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Notre-Dame-des-Anges
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Notre-Dame-des-Anges
Livre électronique170 pages2 heures

Notre-Dame-des-Anges

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À propos de ce livre électronique

Olivier croit connaître le quartier Saint-Roch comme le fond de sa poche. C’est notamment là que, chaque semaine, il devient Oliver Light, un lutteur très amateur et co-fondateur de la Fédération de lutte très amateure de Québec. Quand il hérite d’un immeuble à logements sur la rue Notre-Dame-des-Anges, il réalise que le fond de notre poche peut nous révéler bien des surprises. Saint-Roch serait-il plus humain, mais aussi plus absurde qu’il l’a toujours cru? C’est en suivant malgré lui les traces de ce père qu’il n’a pas connu qu’il découvre que chèvres et karaoké peuvent coexister et que la vie nous réserve parfois quelques Pop-up Powerbombs...
LangueFrançais
Date de sortie21 juin 2019
ISBN9782898035968
Notre-Dame-des-Anges
Auteur

Émilie Rivard

Émilie Rivard est née à Québec en 1982 avec une incroyable envie de créer. Très tôt, c’est par l’écriture qu’elle s’exprime. En 2005, elle publie ainsi son premier roman jeunesse, Mon frère est un vampire. Suit la parution de plus de quatre-vingt romans et albums pour les 17 mois à 17 ans. Comme Émilie aime écrire tout ce qui s’écrit, elle a également créé des textes pour le théâtre, pour des magazines et pour la télévision.

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    Notre-Dame-des-Anges - Émilie Rivard

    unique.

    TOMBSTONE PILEDRIVER

    Prise du célèbre Undertaker. Le lutteur A retient le lutteur B par la taille, bien droit, la tête en bas. Le lutteur A se laisse ensuite tomber sur les genoux.

    Pour assommer quelqu’un, on ne fait guère mieux.

    — Allô Oli ! Je viens d’avoir un appel de ta tante Martine.

    J’ai bien vu son nom sur l’écran de mon téléphone cellulaire. J’ai bien reconnu aussi la voix de ma mère, sa voix de fumeuse qui n’a jamais allumé une clope de sa vie. Sa voix de dure de dure, de géante de cinq pieds. Pourtant, j’ai cru à un faux numéro. Martine. Martine qui ? Au lieu de lui poser la question, je retourne vers le petit pot de pudding au caramel écossais chimique que j’avais laissé sur le comptoir et j’en reprends une cuillérée. Que j’ai failli recracher directement sur la vaisselle fraîchement lavée par mon coloc.

    — Martine, la sœur de ton père. Ton père est mort.

    J’appuie mon dos contre le réfrigérateur, la poignée dans l’omoplate, l’aimant de statue de la Liberté dans une fesse. Devant moi, le nez croche de mon coloc Jean-Benoît se plisse et se fige en ce rictus interrogatif qui lui donne une allure de lutin maléfique. Je n’arrive pas trop à savoir quelle mimique façonne la mienne, de face. Je ne comprends pas exactement ce qui se passe en dedans, c’est donc difficile d’imaginer de quoi a l’air la façade. Mais une fois la sensation de vertige dissipée, je me rends compte que je ne sens pas grand-chose d’autre qu’une petite culpabilité de ne pas sentir grand-chose. Ma mère me transmet les détails à propos des funérailles, avant de me laisser digérer la nouvelle. Et le caramel écossais.

    Je résume mon appel déjà pas long à un Jean-Benoît d’abord silencieux. Quand il ouvre la bouche, c’est pour élever sa compassion à son plus haut niveau.

    — Ça aurait pris un esti de gros chou.

    — Veux-tu bien me dire ce que tu as mis dans ton thé, le troll ?

    — Quand tu m’as annoncé que ton père avait eu un accident mortel dans le bois, je me suis dit : « Hein ! Olivier a un père ? », puis « Ben oui, le cave ! Il est quand même pas né dans un… »

    — … Chou.

    — Un esti de gros chou.

    Trois jours plus tard, quand je m’assois dans le vieux bolide maternel, j’ai encore l’impression que ma carcasse sonnerait creux si on tapotait ma poitrine. Ma mère m’a proposé de m’accompagner aux funérailles. J’ai bien senti que ça lui tentait autant que de se faire faire un traitement de canal à froid par un génie du mal sur fond sonore de spectacle d’enfants qui ne font pas partie de sa descendance et qui faussent, comme tous les enfants du monde. Sauf ceux qui font partie de ta descendance.

