Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Disparition à Liège: Au début, ils étaient quatre…
Disparition à Liège: Au début, ils étaient quatre…
Disparition à Liège: Au début, ils étaient quatre…
Livre électronique351 pages4 heures

Disparition à Liège: Au début, ils étaient quatre…

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Tout le monde vous le dira. Il est improbable que l’on puisse se souvenir sans faute d’événements qui se sont déroulés il y a trente ans.

Il en va de même pour le romancier à succès François Valais qui s’entête à vouloir évoquer sa vie et celle de ses copains à l’internat alors qu’il occulte tous les mauvais souvenirs pour ne garder que les bons. Forcément, le récit évoque une fausse réalité. Le lecteur n’est pas sot. C’est pourquoi le dernier ouvrage de l’auteur fait un flop !

Pour éviter que le roman suivant connaisse le même sort, deux copains, Pierre Orsini et Guillaume Gentil, épaulés par une poignée d’amis, déploient toute leur énergie afin de réveiller la mémoire de l’auteur.
Et voilà que l’affaire de la disparition de Jérôme, vingt-huit ans plus tôt, le quatrième copain de la bande, est extirpée des affaires classées…
Et voilà que le crime rôde… Et voilà que la police s’en mêle : l’ex-commissaire Constantin Charlier prête main-forte au nouveau commissaire Aimé de Sécillon, un sentimental lunatique tombé dans la police comme un cheveu sur la soupe.

Ces enquêteurs sillonneront les quartiers, de Liège à Visé, pour faire la lumière sur le crime et sur les souvenirs de l’écrivain.

Un roman policier palpitant qui entraîne les lecteurs dans une enquête à travers la Cité ardente.

EXTRAIT

Ce que je sais, c’est que tout a commencé ce soir-là. Nous flânions dans la Cité ardente, nous réjouissant d’un doux soir d’été liégeois au coeur d’un juillet nonchalant. Nous passions la soirée entre amis, comme il nous arrivait de le faire chaque fois que l’un d’entre nous avait envie de rattraper ses dix-sept ans. Aujourd’hui, nous avions hardiment passé la quarantaine, qu’importe. Nous étions trois. On aurait préféré être quatre, il en manquait un. Il faisait défaut depuis longtemps… On y pensait, parfois.
Après avoir pris l’apéro sur la place Cathédrale tandis qu’un soleil rouge descendait sur Liège, nos pas nous guidèrent « Chez Pauline », parce que nous y allions déjà quand nous étions adolescents. C’était notre refuge, notre ailleurs. C’était chez nous.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bien connue du public belge, Anouchka Sikorsky fut animatrice radio à la RTBF avant de rejoindre les équipes de RTL Télévision puis de RTL TVI en qualité d'animatrice et productrice. Elle a rédigé des articles, des interviews, des nouvelles, pour différents magazines.
LangueFrançais
ÉditeurDricot
Date de sortie10 août 2018
ISBN9782870955826
Disparition à Liège: Au début, ils étaient quatre…

En savoir plus sur Anouchka Sikorsky

Auteurs associés

Lié à Disparition à Liège

Livres électroniques liés

Mystère pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur Disparition à Liège

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Disparition à Liège - Anouchka Sikorsky

    livre…

    Chapitre 1

    Au temps de la jeunesse perdue…

    « Il court, il court, le furet, le furet du bois, Mesdames… »

    C’est un animal sauvage, un homme primitif qui file à travers bois. Il trébuche, se relève, repart, traqué par l’ennemi, vif comme le guépard. Il perçoit son souffle saccadé qui se rapproche, s’éloigne, revient encore tandis qu’il s’épuise dans une course perdue d’avance. Ses forces l’abandonnent, ses jambes se dérobent, son cœur bondit.

    C’est une souche d’arbre, même pas imposante, une petite souche insignifiante qui provoque sa chute, le cloue au sol, bras en croix.

    « … Il est passé par ici. Il repassera par là… »

    Chapitre 2

    Ce que je sais, c’est que tout a commencé ce soir-là. Nous flânions dans la Cité ardente, nous réjouissant d’un doux soir d’été liégeois au cœur d’un juillet nonchalant. Nous passions la soirée entre amis, comme il nous arrivait de le faire chaque fois que l’un d’entre nous avait envie de rattraper ses dix-sept ans. Aujourd’hui, nous avions hardiment passé la quarantaine, qu’importe. Nous étions trois. On aurait préféré être quatre, il en manquait un. Il faisait défaut depuis longtemps… On y pensait, parfois.

