La bête hurlante

Jl est bien jeune ce prêtre que l’on attend comme le Messie dans cette petite paroisse d’un village reculé des Ardennes en ce mois de décembre 1965. 35 ans seulement et c’est la première fois qu’on lui confie une cure.

Jusqu’alors, il était vicaire dans la capitale.

Le vent siffle dans les cimes et un épais manteau de neige a recouvert les collines, les bois et les plaines.

En milieu de matinée, il fait encore presque nuit tant les nuages sont épais et noirs au-dessus de sa tête tandis qu’il chemine, les pieds gelés, frigorifié sous sa soutane.

Courbant l’échine sous les rafales, il a les allures d’un pénitent aux portes du purgatoire. Le « purgatoire », c’est d’ailleurs ainsi que l’on surnomme ce trou perdu d’à peine une centaine d’âmes coriaces, rompues aux conditions les plus rudes.

Droit devant lui, à cinq cents mètres, se dresse un calvaire qui annonce qu’il touche au but. Il s’arrête un moment pour reprendre son souffle, frotte sa main aux doigts engourdis à force de serrer la poignée de sa valise. Adrien Dessaules est sans conteste un bel homme à la large carrure, aux cheveux châtains et aux yeux clairs, aux mains larges et fortes. Pour le moment, il ne rêve que d’un bol de bouillon bien gras, avec un beau croûton de pain rassis frotté à l’ail. Il lui semble déjà en sentir le fumet. Mais il faut repartir, marcher encore jusqu’au presbytère où il est attendu.

A Paris, alors qu’il bouclait sa valise à quelques heures du départ, Louise, sa jeune bonne, lui a demandé pourquoi il avait choisi cette cure « du bout du monde » où l’eau doit geler dans le fond des marmites. Il a pris ses mains dans les siennes et il les a pressées. Elle pleurait, Louise aux grands yeux fatigués, au teint maladif, à la frêle silhouette sous sa robe austère.

Qu’est-ce qu’il aurait bien pu lui répondre ? Alors tout simplement, d’une main un peu tremblante, il a essuyé les larmes sur ses joues, puis il l’a