Quand trépassent les autruches !: Les enquêtes ornithologiques de Louise van Sponkerverkrofchtenberg
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Née d’un père inconnu (mais que la rumeur désigne comme étant le commissaire San-Antonio) et d’une mère trop connue, Louise van Sponkerverkrofchtenberg est le nom d’emprunt d’une célèbre diplomate d’Alabanie orientale en poste à Paris.
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Aperçu du livre
Quand trépassent les autruches ! - Louise van Sponkerverkrofchtenberg
autres)
ADAM ZINJOUROUDEU
Un corps nu pendu par les pieds, tout noir mais d’une moirure chatoyante dans la lumière crue des néons du hangar réfrigéré. Il gigote. Envoie du sang partout. Un dernier soubresaut fait vaciller les autres carcasses accrochées à ses côtés. Des autruches, déplumées et dépecées, un crochet au travers du bec. Encore la meilleure façon de leur clouer. Lui, on veut qu’il parle.
– Je l’ai eue !
Le gros Chia Ceu, triomphal, jette sa tenaille ensanglantée dans la bassine. La dernière molaire d’Adam y est encore accrochée. Une belle molaire bien blanche, toute lisse, à l’émail éclatant. Sans carie au bal du diable, sans tartre aux fraises. Mais est-ce bien le moment de plaisanter ?
La bouche, maintenant édentée, ressemble à une vulve de vieille chienne qui vient de mettre bas son dernier bâtard. Le sang coule le long du visage, traverse la moustache, inonde les yeux écarquillés et tombe en filet gluant dans la bassine où baignent désormais huit incisives, quatre canines, huit prémolaires et douze molaires (Adam était un enfant très sage et un adulte à l’hygiène buccale irréprochable).
Malgré cette ex-dentition ex-complète, Adam Zinjouroudeu n’a jamais été un bel homme et l’état dans lequel l’ancien dentiste chinois reconverti dans la torture à domicile est en train de le laisser permet d’affirmer qu’il ne le sera plus jamais. D’autant que quelques heures auparavant, le gros Chia Ceu lui avait déchiqueté les oreilles à la pince mosaïque à molettes et coupé les paupières avec un éplucheur à légumes…
– C’est la dernière fois qu’on te le demande, fait un gros type assis en face de lui.
– S’il ne veut rien dire, je pourrai lui couper les couilles ? quémande Chia Ceu comme un enfant réclamerait un Carambar.
Le gros type acquiesce en souriant avant de continuer son interrogatoire.
– Qui vous renseigne, toi et tes petits copains de la CIA ? T’as trois secondes pour me dire. Après, je ne réponds plus de notre ami…
L’homme se tient sur un tabouret si minuscule qu’il semble lui rentrer dans le cul. Une tête cagoulée de laine, grosse comme un casque de moto, d’où émerge un nez large comme un topinambour. Son cou, on dirait une série de pneus empilés. Il porte un manteau en fourrure de léopard, des grosses bottes doublées en lapin, des moufles de ski. Faut dire qu’on frôle les moins quinze degrés dans le frigo où se déroule cette scène insoutenable et que Baloo – c’est le surnom que lui a donné son patron – est fragile des bronches.
Le gros Chia Ceu soulève à pleine main les joyeuses un peu tristes d’Adam et pose une lame de rasoir à la racine d’icelles. Un grand sourire illumine sa trogne cireuse. C’est celui qu’il préfère parmi tous les supplices dans lesquels il est passé maître depuis qu’il a monté sa petite entreprise « Torture.com », extorsion d’aveux, déballage garanti, vidage de sac assuré, confession inavouable… L’émasculation au coupe-choux. C’est net, précis, sans bavure. Juste un peu salissant si on s’y prend mal. Le truc, c’est de couper en profondeur, bien enfoncer sa lame pour emporter les veines du périnée avec un bout de prostate. Que ça fasse entonnoir. Chia Ceu jubile. Avec la peau des couilles, il fabriquera une petite bourse pour y mettre les trente-deux dents de feu Adam Zinjouroudeu et l’offrira à sa fille pour ses douze ans. Avec la bite toute noire, d’un calibre bien plus honorable que celle de sa précédente victime, un moine bouddhiste japonais, un nouvel étui pour son coupe-choux.
– Un… deux… compte Baloo en s’aidant avec les doigts.
