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Livre électronique724 pages12 heures

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À propos de ce livre électronique

Après cinq siècles d’errance et d’esseulement, j’avais totalement perdu foi en la vie, cette dernière m’ayant complètement désabusée le jour où ce sbire satanique avait fait de moi ce monstre exécrable. Jamais je n’aurais pu concevoir que ma rencontre avec un humain me ferait renouer avec celle-ci. Pas plus que je n’aurais été en mesure de me figurer tomber amoureuse de nouveau. Mais aimer dans le monde qui était le mien venait avec son lot de bouleversements et un lourd tribut à payer. J’ignorais tout de ce qui m’attendait. Ces créatures obscures à mes trousses. Ces brigues du dieu infernal à mon sujet. Ce pouvoir nonpareil s’éveillant en moi. Tant de choses dont je n’avais pas la moindre idée. Tout comme des ténèbres qui engloutiraient le monde et moi-même si jamais cet amour venait à s’éteindre.
LangueFrançais
Date de sortie19 déc. 2016
ISBN9782897676209
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    Aperçu du livre

    Perdition - Alexandre Vézina

    Prologue

    C ourir : c’était la seule infime idée qui demeurait claire dans ma tête. Je courais, mes jambes musclées à mon cou, en priant les cieux pour que les dieux célestes me viennent en aide. Je jetai un bref coup d’œil par-dessus mon épaule, mais je n’y vis rien. Pourtant, je savais qu’il était là. Je rivai à nouveau mon regard apeuré sur ma route parsemée de hauts arbres pour éviter d’entrer en contact avec un de ces troncs solides. Pour maximiser ma vitesse, je tenais les pans de ma robe salie par la terre humide de cette forêt sombre afin de les relever pour ne pas trébucher bêtement. Ma longue cape noire en soie virevoltait dans les airs derrière moi. Mon cœur battait à une vitesse considérable, ma respiration était saccadée, une sueur froide suintait le long de mon front, et j’avais un poing taraudant au bas du ventre. À même ces signes flagrants de fatigue, j’allai plus vite en sachant que la mort elle-même était à mes trousses. J’avais commis la pire erreur de toute mon existence humaine en m’enfuyant seule dans ces bois lugubres lorsque la lune scintillante était à son zénith, en voulant empêcher mon mariage arrangé avec un homme barbare que je haïssais. Dans ma quête vers la liberté, j’avais oublié qu’un assassin ignoble, ayant fait plus d’une trentaine de pauvres victimes, rôdait dans mon propre village. J’avais beau avoir réussi à fuir les gardes empêchant la sortie et l’entrée de quiconque à mon village depuis que ce monstre sadique avait commencé son carnage sanglant, j’étais maintenant confrontée à une menace encore plus grande : ce monstre était à ma poursuite. J’étais condamnée et je le savais. Je me retournai une seconde fois et je fus proie à l’effarement en voyant sa silhouette massive qui se mouvait aisément dans l’ombre, en ma direction. Une panique incontrôlable me tenailla de plus belle, et j’accélérai le pas, même si je savais que mon heure finale était venue. L’unique chose qui me donnait toujours la force inhumaine pour continuer à avancer, c’était la peur.

    Sous l’effet dérisoire de l’apeurement véritable, j’oubliai de faire attention où je mettais les pieds et je trébuchai, par mégarde, sur une malencontreuse racine. Je fis une roulade maladroite et je m’écorchai à vif le genou gauche dans ma chute. Je grimaçai de douleur en sentant du sang s’écouler le long de cette plaie fraîche, mais je ne m’attardai pas trop. Je me hâtai à me relever puisque ce prédateur féroce ne tarderait pas à me rattraper. Je courus le plus rapidement possible en essayant d’ignorer mon genou douloureux et, en tentant de voir pour la énième fois s’il me suivait toujours, je ne le vis plus. Un frisson d’effroi me parcourut, et mon sang se glaça. C’est alors que je heurtai quelque chose. Je regardai instantanément devant moi pour voir de quoi il s’agissait et je lâchai le cri le plus strident de toute ma courte vie en découvrant qu’il était là. Un sourire menaçant était dessiné sur son visage sévère surplombé par sa chevelure de jais, et ses yeux d’un noir d’ébène me fixèrent intensément. Il agrippa solidement ma cape et il lâcha un feulement bestial en dévoilant ses incisives tranchantes comme la lame effilée d’un poignard. Je criai de nouveau et je me débattis du mieux que je pus. J’arrivai à me libérer de son emprise de fer en lui écrasant le pied droit de ma botte de cuir, je désagrafai le haut de ma cape soyeuse, puis je repartis en trombe le laissant derrière moi avec mon précieux vêtement à la main. Je courais comme si la mort faucheuse était à mes trousses. En réalité, elle l’était vraiment. Je l’entendis éclater d’un rire machiavélique derrière moi, mais je ne m’en souciai guère : tout ce qui m’importait, c’était de m’éloigner de lui à tout prix. Son visage horrible, aux traits carnassiers, me revint à l’esprit, et je fus une seconde fois parcourue d’innombrables frissons. Une chose était sûre, ce n’était pas un humain : cette chose étrange était un démon tout droit sorti des enfers souterrains. Il était le chasseur redoutable, et moi, j’étais sa pauvre proie.

    Je devais déployer des efforts plus que surhumains pour éviter de succomber à une attaque cardiaque ou à la fatigue néfaste, mais je ralentissais tranquillement, car mon enveloppe charnelle n’en pouvait plus. J’essayai de faire de plus longues enjambées, mais mes jambes épuisées n’y arrivaient plus. Tout était perdu. Je le sentais qui s’approchait de moi sans aucune difficulté puisque ce luciférien démon dépassait toutes mes capacités. Sous l’effet désolant de l’épuisement, je m’écroulai sur le sol sans que je puisse me remettre sur pieds, mais je me retournai pour être face à cette calamité diabolique qui avançait d’un pas lent dans l’obscurité presque totale sans que je puisse discerner ses traits monstrueux à cause de la noirceur sinistre de ces lieux effrayants. D’une démarche hautaine, il avançait lentement vers moi en se délectant impitoyablement de ma peur insoutenable, et plus il s’approchait, plus les pulsations rapides de mon cœur s’intensifiaient. Au bout de quelques interminables secondes, il s’immobilisa complètement à une quinzaine de mètres de moi, il fléchit les genoux et il fit un bond colossal qu’aucun véritable humain n’aurait été en mesure de faire. En un clin d’œil, il se retrouva sur moi, à m’écraser solidement au sol avec ses bras robustes tonifiés par ses capacités sataniques. Je lâchai un nouveau cri encore plus puissant qui manqua m’abîmer les cordes vocales.

    Son visage horrible et malveillant, en train de rire, était très près du mien, et je humais son haleine répugnante empestant le cadavre. Je désirais plus que tout me débattre et essayer de repousser cet être fourbe, mais une telle frayeur s’était éprise de tous mes muscles que j’en étais littéralement figée, sans pouvoir démontrer une infime réaction. Qu’allait-il m’arriver ? Que voulait-il de moi ? Une foule de questions incalculables me passa à l’esprit, et je ne pouvais m’empêcher de m’imaginer les pires possibilités. Il se mit à renifler mes longs cheveux ondulés comme un animal aux instincts primitifs, sentant son repas avant de s’en régaler. Je fus secouée de sanglots. Je tremblais de tous mes membres et je regrettais plus que tout, en mon cœur brisé, d’avoir fui ma demeure familiale. Je priai Dieu avec toute ma ferveur, même le Diable, pour que cela s’arrête, mais aucun dieu céleste ou infernal ne me vint en aide. J’étais seule devant ce prédateur auquel je ne saurai résister ; j’étais seule face à la mort indomptable. Il se mit à me flairer davantage. Il dégagea mon cou fragile de tout vêtement et de mes cheveux pour qu’il soit parfaitement exposé, puis il passa sa langue rugueuse contre ma peau claire. Je me raidis et je serrai les dents. Je le suppliai d’une voix tremblante de m’épargner, mais il restait complètement indifférent à mes supplications. Mon ultime pensée fut pour ma tendre famille à qui je n’avais même pas dit un simple adieu. C’est là qu’il enfonça sauvagement ses canines affutées dans ma jugulaire.

