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Jusqu'à ce que la mort nous sépare
Jusqu'à ce que la mort nous sépare
Jusqu'à ce que la mort nous sépare
Livre électronique434 pages10 heures

Jusqu'à ce que la mort nous sépare

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À propos de ce livre électronique

Raphaël Poireaut, jeune barman parisien, n'est pas emballé quand sa tante Agathe l'invite à découvrir les trésors de l'Égypte antique lors d'une croisière sur le Nil. Voir des vieilles pierres avec de vieilles peaux – merci du cadeau. Il n'est donc pas surpris de constater que ces vacances commencent mal. Non seulement Raphaël se voit-il confronté à un bel Italien froid et hautain, mais en plus, dans une cabine située sur le même pont que la sienne, il tombe sur un touriste tué par un coup de couteau.

Le jeune Vénitien Stefano di Angeli s'est laissé entraîner en Égypte par sa meilleure amie Grazia. C'est ses premières vacances depuis six ans. Mais la première personne qu'il rencontre, un Français au boucles blondes et au visage d'ange, fait remonter des souvenirs douloureux de son passé. En plus, cette croisière sur le Nil démarre par la découverte d'un meurtre. Cazzo – le destin semble avoir une dent contre lui !

Pendant que la police égyptienne mène l'enquête sous la direction du colonel Al-Qaïb, Raphaël et Stefano se voient emportés par les événements… et par les sentiments naissants qui les rapprochent inexorablement. Vont-ils réussir à démêler le vrai du faux et trouver le meurtrier ? Vont-ils pouvoir résister longtemps à cette attraction mutuelle qui semble les submerger malgré eux ?

LangueFrançais
Date de sortie13 août 2021
ISBN9780463066881
Jusqu'à ce que la mort nous sépare
Auteur

Dieter Moitzi

Born in the early 70s, I grew up in a little village in Austria. At the age of 18, I moved to Vienna to get my master's degree in Political Sciences, French, and Spanish. Today, I'm living in Paris, France, with my boyfriend and work as a graphic designer. In my spare time, I write, read, cook fancy recipes, take photos, and as often as I can, I travel (Italy, Portugal, Morocco, Egypt, the UK, and many more places). My literary tastes are eclectic, ranging from fantasy, murder mysteries, and gay romances to dystopian novels, but I won't say no to poetry or a history book either. I'm more a hoodie/jeans/sneakers kind of guy than a suit-and-tie chap. So far, I've published two short-story collections, four poetry collections, and four novels (to find out more, please check out my author website). My first murder mystery novel "The Stuffed Coffin" has been released on January 6, 2019, and is available in English, German and French. It has won the French Gay Crime Fiction Award 2019 (Prix du roman policier / Prix du roman gay 2019). You can also find me on Rainbow Book Reviews, where I write book reviews under the pseudonym of ParisDude. Last but not least, together with my boyfriend I run the website Livres Gay (in French), where we review and discuss gay novels.

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    Aperçu du livre

    Jusqu'à ce que la mort nous sépare - Dieter Moitzi

    Jusqu’à ce que LA

    mort

    NOUS SÉPARE

    Dieter Moitzi

    Jusqu’à ce que la mort nous sépare

    Par Dieter Moitzi

    Couverture & mise en page Dieter Moitzi

    © Dieter Moitzi 2020

    Crédits photos : © Adobe Stock – Dieter Moitzi

    Printed by CreateSpace Independent Publishing Platform

    Pour contacter l’auteur

    dietermoitzi@gmail.com

    © All Rights Reserved Dieter Moitzi 2020

    Ceci est une œuvre de fiction. Les personnages et les entreprises évoqués dans ce livre n’existent que dans l’imagination de l’auteur. Si d’aventure quelqu’un croit remarquer quelque similitude que ce soit avec des personnages, commerces ou entreprises existants, l’auteur tient à souligner que c’est un pur hasard et non intentionnel. Les endroits, villes et sites touristiques décrits dans cet ouvrage existent bel et bien. L’auteur a pu les découvrir lors d’une croisière inoubliable sur le Nil entrepris en juin 2018 – bon nombre de photos sont d’ailleurs accessibles sur https://les-ptits-chats-en-goguette.com/category/egypt. L’auteur et son groupe ont été pris en charge par la merveilleuse et incroyable Ramya, guide touristique, qu’il tient à remercier pour ses visites instructives et son accueil amical et chaleureux. Bien entendu, l’auteur n’a pas pu retenir toutes les informations fournies. Toute erreur factuelle dans le présent récit est donc entièrement de sa faute.

