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Avant de partir: Roman
Avant de partir: Roman
Avant de partir: Roman
Livre électronique199 pages2 heures

Avant de partir: Roman

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À propos de ce livre électronique

« Je me souviens de mon professeur de philo qui nous mettait en garde contre les dangers du relativisme : il fallait éviter d’y « sombrer ». Aujourd’hui, je lui pardonne. Je pense que Monsieur Lutaplaz ne s’est jamais bronzé le cul sur une plage déserte de l’archipel de Wakatobi en méditant les textes de ses maîtres anciens. »
Laurent, lui, n’a jamais été un grand philosophe. Pourtant, quelques mois de voyages en compagnie des bonnes personnes suffisent parfois à poser un regard nouveau sur le monde qui nous entoure.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marc Rebetez est né en 1988 au coeur des montagnes valaisannes, à Sion. Expatrié à Neuchâtel où il suit des études de Lettres, il entrecoupe ces dernières de nombreuses vadrouilles plus ou moins lointaines. L’écriture lui apparaît depuis peu comme le seul moyen de voyager à l’oeil, lui permettant de recréer avec délice certaines atmosphères rencontrées sur la route. Dans le monde réel, il enseigne au centre professionnel du littoral neuchâtelois.
LangueFrançais
Date de sortie16 mars 2020
ISBN9782889491391
Avant de partir: Roman

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    Aperçu du livre

    Avant de partir - Marc Rebetez

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    Marc Rebetez

    Avant de partir

    « Y a que les routes qui sont belles

    Et peu importe où elles nous mènent. »

    J.J.G.

    « J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles

    Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :

    – Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,

    Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ? »

    A.R.

    « Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin. »

    F.M.A.

    Laurent

    J’ai abandonné depuis longtemps : inutile d’essayer de comprendre ce qu’il se passe sur le petit écran à une dizaine de mètres de moi. De toute façon, au vu des goûts du coin, il s’agit soit d’une histoire à l’eau de rose, soit d’un film de baston. Non seulement des types n’arrêtent pas de s’agglutiner entre le téléviseur et mon siège, mais en plus la bande-son du film est quasi intégralement recouverte par du reggaeton qui tourne en boucle. En plus il fait chaud, et humide, et chaud surtout. Mon t-shirt détrempé colle à mon dossier. Pour couronner le tout, des effluves de poulet frit m’agressent constamment. Au moins, elles ont l’avantage de prendre le dessus sur l’odeur âcre de transpiration produite par la cinquantaine de personnes entassées dans cet autobus. Des fois, il y a des jours comme ça, tu en as juste marre. Marre de l’inconfort quotidien, des heures, voire des journées entières passées dans des transports en commun. Marre d’être sale, marre du pays que tu visites, marre de ton pote, marre de tout.

    Ma tête bascule, mon regard croise celui de Zian. Ses yeux m’interrogent, je lui réponds par un soupir appuyé et mime le geste de me tirer une balle dans la tête. Il se marre, puis me demande si je sais où on en est. Qu’est-ce que tu veux que je lui réponde ? « On traverse actuellement le sud du Nicaragua dans un tacot qui flirte avec les trente kilomètres à l’heure. » Je ravale mon sarcasme et fais un effort de mémoire pour ressortir le nom de la dernière ville traversée : « Masada » ? « Masaya » ? Je ne sais plus bien. Ne pas prêter attention à la toponymie des lieux que tu traverses est généralement un signe plutôt inquiétant. Mais à cet instant, peut-être un peu naïvement, je me suis pardonné cette marque de dédain en la classant dans la catégorie des effets secondaires de mon coup de blues passager.

    Perdu dans ses calculs, Zian murmure qu’il doit bien rester trois ou quatre heures mais que ça va « peut-être » vite passer. Pour sublimer toute son ironie, notre voisine du siège de devant, qui était pâle depuis un bon moment, vomit dans une gerbe immense ; je serre les dents. Au cocktail d’odeurs déjà présent dans le bus vient s’ajouter la pire de toutes : le doux fumet du dégueulis. J’ai envie de pleurer. Je rabats mon capuchon sur mes yeux, mets en place mes écouteurs, et me laisse bercer par les mélodies au combien réconfortantes de Simon and Garfunkel. Parfois, ça ne sert à rien de lutter contre le désenchantement à grands coups de chansons motivantes et rythmées. Dans ces cas-là, mieux vaut se pelotonner dans un drap de mélancolie pour tenter d’en ressortir plus tard.