    Je hurlai de toutes mes forces quand ses dents tranchantes transpercèrent ma chair flasque et je me mordis la lèvre inférieure jusqu’au sang tellement la douleur était forte. Mes yeux s’emplirent d’eau et je gémis tandis qu’il se délectait de ce liquide rouge tout en faisant les mêmes sons qu’un animal sauvage en train de se goinfrer. Je ne trouvai même pas en moi la force de me débattre puisque j’étais vidée de toute mon énergie. Je commençai à voir embrouillé, et tous mes os se mirent à me paraître lourds, comme si j’étais écrasée sous leur poids déconcertant. J’avais toujours mal, mais mes sens, normalement fiables, étaient maintenant engourdis. Je savais qu’il était en train de drainer toutes mes forces vitales, et que d’ici peu, il m’arracherait mon dernier souffle de vie. Ce qui me dégoutait le plus, c’était de ne plus avoir la force de lutter. Je sentais que ma vie me quittait tranquillement et je tentai, avec ardeur, de me raccrocher fermement à elle. Je ne voulais pas mourir, je désirais vivre. Il était encore beaucoup trop tôt pour que je quitte ce monde cruel, j’avais encore tant de choses à lui offrir. Je voulais vivre pour mes semblables et pour mon amoureux. Ça ne pouvait pas se terminer ainsi. Il m’était inconcevable de laisser ce démon sanguinaire l’emporter sur moi… Mes paupières s’alourdissaient de plus en plus, et une fatigue incontrôlable me parcourut soudainement. Je sus que la fin était proche ; que j’allais quitter ce monde verdoyant.

    Curieusement, le moment décisif où la mort faucheuse devait prendre mon âme attristée ne vint pas. L’homme mystérieux retira ses crocs acérés de mon cou délicat, le visage dégoulinant et taché de sang. Il approcha sa bouche ensanglantée de mon oreille droite, puis il y susurra quelques mots.

    Ce qu’il me dit me sembla crucial. Toutefois, je n’entendis point ce qu’il venait de me murmurer. Dès l’instant où il cessa de s’abreuver de mon sang frais, ce fut comme si un feu ardent me consuma entièrement. Une térébrante douleur me tenailla de mes petits orteils jusqu’au bout de mes doigts fins, et j’eus la désagréable impression que je me consumais, mais de l’intérieur. Cette géhenne insupportable était à son apogée au niveau de mon cou, là où il m’avait mordue. Que m’avait-il fait ? Je me tortillai dans tous les sens sous l’effet nocif de cette souffrance physique et je criai plus fort que jamais en voulant m’arracher la peau des os pour que cela cesse. J’avais beau beugler ou pleurer, le mal taraudant ne faisait que s’amplifier. Même si j’eus plus tôt souhaité que la vie se rattache à mon âme pure, désormais, je souhaitais plus que tout que la mort soit ma paisible délivrance. Je ne désirais plus me battre pour ma chère famille ou les gens que j’aimais, car ce supplice était trop grand, et je ne pouvais absolument plus le supporter. C’était comme si mon propre organisme essayait lui-même de se détruire de l’intérieur. À mon franc avis, ce n’était plus qu’une question de temps avant que j’aille nourrir les entrailles boueuses de la Terre. Du sang chaud coulait le long de mon cou sensible, de ma plaie fraîche en fait, et une mare miroitante sous le reflet de l’astre blanchâtre à sa phase pleine se forma autour de mon corps immobile. À chaque battement de mon cœur luttant pour ne pas flancher, c’était comme si ce feu intérieur s’intensifiait dans mes veines douloureuses, et ce martyre intolérable se propageait le long de mon abdomen, au bout de mes orteils, dans mes doigts fins et dans ma tête. C’était plus lancinant chaque fois que mon cœur pompait ce liquide rouge dans mon corps meurtri. Il était parcouru de multiples frissons, et je sentais toute ma chaleur corporelle diminuer pour que ma peau soyeuse devienne d’un blanc de cadavre et d’un froid de mort. Chaque respiration était plus difficile que la précédente, et je sentais parfaitement mon rythme cardiaque ralentir progressivement en même temps que la mort cruelle s’éprenait de tous mes membres. Le pire était que je ne pouvais rien y faire, j’étais maintenant paralysée : même si la douleur accablante faisait toujours rage en moi, j’étais vidée de toutes mes forces humaines. C’était affreux de sentir son cœur vivant lutter pour seulement se maintenir en vie et perdre de plus en plus de sa vigueur d’autrefois. Étrangement, l’enfer que j’éprouvais se faisait de moins en moins considérable, mais il m’avait trop anéantie pour que je puisse penser survivre. Mon pouls était désormais irrégulier, et je savais que c’était la fin : la vraie. Je priai les dieux pour que l’autre monde ne soit pas trop ignoble avec moi et pour qu’ils veillent sur mes proches. Je les implorai de m’offrir leur pitié infinie. L’ultime pulsation de mon organe primordial se fit ressentir tout le long de mon corps, puis il n’y eut plus rien ; qu’un silence sinistre de mort.

    Je demeurai dans cette position inconfortable durant un long instant à me demander si attendre le moment final de la mort était toujours aussi long et je vins à me demander si je n’étais pas déjà passée de l’autre côté. Au bout d’un long moment, je me risquai à me relever en ayant peur que le mal interminable recommence, mais je ne fus pas traversée par une quelconque douleur fulgurante. Je me remis donc sur pied et, étrangement, malgré la quantité importante de sang que j’avais perdue, je ne fus pas prise de néfastes étourdissements. Je passai ma main droite sur mon cou et je n’y touchai que du liquide écarlate, et aucune marque fraichement cicatrisée ne s’y trouvait. De même que mon genou gauche. C’était comme si ce monstre sadique ne m’avait jamais mordue. J’étais en proie à l’incompréhension. Peut-être que dans l’au-delà, notre carcasse n’était plus la même que celle du monde des vivants. Mais pourquoi étais-je alors toujours couverte de sang ? Cela n’avait pas de sens ! Je jetai un bref coup d’œil aux alentours et je constatai que je me trouvais toujours au même endroit qu’au moment sentencieux de mon agression. En plus, tout autour de moi se trouvait cette flaque opaque de sang. Alors, j’en déduisis que j’étais toujours vivante, mais en y pensant bien, je réalisai que je n’avais pas pris mon souffle depuis une vingtaine de minutes et, pourtant, je n’en sentais aucunement la nécessité. Par réflexe primitif, je pris une profonde bouffée d’air bruyante comme si j’étouffais, mais je savais pertinemment que cela ne changeait rien, car mon corps n’en avait plus besoin. Que m’arrivait-il ? Sous l’effet dérisoire de la panique, je me mis à tâter furtivement mon thorax pour essayer d’y percevoir les battements réconfortants de mon cœur. J’eus beau essayer de les détecter, je ne les trouvai pas, et ma frayeur n’en fut que plus grande. De grosses larmes ruisselèrent le long de mes joues, et je compris alors que j’étais bel et bien morte…

