. Elle reprit sa respiration quand il la lâcha brusquement. Sa mère s’était ruée vers Falken, lui enfonçant une dague dans le flanc. Les traits de l’homme se déformèrent. Il serra la mâchoire et chercha du regard ce qui l’avait interrompu si vaillamment. Audren maintenait la dague profondément enfoncée en lui et profita de sa faiblesse pour le faire tomber. Elle fondit vers sa fille mais Falken déjà la retint en attrapant son fouet. Elle ne semblait pas vouloir se démunir de son arme et tenta de la libérer. Il l’attira à lui sans se soucier des étincelles électriques qui carbonisaient ses mains au contact de la liane. Il jubilait de voir amplifier la peur en elle et la frappa. Le coup la projeta dans les airs, dix mètres plus loin. Elle s’écrasa dans une vitrine qui explosa et l’ensevelit. Alors qu’il se dirigeait vers Audren, Falken sentit quelque chose tirer sur sa gabardine. Il sourit, fit mine de partir en arrière et attrapa le poignet d’Eluna qui le tenait fébrilement. Elle valsa par-dessus son épaule. Il la serra contre lui et colla son nez sur sa joue. Elle ne comprit ce qui lui arrivait qu’au moment ou les dents de Falken s’enfoncèrent dans sa gorge. La douleur était telle qu’elle ne put émettre le moindre son. Elle vacilla, sa tête se mit à tourner et des nausées s’emparèrent d’elle. Il suçait avec avidité l’enlaçant de plus en plus fort, ignorant les convulsions qui agitaient sa proie.

    Il retira ses crocs de son cou et la jeta par terre.

    « C’est indécent ! »

    Son rire gras embauma la pièce, emportant Eluna dans un abîme de terreur, mais réveillant en Audren une énergie nouvelle. Elle se débattit et réussit à sortir des décombres. Elle était différente, son âme semblait déjà avoir quitté son corps. Elle titubait en marchant d’un pas résigné vers Falken tandis qu’il admirait la vitesse à laquelle son flanc se régénérait. Amusé par cette détermination, Falken sourit. Elle se planta devant lui et le laissa lui retirer quelques éclats de verre enfoncés dans son bras.

    « Tu es courageuse…Audren.

    – Tu n’aurais pas du.

    – Je vais l’emmener finalement.

    – Non…

    – Tu n’es pas en état, alors ne m’oblige pas à te tuer. Je caresse l’idée que tu me traqueras sans relâche pour la retrouver. »

    Elle perdit tout contrôle quand il lécha au coin de sa bouche une goutte de sang qui s’échappait. Elle enroula son fouet autour de lui et le fit tomber. Elle sortit un pistolet argenté de sa ceinture et le cribla de balles.

    « Eluna sauve-toi ! »

    L’impétuosité du ton d’Audren força Eluna à réagir. Elle se mit à quatre pattes, prit un temps d’arrêt pour stabiliser la pièce qui tanguait autour d’elle, se leva en s’adossant au mur quelques instants et se dirigea vers la porte d’entrée en titubant. Elle accéléra le pas quand sa mère lui cria dessus encore une fois. Instinctivement, elle prit le chemin de la forêt et s’y enfonça pour se camoufler. Elle connaissait bien les environs pour s’être longuement baladée dans ces lieux paradisiaques mais n’y trouva aucun attrait en cet instant. Le sang dégoulinait de son cou, malgré la pression qu’elle exerçait dessus. Elle trébuchait à chaque pas tant ses jambes peinaient à la porter, elle s’essoufflait et se retournait sans cesse. Combien de temps devait–elle encore fuir ? Que se passait–il dans sa maison ? Comment allaient ses parents ? Où avaient–ils appris à se battre ainsi ? Qui étaient ces êtres et ce Falken ? Elle se sentait lâche… si lâche désormais. Perdue dans ses sombres pensées elle sursauta quand un bruit de branche cassée résonna. Elle s’arrêta net et se recroquevilla derrière un tronc d’arbre et bloqua sa respiration. Le bruit se répéta, elle se pencha légèrement et aperçut un petit écureuil qui bientôt la dépassa. Á l’affût de tout ce qui l’entourait, chaque mouvement, chaque lueur, chaque effluve et même le silence la torturait. Elle était épuisée et brisée. C’est derrière un énorme buisson qu’elle décida de se terrer là où l’air frais de cette douce nuit d’été la soulageait. Le temps semblait s’être arrêté.