    « Hello darkness, my old friend,

    I’ve come to talk with you again,

    Because a vision softly creeping,

    Left its seeds while I was sleeping,

    And the vision that was planted in my brain

    Still remains

    Within the sound of silence »

    L’excitation tangible qui gronde dans l’autobus me tire de mon sommeil. Dehors, la nuit est tombée. Par la fenêtre embuée, je perçois des halos de lumières qui défilent, signe que nous venons d’entrer dans une ville. Je me tourne vers Zian, il est en train de s’adresser à un gars debout à ses côtés pour lui demander si on est arrivé à Léon ; la réponse est affirmative.

    Finalement ! Ce trajet reliant San Jose à la capitale culturelle du Nicaragua ne me laissera pas un souvenir impérissable. Heureusement, on y est. Là, tout de suite, ce qui est un peu moins cool, c’est que l’on s’aperçoit que le ciel est en train de s’effondrer sur la ville. Des litres d’eau tambourinent sur les toits puis s’accumulent sur la chaussée. Quitter le relatif confort du bus pour aller se faire agresser par des taximen en tout genre dans une gare routière n’est pas vraiment mon moment préféré de la journée. Alors, le faire sous la flotte et dans la nuit… Un regard vers Zian me confirme que l’on va s’en tenir à notre plan d’action habituel.

    Notre tactique est plutôt simple mais diablement efficace : primo, dès qu’on sort du bus, à nous de tout faire pour garder nos sacs bien ancrés sur nos dos. Un instant d’inattention, et quelques secondes plus tard un quidam sans scrupule pourrait s’en emparer et les jeter dans le coffre d’un ami taximan. S’ensuivent alors généralement de longues négociations pour arriver à se mettre d’accord sur un prix vaguement correct. Deuxio, tenter de baragouiner quelques mots d’espagnol avec le sourire, en espérant ainsi faire comprendre aux curieux que nous avons plutôt l’habitude de ce genre de situations, et que nous savons où et comment nous allons joindre notre destination finale. Tertio, repérer la sortie de la gare routière en suivant les locaux, marcher la tête bien droite en ne montrant aucune hésitation et enfin tenter de trouver un taxi dans une rue parallèle. D’expérience, c’est en procédant ainsi que nous avons la meilleure chance d’obtenir un tarif « local ».

    Ça, c’est dans la théorie. À peine sorti, Zian se rend compte qu’il a oublié son livre sur un siège, il me demande de surveiller son sac pendant qu’il court récupérer son bouquin. Trois gaillards s’approchent de moi. Alors que le premier m’apostrophe et que je me retourne pour lui parler, les deux autres s’emparent du bagage de Zian. Je me retourne et ne peux que constater ma naïveté. Les deux se fendent d’un énorme sourire et m’expliquent qu’ils possèdent des taxis, et que ça tombe bien, ils sont garés juste là. J’en peux plus, je n’en peux vraiment putain de plus. Je suis partagé entre l’envie de les étriper et celle d’abdiquer et de tout faire pour être au sec le plus vite possible. La fatigue l’emporte. De guerre lasse, je me laisse convaincre et commence à les suivre. Zian arrive, il me traite de loser en s’esclaffant. Je ne sais pas si je le hais ou si je l’adore, mais à cet instant, je ne peux pas m’empêcher de sourire. Il n’y a rien pour ma défense, je suis encore loin de posséder les réflexes nécessaires qui m’éviteraient de tomber systématiquement dans tous les pièges à touristes. Avant d’embarquer, plus par rhétorique que par réelle conviction, nous demandons au chauffeur combien va nous coûter le trajet pour se rendre à la tortuga loca, un hospedaje¹ que nous avons repéré sur le site du Lonely Planet. Il me répond en riant de ne pas m’inquiéter, que ça ne va pas dépasser cent cordobas. Nous nous regardons tous les deux, incrédules. Le total représente à peu près trois dollars, je m’attendais à en débourser facilement le triple. Vamos ! Il y a des surprises comme ça : un petit quelque chose contribue à te redonner la pêche. Rencontrer des gens sympas quand tu ne l’es pas toi-même fait partie de ces moments où le sourire s’impose. Dix minutes plus tard, Engel nous dépose en face de ce qui semble être notre hostel. Après une franche poignée de main, nous poussons la porte grillagée et entrons dans la tortuga loca.