    Après avoir pris l’apéro sur la place Cathédrale tandis qu’un soleil rouge descendait sur Liège, nos pas nous guidèrent « Chez Pauline », parce que nous y allions déjà quand nous étions adolescents. C’était notre refuge, notre ailleurs. C’était chez nous.

    Pour plus de clarté, je vous fais les présentations : il y a Guillaume, bien sûr. Bavard comme une pie. Il voulait devenir un grand avocat, objectif atteint. Maître Gentil, drôle de nom pour un représentant de la loi. Soit ! C’est un chêne impressionnant. Un mètre nonante (d’où le terme « grand » avocat) et quelques kilos de trop. Pour lui, la vie se passe à la ville, ailleurs c’est juste de la survie. La campagne, c’est une erreur. Guillaume n’imagine pas que l’on puisse vivre heureux en cohabitant avec les vaches, les moutons, les chevaux, les chèvres, les papillons… Les villages personnifient sa vision du purgatoire. Il protège jalousement sa sacro-sainte liberté et change de petite amie avec la régularité des déclarations d’impôts, ça ne nous laisse pas le temps de nous familiariser outre mesure… Et puis, il y a Pierre Orsini, un joyeux fêtard qui passe sa vie de cocktails en galas avec l’aisance d’un aristo qu’il est. C’est le plus lumineux de la bande. À l’époque, lorsqu’il paraissait à l’une de nos virées, on savait que l’on n’avait pas une chance de l’emporter auprès des filles. Ça devait être à cause de ses foutus yeux noirs ou de son humour ou… allez savoir ? Mais lui, il épouse ! (Contrairement à Guillaume.) Il s’est marié plusieurs fois, il a divorcé tout autant. Pierre espérait faire carrière dans le journalisme. Espoir comblé. Et tant qu’il y était, il a pris les commandes d’un groupe de médias : presse écrite, radio, télévision… Le boss ! Je m’appelle François Valais. Taille moyenne, yeux gris. Ce matin, j’ai arraché deux cheveux blancs, les autres sont châtains. Une balafre, qui ressemble à une signature rédigée à la va-vite, taillade ma joue gauche. Ça ne me gêne pas, j’ai l’impression de balader en permanence un dessin de Picasso sur la peau. Je voulais être écrivain. Je le suis. Et même un bon, si l’on s’en réfère aux ventes, évidemment. Mon troisième roman « Les Scrupules d’un Ange Gardien » a été couronné du prestigieux prix Goncourt. Il s’est vendu à deux millions d’exemplaires. Depuis lors, je collectionne les best-sellers et quelques prix élogieux… Enfin, jusqu’à aujourd’hui. N’ayons pas peur des mots, mon dernier bouquin fut un fiasco ! Ce qui surprit pas mal de monde, même moi. Aurais-je perdu la faculté d’écrire ? Suis-je dans une mauvaise passe ? Où est passé le don ? Évidemment, je me pose mille questions qui restent sans réponse. J’angoisse, je panique. Je casse les pieds à tout mon entourage. Heureusement, j’ai des copains. Dans le passé, il y avait eu Jérôme, le quatrième larron de notre bande. Il était convaincu qu’il deviendrait caricaturiste-artiste-peintre. C’était son désir, sa vocation. Il avait le don. Bien entendu, nous ne savons pas s’il a exaucé son rêve…

    Donc, ce samedi d’été, nous ripaillions « Chez Pauline », avec l’insouciance d’ex-étudiants subitement redevenus nubiles. Il suffisait de nous réunir pour que nous retrouvions l’âme pubère. Il ne fallait pas nous pousser ; nous n’avions pas grandi, ou si peu. Ce soir-là, donc, nous évoquions encore nos années passées au « Château de Ville » à Ferrières, notre internat autonome…

    Pauline, la tenancière du resto, avait toujours les yeux lavande même si ses cheveux étaient devenus blancs, ses pas incertains et sa voix plus chevrotante, elle nous traitait comme si nous avions encore des culottes courtes, ça nous convenait. Après les bouffées de plaisanteries estudiantines remémorées et les quelques ballons de saint-émilion ingurgités aimablement, nous étions à présent ivres de jeunesse retrouvée et de langues déliées pour accepter d’aborder les sujets jusque-là évités. Guillaume s’empressa de mettre les pieds dans le plat :

    — Alors, mon François, il paraît que tu rames ?

