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1re avenue
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Livre électronique144 pages1 heure

1re avenue

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À propos de ce livre électronique

Certains jours, un écureuil écrasé dans un stationnement et une bonne chanson suffisent à tout remettre en question. C'est ainsi que Laura décide de mettre son quotidien et ses plans de côté pour prendre une pause. Elle fait alors escale dans le quartier Limoilou, où elle bouscule ses convictions et livre du bonheur, un pudding à la fois. Entre ses nouveaux colocs inquiétants et ses clients, parmi lesquels une femme enceinte à l'imagination fertile, un accro au gluten et des joueurs de poker qui portent un lourd secret, la pause sur la 1re avenue est bénéfique, mais pas toujours apaisante.
LangueFrançais
Date de sortie28 juin 2019
ISBN9782898037887
1re avenue
Auteur

Émilie Rivard

Émilie Rivard est née à Québec en 1982 avec une incroyable envie de créer. Très tôt, c’est par l’écriture qu’elle s’exprime. En 2005, elle publie ainsi son premier roman jeunesse, Mon frère est un vampire. Suit la parution de plus de quatre-vingt romans et albums pour les 17 mois à 17 ans. Comme Émilie aime écrire tout ce qui s’écrit, elle a également créé des textes pour le théâtre, pour des magazines et pour la télévision.

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    Aperçu du livre

    1re avenue - Émilie Rivard

    Appendices

    J’aurais aimé que la porte se referme lentement derrière moi. Pour le côté cinématographique. La caméra qui reste à l’intérieur, moi qui avance d’un pas décidé, la porte qui me fait doucement disparaître, générique. Mais non, d’autres étudiants m’ont suivie de trop près. Ils extériorisent leur bonheur d’être enfin en vacances et d’avoir terminé ce DEC qui nous a rendus fous même si « attends t’as rien vu, l’université… bla bla bla ». Je devrais être au moins enthousiaste, comme ces gâcheurs de jolie scène au ralenti. Mais non, je me sens juste… tranquille. La faute de la fatigue, je présume.

    Je pense que je mérite des sushis. En fait, dans l’échelle du mérite, je me situe à l’échelon « assiette gargantuesque préparée par un maître japonais qui récite des haïkus en éminçant les oignons verts », mais un petit plateau de la poissonnerie Unimer fera l’affaire. Je marche lentement vers les Halles de Sainte-Foy, me demandant si j’en prendrai aussi pour Louis-David. Bof ! Il me remplace à la clinique de son père jusqu’à demain. Si je lui en achète, je devrai les garder au frigo et il chialera encore que l’algue est coriace, me blâmant de toujours me procurer ma dose de poisson cru à la poissonnerie, là où ils seraient, d’après ses savants calculs, au moins 50 fois moins bons.

    Ils sont bien corrects, les sushis de chez Unimer.

    Je fouille dans mon sac en bandoulière orange, qui contient un déluge de vieilles factures d’épicerie, un étui à crayons rongés, un tube de crème à mains vide, un baume à lèvres sans bouchon, plus deux ou trois items utiles. Je soutire mon iPod de sous l’éboulis et j’enfonce les écouteurs dans mes oreilles. Mon entourage se moque sans retenue de mon iPod classique pré-touch à molette. « Come on, Laura ! Le Apple Store est à 10 minutes de chez vous ! Tu es nostalgique à ce point-là ? » Habituellement, non. Mais pour ce cadeau offert par mes parents pour mes dix ans, oui. Ils l’avaient à demi rempli d’une sélection complètement hétéroclite. Mozart, Beastie Boys, Harmonium, Green Day, Georges Brassens, Chostakovitch… une bibliothèque d’Alexandrie musicale dans mes oreilles. À partir de ce jour et jusqu’à mon départ de mon Bas-Saint-Laurent natal pour le cégep, mon père, ma mère et moi n’avons plus parlé que de musique.