    Subitement, un bruit presque inaudible de pas dans des feuilles mortes se fit entendre, et je me retournai instinctivement. Je n’y vis personne. J’étais seule au beau milieu des bois obscurs, pourtant, j’entendais toujours ce son continuel en ne voyant toutefois que des arbres à des kilomètres à la ronde. Un rire irritant résonna dans la pénombre et il était accompagné d’une voix grave appartenant à un second individu qui parlait au premier. Je fis un tour complet sur moi-même en scrutant de mon regard, qui bizarrement s’était très bien adapté à l’obscurité, pour que je sois en mesure de percevoir les lieux présents dans les moindres détails, mais je ne vis personne encore une fois. Décidément, je devenais démente. Je plaquai solidement mes paumes moites contre mes oreilles pour cesser d’entendre ces bruits agaçants, mais ceux-ci ne faisaient que s’intensifier. Je pris une grande inspiration pour être en mesure de me calmer. Ma truffe affutée détecta alors un effluve exquis qui me fit passer ma langue rugueuse sur mes dents parfaitement alignées, et je trouvai mes incisives supérieures anormalement pointues et longues. Je pris une autre inhalation d’air humide qui éveilla davantage mes sens lorsque je humai de nouveau cette odeur captivante. Je ne savais pas pourquoi, mais une voix intérieure m’indiquait de suivre ce parfum tonifiant ; que j’y trouverai les réponses inattendues à cette singulière question : qui suis-je ? Je ne pus point résister ; je devais savoir ce qui se trouvait là-bas.

    Je courus en cette direction et, à ma plus grande stupeur, je remarquai que j’étais beaucoup plus rapide qu’à l’ordinaire, mais je n’y fis pas trop attention, décidée à découvrir l’origine de cette senteur unique. En moins de deux, je me retrouvai bien loin du lieu où je me trouvais précédemment et je vis deux hommes armés qui se promenaient le long d’un sentier battu. Je me cachai machinalement derrière un large tronc en voyant qui étaient ces hommes. Il s’agissait de gardes faisant partie de l’élite militaire surveillant les chemins menant à mon village pour empêcher l’accès à quiconque, et ils portaient le traditionnel habit militaire de notre patrie. Je ne devais absolument pas me faire remarquer par ces deux soldats, sinon j’étais dans le pétrin. Je tentai un regard discret en leur direction et je me camouflai à nouveau pour éviter que leurs regards ne tombent sur moi. Comment avais-je pu être aussi stupide et suivre innocemment cette effluence attirante sans aucune précaution ? Je flairai la piste et je constatai que cette odeur alléchante venait d’eux. Je me risquai une nouvelle fois à les observer, et mon ouïe développée capta un son régulier qui devait être le battement de leur cœur. Mes yeux ne pouvaient se détacher de leur cou fragile, et je fus hypnotisée par leurs pulsations cardiaques. Une voix, la même m’ayant guidée ici, me susurrait d’aller me nourrir… Je désirai alors plus que tout leur sauter au cou pour les liquider froidement sans éprouver de pitié et enfoncer mes dents carnassières dans leur chair tendre. J’avançai d’un pas vers eux, puis d’un autre, sans qu’ils me remarquent. Ce fut là que je recouvrai mes esprits perdus et que je me ravisai à la seule perspective de leur faire du mal à eux, de jeunes adultes pas plus âgés que moi ; deux hommes qui n’avaient connu ni femme ni enfant, qui n’avaient fait de leur triste vie que ce que l’on permettait bien d’accomplir. Je ne pouvais pas… Toutefois, malgré mes infimes convictions et volontés, je continuais d’avancer. J’avais beau lutter ardemment pour éviter de faire un unique pas de plus vers eux, ce fut vain. Ce n’était plus moi qui avais le contrôle habituel de mes membres robustes. Je n’étais maintenant plus qu’une pauvre spectatrice voyant à travers ces yeux sans pour autant être en mesure de réagir. C’était quelqu’un ou quelque chose d’autre qui contrôlait mes actions. Quand ils me virent finalement, ils pointèrent leur arme chargée vers moi, et en sursautant, l’un d’eux s’écria :

    — Mademoiselle ! Mais que faites-vous ici ? Vous n’avez pas le droit de vous promener sur ce sentier, et encore moins à une heure aussi tardive. Vous ne pouvez pas venir ici, c’est interdit ! Il est de notre devoir de vous mettre en état d’arrestation. Ne faites pas un pas de plus en notre direction, sinon nous allons être dans l’obligation de tirer. Mademoiselle, n’avancez plus ! Mademoiselle !

    Trop tard… tonna la voix désagréable en moi tout en faisant un pas de plus. Désormais, vous êtes les proies, et moi, je suis la chasseresse. Je lâchai un feulement bestial en les menaçant de mes incisives tranchantes tout en continuant de marcher.

    « Non ! » hurlai-je moi-même intérieurement en connaissant les intentions macabres de cette entité puissante prenant le contrôle de mon être tout entier.

    Le garde le plus chétif, sûrement le plus peureux, me visa avec son arme et tira. Ce fut à ce moment-ci que je perdis toute influence sur cette puissance mentale ; que ses idées machiavéliques devinrent les miennes ; que, pendant un instant éphémère, nous ne fîmes qu’une ; que je devins un véritable prédateur…

    Sa balle m’atteignit à l’épaule gauche, ce qui me fit reculer d’un pas sous l’effet déstabilisant de l’impact et rugir férocement plus de frustration que de mal, comme j’étais maintenant presque totalement immunisée contre la douleur physique. L’autre, celui qui était le plus costaud, fit feu à son tour, et son projectile se planta dans une de mes côtes sans que j’aie de réaction cette fois-ci. Je m’arrêtai un court instant afin d’extraire manuellement ces cartouches, inefficaces contre moi, de mes os solides et je leur jetai un regard noir qui les glaça d’effroi. Je les vis qui me fixaient. Ils étaient terrifiés en ne sachant comment expliquer ce phénomène surnaturel. Je leur fis un sourire sardonique et je me jetai sauvagement sur celui ayant tiré le premier. En un claquement de doigts, je me retrouvai à côté de lui, je lui retirai son arme pitoyable avant qu’il n’ait le temps de la recharger et je le poignardai barbarement à trois reprises avec l’extrémité acérée comme un poignard de son fusil. Je jetai son fusil par terre, loin de lui, et tandis qu’il s’écroulait lourdement sur le sol, entre la vie et la mort, je pris l’arme de son compagnon, je le cassai en deux, puis je pris l’homme durement par le cou en y exerçant une forte pression. Ces yeux marron étaient exorbités, et il gémissait en cherchant son air sans y arriver. Je ne voulais plus qu’une chose : le liquider pour étancher ma soif infinie. Son rythme cardiaque était largement accéléré. Mon regard se posa sur les veines dilatées serpentant son cou, et je me léchai la lèvre inférieure en les voyant. Je rapprochai lentement ma bouche dangereuse de sa jugulaire alléchante et je mordis à pleines dents pour la première fois dans la chair flasque d’un misérable humain.

