Les prémices d’une aube: Nouvelles
Par Richard Rizza
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dans ce recueil de nouvelles, Richard Rizza s’appuie sur ses personnages éparpillés à travers le monde pour évoquer aussi bien son évolution personnelle que ses questionnements sociétaux.
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Aperçu du livre
Les prémices d’une aube - Richard Rizza
Les prémices d’une aube
Nouvelles
ycRfQ7XCWLAnHKAUKxt--ZgA2Tk9nR5ITn66GuqoFd_3JKqp5G702Iw2GnZDhayPX8VaxIzTUfw7T8N2cM0E-uuVpP-H6n77mQdOvpH8GM70YSMgax3FqA4SEYHI6UDg_tU85i1ASbalg068-g© Lys Bleu Éditions – Richard Rizza
ISBN : 979-10-377-2878-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À toi, tout en haut, avec ta moustache et tes lunettes,
à qui je pense tous les jours…
À tous mes aimés.
À quoi ressemblent les pentes
de la croix rousse ?
1er septembre 2013
Aujourd’hui, c’est le grand jour. J’attendais ce premier jour de septembre comme on patiente chez le médecin. On a envie de le voir poindre à travers l’encadrement de la porte de sa salle d’attente en nous faisant un signe de la main, nous indiquant de le suivre mais on redoute aussi ce qu’il peut nous dire une fois dans son bureau.
Je suis assise à ma place, voiture no 3 place no 54, à destination de la capitale. Ou plus précisément, Paris-Marne la Vallée-Chessy-Disneyland. Et comme en salle d’attente, je me pose tout un tas de questions. Sauf que les néons fatigués et les murs blancs ont laissé leur place à des rayons de soleil musculeux et des champs à perte de vue. Mes yeux essaient de s’accrocher à un point fixe sur le paysage. En vain. Alors, ils dansent, virevoltent de gauche à droite et de droite à gauche. Mais même eux semblent perdus. Ils veulent tout regarder mais finissent par ne rien voir.
Soudain, sortie tout droit des haut-parleurs de mon wagon, la voix nasillarde annonce « Avignon TGV » et fait sursauter mon rêveur de voisin. Déjà une demi-heure que nous avons quitté Aix-en-Provence. J’ai besoin d’occuper mon cerveau. Je serais totalement capable de ne rien faire et de me laisser absorber par l’horizon irrégulier qui se dessine entre deux vallons, par les couleurs estivales des villages ocre, par les étendues vertes donnant lieu à un spectacle saisissant. Mais pas aujourd’hui. Il me faut une occupation bien concrète, quelque chose qui me fasse oublier l’extérieur le temps de mon voyage. Une activité qui puisse solliciter mes pensées de manière active. Je parcours la liste des films sur mon disque dur. « Un film comique de préférence … », me dis-je en faisant bouger mes lèvres sans qu’aucun son ne sorte de ma bouche. OSS 117 : Le Caire, nid d’espions. Une comédie que je connais par cœur et que je regarde depuis des années, rien de mieux pour me rassurer en ce jour qui, je le sais, ouvre une période sans repères. Au bout de dix minutes à peine, je lutte pour que mon regard se pose définitivement sur la lumière bleutée de mon ordinateur. Ma concentration est aussi résistante qu’un flocon de neige sous le soleil de ma Méditerranée natale. Drapeau blanc. À mesure que la campagne française s’étire et défile devant moi, je laisse alors mon esprit divaguer. Je me donne ainsi tout entière à celui qui m’emmène si souvent où il le désire.
***
« Ça y est, enfin ! Avec mention en plus ! » Avec de grands yeux écarquillés et un large sourire laissant apparaître ses dents blanches, Gianni restait prostré devant le tableau affichant les résultats. Cela faisait cinq bonnes minutes qu’il était là, à cinquante centimètres de son nom accolé à l’inscription « Série ES, admis, mention assez bien ». Comme s’il n’y croyait pas, il parcourait à nouveau la liste des admis à l’examen, effleurant de son doigt le patronyme de ses camarades, jusqu’à tomber sur le sien : « Visconti Gianni ». Un énième coup d’œil à droite de la feuille et son expression – une incrédulité doublée d’une joie intense pouvait se lire à des kilomètres. Trois pas en retrait, j’observais ce spectacle, sourire en coin. J’étais incapable de dire ce qui me rendait la plus heureuse : avoir eu mon bac ou bien le voir dans cet état d’extase. Après avoir croisé le regard de tout le monde en criant tout en se pointant du doigt : « mention assez bien ! », Gianni se décida à me rejoindre et me prit dans ses bras. Si je savais très bien ce que représentait l’obtention du bac pour lui, je ne parvenais pas à me réjouir à l’idée de voir mon propre nom inscrit sur les feuilles punaisées d’un tableau en liège. Au-delà du fait de réussir à un examen qui tendait les bras à la majorité d’entre nous, ce diplôme signifiait pour moi la fin. La fin du lycée, la fin de mes amitiés, la fin des plages après les cours, la fin de l’insouciance, la fin de beaucoup trop de choses auxquelles il me paraissait impossible de renoncer. Mais ce goût amer dans ma bouche n’était partagé par personne dans mon entourage et sonnait même comme le début de la liberté pour Gianni. Faisant fi de mes réflexions quelque peu négatives, je m’attachai alors à recevoir la joie communicative de celui que je surnommais Conti.