    Chapitre 1

    Raphaël

    Petit inventaire. Un : je suis en vie, ce qui veut dire que l’avion ne s’est pas crashé. Bon point. Deux : je suis crevé comme pas permis. Moins bien, mais ça reste quand même dans les normes – je me couche rarement avant cette heure-ci.

    Trois : le lit. Attendez, je rebondis un coup pour voir. Okay ; le lit est pas mal. Ferme, sans être du béton armé, propre et pas trop vilain, malgré un style, euh… indéfinissable, dirons-nous. Un peu défraîchi et suranné, quoi, comme le reste du bateau.

    Ah, oui. Scoop. Je ne suis pas chez moi, dans mon lit. Non, je suis sur un bateau. Le Queen of Egypt, plus précisément. EN-FIN ! ai-je envie de soupirer. Ça fait des semaines que Tata ne me parle que de ça. Le Queen of Egypt par-ci, le Queen of Egypt par-là ; je n’en pouvais plus. Tata, quand elle a quelque chose dans la tête, est comme un disque rayé. Ça tourne, hop, ça recommence ; ça tourne, hop, ça recommence. À se taper la tête contre un mur.

    Enfin. En gros, tout va bien, donc. En vie, en vacances, couché sur un lit confortable. Mon corps entier gémit : Dodo ! En effet, un petit somme serait une bonne idée, genre une heure ou deux. Mine de rien, il n’est que quatre heures du matin, bordel.

    Mais je dois avoir les cellules grises en veille parce que mon cerveau ne veut rien savoir. Il préfère se fourvoyer dans des pensées tous azimuts, des souvenirs disparates, un peu à la vas-y-que-je-te-pousse. Même Jordan y fait une brève apparition. Très brève, car je m’empresse de l’en chasser vite fait, bien fait.

    Mais vous voyez à quel point je suis nase ? Parce que Jordan ! Franchement !

    De guerre lasse, je me relève deux heures plus tard. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas.

    J’ouvre les épais rideaux. Les premiers rayons de soleil tâtent le pays, hésitants, comme pour voir si le matin est mûr. Le grand parking vide sous ma fenêtre reste dans la pénombre. Un homme solitaire en pantalon noir et chemise blanche fume une cigarette sur la passerelle. Derrière lui, j’aperçois une berge pentue à la pelouse cramée. Plus haut, palmiers et bougainvillées camouflent la route par laquelle nous sommes arrivés.

    Je saute sous la douche en grommelant. Je ne suis pas du matin. Du tout. Et je ne suis pas bateau.

    Je me rhabille ensuite. Un short, une chemisette hawaïenne, des tongs.

    Avec mes doigts, je tente d’apprivoiser mes boucles. Peine perdue, bien sûr ; elles ne font jamais ce que je leur demande. Je finis par les rassembler en chignon à l’arrière de la tête. Tiens, ça vous apprendra. Avant de partir, je chope aussi mes affaires – lunettes de soleil, portable, bloc-notes et crayon.

    Je sors de la cabine et me mets en mode découverte. On dirait un gamin le premier jour de ses vacances d’été à Perpète-lès-oies. Ce qui n’a rien d’aberrant. Parce que vacances, bien sûr. Et parce que Perpète-lès-oies. Pour moi, en tout cas. Aller voir des vieilles pierres avec des vieilles peaux, merci du cadeau. Puis, malgré mon passeport qui prouve le contraire, je n’ai pas l’impression de pouvoir me prévaloir du qualificatif adulte. Pas souvent, en tout cas.

    L’épais tapis rouge du couloir absorbe le bruit de mes pas. Quelques appliques murales en forme de bougeoirs jettent une lumière blafarde.

    Juste avant l’escalier principal qui dessert tous les ponts, je tombe sur une porte battante. Elle mène à l’Amon-Rê Sun Deck. Le pont supérieur, sous une dénomination d’une originalité folle.

    Je pousse la porte. Et PLAF ! La chaleur ! La vache, il fait chaud ! Manquait plus que ça. Bien sûr, dans ce pays, au mois de juin, j’aurais peut-être dû m’y attendre. Mais le bateau est tellement sur-climatisé que j’ai oublié ce détail.

    Un étroit escalier monte en colimaçon devant moi. Je défais tous les boutons de ma chemisette avant d’attaquer les marches.

    Le pont supérieur est désert. Soulagement. Les vieux, ça sera pour plus tard. Des oiseaux piaillent mollement dans les arbres de la berge, les eaux du fleuve clapotent contre la coque du bateau. En face de l’escalier, j’aperçois un bar, encore drapé dans des ombres énigmatiques. À ma droite dorment des tables et des chaises, à ma gauche, quatre longues rangées de transats. Des deux côtés, des bâches parasol sont tendues au-dessus du pont.