    Comme d’habitude, nous n’avions pas pris la peine de réserver, mais comme d’habitude, ou presque, la chance nous sourit : il reste deux places dans le grand dortoir. Soulagés d’apprendre que nous n’allons pas devoir parcourir la ville pour trouver un plan B, nous signons pour les deux places vacantes avant même de demander le prix de la nuitée. Après une douche réparatrice et quelques mots échangés avec les autres voyageurs de passage, nous nous retrouvons dans le patio. Des plafonds hauts soutenus par d’élégantes colonnettes en bois, des murs aux couleurs chantantes, une cour intérieure dans laquelle s’épanouissent des plantes tropicales, des hamacs de tous types et de toutes formes qui s’étirent un peu partout : l’espace commun ne manque décidément pas de charme. En début de soirée, nous nous affalons sur les canapés de la pièce principale. Pendant que Zian va chercher une grande Tona que nous nous partagerons dans deux petites chopes, je remarque l’imposante carte du monde qui se trouve derrière moi. J’ai toujours été sensible aux atlas, les dimensions titanesques et la qualité de celui-ci m’impressionnent. Nul doute que cette fresque a déjà dû alimenter bien des discussions sans fin. Un « santé » guttural me fait sursauter. Je me retourne et découvre avec plaisir Zian qui amène deux verres de bière. Avant qu’il ne dise quoi que ce soit, je tiens à m’expliquer.

    – Écoute je suis désolé si j’ai un peu eu une attitude de chiotte aujourd’hui. C’est cette saison des pluies, on nous avait tellement promis qu’on ne la remarquerait même pas, que ce serait que quelques averses en fin d’après-midi. Mais là après quatre jours de flotte consécutifs, je n’en pouvais juste plus. Alors en plus ce trajet en bus, c’était vraiment la goutte d’eau !

    Un sourire en coins vient illuminer le visage de mon ami. À deux doigts d’éclater de rire, il me réplique que malgré mes figures de style boiteuses, il m’aime bien quand même. Et que par ailleurs, la scène où mon visage s’est décomposé après que la fille devant nous ait commencé à vomir valait son pesant d’or ! C’est exactement pour ça que j’ai autant de plaisir à voyager avec lui. Peu importe ce à quoi nous serons confrontés, il semble toujours parvenir à relativiser.

    – N’empêche, ajoute-t-il, tu as raison sur un point. Toute cette pluie, ce n’est pas exactement ce pour quoi on a signé en venant au Nicaragua… Ça risque même de pas mal contrarier nos plans de balades sur les volcans. Et si c’est comme ça ici, on doit peut-être s’attendre à ce que ce soit pire dans les montagnes du Nord.

    – Mouais, je ne sais pas, peut-être qu’il faut aussi apprendre à être patient, on n’a aucune raison de tirer un sprint, on peut peut-être s’adapter.

    Ma phrase reste en suspens. Je remarque que depuis quelques instants, notre attention à tous les deux n’est plus vraiment centrée sur notre discussion, mais se fait peu à peu envouter par l’énorme représentation du globe qui trône derrière le canapé. Mes yeux s’écarquillent, une idée vient de faire son nid dans un tréfonds de ma cervelle. Impossible de la retenir, alors autant la jeter sur la table :

    – Toi, en fait, t’as encore beaucoup de fric sur ton compte ?

