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En double file
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Livre électronique172 pages2 heures

En double file

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À propos de ce livre électronique

Mathilde pensait faire un voyage d’agrément, avec retrouvailles et exotisme en prime mais la réalité va être toute autre. Itinéraire jubilatoire sur le sol camerounais. Confrontation surprenante avec le monde africain, le récit oscille entre conte et comédie théâtrale, Aventure plus que mésaventure, « En double file » est un récit écrit sur un ton amusé pour une lecture décontractée.
LangueFrançais
Date de sortie14 févr. 2019
ISBN9791029009136
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    En double file - Noëlle Sarrola

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    En double file

    Noëlle Sarrola

    En double file

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    © Les Éditions Chapitre.com, 2019

    ISBN : 979-10-290-0913-6

    À la mémoire de Gabriel Guary

    Ce devrait être un voyage d’agrément, de retrouvailles, avec exotisme en prime. C’est ce que pense Mathilde, la soixantaine décomplexée, en posant le pied sur le sol camerounais un jour de février. La réalité va être toute autre.

    Ce récit est une fiction, une histoire entre conte africain et théâtre de boulevard. Toutes ressemblances avec des personnages existants ou ayant existé seraient fortuites.

    Cette balade africaine se veut une promenade de santé, revigorante et jubilatoire.

    La lucidité n’est pas un obstacle à l’amour du prochain de quelque couleur qu’il soit.

    Introduction

    L’imagination, me semble-t-il, n’est jamais que le fruit immature de nos rencontres et de nos émotions. Quand elle déborde, c’est que le fruit est mûr.

    Cette année-là, j’ai eu la sensation d’être en crue. Une élévation soudaine du fleuve de mes pensées, de la température de mon corps aussi. L’idée de fond c’est qu’il m’a semblé être constamment en nage à contre-courant d’un débordement excessif. Quand j’écris « excessif » c’est en raison de quelques remarques acides, de regards fuyants, désapprobateurs, qui m’ont fait prendre conscience que la soixantaine, dans une regrettable démission collective, s’admettait comme une période convenue de pré-décrépitude à laquelle on devait se résoudre. Quant à vouloir ressusciter les frissons de la jeunesse, vitalité des sens et réveils insouciants, et puis quoi encore ??

    Ainsi, comme dans le « Nô », ce surprenant théâtre classique japonais à la lenteur lancinante, nous évoluons sur une scène qu’on estime faite pour les autres, devenus, malgré nous, à notre corps défendant, acteurs masqués d’un scénario codifié, pantomimes maniérées n’ayant plus droit au chapitre. Peaux matures, troisième âge, en retrait, en perte de vitesse, et a priori pour l’industrie du vieux, en perte de tout, personne dans le public ne s’attend à un coup d’éclat hormis l’épilogue attendu du passage à la trappe.

    On a beau se dire, presque à s’en culpabiliser, que l’on se prend encore à rêver ou à faire des projets, c’est un peu comme après le 15 août sous nos latitudes : même si c’est encore l’été, le matin le fond de l’air est plus frais, les couleurs moins lumineuses, on pressent la bascule inexorable vers l’automne. Il n’y a pas d’issue heureuse possible.

    – « À ton âge ! Tout de même ! » – fut la méchante flèche décochée à mon intention.

    Non pas que j’ai éprouvé une once de culpabilité, bien sûr que non. Ce n’est pas le genre de la maison.

    J’aurais aimé partager certains de ces moments d’ivresse avec ceux qui n’en éprouvent que rarement sinon jamais. L’aptitude au bonheur et aux jouissances devrait pouvoir se louer ou se donner comme le sein des nourrices trop alourdi en lait pouvait rassasier un temps des enfants chétifs. Tant pis pour les fâcheux qui s’en sont émus ou encore ceux qui vont s’en émouvoir.

    . – « Fuck les vieux grincheux coincés du cul ! » Comme me l’a crachouillé à l’oreille pour cause d’un dentier mal collé ma cousine Sidonie le jour de ses cent ans. Profite ma fille, profite… Nul ne sait de quoi demain est fait !

    « Demain ? » De quoi « Demain » est fait ? De tout et de n’importe quoi, sans queue ni tête, dévastateur parfois, désenchanté fréquemment. Mais le plus souvent avec un goût unique, délicieux, fondant en bouche, le goût de la vie.

    Cette histoire commence sur ce sol africain où je n’aurais jamais pensé mettre les pieds si Léopold le magnifique ne s’était rappelé à mon bon souvenir.

    Après mûre réflexion, je me dis qu’elle avait en fait commencé cinquante ans auparavant dans le métro parisien, mais comme ça fait un demi-siècle ou pire « siècle dernier » ce qui me fait soupirer… Alors c’était début 2016.