    Bien sûr, je ne reste pas seul pour longtemps. Ce serait trop beau. Je suis encore en train de savourer le silence quand j’entends un bruit derrière moi.

    Je me retourne.

    En bas de l’escalier apparaît un homme d’une trentaine d’années. Il est maigre au point de paraître rachitique et porte des survêtements. Roses, s’il vous plaît. Chic, la couleur – on ne donne pas assez sa chance au rose. Le bonhomme lève un visage de petit souriceau vers moi : un peu gris, un peu craintif, un peu fouineur. Ses cheveux fins lui pendent tristement jusqu’aux épaules, comme des vermicelles mous.

    Nous nous dévisageons un instant, moi d’en haut, lui d’en bas. Finalement, nous nous sourions – la politesse l’exige –, et l’homme se met à gravir les marches.

    Je n’ai pas envie d’échanger les fadaises de circonstance, alors j’avance jusqu’au bastingage de l’autre côté du pont.

    Et enfin, la vue se dévoile.

    Putain !

    J’avoue, je prends une claque, quand même. Devant moi, en-dessous de moi, à droite, à gauche : le Nil.

    S’il vous plaît ! Le PUTAIN de NIL !

    Son bleu cobalt s’étend jusqu’à la rive opposée et coule langoureusement vers la mer lointaine dans un mouvement à peine perceptible. Le soleil levant teinte ses eaux de jaune orangé et met en relief les maisons basses en terre crue amassées tout le long du littoral. On dirait des blocs rectangulaires, empilés par endroits sur deux, trois étages. Les ombres dessinent de longues formes strictes sur les murs. Par-ci, par-là, des bâtiments blancs ou jaunes se détachent de cette agglutination de cubes : des mosquées. Les fins minarets qui les surplombent pointent fièrement vers le ciel. Le vert poussiéreux de quelques arbres et palmiers égaie un tant soit peu ce labyrinthe brunâtre. Derrière la ville, la brume de chaleur matinale enveloppe une chaîne de montagnes austères, rocheuses, désertiques, qui donne un air encore plus chimérique à ce paysage.

    Je me laisse tomber sur une chaise et prends une profonde respiration, cueilli comme un bleu, malgré moi.

    C’est l’Égypte. L’Égypte, là, devant mes yeux.

    Pu-tain. J’ai déjà vu des documentaires et des photos ; j’ai même voyagé au Maroc et en Tunisie. Mais tout ça n’est rien comparé à ce que je vois là – et ce que je vois là ressemble à un rêve sorti tout droit des contes des Mille et Une Nuits.

    Quand je pense à mon manque d’enthousiasme lorsque Tata m’a dit : Devine où je t’emmène en juin ? En ÉGYPTE ! Au lieu de dire : Merci, Tata, t’es la meilleure Tata du monde, j’ai fait la moue, imbécile ingrat que je suis. J’ai d’ailleurs continué à faire la moue – discrètement, j’entends – jusqu’il y a une minute. Heureusement qu’il faut plus pour l’impressionner, ma Tata.

    Je soupire d’aise. Les flots coulent lentement de gauche à droite, des reflets argentés dansent sur la surface. Deux vieux hommes enturbannés aux visages burinés passent au loin, à la dérive sur le fleuve, un filet de pêche traînant derrière leur barque. Leurs jalabiyas d’un blanc douteux flottent dans la petite brise matinale.

    Ils me saluent d’un signe de la main et rient avec le naturel des gens qui n’ont rien mais qui sont parfaitement heureux.

    Je reste longtemps scotché sur ma chaise pendant que la jeune journée éclot. Mon regard erre par-ci, divague par-là. Je me sens à la fois émerveillé et expectatif, comme un explorateur d’antan qui se demande quelles aventures l’attendent dans les jours qui viennent.

    Quand je réussis à détourner le regard, j’aperçois l’homme en survêts roses. Il prend des photos à la poupe du bateau.

    Je sors mon portable à mon tour et photographie le panorama. Le fleuve légendaire, les pêcheurs, les bateaux de croisière amarrés devant et derrière le nôtre, la rive d’en face. Les montagnes. Le ciel bleu pâle.

    Puis, je dégaine bloc-notes et crayon. Je remplis trois pages de ma façon rapide et concise. Mes croquis restent fragmentaires, comme d’habitude, mais j’ai l’impression d’avoir capté l’essentiel.