    Encore aujourd’hui, j’aime laisser le dieu Apple piger dans ma liste d’albums bigarrée ce qu’il déversera dans mes tympans. Très souvent, il déniche la trame sonore parfaite pour rythmer ma vie. Cette fois-ci, j’aurais choisi quelque chose d’un peu plus… remoralisant, mais je ne m’obstine pas. Oui, je sais, « remoralisant » n’est pas un mot, mais après deux ans à écrire sagement ce que les enseignants ont envie de lire, j’envoie paître Robert avec plaisir. Le Petit Robert, évidemment, pas mon oncle Robert qui vit à Alma.

    Maman, dis-moi pourquoi, les oiseaux au fond de mon cœur, toutes les minutes pleurent, même si t’es là pour les consoler…1

    Je traverse le stationnement des Halles, où je tombe sur un écureuil allongé entre une Honda-quelque-chose bleue et une Ford-machin verte. À première vue, il a l’air aussi vivant que Lady Di. Sur le coup, je pense à l’appeler « Lady die » et je me trouve drôle. Puis, va savoir pourquoi, mon cœur fend. Comme dans un roman Harlequin. Ou un plutôt cheap, mais avec le vrai nom de l’auteur dessus. Je jure que j’entends un grand clac dans ma poitrine. J’ai les yeux tellement mouillés que je dois m’asseoir sur le bord du trottoir, entre la Honda bleue et la Ford verte. Je pleure la mort d’un écureuil « écrapou ». J’ai l’air d’une folle finie. Heureusement, personne ne remarque la cinglée dissimulée derrière la tôle.

    Si c’est ça, avoir vingt ans,

    j’aime mieux être un enfant…¹

    Minute, là, cœur fendu ! Ne viens pas me dire que c’est la mort d’un rat gris à queue touffue qui te déboîte ainsi ! J’essaie de me raisonner, de reprendre le dessus, mais les sanglots sont plus forts. Bien voyons ! Je n’ai jamais sangloté de ma vie ! Sauf peut-être une couple de fois avant mes six ans. Mais jamais pour une bestiole poilue !

    Je regarde la petite chose couchée sur le côté, l’œil fixant le vide. « Fixer le vide ». Ça aussi, c’est juste beau dans les romans Harlequin. C’est impossible, de scruter le néant. Inévitablement, on regarde toujours quelque chose. Moi, eh bien, je fixe un écureuil mort. Et je braille. Puis la constatation me tombe dessus comme une grâce divine ; je ne pleure pas le départ de mon ami la vermine grise. Non. Je l’envie. C’était quoi, sa vie ? Se bourrer les joues de tout ce qu’il pouvait dénicher de comestible, cacher le butin, espérer le retrouver plus tard. Survivre. Toujours aller de l’avant, mais trop cave pour avancer un pas plus loin que l’instinct. Son seul repos possible, il le vit présentement, mort entre une Honda bleue et une Ford verte.

    Si c’est ça, avoir vingt ans,

    j’aime mieux mourir maintenant.

    Non, Pierre, ce n’est pas ça. Ce n’est pas l’idée de mourir qui m’attire. Je veux simplement m’arrêter. Sortir de la roulette à souris. Dans le fond, la scène de la porte qui se ferme, ç’aurait été une fin pourrie. Parce que la porte, elle ne se referme jamais vraiment. Demain, j’accueillerai les clients de docteur beau-papa dentiste dans sa clinique. Opportunité en or bourré de carats. Surtout quand tu comptes tout apprendre sur le merveilleux monde de la molaire et le passionnant univers de la gencive dès septembre. Je suis comme Gretel sur le chemin du retour : j’ai placé tous mes petits cailloux, il ne me reste plus qu’à suivre la voie. Je pourrai grimper dans un arbre ou deux, au passage, mais j’ai l’impression que plus j’avancerai, moins je songerai à lever les yeux des cailloux. Et au bout, il y a… une grosse roue qui me laisse « écrapoue » dans le parking des Halles de Sainte-Foy, je présume. J’avais presque réussi à me calmer. Mes tremblements repartent de plus belle.