    Première partie

    Mia

    Avant de partir, tout est abstrait. On essaye d’anticiper ce qui va se passer, d’imaginer nos premières heures, nos premiers jours, nos premières rencontres. Étrangement, toutes ces images rayonnent. Je ne sais pas trop comment l’expliquer, mais les scènes qui défilent dans ma tête semblent peintes à l’aquarelle : tout y est lumineux et doux. Pour les transcender, j’attache une importance toute particulière aux morceaux que j’écoute. Non seulement ceux-ci ont le pouvoir de m’emmener plus loin dans mes fantasmes, mais je sais d’expérience que les quelques chansons que je sélectionne aujourd’hui feront partie de ma routine pour les mois à venir.

    Si je venais d’un autre pays, je pourrais vous dire que le grésillement du haut-parleur annonçant l’arrivée du train en gare vient interrompre mes réflexions. Je trouve l’image jolie et elle dépeint ce moment avec un certain romantisme. Mais, je ne viens pas d’un autre pays, je viens de Suisse. Le haut-parleur de la gare d’Aigle est parfaitement réglé ; l’annonce résonne dans un son cristallin, quoiqu’un peu robotique. Elle m’arrache à cet univers imaginaire qui me rattrape de plus en plus depuis que j’ai décidé de partir seule, encore une fois. Avant de monter dans le wagon, je regarde le quai désert baigné d’une lumière de fin de journée. Derrière lui trônent ces montagnes qui vont bientôt me manquer. Tout est calme, tout est beau, tout est propre. J’aime mon coin de pays. Je sais depuis longtemps que ce n’est pas de ce côté qu’il faut chercher pour tenter de comprendre ce besoin qui me pousse, année après année, à partir à la découverte de pays lointains. Je monte, m’assieds du côté gauche du train – condition sine qua non pour pouvoir plus tard admirer au mieux les rives du Léman –, et repositionne mes écouteurs. Cette chanson de Broken Back m’envoûte déjà ; des fois tu choisis des morceaux, d’autres fois t’as plutôt l’impression que c’est l’inverse.

    « We are the young souls and proud to be so, every day,

    Tell them we are, tell them we are,

    We’re on the way »

    Pourtant, malgré l’adrénaline du départ, je ne suis pas certaine de savoir ce que je fais ici. À bientôt trente ans la tentation est grande de se laisser glisser dans un rythme de vie qui ne laisse que peu de place aux impulsions romantiques et à toutes les merveilles qui en résultent. Quitter mon job de RH chez Nestlé n’a pas vraiment été un crève-cœur, je crois même que j’attendais depuis plusieurs mois une bonne excuse pour fuir cette pieuvre qui chaque jour m’étouffait un peu plus. Depuis j’ai l’impression que beaucoup de monde me vantent constamment les bienfaits d’une vie rangée. Bon, honnêtement, je m’en fiche pas mal des considérations de la plupart des gens. J’aurais même plutôt tendance à les voir comme une incitation à faire l’opposé de ce que l’on attend de moi. Mais il y a les autres, mes amis, ma famille, et Gilles, surtout Gilles. Je sais que je l’aime et que c’est réciproque. Mais je sais aussi que ses sentiments ne sont fidèles qu’à une certaine image qu’il a de moi, et que ses yeux pétillent davantage lorsque je me réalise complètement. Voilà l’un des grands paradoxes de notre couple ; pour maintenir nos sentiments sur une pente ascendante, il faut que nous puissions nous émerveiller de la ténacité de notre conjoint à voir ses rêves devenir réalité. Et dans mon cas, le rêve qui m’obsède depuis quelques mois, c’est de repartir. D’abord en Indonésie, et après on verra.

    « A thousand miles away

    We’ve traveled to, so far to play,

    We’ve put our fears aside »

    Cette chanson résonne dans ma tête : elle me pousse vers l’avant au même rythme que l’interregio avale les kilomètres. Par la fenêtre, le lac Léman a déjà sa teinte bleu nuit. Des vaguelettes rajoutent à sa prestance. Je me réjouis tellement de retrouver l’immensité de l’océan. Les grandes forces de la nature m’ont toujours envoutées ; si j’ai été sous l’emprise de la montagne d’aussi loin que je puisse m’en souvenir, je dois bien admettre que

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