    Léopold, étudiant africain à la peau noire, d’une divine beauté. À le dévisager sans vergogne, tel qu’en mon souvenir d’adolescence, je pensais sérieusement qu’il n’existait rien de comparable, jamais je n’aurai d’autres occasions de contempler un dieu devenu homme et félin tout à la fois.

    Si j’ai éprouvé une fois, une unique fois de la fascination pour un homme, ce fût face à lui, présence magique, quasiment surnaturelle à tel point qu’encore aujourd’hui je me pose la question de sa réelle existence.

    Certaines rencontres marquent à vie. Parce que hors cadre, hors norme, et qu’elles nous mettent hors de nous, dans un état second. Croiser la route de Léopold, c’était inévitablement croiser celle de Tetsop.

    J’étais beaucoup plus jeune qu’eux. Ils en ont tenu compte. En contre-partie du service que je leur ai rendu, ils m’ont bien expliqué comment tournait le monde et comment je devais m’y prendre pour tourner avec. Leur enseignement m’a été fort utile. Mes amis pouvaient être intarissables, mots bien choisis, comme il convient à l’élite noire qui reviendra sans doute au pays pour conduire les affaires à la manière des blancs. En tout cas pour y mourir. On ne meurt bien qu’en sa terre d’origine.

    De cette époque parisienne, j’ai conservé le souvenir de leurs déhanchements sensuels, danse, danse, dans cette petite chambre universitaire bien à l’abri du regard des autres, noirs et blancs. Leurs regards discrètement amoureux mais toujours inquiets. Les précieux conseils de Léopold débutaient régulièrement par :

    « Mathilde, tu dois savoir que… Il faut que tu comprennes que… Est-ce que tu as bien retenu ce que je t’ai expliqué la dernière fois ? etc. »

    On peut dire que ce fut une formation à marche forcée, peut-être savaient-ils l’un comme l’autre que notre trio incongru ne passerait pas l’année et qu’il convenait de me bourrer le crâne de l’essentiel. Tetsop n’était pas en reste ! Lui, s’occupait de me questionner sur mes comportements, mes attitudes, les analysait, et me les régurgitait comme un pélican nourrit sa progéniture :

    « Mathilde, ne crois jamais que tu as des comportements anormaux. Ce sont les autres qui ne te comprennent pas ou interprètent mal. Ne perds pas ton temps à te justifier. »

    « Mathilde, essaie de te concentrer sur ce que les autres te disent, essaie de les écouter jusqu’au bout ! Même si tu sais, dès leurs premiers mots, ce qu’ils ont à te dire. Sois courtoise ! »

    Je me suis appliquée.

    Comme ils me l’ont affirmé à plusieurs reprises,

    – « Si tu avais eu la peau noire, rien ne serait arrivé, car rien n’aurait été possible ! Aucune jeune fille africaine n’aurait accepté de faire ce que nous t’avons demandé ! ».

    Forêt équatoriale, Cameroun, saison sèche, janvier 2016

    La femelle chimpanzé hésita entre un petit tas de figues et des bananes posées en évidence sur une table rudimentaire, une palette de bois clouée sur quatre rondins à l’ombre d’un manguier. Son regard doux et tendre de petite fille prise en défaut, croisa celui, amusé, du pygmée Floribert.

    Ils avaient un point commun, une infime fraction de l’humanité s’efforçait à les maintenir en vie. Le commerce anarchique du bois et la déforestation qui en résultait, accéléraient la disparition de leurs groupes. Les arbres quittaient la scène, vulnérables escogriffes, ne restaient que les souches, au moins utiles aux termites, comme des pièces oubliées d’un décor de théâtre.

    Eu égard à l’empathie et la sympathie, les singes, depuis Tarzan, se taillaient la part du lion d’autant plus que ce dernier était lui, carrément en voie critique d’extinction.

    À partir de quel nombre d’individus un groupe se rend – il compte qu’il va disparaître ? Sept milliards ? Deux cent mille ? Mille ? La prise de conscience se fait-elle d’abord sur la sensation diffuse d’un malaise inexplicable ? Une période entre deux eaux durant laquelle l’incompréhension le dispute au déni ? Une sorte de black-out de la conscience, qui permet une fin triste mais douce, loin de la révolte. La nature est bien faite, quand on n’est pas concerné la tendance est au fatalisme, à la compassion, et au bout du compte, on oublie aisément ce qui disparaît. Morituri te salutant. Ceux qui vont mourir te saluent. Merci d’avoir existé. Et bécassons de vous être laissés bananer. Aux suivants…

    Les fonds récoltés par des organisations avec pignon sur le monde ou plus modestement sur rue faisaient vivre, main dans la main, bon nombre de personnes.

    Le sort des pygmées, objectivement, tout le monde s’en tapait. Ou presque.