    Le goût indescriptible de ce nectar divin était si exquis que j’aurais pu en boire éternellement. Je buvais à une telle vitesse que j’aurai vidé cet homme d’ici peu. Je le sentis se débattre de ma poigne de fer au début, mais il perdit rapidement de sa vigueur et sombra en moins d’une minute dans l’inconscience. Je me délectais en faisant des bruits grossiers d’animal féroce, et du sang chaud perlait le long de mon menton parfait et de mon cou, pour tacher ma robe déjà couverte du mien. Son pouls s’affaiblit considérablement, et il lâcha son dernier souffle pour que je puisse finalement drainer l’ultime goutte de ce breuvage unique. Je laissai son cadavre rigide s’écraser sur le sol boueux et je me retournai vers ma deuxième victime, qui baignait déjà dans le sang. Le soldat maigrichon était étendu sur le dos, exerçait une pression sur son ventre blessé pour contrôler l’hémorragie et luttait difficilement pour ne pas fermer les paupières. Son teint naturellement pâle était livide. Je m’agenouillai à ses côtés, mais il n’eut aucune réaction. Il était déjà dans un état critique, entre la vie et la mort. Je le mordis à son tour, puis je m’abreuvai tant et aussi longtemps qu’il resta une seule goutte de sang. Il ne se débattit même pas et il n’émit pas le moindre son, comme s’il était prêt à accueillir la mort. Je me relevai doucement, puis je contemplai le résultat morbide : deux cadavres frais figés et froids qui contemplaient le vide avec une peur justifiée. Je ne pus m’empêcher de sourire en voyant leur carcasse répugnante sans vie. Je les regardai sans émotion, comme si tout cela était naturel.

    Puis, vint le moment fatidique où la réalité funèbre me rattrapa. Vint l’instant lugubre où je repris brusquement contact avec la réalité et que cette luciférienne bête en moi disparut. Je plaçai mes mains devant ma bouche où mes canines étaient maintenant de taille normale et je les fixai intensément en étant horrifiée par la laideur immensurable de l’acte impardonnable que je venais de commettre. Je tombai à genoux et j’éclatai en amers sanglots. Comment avais-je pu faire une telle chose ? Qu’avait fait de moi cet être démoniaque m’ayant mordue ? J’avais si honte. Je pleurais bruyamment et je ne pouvais pas trouver la force de cacher leur visage effrayé qui me toisait intensément. Je devais continuer de voir les conséquences horribles du crime effroyable dont j’étais l’auteure. Je ne savais plus qui j’étais. Une chose était certaine, je n’étais plus humaine. J’étais un démon pernicieux comme lui ; un monstre cauchemardesque avide de sang qui ne mérite aucune pitié. Que les dieux me pardonnent ! J’étais une fille des ténèbres. Désormais, j’étais damnée à jamais…

    Première partie

    Prémices

    Temps présent

    Près de cinq siècles plus tard…

    Chapitre 1

    Nouveau départ

    D epuis la nuit des temps, des milliers d’espèces de toutes sortes ont foulé le sol de la terre des hommes. Les humains, ce peuple barbare, ont cru par leur apparence identique en plein jour aux démons lucifériens les entourant qu’ils provenaient tous du même monde, de la même espèce. Donc, pour eux, il n’y avait aucune différence d’une grande importance. Selon eux, il n’y avait que leur propre monde qui était réel. Mais ils s’induisaient tous à tort…

    Ce qu’ils ignoraient tous, c’était qu’il existait deux mondes supérieurs au leur. Des êtres de plus hautes castes, beaucoup plus importants qu’eux, vivaient au cœur de ces terres sinueuses et créaient les limites. Ces entités divines sont plus souvent connues sous le nom de « dieux » ou « déesses », et elles détiennent des pouvoirs hors du commun. Celui qui est à l’origine de l’existence même se nomme Ayell Angelicadius, mais le principal titre sous lequel on le connaît est Dieu. Selon les archives ancestrales, le Seigneur serait né du néant absolu. On raconte que l’enfant magique, pour convenir à ses besoins, a dû créer ce qui était nécessaire à sa survie. Peu à peu, il créa un monde immense, sans fin, dans lequel il pouvait vivre. Il créa l’animal pour se nourrir de sa chair, l’arbre verdoyant pour se nourrir de ses fruits, la lumière éblouissante pour éclairer son chemin et l’eau douce pour s’abreuver. Au fil du temps, il bâtit un monde comportant une infinité d’avenirs possibles pour le cosmos, mais parfois, le droit chemin n’est pas celui qui est le plus facile à déceler, et les nombreuses erreurs commises par ses multiples créations sont là pour le prouver.

    Ensuite, le Créateur, ce jeune dieu aux yeux azur, grandit et se sentit seul. Il créa alors, avec son don unique, un compagnon avec lequel il pouvait parler. Plus le jeune dieu grandissait et avançait le long de cette route sinueuse qu’est l’éternité, plus il sentit en son âme tout entière la nécessité d’être entouré de gens comme lui devenir de plus en plus intense. Il dut alors se créer un abri protecteur et un gigantesque endroit où tout le monde pourrait vivre. Il y construisit Caelierys, le majestueux palais du paradis, puis il créa les huit dieux primaires pour régner à ses côtés.

    Le Seigneur fit une autre importante découverte : celle sans qui chaque être, peu importe qui il est, serait démuni et impotent. Il ressentit les premiers feux de l’amour en son cœur. Il tomba amoureux d’une de ses quelques déesses qu’il procréa, une jeune demoiselle au pouvoir riche et à la bonté infinie. Elle se nommait Mirraëlla, la déesse du vent et de la bonté, et c’est elle qui changea le cœur de ce preux créateur.

    Ayell fut la plus grande bénédiction que le cosmos entier eut connue et qu’il connaîtra. Il est celui qui gouverne du haut des cieux azur et qui observe attentivement la vie extraordinaire qui gît en bas. Le problème qui survint dans tout cela, ce fut qu’il ne pouvait créer quelque chose sans y créer son opposé. En créant la vie, il dut créer la mort, avec la lumière apparut la noirceur, et en créant l’amour, la haine surgit. Et c’est de cette haine sans limites que naquit le sombre passé de l’humanité…

    * * *

    Le vent soufflait avec ardeur dans ma longue chevelure parfaitement frisée d’un blond presque blanc. Un agréable souffle effleurait mon cou et mon visage aussi pâle que celui d’une morte. Je sentais les puissants rayons du soleil qui illuminaient mes fins traits parfaits et qui faisaient briller comme des diamants mes prunelles azur, aussi resplendissantes que le ciel illuminé du jour. Pour une fois depuis longtemps, je sentais une vague d’apaisement monter en mon âme condamnée aux enfers. Le piètre sentiment de liberté m’envahissait enfin de part en part, pour une fois dans l’éternité, je sentais le monde sombre qui m’entourait paraître très lointain, à des milliers de kilomètres de là, et mon passé, pour une fois, loin de mes pensées. Je m’étais évadée…

    Je revins rapidement à la réalité, quand un son désagréable de klaxon se fit entendre derrière moi. Je remarquai que j’étais en train de faire de grands zigzags avec ma voiture rouge vif de la marque Ferrari jusque dans l’autre voie. L’automobiliste qui eut juste démontré son mécontentement sur ma mauvaise conduite me dépassa tranquillement et il ne manqua pas une seconde fois de me rappeler mon acte dangereux. Il lâcha d’une voix grave de colère : « Fais gaffe à l’avenir ! Reviens sur la route au lieu d’aller dans les nuages ! » Je lui dis désolée avec le ton de voix le plus convaincant possible, puis je ne m’attardai plus à cet impatient pour revenir sur la route calme, comme il me l’avait si bien dit un peu plus tôt. J’avais bien beau tenter de rester concentrée, je ne pouvais le faire. Trop de choses insolites me passaient à l’esprit pour le moment, et je me replongeai inconsciemment dans ma contemplation des nuages.