    — Je rame. Je patauge. Je prends l’eau. Plus rien, mon vieux. Je ne parviens plus à écrire. Le vide, le néant. J’ai beau m’y coller, je ne parviens pas à exprimer, à écrire ce que j’ai pourtant en tête.

    — Le sujet ?

    — La suite de notre saga à l’internat…

    — C’est de l’inconscience, dit Guillaume. Pierre s’en mêla :

    — C’est une plaisanterie ? Tu t’es planté avec le premier volet et tu remets les couverts ? Drôle d’idée. Oublie ! Passe à autre chose, mon vieux. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, je te cite quelques exemples au hasard :

    L’histoire de la sardine qui veut se faire aussi grosse que la baleine et qui, consciente de son problème, recherche un psy pour l’aider ; cependant, le psy poisson se faisant rare, il envisage de kidnapper un humain psy. Tâche peu aisée.

    Ou celle de la gentille mémé qui cambriole les banques, mais uniquement les banques de sang du groupe AB + et qui désespère, car ça ne fait pas le compte de la fortune espérée.

    Ou encore celle de la pluie qui veut arrêter de pleurer et qui pour ce faire doit apprendre à rire. Essaye de faire rire une goutte de pluie !

    Ou celle du mec qui veut compter les étoiles, mais qui n’y arrive pas parce qu’il ne sait compter que jusqu’à trente et demi ; c’est le demi qui lui pose problème, forcément, alors, il décide d’assassiner le demi, mais va savoir comment ? Tu vois ? Il y a de bons sujets bien simples !

    — Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? dis-je, la main plaquée sur le front.

    — Et je n’ai pas évoqué la meilleure, celle de Marie-Chantal aux grands pieds qui veut se faire épouser par Guillaume et qui, pour ce faire, utilise les grands moyens…

    Je me penchai par-dessus la table, curieux d’apprendre comment Marie-Chantal allait s’y prendre pour réussir un tel exploit. Pierre se pencha lui aussi pour me raconter la suite de son histoire rocambolesque :

    — … Donc, Marie-Chantal se fait construire une maison en verre de quadruple vitrage, et décide de se promener nue dans son nouveau nid fermé à triple tour, devant la langue pendante de Guillaume qui frappe en vain les parois de verre de ses gros poings jusqu’à ce qu’une demande en mariage s’ensuive… Alors, mon cher François ? N’est-ce point un bon sujet qui calerait l’estomac du plus boulimique des lecteurs, ça ?

    — Et que des sujets porteurs de messages ! Quoi d’autre ?

    Pierre Orsini abandonna ses historiettes pour tenter maintenant de captiver l’attention de Pauline dans l’espoir de lui commander une autre bouteille de vin. Mais Pauline vaquait à d’autres tables en l’ignorant tant qu’elle pouvait.

    — Je pense que Guillaume a raison, c’est de l’inconscience, dit-il, en agitant les mains dans l’espoir d’intercepter le regard de Pauline… Tu t’entêtes dans un registre que tu ne maîtrises pas. J’ai lu ton dernier bouquin. Tu édulcores notre vie au « Château de Ville ». Tu présentes la vie à l’internat comme une oasis de joyeusetés. Ce qui est faux, bien entendu. Nos familles nous manquaient. Nous avions un éducateur épouvantable. Le régime était sévère. On encaissait des retenues et des suppressions de week-end pour des bagatelles. Tu brosses le portrait de gentils garçons à l’écoute des profs, des éducateurs, des autres, comme si nous avions été des anges. Réveille-toi, François ! Nous étions tout sauf des enfants de chœur. La vie à l’internat n’était pas une sinécure. Certes, avec le recul, nous savons que c’était une bonne école. Mais sur le moment, nous avons trinqué. Franchement, je n’aurais pas envie de revivre cet épisode.

    — Voilà ! Pierre vient de résumer ce que je voulais te dire… Mais qu’est-ce qu’elle fout, Pauline ? Elle est devenue aveugle, ou quoi ?

    Pauline trottinait maintenant jusqu’à leur table, la numéro huit.