« Comme d’hab, tu t’en sors mieux que moi avec ta mention bien ! me fit-il remarquer.
En guise de réponse, j’écartai les bras et plissai mes lèvres, sourire en coin et sourcils relevés, ne sachant trop quoi dire. En ce début juillet, la boule jaune de mon sud chéri nous tapait sans ambages mais une brise marine bienvenue l’accompagnait, adoucissant nos épidermes et faisant danser les palmiers du lycée du Golfe de Saint-Tropez.
— Faut aller fêter ça dès maintenant, Jade ! »
Gianni, du haut de ses 19 ans après avoir redoublé sa sixième, avait son permis et disposait de l’incroyable privilège du volant. Celui qui détient le pouvoir d’amener ses passagers où bon lui semble, peu importe les réticences de ses compagnons de trajet. Je pris alors place dans sa Twingo d’un autre temps pour m’apercevoir que nous prenions la direction de la plage. Je n’en étais pas totalement consciente, mais je vivais là mes dernières semaines de pur bonheur, celui dont on se souvient encore bien des années plus tard.
***
« Lyon Saint-Exupéry ! » La voix nasillarde me fait sortir de mes pensées. Ces souvenirs sépia invoqués à la bougie ne datent que de deux mois. J’ai pourtant l’impression qu’une vie s’est écoulée depuis. Au-dehors, la pluie s’est invitée sans rien demander. Même le soleil m’a vulgairement lâchée. Je comptais pourtant sur lui pour me tenir la main aujourd’hui. Le TGV, sûr de lui, beaucoup plus que moi, avance à 300 km/h. Aussi vite que les idées qui tourbillonnent dans ma tête. Sauf que le train, lui, progresse, irrémédiablement, sans se poser de questions. Constat étonnant d’avoir fait le bon choix, mais de ne pas en être satisfaite pour autant. Pour éviter de gamberger, je décide d’adopter une technique différente et choisis l’option lecture. On n’est jamais déçu par un livre. Les livres ont ce pouvoir magique de vous ouvrir grand leurs bras et de vous entraîner dans un univers que vous pouvez personnaliser à votre guise. Le monde de l’instant T ne me convenant pas, il me faut en créer un de toutes pièces pour le restant de mon trajet. J’ai apporté une douzaine de bouquins, ceux dont il m’était impossible de me séparer. Parmi eux, trois œuvres de Jack London. J’opte pour l’exotique « Contes des mers du Sud », avec le doux espoir de traverser le globe pour me retrouver dans les eaux chaudes du Pacifique.
La plume puissante et aventurière du grand écrivain a le don de me transporter. Sacré exploit au vu des circonstances actuelles. Je navigue sur le Snark, le Pacifique Sud me berce et les alizés me mènent des Îles de la Société à la Mélanésie en passant par Samoa. J’oublie un temps ce qui m’attend dès ma descente du train. Je ne veux pas y penser. Je préfère me perdre sur ma goélette, tirer des bords avec Jack London et me prendre pour un amiral. J’ai d’ailleurs récemment appris que le mot amiral provient de l’arabe emir al bahr, qui signifie « souverain de la mer ». Comme si les hommes pouvaient gouverner et dominer les océans… Ces derniers font toujours ce que bon leur semble ! Ma Grande Bleue, elle qui m’a accompagnée tous les jours de ma vie jusqu’à aujourd’hui, en est un exemple. Une sortie en mer sans être préparé et c’est la faillite assurée. Elle ne pardonne rien. Et pourtant, la Méditerranée n’est pas réputée pour être la plus indomptable des mers, loin de là…
À force de digresser de la sorte, je ne m’étais pas aperçue qu’on avait passé la Bourgogne, ses grands crus et ses collines du Morvan.