    Une voix douce et encore lointaine héla son nom. Elle s’enfonça dans le buisson, reconnaissant ce rire cynique.

    « Cesse de te cacher, je sais où tu es ! Ton odeur attise bien des convoitises. »

    Elle plaqua ses mains sur sa bouche, retenant le cri qui tentait de s’échapper et recula de nouveau. Il n’y avait plus un bruit, seuls les battements de son cœur venaient remplir ce vide abyssal. Les buissons s’envolèrent, et s’éclatèrent dans les airs. Falken l’attrapa par les cheveux et la traina vers une clairière.

    « Petite idiote ! Tu sais parfaitement que je te sens, que des dizaines de… »

    Il s’interrompit, les yeux écarquillés.

    « Non…visiblement, tu ne sais pas… tes parents ne t’ont pas dit… »

    L’absurdité de cette découverte le fit rire, il ferma les yeux en secouant la tête et desserra son étreinte. Sans réfléchir, Eluna ramassa une grosse pierre et le frappa au genou, brisant net son hilarité. Il la fixa un instant incrédule puis la souleva par les cheveux pour l’avoir à hauteur de son regard et plissa les yeux durement. D’un geste colérique, il la projeta contre un arbre en ricanant d’entendre le bruit d’os qui se brisent et lui fracassa le nez d’un coup de pied massif. Il reprit sa route, son dîner ballotté par les cheveux. Sa joie augmentait chaque fois qu’Eluna heurtait un arbre ou que son corps retenu par quelques branchages, devait être tiré plus fort pour le dégager.

    Ils rentrèrent dans la somptueuse maison, désormais dévastée. Falken la libéra mais s’impatienta de la voir avachie par terre. Il lui souleva la tête avec une douceur toute relative.

    « Regarde ! »

    Elle luttait pour garder les yeux ouverts, le sang qui dégoulinait sur son visage l’empêchait de voir distinctement. Elle comprit pourtant que ses parents, vivants, étaient vaincus. Tous les sbires de Falken dansaient fièrement devant Audren et Caolan, ligotés contre un mur. Elle éprouvait pourtant un certain soulagement et priait intérieurement d’être la première à mourir. Elle emporterait avec elle cette immense fierté de les avoir vu se battre avec courage.

    D’un air plutôt satisfait, Falken admirait son œuvre.

    « Eluna, dis au revoir à tes parents. »

    Elle ne bougeait pas, l’œil hagard, réveillant l’impétuosité intrinsèque de Falken. Il lui prit le bras pour la lever et lui cassa le radius par mégarde. Cette nouvelle explosion dans le corps d’Eluna ne fit qu’accentuer sa décadence. Elle tomba à la renverse, ses forces l’abandonnaient. Falken la retint in extremis, et tressaillit lorsqu’il croisa ce regard apaisé. Cette quiétude emporta Falken dans une rage incontrôlable. Il hurla son nom et la mordit encore et encore aussi profondément que ses dents le lui permettaient. A chaque nouvelle déchirure, les sens d’Eluna se désagrégeaient, les aiguilles qui transperçaient sa chair l’anesthésiaient lentement. La seule chose qu’elle parvenait encore à sentir était cette effroyable sensation de froid, elle était pétrifiée. Ses paupières se fermèrent doucement.

    Falken s’arrêta enfin et sonda cette jeune fille dont le cœur sombrait. Il la déposa sur le sofa, avec délicatesse, prenant soin de son précieux trésor. Il fallait la transporter sans qu’elle ne perde plus de sang, ou qu’un nouvel os ne cède. Les contusions étaient bien trop nombreuses pour tenter de l’emporter à bras le corps. Il chercha aux alentours quelque chose qui puisse l’aider mais dû s’interrompre. Une main infâme osa s’approcher du corps d’Eluna. Falken s’interposa, vif comme l’éclair et prit la main au vol de celui qui bientôt regretterait son audace. Il catapulta le monstre à l’autre bout de la pièce. Ses prunelles se mirent à flamboyer, dardant des étincelles pourpres vers l’animal. Ce dernier explosa en un flot de bulles noires. Il remarqua que tous ses sbires étaient en transe, agités par l’odeur trop alléchante d’Eluna. Ses yeux projetèrent d’effroyables lumières vers les plus fébriles, et leur infligèrent le même sort qu’au précédent, calmant provisoirement l’assemblée. Songeur, Falken s’assit prés de sa protégée. Elle était encore bien jeune et pourtant si vieille en son genre. Il soupira.