    Je respecte sa réaction ; ma mère n’a rien à faire aux côtés de celui qui l’a laissée avec un mini sur les bras il y a tant d’années. Il n’était pas bien bon pour terminer ce qu’il commençait, paraît-il. Elle s’est débrouillée pour que le mini ne manque jamais de rien, elle a travaillé comme une folle, a pris une colocataire pour ne pas avoir à vendre la maison et aussi pour veiller sur la petite bouche à nourrir pendant son absence. Malgré le brio avec lequel elle a su se rebâtir une vie, je la comprends de se tenir à distance. Elle a essayé d’argumenter mollement. « C’est correct, Oli, je vais t’accompagner, tu sais, c’est juste une journée, j’en mourrai pas ! » Je l’ai convaincue que sa voiture pouvait très bien faire acte de présence à sa place. Son auto me donne des airs de clown parce qu’elle est bien trop petite pour ma carrure, mais c’est mieux que de faire du pouce. Tout le monde est content.

    Et voilà que je roule vers l’adresse qu’elle m’a communiquée. À Notre-Dame-du-Laus. Je ne sais même pas comment ça se prononce. Du lo ? Du la-us ? Du losse ? Veux-tu bien me dire ce qu’il faisait là, le générateur du spermatozoïde originel ? Aux dernières nouvelles, il habitait Matane. Mais cette information plutôt floue date de l’époque où j’apprenais à nouer une cravate pour mon bal de finissants. Un peu avant ça, il a apparemment été de passage dans le coin de Portneuf. Et j’ai cru comprendre qu’il avait migré vers le sud, à peu près au moment où on m’enseignait la séquence hivernale vitale suivante : zipper son manteau PUIS mettre ses mitaines. Il paraît qu’il s’arrangeait pour conserver un pied à Québec, entretenant ainsi l’illusion de garder contact avec son fils. Mais il ne m’a jamais téléphoné. C’est probablement mieux. Pour moi, ça revient à recevoir un appel du médecin accoucheur présent le jour de ma naissance qui m’invite à aller prendre une bière. Je ne peux pas dire que je sois entièrement réfractaire à l’idée, mais… à quoi bon ?

    Malgré tout, aller aux funérailles de mon ascendant me semble être la seule chose décente à faire. C’est une logique qui ne se remet pas en question. L’étiquette. Comme nouer convenablement sa cravate le jour de son bal des finissants ou zipper son habit de neige avant d’enfiler ses mitaines.

    La 40 ne m’a jamais paru aussi ennuyante. La radio joue du Daniel Lavoie. Je devrais changer de poste, mais je ne le fais pas. Je pense à revirer de bord à chaque pancarte de « Jette pas ta canne dans le fossé, innocent. » Anyway, veux-tu bien me dire pourquoi tu as une canne à jeter en plein milieu de la 40 ? Tu mangeais des bines frettes en conduisant ?

    Mais je finis chaque fois par remettre mon cerveau au neutre et à garder le cap.

    Pour être certain de ne pas laisser mon esprit s’égarer et m’empêcher de prendre une sortie par pur instinct de survie, j’accroche mon regard à une Subaru gris ciel triste qui roule à une cadence agréable et je la suis. Je me rends compte du ridicule de ma stratégie, alors qu’elle me fait faire fausse route dans le coin de Mirabel. La conductrice – entre 23 et 29 ans, un tatouage floral dans le cou – se gare devant un Tim Horton. Elle ne semble pas surprise de me voir arrêter mon véhicule à côté du sien. Le fait que je la traque jusqu’aux salles de toilette par contre… Son sourcillement me pousse à m’expliquer :

    — Ouin, tu m’as fait réaliser que j’avais envie moi aussi.

    Il y a vingt secondes, elle se disait « Tiens, c’est drôle ! Je pense que cette auto me suivait depuis un bout. » Peut-être même pas. Peut-être qu’elle se demandait simplement si elle avait laissé de la nourriture et de l’eau fraîche à son chat avant de partir. Maintenant, elle sent qu’elle se fera attaquer par un barbu roux de six pieds trois et de 300 livres. L’image de son minou Bobichon l’attendant pendant des semaines se glisse entre les scènes de film d’horreur qui traversent son esprit. Pauvre Bobichon.