    — Qu’est-ce que vous voulez encore les garçons ?

    — La petite sœur de Saint-Émilion, M’dame, s’il vous plaît !

    — Vous ne trouvez pas que vous avez assez bu ? À votre âge, vous devriez être au lit. Demain, il y a classe.

    — Chère Pauline, votre sens de l’humour me manquait. Hélas ! Nous sommes devenus de grands garçons. Et nous avons soif.

    — Pfutt ! Ne vous moquez pas de moi. Vous êtes des gamins, juste bons à faire des farces. Je vous sers des cafés ?

    — Si vous voulez, Pauline.

    Je m’entêtais bêtement dans ma version des faits, ignorant, que j’étais.

    — C’était quand même super, nos soirées volées à la sauvette. Lorsque nous passions la moitié des nuits dans le pavillon du jardinier. Il était heureusement tellement gâteux qu’il ne se rendait même pas compte que nous squattions son domaine… Guillaume qui parodiait le pion « Staline » avec maestria ; Pierre qui faisait la lecture de son billet d’humeur pour le journal du collège ; Jérôme qui nous montrait ses caricatures du même « Staline ». Une belle source d’inspiration, ce pion. On fumait et on buvait de la Jupiler en cachette, on rigolait…

    Pierre, qui était allé chercher une bouteille de saint-émilion au bar, rappliquait maintenant tout sourire :

    — Mouais ! Et toi, tu nous contais tes écrits grinçants sur les déboires des étudiants ployant sous le joug de l’impitoyable autorité de l’imbécile. Ta révolte éclatait dans chaque mot. Tu as raison, François, on s’amusait comme des guignols, en tremblant à l’idée d’être repéré par ce fou à lier. Tu as la mémoire comme un gruyère, mon bon François, parsemée de trous. Je me questionne. Ne souffrirais-tu pas du paradoxe du fromage à trous ?

    — C’est quoi encore, ce paradoxe du fromage à…

    — C’est l’un des paradoxes élaborés selon le syllogisme en A-A-A. Merci qui ? Aristote ! Exemple le plus connu :

    1. Plus il y a de fromage, plus il y a de trous.

    2. Or, plus il y a de trous, moins il y a de fromage.

    3. Donc, plus il y a de fromage, moins il y a de fromage…

    — Je m’insurge. Les trous font partie du fromage.

    — Et voilà, deux notions s’offrent à nous. La première notion : les trous font partie du fromage. La seconde notion : le fromage est une matière et donc exclut le vide. Prends la suite, Guillaume, j’ai mal à la tête.

    Guillaume obtempéra en jouant des manches comme s’il plaidait devant un parterre de jurés :

    — Ce qui met en exergue, cher François, que l’application du sophisme sans réflexion est à l’origine du contresens.

    — Et quel rapport avec mon roman ?

    Guillaume s’y colla à nouveau en comptant sur les doigts :

    — Le syllogisme est une réflexion logique à deux suggestions débouchant sur une conclusion. Donc dans le cas qui nous occupe :

    1. La vie à l’internat est réjouissante.

    2. Le « Château de Ville » est un internat.

    3. Donc, la vie au « Château de Ville » est réjouissante.

    Démonstration accomplie, chef !

    — Bravo, mon brave !

    Je haussai les épaules :

    — C’est un sophisme. C’est du grand n’importe quoi !

    — Va expliquer ça à Aristote.

    — D’accord. J’en conviens, Staline était une brute… C’est étrange, j’ai tendance à me souvenir surtout des bons moments. J’ai dû occulter le pire.

    — Tu vois quand tu veux ! Et le pire, c’est la disparition de Jérôme, qui devrait faire la fête avec nous ce soir. Mais il n’est pas là. Ça fait plus de vingt ans… Il dessinait, il sculptait, il avait la vie devant lui pour devenir un grand artiste. On l’a toujours su. Staline s’amusait à l’humilier, le harceler. Il ne le lâchait pas, ce salaud !

    Pauline apporta, fort à propos, un quatrième verre qu’elle déposa sur la table.

    — Voulez-vous vous joindre à nous, Pauline ?

    — Non, les garçons. Juste que j’avais oublié que vous étiez quatre. C’est pour le petit Jérôme.

    — Il n’est pas là, Pauline…

    — Je sais, je sais. C’est pas une raison pour oublier sa place.