Un souffle de buée blanchâtre sort de l’orifice saignant qui, hier encore, pouvait mordre à pleine dent la pomme de la vie. Adam semble vouloir dire enfin quelque chose mais il n’arrive qu’à expirer le peu d’air que ses poumons ont réussi à inhaler.
– J’ai rien compris ! Répète…
– Cuir… autruche, parvient à rognonner dans un dernier souffle l’agent de la CIA en poste depuis deux mois auprès du South African Secret Service à Johannesburg.
– Je crois qu’on tirera plus rien de lui, patron, fait Baloo en se tournant vers le petit homme debout derrière lui. L’est dans les vapes.
– Je crois même qu’il est clamsé, ajoute Chia Ceu, un peu déçu que la fête se termine déjà.
Théo Kouran ne bronche pas. Tout juste si un frémissement traverse le masque impavide de son visage de crapoussin fini à la pisse. Un faciès qui semble avoir été découpé à la serpette par le créateur un soir de cuite, une joue plate, l’autre presque creuse, un nez fin et ciselé, mais tordu comme un cep de vigne bouffé par le phylloxera, un menton au bord tranchant comme un couvercle de boîte de conserve, un sourcil parfaitement horizontal au-dessus d’un œil quasi immobile, l’autre tombant en V sur un œil sans cesse agité. Ses lèvres sont fines et minces, de celles qui ne s’ouvrent qu’à propos :
– Dépèce-le moi proprement ! Je vais demander à Thadée de me fabriquer un joli caleçon de bain avec sa belle peau noire.
Théo et Baloo quittent le frigo puis le hangar, laissant Chia Ceu à ses basses œuvres. Ils rejoignent le petit véhicule électrique qui les a menés jusque-là. Rox et Rouky, les deux hommes de main de Théo, les suivent en sautillant.
Si Théo ne le montre pas, il n’en est pas moins inquiet. C’est la première fois que quelqu’un essaie de lui voler la clé USB sur laquelle sont répertoriés l’ensemble des trafics qu’il a patiemment mis en place. Drogues, armes, filles, organes… Et il faut que ce soit le moins lucratif – sa petite combine de vente illégale de cuir d’autruches au célèbre maroquinier de luxe italo-hongrois Thadée Gucciote, grâce à la complicité du chef de la douane maritime italienne Disi Commenssafini, surnommé Spoiler, et d’Helmut Mout, le célèbre banquier suisse à la calvitie légendaire – la source de ce fâcheux imprévu !
Il se demande d’ailleurs bien lequel de ces trois lascars l’a vendu à la CIA. Il penche par instinct pour Helmut. Un banquier suisse et chauve, célibataire et microtyrosémiophile¹, ça pousse à la circonspection. Il n’a aucune preuve mais il sait que, d’ici quelques jours, il en aura une. Et alors le traître, quel qu’il soit, où qu’il soit, pourra être considéré comme exclu du monde des vivants…
1. Réponse à la fin de cette aventure pour être sûre que ta curiosité te mène au bout.
LE PIPO, C’EST PAS DU PIPEAU !
Ma boîte à gants pourrait suffire à me présenter. Nostradamus, à moins que ce soit Jacques Lacan, ne disait-il pas « dis-moi ce que contient ta boîte à gants, je te dirais qui tu es » ? La liste d’objets insolites, dont je te fais grâce, digne du pouêt Prévert pépère ou du catalogue de La Foufoune à Vénus, le sex-shop où j’ai croisé ton mari pas plus tard qu’hier, pourrait laisser supposer un soupçon de nymphomanie de ma part, c’est en tout cas ce qu’aurait dit Lacan (t’assoie), mais ne t’inquiète pas pour moi ! Je la revendique et l’assume à deux cents pour cent. Hérédité oblige, si l’on en croit le roman familial qui lie mes gènes à ceux du célébrissime San-Antonio avec lequel ma mère, une ancienne Zouzou du vieux Achille, elle-même descendante lointaine de Messaline, aurait péché lors de l’une des célèbres aventures du non moins célèbre commissaire !
En fait, rien n’est prouvé à ce jour, car ma mère, l’inénarrable Greet van Sponkerverkrofchtenberg, a connu beaucoup, beaucoup, vraiment beaucoup d’hommes (liste non exhaustive sur demande au cas où tu voudrais savoir si on ne serait peut-être pas un peu demi-sœurs). Et comme j’ai toujours refusé de recourir à un test de paternité… Sans doute la peur de voir s’effondrer mes rêves, d’apprendre que je ne suis pas la fille de l’illustrissime commissaire San-Antonio mais celle d’un quidam inconnu, d’un citoyen lambda, de monsieur Personne. Une erreur de jeunesse, le fruit défendu d’un malheureux hasard, l’histoire du spermatozoïde au mauvais endroit au mauvais moment… Je préfère l’expectative.