    Après avoir tout rangé dans les poches de mon short, je me relève. Le souriceau rose traîne toujours à la poupe. Je me dirige donc vers la proue. À cette heure-ci, elle doit être vide.

    Mais ce n’est pas le cas. Bien ma veine, ça. En approchant, je découvre un jeune homme accoudé au parapet.

    D’où il sort, celui-là ? Il a dormi sur place ou quoi ?

    Je scrute ses cheveux noirs, très courts derrière et sur les côtés, plus longs sur le dessus, coupés à la hipster. Sous son T-Shirt blanc, je devine une belle musculature. De son short sortent deux jambes bien galbées, bronzées et recouvertes de poils, que le soleil du matin transforme en fins fils dorés.

    Au moins, il est agréable à regarder. De derrière.

    Le jeune homme entend mon approche à pas feutrés ou sent mon regard. Il se retourne.

    Hel-lo, toi ! Mon cœur fait un salto arrière. J’en vois, des beaux mecs, dans mon boulot. Mais celui-ci est un spécimen de catégorie supérieure. Il a un visage de mannequin, carrément. Genre, le mec irréel qui sort tout droit des pages de Vogue Homme ou GQ. Traits virils, bouche sensuelle. Menton carré, nez romain, barbe de trois jours taillée au cordeau. Le front est dégagé, les cheveux, denses et coiffés vers l’arrière, tombent derrière l’oreille en une vague nonchalante, comme si ce mouvement leur était naturel.

    Hélas, mon enthousiasme immédiat n’est pas partagé. Du tout. Au contraire, le type réagit comme s’il voyait un monstre. Heureusement que le bastingage dans son dos l’en empêche, car sinon il reculerait et plongerait carrément dans le Nil.

    Ça fait du bien à l’amour-propre.

    Le bellâtre se reprend au dernier moment et me scrute de la tête aux pieds. Son regard froid s’arrête sur mon torse nu, et il fronce les sourcils drus mais parfaitement bien dessinés. Je remarque que tout son langage corporel exhale une distance et une aversion à peine dissimulées.

    En dépit de son hostilité, je murmure : Bonjour. Un peu fraîchement, peut-être, mais quand même. J’ai été élevé comme ça. Oui, j’ajoute Connard ! dans ma tête, parce que, allô, quoi.

    Le jeune homme répond par un hochement de tête. Une mèche noire lui tombe sur les yeux, il la remet en place. Il semble hésiter, puis me tourne le dos à nouveau.

    Okay, connard. Vas-y, patauge dans ton jus de boudin, je m’en fous. Je n’ai pas besoin de zommes, qu’ils soient beaux ou moches.

    Au bout d’une demi-heure, le soleil a entamé sa course à travers le ciel immaculé pour de bon ; la chaleur monte. Le hipster slash connard boude toujours dans son coin quand je me retire sur un transat ombragé. Notre rencontre a été peu plaisante, mais lui et le mec en rose déjouent mon pronostic initial, et c’est déjà ça. Nous sommes au moins trois sur ce bateau à contempler les soixante ans du côté gamin.

    Du revers de la main, j’essuie la sueur qui ruisselle sur mon torse et détrempe mes poils. Je constate qu’il fait soif. Tout à l’heure, j’ai mis une bouteille d’eau dans le frigo de ma cabine. Tiens, je vais aller la chercher. Il faut s’hydrater, comme dirait Tata. Elle parle plutôt d’apéro, d’accord, mais ça n’en fait pas une contre-vérité pour autant.

    L’homme en rose, lui aussi, en a assez vu, apparemment. Quand j’arrive en haut de l’escalier, il est en train de le descendre.

    Il m’attend en bas et me tient la porte.

    Merci, dis-je poliment.

    C’est beau, n’est-ce pas ? remarque-t-il d’un ton affable.

    Je lève la tête, surpris. Sa voix, d’un beau timbre grave, ne colle pas avec son physique chétif et sa petite tête de souris. Il fait un geste maniéré de la main. Le paysage, je veux dire. Les lumières.

    Automatiquement, je pense : Ah. Une copine. Très beau, oui, répliqué-je. Louxor, j’adore !

    Il ricane.

    Nous pénétrons dans le couloir. Une porte claque doucement devant nous. Dans la cabine en face de l’escalier, on s’agite déjà. J’entends une femme dire : … je crois qu’il a compris. Il t’emmerdera plus, gazou.

    Ha ! Gazou ! Je souris. Je n’aimerais pas qu’on m’appelle gazou, franchement.