    Pleine de bon sens, notre chère Pauline. Pierre versa du saint-émilion dans le quatrième verre sur pied. Nous trinquâmes avec un fantôme. Les autres convives nous lorgnaient avec des mines condescendantes.

    Chapitre 3

    — Tu as une drôle de soubrette, François.

    — C’est un terme tombé en désuétude, Guillaume.

    — Dommage… Mais laisse-moi te raconter ce que je viens de vivre dans ton salon. C’est cocasse.

    En fait, j’étais prêt à écouter n’importe quelle histoire pourvu qu’elle me détourne de mes angoisses. Or, Guillaume les racontait bien et les mettait en scène avec panache. Il aurait dû faire du cinéma comique avec Francis Veber, par exemple. Mais parfois, ses évocations traînaient en longueur…

    — Depuis l’entrée du petit salon, j’ai vu Benoîte occupée à faire valser la poussière.

    — En même temps, c’est son boulot, mon vieux.

    — Oui, mais attends la suite… Benoîte était furieuse ! Elle époussetait les meubles du petit salon avec la rudesse du professeur écœuré par l’ignorance du cancre. Jouant d’un plumeau jusque-là inoffensif, elle distribuait des claques aux portraits de famille alignés sur les murs qui, malgré l’offense, gardaient le sourire fringant.

    — De grâce ! Viens-en au fait, Guillaume…

    — J’y arrive… Donc, Benoîte mettait toute son énergie à gifler tes ancêtres en maugréant tant qu’elle pouvait :

    — Il se plante. Encore une fois !

    Vlan ! Prends ça. L’aïeul dans son cadre ne bronchait pas, tandis que j’observais la scène extravagante. Je lui ai dit :

    — Quelque chose ne tourne pas rond, Benoîte ?

    Surprise, elle fit volte-face, ses yeux me balayant d’un faisceau glacial de lumière verte.

    — Entre nous, elle est encore plus belle quand elle est furibarde !

    — Évite de nous détourner Benoîte, mon vieux. On y tient.

    — Donc, elle assena une ultime claque au piano muet. « Autant pour lui », me suis-je dit. C’est avec un reproche dans la voix, comme si j’étais responsable de son emportement, qu’elle se mit en devoir de m’instruire :

    — Il se plante, encore une fois. De façon magistrale. C’est un désastre !

    — D’habitude, tu le sais, je me targue de saisir en un quart de seconde les soucis de l’homo sapiens… Mais là, mon vieux, je tâtonnais dans le brouillard. J’ai dû balbutier quelque chose comme : « Et si vous m’expliquiez l’affaire clairement, ma chère Benoîte ? »

    Elle ne se fit pas prier et articula pour le sourd :

    — Il ne sait plus é-cri-re ! Voilà ce qu’il se passe.

    — Qui ça, il ? ai-je répondu bêtement.

    — Qui d’autre ? Monsieur Valais, bien sûr.

    — Je me suis demandé ce que ça pouvait lui faire à elle, la valseuse de poussières, que son employeur sache ou non écrire.

    Je me le demandais aussi…

    ***

    Une vingtaine d’années plus tôt, Valentine, ma femme, avait déniché la maison qui allait devenir notre refuge à Hermalle-sous-Argenteau. La rencontre inopinée qu’elle qualifia de coup de foudre avait eu lieu au cours d’une balade qui s’étirait entre Maastricht et Liège ou l’inverse. Je m’étais laissé convaincre sans montrer la moindre résistance : d’une part parce que Valentine pouvait se montrer très persuasive, d’autre part parce que j’avais été séduit par le nom du village qui chantait gentiment à l’oreille et par le fleuve qui ondulait, parfois, au-delà du jardin (quand il n’inondait pas nos caves, ce dont j’ai pris connaissance, trop tard). L’habitation, d’un âge respectable était née au début du XXe siècle, elle avait été construite en 1903 pour un Maastrichtois aisé au nom imprononçable. Posée sur les rives de la Meuse, elle était habillée d’une exubérante glycine. Évidemment, nous dûmes lui faire subir un sérieux lifting, ce qui m’obligea à pondre rapidement de nouveaux romans, mais soit.

    Notre villa vit presque les pieds dans l’eau. Il suffirait de pas grand-chose pour qu’elle patauge, comme moi.