    Même si j’avais l’apparence d’une jeune et ravissante adolescente de 18 ans, j’étais d’un âge extrêmement plus avancé que cela. En réalité, j’avais environ 512 ans. La vie, même si elle paraît agréable à vivre pour toujours, devient pénible un jour, surtout quand on nous a volé de plein gré notre existence tout entière et les glorieux instants qui auraient dû être les plus heureux de notre vie et qu’on nous interdit le bonheur. La simple vieillesse était mon souhait le plus cher. En fait, cela l’avait été. Voilà longtemps que j’avais renoncé à avoir une famille et à regarder des rides apparaître sur mon visage dans un miroir. L’éternité, ça réduit à néant tout ce qui eut un jour donné le moindre sens à notre pitoyable vie, et nous sommes condamnés à nous perdre constamment pour l’éternité…

    Chaque matin, depuis 494 ans, j’affrontais la dure et triste réalité : j’étais un monstre sans pitié qui est damné jusqu’à la dernière parcelle de son âme. Un côté de moi était toujours l’humaine que j’avais été autrefois, l’autre facette de ma personnalité, quant à elle, était beaucoup plus ténébreuse. Je m’efforçais depuis toujours à l’endiguer au plus profond de mon être pour ne pas la laisser prendre le contrôle. Certains voyaient qu’être un vampire est une véritable bénédiction de la vie, mais moi j’étais d’un avis tout à fait différent, qui était beaucoup jugé : selon moi, c’était une véritable malédiction. À quoi bon être jeune à jamais, être agréable à regarder, être muni d’une puissance hors du commun, d’une rapidité hallucinante, si le prix à payer est la vie d’autrui et tout ce qui comptait le moindrement à mes yeux ? J’aurais cent fois plus aimé mourir en cette nuit inoubliable de mai, en 1518, plutôt que de vivre l’enfer jusqu’à la fin des temps. Personne ne choisit son destin. Du moins, si c’était le cas, moi, je n’avais pas du tout eu ce fabuleux privilège.

    Je tournai le volant pour emprunter une des sorties longeant l’autoroute 90 et j’entamai un long virage en direction de la petite ville de Livingston, aux États-Unis, située dans le vaste état du Montana : ma nouvelle demeure. Encore une fois dans ma longue et interminable existence vampirique, j’avais succombé à l’idée de repartir pour la millionième fois à zéro et de refaire un nouveau départ. J’avais à nouveau signé à l’aveuglette mon inscription scolaire dans l’espoir de trouver à nouveau un peu de la joie de vivre d’antan, mais quelle joie de vivre y avait-il bien dans cette réalité cruelle et sans but si on revivait la même pitoyable parcelle de notre vie en répétition ?

    Avec moi, la vie n’a pas été très généreuse, mais plutôt dotée d’un égoïsme épouvantable, mais à quoi bon se morfondre constamment sur mon minable sort ? Je devais me ressaisir avant que je ne me perde dans le néant absolu. Ma merveilleuse famille n’aurait pas été emplie de fierté en voyant ce que j’étais devenue. Je voyais encore Mary-Isabel courir après notre sœur cadette dans notre large terre, à proximité de York, maman se hâter aux fourneaux, et Ryan, mon beau-père que j’avais toujours considéré comme mon véritable paternel, revenir du port du village pour raconter à mes jeunes sœurs, ses deux véritables filles, et à moi le récit de sa piètre journée qui prenait des allures d’aventures chevaleresques. Je revoyais grand-père et grand-mère revenir de leurs longs voyages pour nous visiter et j’entendais encore grand-mère, ma plus intime confidente, me parler de mes prunelles uniques, qui étaient identiques en tout point à celles de mon vrai père, qui nous avait abandonnées avant ma naissance. Tous les membres de ma famille, ils me manquaient tellement…

    Je refis quelques virages et, tout en faisant cela, je jetai un bref coup aux alentours afin de découvrir mon nouveau chez moi. Je vis bien assez tôt les montagnes impressionnantes qui se dessinaient dans le ciel au loin autour de la ville et les multiples étendues de territoire plat l’entourant également où l’on pratiquait l’agriculture. Je passai même par la rue principale de la ville, bordée par des édifices collés de trois étages d’un style ancien qui donnaient un cachet particulier à cette ville aux allures minables en ce qui concernait le reste. J’entendais à l’aide de mon ouïe développée le faible crissement aigu de mes pneus infaillibles sur l’asphalte terne et le vrombissement puissant de mon moteur turbo qui criait à l’intérieur de cette immense caisse de métal qu’était ma Ferrari décapotable. Je dus freiner tranquillement à un feu de trois rues à sens unique plus loin et repartir quelques secondes plus tard avec férocité. Je ne fis plus aucun arrêt pour finalement arriver à destination : le minime lycée de Livingston.

    En rentrant à l’intérieur du piteux stationnement de ma nouvelle école, je remarquai que l’établissement scolaire semblait plutôt ordinaire. Il était construit avec des briques sable et d’autres matériaux beigeâtres et gris, mais, heureusement, il y avait de nombreuses fenêtres par lesquelles je pouvais m’enfuir si je manquais d’air dans cet espace chétif ! J’étais parcourue d’une déception profonde en le regardant davantage. Je n’eus aucune difficulté à me trouver un stationnement convenable pour ensuite y garer mon véhicule sportif. Je fermai le moteur et ouvrit ensuite ma portière pour pouvoir enfin faire mon entrée dans ce lamentable endroit. J’avançai à grands pas en gardant fière allure et assurance. Je traversai les gigantesques portes de Park High School et, comme à l’habitude, mon arrivée fut fortement remarquée.

    À mon passage furtif, je pus déceler sur les lèvres des autres étudiants quelques remarques d’admiration de la part des mecs telles que : « Tu as vu le pétard qui passe là ! » ou « Les autres filles, à côté d’elle, c’est de la vermine, elle, c’est une déesse ! » ou encore celle-ci que je trouvai un peu déplacée « Celle-là, il faut que je me la fasse ! ». Les autres demoiselles me remarquèrent également et elles ne manquèrent pas de passer des commentaires désobligeants à leur tour. « Elle va ruiner toutes mes chances avec un mec ! » ou « Tu crois qu’elle est vraie ? » ou « Il faut qu’elle devienne ma copine ; je deviendrai vite populaire avec elle comme amie ! » Cela me fit un peu de peine de voir toute cette jalousie environnante pour l’instant dans les alentours, mais je ne me laissai pas décourager pour autant. La suite de l’année scolaire serait sûrement plus agréable. Du moins, je l’espérais…

    Je réussis, malgré la foule intense tout autour, à tourner dans le minuscule corridor de l’aile droite arborant les couleurs de l’équipe sportive de l’établissement, les Rangers, soit l’indigo, le jaune et le blanc, pour ensuite refaire un virage vers la troisième porte de droite qui renfermait derrière le secrétariat de ce lycée pitoyable. Je me dirigeai vers le splendide bureau au bout de la pièce exiguë. Je m’y entretins avec la secrétaire trapue d’âge avancé. Elle me donna mon horaire imprimé sur un papier bleu terne avec un sourire diabolique aux lèvres et me tendit ma lourde pile de bouquins scolaires que je soulevai sans le moindre effort. Je quittai le bureau sans la moindre peine et décidai de faire un bref détour dans un autre corridor pour m’éviter un autre passage très remarqué dans la gigantesque bande d’élèves. Je refis trois autres détours et je réussis enfin à retrouver mon chemin, grâce à mon sens de l’orientation, pour arriver devant la rangée de minimes casiers dans laquelle le mien se trouvait. J’allai donc jusqu’au numéro 238 et, quand j’arrivai devant, je constatai avec un profond soupir que mon matériel y entrait à peine. Je dus y mettre ma force surhumaine pour accomplir l’exploit de fermer la porte. Tout ça pour constater mon oubli de prendre mon matériel pour le premier cours ! La belle affaire !