    — Laura ? Laura Monette ?

    Ça y est, le Chipmunk me parle ! Perdre un boulon, ça doit être la suite logique du mélodrame…

    — Laura ! Je peux-tu t’aider ?

    Je retire les écouteurs de mes oreilles sans faire taire Pierre. Je lève les yeux lentement, gênée d’avoir un témoin de ce désarroi si soudain. Le propriétaire de la voix est grand, maigre, barbu, vêtu de jeans élimés et d’un t-shirt blanc orné d’un zèbre avec un arbre sur le dos. Et visiblement, il connaît mon nom.

    — Tu me reconnais pas, hein ?

    En temps normal, j’aurais fait la fille qui se souvient de tous nos plus beaux moments, de sa couleur préférée et de son signe astrologique chinois, papotant le plus naturellement du monde jusqu’à ce que la conversation me gratifie de suffisamment d’indices pour établir un vrai historique de notre relation. Cette fois-ci, mettons ça sur le dos de la défunte vermine, ce jeu de devinettes ne m’intéresse pas.

    — Je… Excuse-moi… j’ai…

    — J’étais moins barbu dans le temps !

    Il me tend une main rêche, autant pour se présenter que pour m’aider à relever mon derrière de taille légèrement au-dessus de la moyenne de cette chaîne de trottoir.

    — On suivait des cours de violon ensemble, quand on était petits ! Alex !

    J’ai déjà l’air d’une désaxée. Je ne trouve rien de mieux à faire que de me remettre à pleurer.

    — Je pense que tu as besoin d’un café.

    Non. De sushis. Et de beaucoup de vin. D’un vin pas cher, mais qui saoule. Et d’une bonne nuit de sommeil. Je n’ai aucune idée pourquoi je suis Alex. Ah ! Alex ! Je me souviens ! C’est le gars qui avait réussi à entrer toute la volute de son violon dans sa bouche ! Pendant que les bribes d’enfance me reviennent, il me guide jusqu’à la porte du Subway. À l’intérieur, il rejoint une des employées, lui tend un livre et une enveloppe.

    — Un café ? me propose-t-il.

    Je m’attends à ce qu’on se dirige vers la section « halles » de la bâtisse pour quérir un breuvage plus goûteux, mais non, Alex le commande à son amie, comme s’il s’agissait d’un antidote à m’administrer le plus rapidement possible. Comme l’Épipen de l’allergique aux arachides. Le liquide brun est fade, mais je l’avoue, ça replace les idées un minimum.

    — Veux-tu en parler ?

    Moi qui ne suis pas du genre à raconter ma vie à tout le monde, je me surprends à étendre devant lui ce malheur qui n’existait même pas ce matin en reniflant à tous les deux mots.

    — Je suis sûrement juste fatiguée. Je vais me coucher bien de bonne heure les prochaines nuits, pis je vais être top shape dans trois jours. Je peux pas croire que je te braille dans la face de même ! On se connaît comme pas vraiment !

    Je prends une petite gorgée de jus de sous-marin. Il en profite pour me conseiller.

    — T’as raison, on se connaît pas vraiment, mais justement, des fois, c’est le fun d’avoir un avis extérieur. Et d’après moi, tu as pas juste besoin de sommeil, mais d’une vraie pause.

    — Je sais pas… Je pense pas… Je peux pas vraiment, tu sais.

    — Tout le monde a besoin d’un break, des fois. Depuis que j’écoute des séries télé sur Netflix, je m’ennuie des pubs. Ça me donnait le temps d’aller pisser à intervalles réguliers. J’ai une vessie de fillette, qu’est-ce tu veux.

    Il me résume sa vie depuis qu’on s’est perdus de vue, il y a six ou sept ans. Il a changé huit fois de champs d’études et ces temps-ci,

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