Aux dires de ma mère sans gène, j’aurais tout hérité de mon géniteur putatif, surtout certains travers, et notamment le travers de porc, si tu vois ce que je veux dire. Mais que les choses soient limpides entre nous. Quand un homme comme mon paternel présomptif se comportait ainsi, c’était un Don Juan, un dandy moderne, un tombeur, un séducteur, un bourreau des cœurs, un magicien du chibroque, le roi de la gaule… Quand une femme, comme ma mère ou moi, préfère baisser les pantalons que les repasser, elle n’est qu’une salope, une saute-au-paf, une catin, une putasse, au mieux une gourgandine…
Rimbaud, l’homme aux femelles devant et aux hommes derrière, disait « Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, elle sera poète, elle aussi ! » Moi, je dis : « Poétesses et salopes de tous les pays, unissez-vous ! »
J’aurais certes préféré hériter de San-Antonio sa plume féconde, son style flamboyant, sa verve altière, sa tournure d’esprit détournée aux entournures, sa poésie, son humour dévastateur, son art du contrepet foireux¹, sa grossièreté parfois, partant du principe qu’un romancier poli ne vaut pas un roman policier, son inventivité, mais là, il faudra te contenter de ce que le Seigneur m’a accordé… C’est d’ailleurs pour ça que ce chef-d’œuvre n’est vendu que 14 euros TTC² !
Quant à mon langage plus charretier que châtié, je le dois à ma grand-mère Geertruijd. Une femme de lettres puisqu’elle était factrice sur le port d’Amsterdam et qu’elle aimait beaucoup les vers belges, surtout ceux des poètes qui bossaient leurs quatrains sur ses quais usés et glissaient même parfois leur peine entre ses livres.
Élevée donc dans une famille de fille-mère de mère en fille dans le culte du grand homme, qui ne fut jamais mis au courant de mon existence, comme pour d’autres dizaines de bâtards essaimés sur la planète (qui se réunissent parait-il tous les ans pour la Saint-Antoine en catimini à Saint-Cloud), je…
Mais je m’égare en nostalgie, étymologiquement cette souffrance du retour, car si je m’adresse à toi, ce n’est pas tant en fille de peut-être, qu’en tant qu’enquêtrice en chef du Pipo, comme l’indique ma carte de visite, finalement retrouvée dans un emballage presque vide de préservatifs grande taille d’une marque gabonaise au fond de ma boîte à gants.
Louise van Sponkerverkrofchtenberg.
Pipo
Programme d’intervention
pour la protection des oiseaux.
Commission européenne.
Tu remarques que ma voix garde l’intonation imposée par la police de caractères (Monotype Corsiva), car le Pipo, c’est pas du pipeau ! Derrière cette simple appellation, source d’une jubilante satisfaction qui me submerge, comme à chaque fois que je la lis, se trouve en effet le service chargé d’enquêter sur toutes les affaires impliquant des oiseaux de par le vaste monde et j’en suis l’enquêtrice en chef. Le Pipo est en quelque sorte le bras armé de l’Europe ornithologique, le glaive vengeur pour la sauvegarde de tous les volatiles de la planète, le fer de lance de… Bref, un putain de truc que c’est moi qui s’occupe !
Tu imagines bien que ma nomination dans cette agence particulière ne s’est pas faite sans heurt et sans reproche, bayardose. Une ponte dans la douleur, même ! Pas tant pour mon croupion, que tous les hauts fonctionnaires de la commission, imbus de leurs prérogatives, confondant autorité légitime et droit de cuissage féodal, espéraient empapahouter, que pour ma réputation. À cause de mon jeune âge – je viens juste de fêter mes trente ans – et de ma plastique qui frôle la perfection, j’ai eu droit à un tas de noms d’oiseaux : « Caille bottée », « Poule de luxe », « Maigret de canard », « Saute au piaf », « Salope plumée », « Bécassine », « Grue-lèche » ou « Pin-gouine », car quelques hauts fonctionnaires sont des hautes fonctionnaires, mais