    Pour l’heure, à l’ombre d’un cerisier, nous observions une famille de canards occupés à se dandiner sur la berge de la Meuse, à un jet de pierre du jardin de l’auteur en panne : bibi. Guillaume contemplait la scène avec l’indifférence du citadin convaincu que les joies de l’existence se déroulaient en ville ; moi, avec l’attendrissement d’un père pour sa progéniture. Guillaume revisitait en pensée le conciliabule complexe partagé avec Benoîte. J’étais morose :

    — Ce matin, j’ai trouvé un post-it collé sur mon ordi…

    Guillaume étendit les bras en soupirant d’aise.

    — Ce qui me plaît, c’est qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer chez toi.

    — On a griffonné dessus : « C’est nul ! » Comme si j’avais besoin qu’on me le souffle.

    — Ça a le mérite d’être clair. Qui est le coupable ?

    — Sais pas, mon vieux. L’auteur n’a pas signé son commentaire.

    — Valentine ?

    — Non. Elle ne regarde mes romans que lorsqu’il y a un bandeau dessus clamant haut et fort qu’il s’agit d’un « Énorme Succès ! »

    — Ta fille ? Ma délicieuse filleule en serait capable.

    — Ce n’est pas dans les manières d’Agathe. Elle me ferait ses remarques en direct. Genre : tu cafouilles, Papa.

    — Et de deux ! Un étranger à la maison ? On entre ici comme dans un moulin.

    — Tu imagines un gars s’introduisant illicitement dans mon domicile à seule fin de me faire ses commentaires sur l’ébauche d’un manuscrit ?

    — Non. Ton éditeur ?

    — Paul est prudent et trop délicat. Il traîne dix minutes sur le paillasson à distiller quantité de compliments à Valentine avant d’oser poser un pied dans le salon. Ça fait rire ma femme. C’est assez rare que pour être signalé.

    — Elle passe son temps à réunir des copines, peut être que l’une d’entre elles…

    — L’important, ce n’est pas qui ? Mais pourquoi ?

    — On connaît la réponse, François. On en a discuté hier. J’ai bâillé d’ennui en lisant ton dernier bouquin, Pierre en a fait autant. Si tu continues dans la même veine, ce sera idem.

    — Aide-moi, Guillaume, je suis largué.

    — Je réfléchis et je te ramène le remède.

    — Vrai ?

    Je dus afficher la mine réjouie du gamin à qui on venait de promettre un vélo tout neuf, car Guillaume me quitta sur un regard navré.

    Chapitre 4

    Ce mardi-là, je me levai dans d’excellentes dispositions, l’humeur aérienne. Les nuages étaient passés, quelqu’un avait dû souffler dessus. Je m’apprêtai à affronter une journée ensoleillée qui se présentait sous les meilleurs auspices. Même Valentine, toute soie vaporeuse déployée, contribua à ce moment de grâce. J’eus droit au jus d’orange, au café serré et aux croissants dorés pour un petit déjeuner festif qui me rappelait les jours heureux du début de notre mariage. Elle chantonnait dans la cuisine, « Radio Nostalgie » aussi. Je me sentais bien. C’est donc confiant que je décidai de m’atteler à la tâche. Il me suffit de poser un pied dans mon bureau pour déchanter. Le « facteur » était encore passé, abandonnant au passage un autre post-it sur mon ordi. « Pas vivant ! » Mon moral retomba comme un soufflé au premier coup de froid. J’étais furieux : contre l’auteur des messages, contre moi. Je relus le dernier chapitre, pour vérifier. C’était en effet d’une platitude à pleurer. Je poussai rageusement sur la touche « delete » tout en passant ma colère sur une cigarette. Valentine qui devait être dotée d’un détecteur de fumée perso déboula à toute vapeur pour se précipiter sur les portes vitrées qu’elle ouvrit largement. Elle joignit à ses gestes une litanie de reproches éculés depuis belle lurette. J’encaissai sans piper mot, derrière mon écran de fumée.

    — Tu fumes trop. C’est mauvais pour toi (comme si c’était bon pour d’autres !) Tu sais ce que le toubib a dit ? (Il m’a trouvé une forme de Dieu le Père, le toubib !)

    Valentine piétinait le sol sur ses talons aiguilles, tac, tac, tac… Elle secoua les tentures, tripota mes documents, tapota un coussin innocent. Elle brassait de l’air.