    Nous passons devant d’autres cabines, desquelles sort vaguement le bruit de conversations, pas plus que des murmures, ainsi que le ruissellement des douches. Le bateau est en train de se réveiller. Une bonne odeur imprègne le couloir, un parfum pour hommes, boisé, cuiré, que j’ai l’impression de connaître. Le souriceau rose devant moi a dû s’asperger d’un flacon entier.

    À quelques portes de la mienne, le jeune homme s’arrête. À tout à l’heure, au petit déjeuner, dit-il, détendu.

    À tout à l’heure, répliqué-je. En le dépassant, je hume une odeur prononcée d’agrumes, très fraîche, très piquante. Ah. Le cuiré, ce n’est pas lui…

    Il tourne la clé et ouvre la porte. Mon chéri – ça y est, t’es réveillé ? demande-t-il avant d’entrer. La porte se referme derrière lui.

    Je ne me suis pas trompé. Mon chéri, non pas ma chérie. C’est une copine. Je note que je ne suis pas le seul homo, sur ce bateau.

    Je parcours les derniers mètres tout en fouillant dans les poches de mon short. Alors… portable… crayon… bloc-notes… Voyons voir. Qu’est-ce que j’ai foutu de mes clés ? Est-ce que je les ai prises ? Merde – je ne me suis quand même pas enfermé dehors… !

    Et là –

    Soudain –

    Un cri strident. AAAAAAAAAAHHHHHHH !

    Je sursaute, fais volte-face, contemple le couloir vide. C’était quoi ? C’était qui ? C’était où ? Qu’est-ce qu’on fait ?

    MON DIEU ! MICHEL !

    Michel ?

    Un mauvais pressentiment me noue les tripes.

    La porte du souriceau rose se rouvre avec fracas. Le souriceau en personne ressort de la cabine comme piqué par un scorpion. Les yeux exorbités, il marmonne : Michel… ô mon Dieu… à l’aide…

    Mes jambes réagissent, je me mets à courir vers lui.

    Le cri a dû alerter tout le monde. Les portes s’ouvrent une par une à mon passage.

    Tata, ma voisine de cabine, est la première à pointer sa tête dans le couloir. Elle a mis une petite robe kaki et ses vieilles babouches. Ses traits sont un peu fripés par le manque de sommeil. Raph ? C’est quoi, c’bordel ? m’interroge-t-elle.

    J’en sais rien, Tata, lancé-je sans m’arrêter.

    Mais qu’est-ce… ? Elle hésite, puis m’emboîte le pas.

    Trois Égyptiens en uniformes marron accourent depuis l’escalier principal. Deux autres employés en chemise blanche et pantalon noir apparaissent derrière eux.

    Je suis le premier à atteindre l’homme en rose. Le pauvre s’est affalé sur le tapis rouge, pile devant la porte ouverte. La tête entre les mains, il gémit sans cesse : Michel… ô, Michel…

    Vous permettez ? demandé-je en l’enjambant. Pas le temps de faire dans la délicatesse. Je pénètre dans la cabine, suivi de Tata.

    Heureusement qu’elle est là, d’ailleurs. Car sans elle, j’aurais peut-être piqué une crise de nerfs. Genre roulage par terre, cris, yeux exorbités et arrachage de cheveux.

    Et ce, pour cause. Regardée vite fait, la cabine ressemble à la mienne, à trois détails près. Un, les deux lits jumeaux, séparés dans ma cabine, ont été rapprochés pour former un lit double. Deux, là où ma cabine brille par une parfaite banalité au niveau des couleurs, celle-ci semble avoir été redécorée par Jackson Pollock. Récemment, en plus. Des éclaboussures rouges l’agrémentent, du sol au plafond, en giclées et dégoulinures sauvages.

    Enfin, trois. Le détail le plus différent, le détail qui tue, si j’ose dire. Sur le lit de droite se trouve le fameux Michel. Il est couché sur le ventre comme s’il dormait encore. C’est un homme bedonnant, chauve, d’une soixantaine d’années, encore en pyjama.

    Mais je vois tout de suite que le père Michel ne dort pas. Croyez-le, croyez-le pas, c’est lui qui est à l’origine des éclaboussures rouges. Pire, il gît dans une mare de sang, qui imbibe lentement les draps et le matelas.

    Je n’ai pas à chercher une explication, non plus.

    Dans son dos, côté cœur, est enfoncé –

    Un gros couteau.

    Chapitre 2

    Stefano

    Il a l’impression de vivre un rêve éveillé, comme s’il était en train d’entrapercevoir les choses à travers un voile. Bien sûr, il ne voit pas grand-chose ; il ne peut que deviner ce qui l’entoure. La nuit plonge tout dans un noir presque total, en plusieurs nuances. Le fleuve : noir aile de corbeau. Le ciel sans lune : noir de jais, avec quelques pâles étoiles qui semblent pulser d’une vie inquiétante. Et en face, une bande de terre entre noir réglisse et brou de noix : la rive.