    Une fois mes livres acquis, je pus me diriger vers le local 213, celui de science, si je me fiais bien à mon plan de la journée. À voir l’état du bâtiment, je ne voulais pas voir celui des classes, mais quand je rentrai dans la classe, je fus même surprise. N’étant que la classe théorique et non le laboratoire, il n’y avait aucun matériel scientifique dans la pièce, mais uniquement des tables en bois peintes de blanc et des chaises en plastique de diverses couleurs. Un affreux tableau noir complétait le tout. Quelques élèves étaient déjà là, et je décidai d’aller m’asseoir aux côtés d’une élève aux cheveux d’un brun éclatant, aux prunelles dorées et à la peau claire. Je lui demandai poliment si je pouvais me placer sur le banc libre à côté, et elle accepta avec plaisir. J’eus juste le temps de poser mon derrière sur le siège que je me fis rapidement gratifier de grandes salutations et de multiples questions. La jeune adolescente se nommait Stefany, et après une longue série de présentations, je constatai qu’elle vivait à environ deux intersections de chez moi. Cela me ferait une copine, je pourrai parfois me changer de mes idées noires. Ma nouvelle amie ne cessait de raconter tout un tas d’histoires ennuyantes qui me firent me lasser de l’écouter après quelques minimes secondes. Peu à peu, je sentais l’ennui m’envahir de part en part et je ne pus retenir un autre soupir. Chaque instant de cette interminable vie ne faisait qu’accroître un regret lointain qui grandissait tranquillement en moi : me demandant pourquoi j’avais été choisie par cet impitoyable suceur de sang. Me demandant pourquoi ma destinée fatidique s’était arrêtée et pourquoi j’étais dépourvue dans mon âme de la moindre parcelle d’envie de vivre. On dirait que la vie me punissait éternellement…

    Soudain, j’entendis une faible voix au plus profond de mon être qui chuchotait tranquillement à mon oreille de me retourner. J’écoutai alors ma conscience et tournai la tête en direction de la porte unique du local. Pendant un court instant, ce fut le calme plat, et je faillis presque me retourner en pensant que l’éternité me rendait paranoïaque, mais ce fut alors que j’allais quitter le cadre de porte du regard que je le vis passer le seuil…

    Je fus sans mots. L’adolescent qui passa dans l’embrasure de la porte avait les cheveux blonds comme le blé doré des champs, une peau claire, des lèvres rosées et des yeux d’un bleu turquoise d’une infinie beauté. Il portait un pantalon beige crème avec une chemise à manches longues bleu pâle. Il avait également un T-shirt blanc en dessous qui paraissait un peu dans les environs de son collet. Il était très grand, environ six pieds et deux pouces, et il était d’une minceur incroyable. Ses bras et son torse semblaient arborer une musculature assez spectaculaire et surprenante. Il portait comme touche finale une paire d’espadrilles blanches de la populaire marque Nike. Pour la première fois, depuis des siècles, je sentis une flammèche de vie crépiter en mon cœur et réchauffer toute ma carcasse glacée, sans même que j’arrive à en saisir la signification. Des frissons agréables traversèrent mon dos à plusieurs reprises, et je ne pouvais détacher mes yeux de ce garçon qui me captivait. Il avait quelque chose que les autres n’avaient pas…

    Il fut suivi d’un groupe de mecs qui riait aux éclats tout en criant des vannes un peu péjoratives au mystérieux garçon. Celui qui était à la tête du groupe de vantards était d’une ressemblance accablante avec le gars qui m’obsédait, excepté que ce petit vantard avait les prunelles d’un vert émeraude éclatant et une chevelure brun clair. Je me sentais comme hypnotisé, mais je me fis vite ramener à l’ordre, lorsque Stefany me donna une petite tape sur l’épaule tout en me disant :

    — Tu m’écoutes ?

    Elle avait le sourire aux lèvres.

    — Ce n’est pas grave si ce que je dis ne t’intéresse pas. Si tu veux, on peut parler d’autres choses, quelque chose qui te plairait. Qu’en dis-tu ? Comme les mecs ?

    — Ce garçon là-bas, qui est-ce ? demandai-je en pointant discrètement l’inconnu du doigt sans vraiment tenir compte des propos de Stephany.

    Je retournai mon regard sur lui et je ne pus m’empêcher de le fixer intensément. Je vis ma voisine avoir un léger sourire en coin quand elle vit qui je pointais.

    — Le grand brun, là ? Tu as du goût ! Eh bien, lui, c’est Zack Branden, le capitaine des Rangers, et il est trop sexy…

    — Non, je ne parle pas du brunet, le blondinet, la coupai-je en remarquant que c’était moi qui l’induisais en erreur en désignant du doigt les deux garçons en même temps. Lui qui se trouve un peu plus à l’avant du grand brun.

    — Oh, celui-là ! Eh bien, il s’agit de Charles Branden qui est le frère jumeau de Zack, d’où leur ressemblance, bien qu’ils soient de faux jumeaux. Il n’est pas aussi merveilleux que son frangin, mais il n’est pas vilain non plus ! Tu pars assez rapidement à la chasse aux mecs, Kendra. Parée à tirer, soldate Ayleward !

    Je ne pus retenir un fou rire. Stephany me fit un grand sourire, ravie d’avoir réussi à me soutirer une réaction positive. Elle s’apprêtait à me dire quelque chose d’autre, mais elle fut interrompue par la cloche qui sonna et par l’enseignant qui entra dans la classe à la hâte. Le professeur de sciences semblait être dans la trentaine et n’était pas mal du tout. Ses cheveux, d’un brun châtain éclatant, étaient ondulés, et il les portait à fleur d’oreille. Il avait les iris de la couleur du miel et arborait quelques cernes sous les yeux, signe d’une importante fatigue accumulée, même si je ne m’y connaissais plus très bien en la matière, car je n’avais pas dormi depuis près de cinq siècles. Quelques rides marquaient son front. Il portait une chemise décontractée à manches courtes à carreaux blancs et beiges, ainsi qu’un pantalon crème. Il tenait dans sa main gauche un café (d’ailleurs, une vilaine tache se trouvait sur le haut de sa chemise) et dans l’autre, une légère mallette de travail en cuir. En arrivant à son bureau, il y déposa brusquement sa valise, puis se retourna pour faire son habituel discours de début d’année à toute la classe, tout en n’oubliant pas de prendre une bonne grosse gorgée de caféine à l’état pur.

    — Bonjour, chère classe. Comme vous le savez certainement, je me nomme Logan Darren, tonna-t-il d’une voix forte tout en prenant une craie sur le bord de son tableau pour inscrire son nom afin que tout le monde ait bien compris. Je serai votre professeur de sciences pour l’année. Veuillez excuser mon mince retard et mon apparence de mort-vivant, mon fils de cinq mois a fait une otite cette nuit, et nous avons dû nous occuper de lui. Vous parlez du moment idéal !

    Pratiquement toute la classe rit après cette drôle de remarque.

    — Comme vous le voyez, je ne crois pas être un professeur trop exigeant avec ses élèves, pour moi, tout ce qui est important, c’est que vous fassiez vos devoirs et que vous fassiez de votre mieux. Peut-être même que vous appreniez quelque chose si l’envie vous y prenait ! Je ne veux pas rallonger mon discours trop longtemps, mais avant qu’on se plonge dans le travail, j’aurais une petite annonce à vous faire de la part de la secrétaire. Cette année, nous accueillons parmi nous une nouvelle élève. Elle se nomme Kendra Ayleward, et je compte sur vous pour l’accueillir chaleureusement parmi nous. Ne tardons pas plus longtemps, je vous passe à l’instant un questionnaire de remise à niveau sur la matière que vous avez sûrement oubliée cet été, histoire de vous rafraîchir la mémoire.