    — Ça avance ?

    Comme si je m’apprêtais à construire une maquette d’avion !

     Non ! Ça n’avance pas. Ça recule.

    — Oh ! Chéri. Tu n’es pas sérieux ?

    En la regardant, je fouillai dans mes souvenirs à la recherche de ma Valentine d’antan : naturelle, joyeuse, spontanée… l’amoureuse de la première période, celle qui me tenait la main, qui faisait face avec moi. Elle s’était évaporée au profit de celle-ci qui ne m’écoutait plus que d’une oreille distraite. Je lui envoyai un appel au secours :

    — Je n’y arrive pas, Valentine. Je ne parviens plus à écrire. C’est une douleur. Lorsque je me relis, j’ai honte tellement c’est nul.

    — Qu’est-ce que tu racontes, chéri ? Tu dois avoir confiance en toi. Tu as toujours su écrire. Il n’y a pas de raison pour que ça change.

    La conscience en ordre, elle retourna à ses occupations comme si le bateau ne prenait pas l’eau ; le pied musical, tac, tac, tac…

    J’étais largué par ma meilleure alliée désormais sourde à mes problèmes.

    ***

    En réalité, Valentine n’était pas dupe. Ses pensées battaient la campagne : et si c’était vrai ? Si François avait perdu le talent d’écrire ? Comme on égare un objet précieux. Elle s’empressa d’effacer le cauchemar de ses pensées. Non. Impossible. C’était juste une mauvaise passe. Elle glissa une main caressante sur le couvercle du piano réduit au silence depuis longtemps. C’était un beau piano droit, un Pleyel en noyer satiné, tout doux. Elle aurait voulu devenir pianiste… Mais ses parents, des épiciers qui ne faisaient pas de place aux rêves, aussi mélodieux soient-ils, déclarèrent qu’ils n’avaient pas d’argent à dépenser pour un caprice. Il fallait bosser pour gagner sa vie. Ce qu’elle fit. Vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter. Elle était plantée derrière son comptoir, lorsqu’elle vit François pour la première fois. Il cherchait un cadeau pour l’anniversaire de sa mère. Elle lui proposa différents articles… Il choisit un carré de soie. Ensuite, il revint plusieurs fois acheter des présents inutiles sous de faux prétextes. Valentine soupira, en revisitant la plus belle période de sa vie. Très vite, ils se marièrent, ils eurent une fille, Agathe. François commençait à se faire un nom. Bien sûr, les débuts furent difficiles, mais ils étaient deux, ils s’aimaient, ils avaient la foi, ils étaient jeunes, ils étaient heureux… Et le succès triompha. Les banquiers se firent tout sourire. Elle arrêta de travailler. Maintenant, lorsqu’elle poussait la porte d’une boutique ce n’était plus pour se planter derrière le comptoir, mais pour se faire servir à son tour.

    De méchantes pensées attisèrent à nouveau son esprit, le titillèrent de suggestions alarmistes. Valentine faisait claquer ses hauts talons au rythme de ses angoisses, tac, tac, tac. Il fallait que François retrouve ses capacités, il fallait qu’il se remette à écrire comme avant. Elle ne voulait sous aucun prétexte retomber dans une vie incolore. Et que dirait-elle à leurs amis ? Ceux-là mêmes qui ne les fréquentaient que parce que François était un fournisseur de best-sellers ! Tous ces snobinards qu’elle s’était habituée à côtoyer fièrement en ayant le sentiment de se frotter au gratin. Valentine broyait du noir. Elle souleva le couvercle du piano, posa timidement les doigts sur les touches du clavier. Elle ne savait pas jouer. Juste l’effleurer… Do, sol, mi, sol, do, sol, mi, sol…

    Chapitre 5

    C’est, bien entendu, au « Veneto » que nous échouâmes ce jour-là. Treize heures ! décréta Pierre l’aristo. Avant, ça fait plouc, après, c’est un flop ! Il ne reste plus rien de comestible. Personne ne le contredit, il était passé maître ès bonnes manières. De toute façon, le « Veneto », rue de la Madeleine à Liège, était un peu notre QG. Un resto qui existait depuis les années soixante méritait tout notre respect. Il ne payait pas de mine de l’extérieur, planté dans une rue étroite en vieux pavés. Il ne payait

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1