    Puis, tout devient gris anthracite, par petites touches. Un anthracite uniforme qui se mue peu à peu en gris ardoise. Les premières couleurs se détachent lentement, toujours dans les gris : argile, bistre, châtaigne. Les premières formes apparaissent, des cubes, des tourelles, des palmiers. Se forment ensuite des teintes plus chaleureuses, ocres, jaunes, beiges, avec des petites touches vertes.

    Ces couleurs accompagnent le soleil qui se lève et commencent à le réchauffer, de l’extérieur comme de l’intérieur. Depuis tout petit, Stefano a été sensible aux couleurs.

    Mais il se sent toujours las. Las et mélancolique.

    Che cazzo sono ! pense-t-il. Quel con je suis ! C’est mes vacances ! Les premières depuis… depuis Guido. Et Guido, c’était il y a six ans.

    Six ans que Stefano n’a connu que le travail, le travail, le travail. Pour la boîte. Pour la famille. Six ans de travail non-stop pour oublier. En six ans, il a appris que le travail aseptisait les plaises, narcotisait l’esprit, anesthésiait les douleurs. Il a appris que le travail sans arrêt était épuisant. Ces vacances, il ne les a pas volées.

    Pourquoi, alors, est-ce qu’il se sent si mal, si seul, pas à sa place ? C’est la grande question.

    S’il se trouve ici, à la proue du bateau, c’est à cause de Grazia. Une fois le seuil de la cabine franchi, elle a jeté un coup d’œil sur son visage et a rouspété : Si tu continues à faire cette tête, tu vas nous gâcher les vacances ! Tu sais quoi ? Va te changer les idées et reviens quand t’auras retrouvé le sourire ! Avanti, stronzo !

    Avec ça, elle l’a poussé dehors.

    Elle a raison. Mais, porca miseria, parfois, elle n’est pas très compatissante. Parfois, elle est juste brutale.

    Puis, la réalité le rattrape, comme elle a l’habitude de le faire. Au début, Stefano ne se rend pas compte qu’il y a quelqu’un derrière lui. Mais à un moment, il sent un picotement dans le dos, comme si un regard essayait de transpercer le coton de son T-shirt.

    Il se retourne malgré lui. Et –

    Qu’est-ce…

    Qu’est-ce que c’est que ça ?

    Dio mio !

    Il manque de sauter par-dessus bord.

    C’est un fantôme. Il n’y a pas d’autre mot. Un fantôme venu le hanter.

    Et ce fantôme, il le reconnaît tout de suite. Les boucles blondes rassemblées en chignon dans la nuque. La silhouette svelte mais solide, comme une statue Renaissance. Le visage d’ange séducteur, d’une beauté impalpable. Le sourire hésitant.

    Encore que… Il y a quelque chose qui ne colle pas avec ses souvenirs : la franchise avec laquelle le fantôme le scrute et le met à nu, de la tête aux pieds.

    Stefano finit par se rendre compte que celui qui le dévisage avec candeur et intérêt n’est pas… ne peut pas être…

    Bien sûr que non. Pas Guido. Plus jamais Guido.

    Guido est mort et enterré.

    À force de fixer l’intrus, Stefano détecte enfin les différences. Le visage s’avère plus ciselé, moins fin, l’expression plus ouverte, du moins au début. Les yeux qui l’observent, avec étonnement d’abord, avec antagonisme ensuite, sont bleus, non pas gris acier. La lèvre supérieure est plus charnue et donne un trait à la fois voluptueux et innocent à la bouche. Puis, le torse est bien plus poilu. Joliment poilu, d’ailleurs. Même le corps a l’air différent, plus compact, plus musclé. Les avant-bras sont tatoués, plusieurs lanières en cuir entourent le poignet droit.

    Le jeune en face de lui lève les sourcils.

    Ça fait enfin réagir Stefano. Il s’apprête à s’excuser – son comportement est vraiment des plus impolis… Sauf qu’il ne trouve pas les mots.

    Le jeune blond dit froidement Bonjour, ce à quoi Stefano répond par un hochement de tête.

    Puis, il se retourne. Tant pis. Il aurait peut-être apprécié un peu de conversation, ne serait-ce que pour chasser ses vieux démons pour de bon. Oui, tant pis. Et tant pis qu’il passe pour un goujat. Il pourra rectifier le tir plus tard.