    Mais, c’était un gagne – pain lucratif que de les maintenir en survie et quand venaient les bailleurs de fond on préparait les « duperies ». Comme ils venaient rarement et uniquement en saison sèche car autrement les pistes étaient impraticables, l’humanitaire était d’un excellent rapport. On montrait une ou deux fois l’an « Le » pygmée à l’œuvre de sa survie, en train de faire semblant de chasser, sa femme en train de pêcher, l’école vide mais existante.

    On leur faisait distribuer par des émissaires qui transpiraient beaucoup quelques cadeaux en nature, comestibles, utiles, mais jamais d’argent. Non ! L’argent on le gardait parce que le pygmée ne savait pas quoi en faire à part le boire. C’est ce que préconisaient les guides accompagnateurs.

    La mission humanitaire s’en désolait bien évidemment.

    Les coûteuses voitures tout terrain s’éloignaient en cahotant, avec à l’intérieur des gens silencieux, impressionnés, perplexes : l’acharnement de certains à survivre est toujours une surprenante confrontation, une expérience unique et fascinante.

    Une fois la délégation passée on faisait un doigt d’honneur à ces va-nu-pieds stockés au bord de la piste comme une marchandise somme toute de qualité, toujours disponible et toujours rentable. Le doigt d’honneur s’adressait également aux missionnés et mandatés des Organisations Non Gouvernementales et autres associations. Ces auditeurs, soit ne se faisaient plus d’illusions, soit n’allaient pas au fond des choses parce que tout était si compliqué, sous compromis et même sous compromissions et qu’il fallait faire avec les politiques. Les hommes de la forêt respiraient sous perfusion, mais ils respiraient. Tant qu’il y avait de la vie…

    Petits et grands singes, présentaient un quasi quatre-vingt-dix-neuf pour cent d’ADN commun avec les primates qui coupaient les arbres ou ceux qui payaient cher pour apercevoir leurs dos velus et leurs bras ballants.

    Le pourcentage manquant laissait à méditer. En effet, à quoi correspondait-il ? Les singes, eux, s’en balançaient tant qu’ils le pouvaient encore. D’ailleurs n’était-ce pas cette aptitude à grimper aux arbres, courir la canopée et sauter de liane en liane qui nous faisait envie et défaut ? D’avoir perdu le naturel de l’acrobatie au fur et à mesure des mutations nous chagrinait mais on ne pouvait pas tout garder non plus. Le beurre et l’argent du beurre.

    L’animal choisit une banane et disparut furtivement de la clairière où était construite la maison de briques rouges, propriété de Tetsop le guérisseur.

    Euphorisé par du vin de palme, Floribert s’assit en tailleur devant la porte de la maison de son bienfaiteur, un troisième gobelet à la main. Il était midi à l’équateur et lui, fin bourré !

    La tonalité signalant une arrivée de mail sur son smartphone distrait un instant l’homme respecté pour ses pouvoirs de guérison. Elle était au maximum de sa puissance de son, pour cause de déficit auditif. L’âge était là, fragilisé par plus de soixante-dix saisons sèches et humides auxquelles il avait survécu, en partie grâce aux années passées sous climat tempéré, à Paris.

    Le contenu du mail était sans importance, comme la plupart du temps. L’extraordinaire technologie s’offrait à la vacuité. Comme une superbe call-girl se serait offerte à des mains inexpertes, sur un trottoir passant.

    Tetsop posa son index droit sur l’icône « son » du bandeau d’en tête et le téléphone portable se mit en mode muet. Il devenait compliqué de faire respecter le silence essentiel aux rituels.

    Sonneries, tonalités, vibrations déclenchaient l’agacement. Ce rappel à l’ordre de la toute-puissance numérique mettait à mal le sérieux du surnaturel, la force du spirituel. Un raclement de gorge, une quinte de toux déstabilisaient moins que ces sonorités paramétrées, de nature lancinante.

    Il jeta un coup d’œil au travers de la tenture qui faisait office de cloison entre la modeste salle d’attente et son espace de méditation. Imprimés sur cette cotonnade multicolore nageaient des poissons à l’œil étonné, en banc serré sous des vagues stylisées ; un trou dans l’œil d’un des poissons au centre du rideau lui permettait de juger globalement du degré d’impatience du client.

    Il y avait de nouveau cet homme, connaissance de longue date, assis genoux écartés sur l’une des souches de bois qui faisaient office de sièges, un cabas à ses pieds d’où sortait la tête emplumée et courroucée d’un coq inquiet sur son proche avenir. Combien de fois était-il venu ces dernières semaines ? Toujours avec la même supplique, sinon le même volatile.

    Il lui était si douloureux de le voir, tellement insupportable de l’écouter. Et l’autre insistait ! Tetsop avait tout son temps et le laissa mariner. Il avait tant à réfléchir, tant à méditer. Ses pensées divaguèrent tous azimuts en compensation de cette pesante promiscuité.

    Une porte en bois couverte d’une bonne épaisseur de peaux de chèvres achetées à des Peuls ouvrait sur la

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