    A l’autre bout de la pièce, un des parasites se faufila vers Audren. Il brandit son couteau vers elle et se mit à genou, plantant ses dents dans sa cuisse. Elle se mordit la lèvre et regarda Caolan. Elle prit une grande inspiration et asséna un coup de pied dans le bras armé de son agresseur. L’arme s’envola. Il tenta de la récupérer mais Audren enroula ses jambes autour de son cou ne lui laissant aucune chance. Elle visait toujours aussi bien, Caolan n’eut qu’à écarter les doigts pour rattraper l’objet qui servirait de porte de sortie. Il sectionna ses liens, sidéré de ne pas être repéré. Il se déplaça discrètement et libéra sa femme.

    La tension montait d’un cran dans la grande salle, les soldats de Falken, dominés par leurs instincts trépignaient et piaillaient de plus en plus fort. Sans état d’âme, Falken en tua quelques uns avant de s’impatienter. Quand il leva la main, plus personne ne bougea, son autorité faisait effet. Tous connaissaient la sentence de cette main levée… bien plus effrayante qu’une mort brutale.

    « Tu vas payer ! » cria Audren.

    De son arme jaillit une pluie de balles venant s’enfoncer dans le corps de Falken. Elles explosèrent en lui. Il s’effondra. Telle une épave s’enfonçant dans des profondeurs abyssales, Eluna n’entendait qu’un bourdonnement éteint. Elle glissa par terre, entrainée par des mains fébriles. Cachée par la table basse, personne ne vit les visages affamés se pencher sur elle, la dévorant de leurs crocs incisifs. Leur féroce appétit la faisait sombrer dans les limbes de son inconscient. Bientôt elle ne souffrirait plus.

    Ses parents canardaient les bêtes avec frénésie tout en cherchant Eluna. Déchiré par une régénération trop intense, Falken poussait des rugissements caverneux. Il put se relever à temps et brandit ses mains rougeâtres pour faire léviter tous ceux qui souillaient Eluna. Flottant dans les airs et poussant des cris stridents, leurs corps se disloquèrent et furent lancés au loin, agonisant. Eluna ne réagit pas quand on la souleva, mais elle reconnut la brusquerie de Falken qui l’emportait. Il n’eut guère le temps d’aller plus loin et tomba en recevant une balle dans le genou. Eluna s’écroula sur la table basse en verre, qui explosa bruyamment. Tout devint flou dans son esprit ; il lui sembla que la voix de Falken commanda à ses sbires de stopper Caolan et qu’il se ruait vers Audren qui persistait à le cribler de balles. Rien ne semblait arrêter cette furie. Caolan mitraillait sans cesse, les monstres l’enveloppaient, leurs cris de joie terrorisaient Eluna. Un hurlement plus familier déchira la pièce et résonna en Eluna. Un des monstres s’avança en brandissant la tête de Caolan. Les applaudissements crépitaient, leurs piaillements caquetaient quand Falken enfonça sa main dans le torse d’Audren et lui arracha le cœur. Il jeta son corps avec mépris puis ce cœur encore chaud.

    Les larmes ruisselaient silencieusement le long des joues d’Eluna. Elle ferma les yeux, s’offrant à la mort mais les plaintes de Falken la retinrent encore un peu. D’une voix tremblante, il murmurait son nom et caressait ses cheveux de sa main dégoulinante de sang. Il souffrait de la voir mourir, elle lui offrit un pâle sourire. Peu lui importait dés lors de sentir la langue de Falken sur son cou. Il se redressa, lui promettant de revenir la chercher, et s’enfuit. Elle ouvrit une dernière fois les yeux, et distingua, à travers l’épais voile blanc qui l’enveloppait, que des hommes se ruaient dans la maison. Des fouets électriques faisaient claquer l’air sans laisser le moindre survivant. Une puissante silhouette accourut vers elle, s’accroupit à ses côtés¸ l’enivrant du plus doux des parfums. Une intense chaleur pénétra dans son corps glacé, apaisante…Elle n’avait plus mal. Une voix bienveillante lui murmura qu’elle ne risquait plus rien.