    Il contemple à nouveau les eaux du Nil. Si la vie pouvait couler aussi paisiblement que ce fleuve, pense-t-il, ce serait drôlement bien.

    Au bout d’un certain temps, Stefano redescend au Pont Toutankhamon. Il devrait peut-être réveiller Grazia, maintenant. Non qu’il ait retrouvé le sourire, mais c’est l’heure.

    Il pénètre dans le couloir et découvre que l’accès à sa cabine est obstrué. Les voisins de palier sont tous sortis de leurs cabines et se pressent devant la porte ouverte d’une cabine. Le couloir bruisse de murmures et de commentaires proférés à voix basse. Dans le tas, il découvre même plusieurs employés égyptiens.

    Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que c’est que ce foutoir ? se demande Stefano. Qu’est-ce qu’ils ont tous à regarder cette porte comme si… Santa Madonna ! Son sang ne fait qu’un tour. Est-ce que c’est chez nous ? Grazia ! pense-t-il, en panique. A-t-elle eu un accident ?

    Ah. Non. Il se rend compte que leur cabine se trouve de l’autre côté du couloir. Soulagé, il rejoint le groupe, se mettant sur la pointe des pieds pour voir ce qui se passe. Malgré lui, il se sent intrigué.

    Deux personnes finissent par se pointer sur le seuil de la cabine tant observée. Leurs traits sont tirés, comme s’ils venaient de voir une scène d’horreur. La première personne, une petite dame un peu rondelette, porte une robe kaki moulante et une paire de vieilles pantoufles en cuir. Belle femme, aux traits doux et inoffensifs, même si sa mine sérieuse montre une grande détermination.

    Derrière elle, Stefano reconnaît – le jeune homme blond. Le faux Guido aux boucles et au visage d’ange.

    Ça alors ! Il ne l’a même pas vu quitter le pont supérieur ! À contre-jour, les quelques boucles du blondinet qui se sont échappées de son chignon créent comme un halo autour de son visage, qui semble très pâle dans la lumière du couloir.

    La dame lève la main et lance d’une voix forte : Reculez, reculez ! On a un mort, dans la cabine, alors restez où vous êtes. Il faut pas détruire d’éventuelles traces !

    Qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce qu’elle raconte ? Un mort ? Dans la cabine ? Et quelles traces ?

    Instinctivement, Stefano fait le signe de la croix.

    Un des employés égyptiens, un jeune homme aux cheveux noirs et aux yeux brillants, avance vers la dame. Il bredouille en anglais : E-excuse me, Ma’am…

    La dame scrute son badge, puis l’interrompt en anglais : Hassan – sois gentil. Descends vite à la réception, mon garçon. Dis-leur de poster quelqu’un à la passerelle d’embarquement. Personne doit quitter le bateau. Puis, appelle la police !

    Mais…

    Exécution, jeune homme ! Allez, du nerf ! Elle agite la main devant son visage jusqu’à ce qu’il reparte en courant.

    Et vous, dit-elle en se tournant vers les autres. Ne restez pas là. Allez au bar où on nous a servi les sandwichs et les rafraîchissements, tout à l’heure. Elle ajoute en anglais à l’encontre des Égyptiens : Et vous, allez chercher les gens des autres cabines et amenez-les dans ce bar, s’il vous plaît. Son ton est celui d’un général commandant ses troupes.

    Elle fait penser Stefano à son père, de manière aussi claire que désagréable. Sans le vouloir, il murmure : Elle se prend pour qui, celle-là, à donner des ordres comme ça ?

    Malheureusement, la Générale, comme il a décidé de surnommer la petite dame rondelette, a l’ouïe fine. Elle toise Stefano d’un regard assassin. Ses cheveux mi-longs aux mèches grises tremblent d’indignation. C’était pas un ordre mais une suggestion de bon sens. La police va arriver, et pour leur faciliter le travail, on devrait tous se réunir au même endroit. Pas trop compliqué à comprendre, non ? Et maintenant, allez – ouste ! Elle fait un geste comme pour chasser des mouches.

    Telle est la force insoupçonnée de sa personnalité que tout le monde se disperse sans demander son reste. Même Stefano, car il doit reconnaître que la bonne femme a raison, malgré tout.

    Pendant qu’il se dirige vers l’escalier principal, il se demande ce que Grazia peut bien fabriquer. Il ne l’a pas vu dans le couloir, ce qui le surprend un peu – les gens ont fait du raffut, quand même. Ça aurait dû la réveiller. Perdu dans ses pensées, il ne s’attend pas à tomber nez à nez avec elle. Pourtant, c’est exactement ce qui lui arrive. En fait, elle tente de remonter l’escalier à contre-courant.