    Des protestations de mécontentement se firent entendre à la suite de cette annonce partout dans la classe, mais dès que chacun reçut son long questionnaire, tout le monde se mit au travail. Je lus tranquillement chacune des questions et, en moins de temps qu’il en faut pour le dire, je finis le questionnaire et allai le remettre à M. Darren, à son bureau. J’étais très confiante et j’aurais pu mettre ma main au feu que j’avais une note parfaite. Comme je fus la première à remettre ma copie, il décida de la corriger immédiatement. En moins de cinq minutes, il finit sa correction avec un grand sourire. Je repris ma copie et constatai sans surprise mon score parfait. Je retournai m’asseoir et tournai mon regard vers la fenêtre. Je sentis en moi un sentiment de vide profond, le manque. Chaque fois que je retournais à l’école et que je recommençais à zéro, je revivais en mon intérieur la dure réalité. Je devais mener l’interminable combat contre l’infâme vie qui m’a été donnée, seule, sans personne pour m’épauler. Je ne pouvais cesser, à chacun de mes nouveaux départs, de revivre le terrible mal d’avoir perdu tout ce qui eut, un jour, été précieux à mes propres yeux. Je devais chaque jour avancer sur le long chemin de la vie avec ce lourd et énorme fardeau d’être toujours là en force, pendant que tous ceux que j’avais un jour chéris pourrissaient et nourrissaient la terre du creux de leur tombeau en pleine décomposition. Aurais-je un jour de nouveau la moindre envie de vivre ?

    Je fus sortie de mon imagination par le son énervant de la cloche de fin de période. Je sursautai, je ramassai mon matériel et je jetai un bref coup d’œil dans la classe pour vérifier si le blondinet était toujours là, mais à ma grande déception, il s’était éclipsé. Heureusement, la première période était enfin achevée (plus que trois) ! Pendant que tous les élèvent se ruaient en direction de la porte, M. Darren clama haut et fort son discours de fin de classe, et chacun partit de son côté pour aller affronter la dure journée qui les attendait…

    * * *

    — Comment as-tu trouvé le test de science, Theresa, ce matin ? dit Joana, une nouvelle connaissance assise à ma table de dîner, tout en prenant une grosse bouchée de son cheeseburger dégoulinant de sauces infectes, suivi d’une délicieuse poignée de frites graisseuses. Je l’ai trouvé plutôt facile, mis à part la dernière question.

    J’étais assise à la cafétéria de mon lycée, entourée de mes nouvelles amies intellos. Après la période de mathématiques, gratifiée d’un second examen, j’avais suivi Stefany, qui m’avait invitée à me joindre à elle pour manger. Elle m’y avait alors présenté deux de ses meilleures amies, avec qui j’avais senti un lien se créer dès le premier contact. L’une d’entre elles se nommait Joana, et l’autre, Theresa. Joana était une Afro-Américaine à la peau foncée et à la chevelure d’un brun caramel. Elle était un peu grassouillette, mais avait un timide sourire charmant pour quiconque le voyait. Ses yeux étaient d’un brun noisette, et elle portait une grosse paire de lunettes noires. Elle portait un T-shirt rose du groupe All American Rejects, son préféré j’en déduisis, ainsi qu’un jean bleu simple. L’autre étudiante, quant à elle, était complètement différente. Elle se nommait Theresa et avait les yeux pers. Sa peau laiteuse était d’un blanc de mort, et sa chevelure d’un châtain foncé. Elle portait un gilet blanc rayé rouge à manches courtes et un pantalon de nylon noir. Toutes les quatre, nous étions assises à la même table et bavardions de nos fameux examens de la matinée.

    — Bof… Ce n’était pas si compliqué, quoique je crois que je vais passer l’examen de justesse. Ce qui n’est certainement pas le cas de Kendra et Stef, d’après ce que Stef m’a dit, pouffa Theresa en reprenant une énorme bouchée de son sandwich au poulet.

    — Tu as raison ! cria pratiquement Stefany. Hé Kendra, tu ne voudrais pas un peu de mon repas ? Comme tu as oublié le tien à la maison et que ce n’est pas conseillé de ne pas manger avant d’aller en cours, surtout la première journée, j’ai pensé qu’un peu de mon sandwich au jambon te ferait plaisir.

    Je me retournai vers elle, sachant qu’elle m’adressait la parole. Eh bien, j’avais déjà commis une erreur. Comme mon espèce se nourrissait exclusivement de sang humain, de sang animal dans mon cas particulier, je n’avais point pensé à me prendre un dîner afin que mon rôle d’étudiante insignifiante soit beaucoup plus crédible. Bien qu’il soit possible pour un vampire d’ingérer de la nourriture humaine sans problème, nous ne mangions généralement pas de ce type de repas puisqu’il ne nous apportait aucun des nutriments nécessaires à notre survie. Je devrai y remédier à l’avenir si je voulais que mon sombre secret reste caché aux yeux de mes curieuses camarades de classe. C’était parfois les plus infimes soupçons qui dévoilaient notre identité démoniaque au grand jour. Je lui répondis alors :

    — Non merci, je n’ai pas très faim, alors je crois que je serai capable de patienter jusqu’au souper. Mais merci quand même.

    Stefany se contenta de me répondre d’un hochement de la tête, puis elle se remit en mode discussion, son passe-temps favori, avec ses plus grandes amies d’enfance. Moi, de mon côté, je décidai plutôt de tourner mon regard vers la gigantesque baie vitrée de mon collège, car leur sujet de conversation ne m’intéressait guère. Il faut dire que le venin vampirique ne préservait pas uniquement la jeunesse éternelle de notre corps, mais aussi celle de notre âme prisonnière. J’avais donc atteint un niveau de maturité qui amplement dépassait le leur. Je me sentais telle une misérable intruse parmi tous ces jeunes adolescents qui se trouvaient dans la grande salle de repas. Je n’étais absolument pas comme eux, moi, je devais tuer pour pouvoir survivre. J’étais damnée. Je me reperdis éperdument dans les nuages nébuleux qui, au loin, dansaient tranquillement au faible rythme du vent…

    * * *

    Je garai ma superbe décapotable dans la minuscule allée qui m’était réservée à cet appartement prometteur dans lequel j’avais eu la brillante idée de m’installer pour mon séjour en cette insignifiante ville du Montana. Je retirai tranquillement la clef dorée du compteur de mon véhicule, faisant ainsi cesser de vrombir le puissant moteur turbo de ma Ferrari. J’ouvris ma portière, puis, d’un bond, sautai de mon siège cuivré vers l’extérieur sur l’asphalte solide, pour ensuite fermer la porte du véhicule. Je marchai à pas de tortue en direction de la porte numéro 2, tout en sortant de mon porte-clés la clé qui me permettra d’ouvrir la porte blanche de ma nouvelle demeure. Je me sentais à la fois stressée et contente d’être sur le point de découvrir mon récent achat, mais cela m’emmerdait à la fois, car cela faisait partie de ma misérable et interminable routine depuis 494 ans. Toutefois, c’était toujours un très grand plaisir de se sentir enfin chez soi.