    Puis elle s’évanouit.

    INERTIE

    Les semaines défilaient lentement sur les murs de l’école, faisant place à la mélancolie de l’automne. L’air se rafraichissait, les feuilles vieillissaient paisiblement arborant une teinte rouge corail. C’était en cette saison qu’Eluna les préférait. Glissant sur la pointe des pieds, Connor Callahan entra sans frapper dans l’infirmerie. Las de ne voir aucun changement il poussa une longue complainte silencieuse. Les murs avaient leur blancheur traditionnelle, les lits étaient toujours parfaitement alignés et le bureau de l’infirmière disparaissait sous un monticule de dossiers. Les rideaux fermés cachaient la vue sur un lac magnifique. Depuis la mort de sa sœur, Connor veillait sur Eluna. Il s’assit prés d’elle et prit sa main qui convulsa à ce contact. Comme toujours, il la lâcha… elle s’apaisa. Dans un soupir il vint aux nouvelles.

    « Connor, elle vient de sortir du coma, annonça le Docteur Burke.

    – Quoi ?

    – Je suis tout aussi surpris que vous. J’avais peu d’espoir sur sa combativité.

    – Il est vrai. Mais il reste encore tellement à panser…

    – Laissez-moi soigner le plus lourd, intervint Aidan. »

    Cette voix suscita dans le cœur d’Eluna une explosion de lave qui s’engouffra dans tout son corps. Elle inspira pleinement pour s’imprégner de cette puissance. Cette voix avait un visage… qu’elle devait découvrir. Elle tenta d’ouvrir les yeux, mais l’exercice était épuisant. Avec acharnement, elle canalisa le peu d’énergie qu’elle avait et entrouvrit ses paupières. Deux billes noires, serties en amandes lui souriaient. Sa vue se brouilla et ses forces s’envolèrent.

    D’un geste protecteur, Connor fit signe à Aidan de ne pas parler.

    « Elle s’est rendormie, chuchota le Docteur Burke.

    – Vous en êtes sur car elle ne doit pas entendre ce genre de choses, s’enquerra Connor. »

    Il acquiesça d’un signe de tête.

    « Aidan ! Je suis soulagé de te revoir. Comment vas-tu ? As-tu réussi à te soigner ? C’est si rapide… Mais est-ce raisonnable de tenter quoi que ce soit ? »

    Esquissant un sourire chaleureux, Aidan attendit que Connor cesse de déblatérer pour répondre. Une fois rassasié, Connor le laissa s’approcher de sa nièce.

    Un bruit les interrompit, la porte fut ouverte avec impatience et laissa apparaître un jeune homme épuisé et abîmé.

    « Il nous a échappé, lança-t-il honteux. Des Sangs Purs sont venus l’aider. Deux éclaireurs le cherchent et nous préviendront dés qu’il sera localisé, je repartirai immédiatement, Monsieur.

    – Axel, tu t’es bien battu, je… commença Connor.

    – Non Monsieur ! J’ai échoué !

    – Pardon ? Tu le traques depuis des semaines, tu l’as considérablement affaibli et puis tu as besoin de repos !

    – Je vais très bien, Monsieur. J’achèverai ma mission.

    – Non Axel ! Tu en as assez fait, laisse les autres s’occuper de Falken pour… »

    Il se tut, le corps d’Eluna se mit à trembler et son souffle se coupa.

    « Comment va-t-elle ? chuchota Axel.

    – Elle est sortie du coma, répliqua le Docteur Burke, mais je ne saurai dire si c’est préférable. Oh, arrêtez de me regarder comme ça, Connor. Ne soyez pas hypocrite, elle est paralysée, traumatisée, défigurée et si elle s’en sort elle aura le plus grand des détraqués à ses trousses.

    – Je la protégerai ! siffla Connor entre ses dents.

    – Comme voulait le faire Audren.

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