    Elle le voit et l’arrête en lui mettant une main sur le bras. Stefano ! Qu’est-ce que vous faites tous, là ?

    Il y a eu un mort, apparemment. Allez, tu peux pas monter pour l’instant. Viens avec moi.

    Grazia hausse les épaules et le suit. Confrontée à d’éventuels problèmes, elle a toujours eu le don de faire ça : hausser les épaules ; dire vedremo, on verra ; dire ogni giorno è abbastanza, à chaque jour suffit sa peine.

    Stefano soupire. Tu viens d’où, cara ?

    De la réception.

    Ah ?

    Oui, pour le Wifi.

    Je croyais que t’en voulais pas.

    Eh bien, j’ai changé d’avis.

    Comment ça se fait ?

    Simple. Quand je me suis réveillée, t’étais pas là. Donc, pendant une heure, j’ai été seule et coupée du monde. Complètement coupée, t’imagines ? Elle se secoue. C’était comme si j’étais morte. Che orrore !

    Au niveau du Pont Néfertiti – le premier étage, en quelque sorte – se trouve le bar du même nom. Le Néfertiti Bar. Il occupe la moitié avant du bateau. Cette nuit, après leur avoir donné les clés de leurs cabines, on a fait monter les arrivants ici pour leur servir une petite collation et une boisson froide aux fleurs d’hibiscus appelée karkadé. Stefano a posé la question à un serveur. Il aime bien savoir ces choses-là.

    Ce fameux Néfertiti Bar est, en fait, une grande et longue salle avec un zinc à droite de l’entrée. Le reste consiste en canapés et fauteuils aux tissus désuets, installés en carrés autour de tables basses. Au fond se trouve une petite piste de danse.

    La salle commence à se remplir quand Stefano et Grazia arrivent. Ils se mettent sur le côté droit. Tout le monde est resté debout et discute à voix basse.

    Qu’est-ce qui se passe ? demande un homme derrière Stefano. L’Italien veut se retourner pour répondre quand une femme dit : Quelqu’un est mort, paraît-il.

    Un autre homme s’en mêle : Quoi ? Mort ?

    Le premier homme : Un infarctus, je pense. Le cœur qui a lâché…

    La femme : Mon Dieu ! C’est la chaleur, je vous l’dis ! Quand j’ai ouvert la fenêtre, tout à l’heure, il faisait déjà une d’ces chaleurs, dehors ! Je suis sûre que c’est quelqu’un qui est monté, et Bim ! Le cœur a lâché !

    Stefano garde ses doutes pour lui. Il n’a vu personne, sur le pont supérieur, mis à part le jeune blondinet et un autre mec vêtu de rose, qu’il a aperçu brièvement. Les deux n’ont pas eu l’air de souffrir de la chaleur, puis il vient de revoir le jeune blondinet voilà quelques minutes. Il est donc encore vivant.

    À cet instant, trois personnes entrent : la Générale ; le jeune blondinet ; puis, entre les deux, le mec en survêts roses. Stefano constate avec soulagement qu’il est encore en vie, lui aussi. Enfin, en vie… là, on dirait qu’il ne tient plus debout tout seul. Les deux autres sont quasiment obligés de le porter.

    C’est surtout le jeune blond que Stefano scrute en toute discrétion. La ressemblance avec Guido l’intrigue toujours. Mais sous les néons du bar, les différences sautent clairement aux yeux. Il a honte de son moment de faiblesse de tout à l’heure. Il aurait vraiment dû se montrer plus avenant. Le jeune n’y peut rien s’il l’a confondu avec un fantôme du passé. Le regard de Stefano s’attarde sur le torse du jeune. Rien que la pilosité aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Guido avait deux poils qui se battaient en duel sur sa poitrine.

    Le jeune blond sent le scrutement intensif auquel son torse est soumis et décoche un regard noir à Stefano. Puis, il reboutonne sa chemisette d’une main, soustrayant ainsi sa jolie toison aux regards insistants.

    Lui et la Générale traînent l’autre homme jusqu’à une table à l’écart. Le mec en rose se laisse faire, complètement passif, pendant que la dame le contemple d’un air troublé. Ils s’installent sur un canapé.

    La Générale glisse quelque chose au jeune blond. Il l’écoute, hoche la tête et retraverse la foule sans regarder ni à droite, ni à gauche.

    Les quatre guides égyptiens débarquent enfin dans la salle. Trois femmes et un homme. Jamila, la guide qui s’occupe du groupe de Stefano, avance jusqu’au milieu de la salle et tape dans les mains en criant :

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