    J’ai mis des années avant de comprendre la menace que je représente. Ça a pris une fille qui a accéléré, trop effrayée pour être subtile, un soir tard dans le coin de place d’Youville. Ça a pris mon commentaire de gros épais quand j’ai conté l’anecdote à Valérie : « Sérieux, j’ai-tu l’air d’un violeur ? » Et ça a pris la réponse de Val : « C’est pas comme si on pouvait vraiment risquer de vous faire confiance... »

    Elle se barricade dans la toilette, je me faufile dans l’autre. J’évacue mon café du matin, celui que j’aurais dû faire plus fort, vu l’heure crépusculaire à laquelle j’ai dû partir. Je prends soin de remonter ma fermeture éclair ; il ne manquerait plus que le gros gars louche se montre avec la bobette saillante ! Je me lave les mains ; le savon trop rose sent la gomme balloune. Je vais enterrer mon père en sentant la gomme Hubba Bubba. Bien coudon. Juste avant de sortir, je prends conscience que si ma porte et celle de la fille s’ouvrent en même temps, elle fera jaillir le poivre de Cayenne de sa sacoche. J’attends donc que les gonds de son côté grincent avant d’oser poser ma main sur la poignée. En patientant, je lis la feuille de vérification de la propreté. Un gros dix-sept secondes de passés. Je pianote ensuite sur mon téléphone. Je cherche le nom de la couleur de la Subaru de la fille. Ce serait probablement compromettant en cour, mais je le jure, monsieur le procureur, les noms de couleurs, c’est une vraie passion chez moi ! Blanc cristal nacré. Eh bien !

    Tout à coup, je réalise que la fille attend peut-être aussi que je sorte avant de partir. Hum… C’est complètement ridicule, on risque de passer la journée chacun dans son cabinet, causant un embouteillage monstre de gens aux vessies archi pleines qui s’amassent jusqu’au présentoir de tasses de voyage. Mais au moment où je me décide à quitter cette salle de toilette, mon téléphone vibre. C’est Jean-Be.

    — Allô !

    — Holà mon groux !

    Cette contraction de « gros » et de « roux », marque déposée par mon Jean-Be préféré, a cours depuis… que je suis gros et roux, je pense bien. Mon farfadet apporterait une nuance : « Tu es gros, mais c’est autant du muscle que du gras, dans le fond. Tu sais, t’es… aigre-doux. »

    — Tu travaillais pas aujourd’hui, toi ?

    — Yep !

    Je tends l’oreille pour attraper des parcelles de fond sonore. Un sifflet de train. Un bébé qui hurle. Une mère qui s’impatiente. Il est bel et bien à son poste au magasin de jouets Benjo, l’un de ses deux emplois.

    — Je voulais juste m’assurer que t’étais correct. T’es où, là ?

    — Pogné dans une toilette de Tim Horton.

    — Grosse job ?

    — Je t’expliquerai.

    — Et tu t’en vas où, déjà ? Oh ! Attends-moi deux secondes !

    Je l’entends annoncer à la ronde :

    — Tooooout le monde à bord ! Le train partira dans un instant ! Oui, fille, je sais que tu veux absolument monter dans le wagon rouge, mais y a pas de place, l’ami à lunettes est trop… grand !

    Jean-Be me revient.

    — Fait que tu vas où, donc ?

    — Notre-Dame-du-Lot ou du Laüs, je sais pas trop.

    — Pis c’est dans quel coin ?

    — Dans le coin de Notre-Dame-du-L’osti que c’est loin.

    — Ah ! OK. Faut que je parte, avant que le petit criss qui a défait l’étalage de Playmobil au grand complet et qui, pour une raison que j’essaierai pas de connaître, s’est gratté la fesse avec une figurine de chevalier réussisse à grimper dans le wagon de queue.

    — Oh ! Je pense que de mon côté, la fille de la toilette est sortie, je vais pouvoir partir.

    — Hein ?

    — Je t’expliquerai.

    — Brise pas de cœur, là, Don Juan !

    Je ne réponds pas. Nous savons très bien tous les deux qu’entre nous, c’est lui, le Casanova, malgré sa tête de farfadet.

    La fille à la Subaru blanc nacré quitte le comptoir, un café au format gigantesque à la main. Une chance qu’elle ne conduit pas une Mini Cooper, son breuvage aurait difficilement passé le cadre de la portière !

    Je n’avais pas l’intention de prendre quoi que ce soit pour me sustenter, cet arrêt étant plutôt le fruit du hasard. Ou de l’erreur du gars qui traque une fille sans le vouloir. C’est bien moi, ça ! Maintenant, je suis forcé de m’acheter un café pour ne pas sortir en même temps qu’elle. Je devrais aussi le boire ici, au risque de gruger la petite avance que j’avais planifiée. Parce qu’il paraît qu’arriver en retard aux funérailles de son père, c’est un peu mal vu.

    Je me

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