    Quand j’eus trouvé la bonne clef qui permettrait d’ouvrir la porte principale de l’appartement et que j’arrivai devant, je l’enfonçai dans la serrure et la tournai pour pouvoir admirer de mes propres yeux l’intérieur. J’arrivai dans un petit hall d’entrée très commode aux murs beige pâle avec une grande garde-robe aux portes coulissantes. L’entrée donnait vue sur la cuisine et au salon. Un peu plus loin que la cuisine, il y avait un corridor menant aux autres pièces : à une grande salle de bain luxueuse, à deux chambres d’une grandeur considérable et à une pièce secrète barrée tout au bout. Je retirai ma paire de souliers gris Nike et je marchai en direction de cette pièce mystérieuse. Des tonnes de boîtes empilées les unes sur les autres traînaient un peu partout dans ma nouvelle maison, et malheureusement, c’était une sale besogne dont je devrai bientôt m’acquitter. Je lâchai un grand soupir en voyant tout le travail qui m’attendait. Je débarrai la porte située au bout du couloir grâce à une autre clé, puis entrai dans la pièce cachée qui serait mon repaire secret. On pouvait observer que la pièce était le seul endroit de mon domicile déjà aménagé. J’avais payé un des déménageurs pour qu’il défasse les innombrables boîtes remplies de mes bouquins volumineux dans cette pièce-ci, comme je ne désirais pas effectuer cette tâche, et qu’il verrouille la porte une fois qu’il aurait achevé ce qu’il avait à faire. Trois gigantesques bibliothèques en orme s’y trouvaient ainsi que des centaines de splendides manuscrits antiques plus fantastiques les uns que les autres, certains étant le seul exemplaire existant. Tous les livres concernaient le mystérieux monde de l’ombre auquel j’avais été sauvagement initiée le jour où je fus mordue par ce vampire ignoble ayant décimé mon village natal. Tous ces livres ancestraux étaient des grimoires anciens dans lesquels étaient renfermés les sataniques secrets des créatures ténébreuses et les sortilèges les plus dangereux qu’il soit. J’en frémissais encore d’excitation et de peur en pensant à toute cette étendue de connaissances tonifiantes à ma portée.

    Je revins à la réalité et repensai à la désagréable tâche qui m’attendait dans les autres pièces. Je devais ranger toutes les boîtes à leur place. Cette idée ne me plaisait guère. J’en avais presque la migraine. Je repoussai l’échéancier et décidai d’aller prendre une bonne douche. J’avais passé une dure journée, et elle m’avait épuisée (eh oui, les vampires peuvent être fatigués, mais pas dormir). J’allai donc de ce pas dans la salle de bain tout en barrant la porte derrière moi par simple précaution.

    J’enlevai rapidement mes vêtements et j’ouvris la douche. Je laissai l’eau s’écouler quelques secondes et embarquai à l’intérieur afin de laver mon enveloppe charnelle souillée. L’eau bouillante suintait doucement le long de mon dos, et je sentis en moi une bouffée de soulagement profond et de confort. Pour une seconde fois dans ma journée interminable, je sentis l’abominable fardeau d’être damnée pour l’éternité s’envoler et disparaître subitement de mon esprit vif. Je me sentais libre… Je décidai donc de m’asseoir dans la douche de façon à avoir toujours le jet qui tombait sur mon corps immensément robuste, endurci par mes capacités surnaturelles qui se manifestaient à volonté. J’optai pour la position fœtale, les jambes relevées et les bras entourant mes jambes. Ma conscience était apaisée, et un vide s’était fait à l’intérieur. Le qualificatif qui me vint à l’esprit pour décrire la sensation que je ressentais en ce moment était le bien-être.

    C’est alors que je sentis quelque chose d’étrange monter en moi. Je fus parcourue de multiples spasmes et de frissons incontrôlables. Je sentis une froideur impossible à décrire me traverser de part en part me faisant sentir faible telle une vulgaire humaine. Je sentis mes pupilles se dilater, et ma vision de nyctalope se brouilla comme si je devenais aveugle. J’eus l’affreuse impression de tomber dans le vide, et une affreuse migraine me soutira quelques plaintes inaudibles. L’atroce douleur était d’une telle intensité que j’eus le réflexe de me cacher les yeux et d’y exercer une légère pression afin de faire cesser cet insupportable martyre. Ce fut comme si je tombais dans un vide infini, et pendant un court moment, je ne sentais plus les contours de ma douche, uniquement le néant total. Je paniquai. Tout cessa d’un coup, et je recommençai doucement à retrouver la vue. Je remarquai alors que je ne me trouvais plus dans ma petite douche, mais plutôt dans une chambre qui m’était absolument inconnue. Je me trouvais devant un écran d’ordinateur de marque LG et je me trouvais sur un réseau social du nom de Facebook. Quand j’essayai de bouger la souris par moi-même, j’en fus incapable. Je vis alors la large main bouger seule, sans que je lui aie ordonné de le faire. C’est alors que je constatai que je me trouvais dans un corps d’homme qui n’était pas mien et qui m’était inconnu. Je ne pouvais voir qu’à travers les yeux de ce corps mystérieux et je n’avais aucune motricité sur cet organisme humain. Je sentis une vague de vie me traverser et, pour une fois dans ma pénible existence, je pouvais sentir l’intense battement du cœur de l’homme qui battait avec férocité du creux de sa large cage thoracique, comme si c’était le mien. S’il existait une chose dans le cosmos tout entier que je désirais plus que tout, c’était d’avoir de nouveau un cœur battant pour le sentir lutter chaque seconde, chaque minute. Je pouvais sentir l’air qui entrait puissamment à l’intérieur de ses deux poumons et qui automatiquement s’en dégageait par réflexe d’une longue expiration. Tous ces rassurants crépitements de la vie me comblaient pour une fois : j’aurais voulu que cela ne cesse jamais et que cela dure une éternité.

    C’est alors que je vis, par-delà l’écran, le reflet du visage de l’homme, et plus je le regardais, plus je sentais que je connaissais ce garçon. C’est alors que je reconnus le portrait du merveilleux blondinet au visage de dieu que j’avais vu au début de la journée dans mon cours de science, celui qui m’avait obsédée pendant un long instant. Je pouvais percevoir toute sa splendeur et tout le haut de son corps musclé dépourvu de gilet. J’avais de quoi me rincer l’œil. Je sentis une drôle d’impression en moi, une impression étrange que je ne pouvais décrire avec de simples mots…

    BANG ! Tout redevint aussitôt sombre. Je retombai une seconde fois dans l’inexistence, puis je constatai bien assez tôt que j’étais de retour dans mon propre corps, mort, qui était toujours sous la douche. Je retirai alors mes mains de mes yeux puis levai le regard devant moi. J’étais essoufflée comme si je me réveillais d’un terrible cauchemar. La brutalité féroce de ce soudain retour à la réalité fut d’une telle ampleur que j’éclatai en amers sanglots. Être privée à nouveau de l’étonnante sensation d’être vivante, de faire tout simplement partie de ce monde, m’ébranla grandement. Je sentais encore le doux battement de son cœur au plus profond de ma déplorable personne. Je pouvais revoir ses yeux turquoise si charmeurs et ses traits éblouissants dignes du dieu Apollon.

    Je fermai alors le robinet de la douche pour ensuite en sortir et enrouler une serviette moelleuse autour de ma taille de guêpe. Je me dirigeai alors vers ma chambre remplie de boîtes et je m’assis lourdement sur le lit, au centre de la pièce, et sur lequel il n’y avait pas le moindre drap. De minuscules gouttelettes d’eau perlaient le long de mon dos dénudé de tout vêtement. J’avais cessé de pleurer, mais j’étais toujours très fébrile en n’entendant plus ce battement constant au creux de ma poitrine. Toutefois, j’étais estomaquée par ce qui venait de se produire. Jamais, au grand jamais, je n’avais entendu parler d’une telle connexion entre deux personnes de toute ma longue et pénible vie, encore moins d’un transfert psychique comme celui-là. Je ne pouvais, par moi-même, préciser si cet événement particulier était réel ou était une simple création de mon imagination tordue. Mais tout ceci me semblait si réel, je ne pouvais pas vraiment en douter. Ce fut comme si un lien d’une telle intensité nous avait relié, lui et moi, que nous n’avions fait qu’une entité bien distincte durant quelques secondes. Mais qui était cet humain ? Que

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