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Les Incognitos: Tome I : Le Traquenard
Les Incognitos: Tome I : Le Traquenard
Les Incognitos: Tome I : Le Traquenard
Livre électronique489 pages6 heures

Les Incognitos: Tome I : Le Traquenard

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À propos de ce livre électronique

Thaélis rencontre un bel instructeur, agent secret et chargé de multiples missions. Ils commencent à faire équipe mais la Belle jeune fille va être kidnappée. S’en suit une traque de longues semaines à l’autre bout du monde.
LangueFrançais
Date de sortie16 août 2019
ISBN9782312067612
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    Aperçu du livre

    Les Incognitos - Charline Martinez

    cover.jpg

    Les Incognitos

    Charline Martinez

    Les Incognitos

    Tome I : Le Traquenard

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2019

    ISBN : 978-2-312-06761-2

    Préface

    Je viens tout juste de terminer la lecture de « Le Traquenard » de Charline Martinez. Bien qu’il s’agisse d’un premier roman, je dois dire que je ne l’ai pas « lâché » et l’ai lu d’une traite ; l’écriture est vive et rythmée, le récit tant par sa forme que par son fond fait preuve d’une belle originalité.

    Ce roman est de « son temps » dans sa thématique et dans son procédé d’écriture. Par exemple sa vision du futur est bien celle d’un jeune auteur, la composition tout en ellipse et alternant différentes techniques de récit emprunte une forme cinématographique et diversifiée.

    On l’aura compris : j’ai beaucoup apprécié cet ouvrage.

    Je forme des vœux pour qu’il puisse rencontrer un lectorat nombreux et large. Pour cela bien sûr, il doit être publié. Pour cela il faut l’audace d’une maison d’édition. Certaines l’ont eue avec raison. Je pense au premier roman de Edouard Louis. Au regard du succès remporté, je ne pense pas que le « Seuil » aie regretté son choix. Voilà donc ce que je souhaite au « Traquenard » et à sa jeune « écrivaine »…

    André Fornier (Mai 2016)

    Avant-propos

    Et comme le disait Joseph Fort Newton : « Les gens se sentent seuls parce qu’ils construisent des murs, au lieu de construire des ponts ». Alors mon jeune frère, je te prie d’accepter ce présent cadeau, qui porte le trésor de la famille et de la fraternité.

    Le tumulte

    Bonjour,

    Je suis née un lundi de Novembre, l’année suivant 2020. Ma mère s’appelle Handje, mon père Marco et mon petit frère porte le magnifique prénom de Ludovic. Ensemble, ils forment une si belle famille. Oui, je dis « ils » car depuis quelques temps, je ne vis plus avec eux. Les événements actuels nous ont arrachés les uns aux autres. Et c’est aujourd’hui le cœur serré que je poursuis ma route en leur absence. Le lieu de ma naissance n’a pas d’importance, la date et l’année non plus. Mais la météo, si. Je suis née à l’instant même où sous un soleil rayonnant, le premier flocon de neige tomba sur le bitume. Et c’est depuis ce jour que j’ai ressenti ma différence.

    « Elle est semblable au printemps et à l’hiver, incarnant toujours ce mélange de sensibilité et de froideur » Se plaisait à dire ma mère.

    J’habite un monde révolutionnaire. Un monde où policiers et brigands, juges et pénitenciers dînent ensemble. Un monde qui tourne à l’envers et l’envers de ce monde n’est que calvaire. J’habite là, au milieu de nulle part, une grande baraque en brique située au cœur d’une ruelle paisible. La chambre à l’étage est occupée par Melvin, mon cousin. Celles du rez-de-chaussé nous sont réservées, ma cousine et moi. Loana a huit ans seulement. Petite, blonde et chipie, ses yeux bleus foncés ont de quoi surprendre le passant, tout comme ses belles anglaises en mèches sur son front. Nos dix années d’écart se soldent souvent par des après-midis agréables, à mettre du vernis à ongle et à jouer aux poupées. De nature sportive et de caractère plutôt dynamique, ces moments ne sont bien sûr pas mes préférés. Mais qu’importe. J’aurai tout donné pour contempler une fois de plus ce sourire angélique sur les pommettes rosées de Loana. Une voix glaciale retentit.

    Madame, Monsieur,

    L’heure est grave ce matin. À Paris, le leader banquier Chinois vient d’être attaqué par les Webpowers. Le message divulgué est clair : « Les injustices monétaires doivent cesser ». Par sécurité, toutes les institutions publiques de la capitale ont été fermées. Les forces de l’ordre ont d’ores et déjà mis en place des barrages, contrôlant ainsi les flux de population. Seuls les services d’états, à savoir police, armée, pompiers et dérogations particulières sont autorisés à circuler. Le pays prononce en ce moment même des appels à l’aide internationale se disant « désemparé » et « sans voix » face à « une menace inattendue ». Plus d’informations d’ici quelques minutes avec Merly Louise, Reporter Agence France Presse. 23/01/2038.

    Je sortis de la cuisine en gravissant les escaliers de bois vernis. La radio allumée en contrebas résonnait dans ma tête et les témoignages affolés des auditeurs se succédaient les uns aux autres. Je passai devant le tableau qu’avait peint mon oncle des années auparavant et arrivai sur le palier. Avant de pousser la porte, j’hésitai, en contemplant ces murs gris et froids que je connaissais par cœur. J’avais peur. Comme un vase que l’on aurait brisé, mon visage s’était peu à peu décomposé, laissant cette marque gravée sur ma peau. La marque du temps, de notre époque malade. J’entrai, le parquet craqua et Melvin se retourna brusquement.

    – La machine est lancée… Comme une bombe. Difficile à désamorcer.

    Il avait dit ça en simple constat, sans réellement y penser. Un éclair traversa les pupilles émeraudes du rouquin qui s’approcha doucement. Il était beau, mon cousin. Des cheveux ébouriffés, un nez fin orné de tâches de rousseur, une chaîne argentée autour de son cou, sur le haut d’un torse musclé et pâle. Une belle stature et une maturité en berne, malgré ses dix-neuf ans bien avancés. Il me tendit une BD, effaçant à ce geste l’angoisse et laa lourdeur qui régnait au domicile. Le père de Melvin était architecte de métier et vivait ici, dans le sud de la France. 12 h 55, la porte d’entrée s’ouvrit. Je descendis saluer Joeffrey. D’où venait-il ? Personne ne le savait. Et c’était ainsi la règle d’or, nul ne posait de questions. En entrant, l’homme jaugea d’un œil averti les mets qui l’attendaient : une délicieuse tarte aux fruits de mer et une salade de pâtes. C’était appétissant et j’avais préparé le repas avec amour. J’enfilai ma veste, prête pour mon unique rendez-vous de la journée et poussai bientôt la porte en métal du gymnase. Mon amie m’attendait avec dans ses mains, un bout de corde libre, déjà relié à son baudrier via le système d’assurage.

    – J’arrive ! J’arrive !

    J’étais légèrement en retard. Pas de beaucoup, certes. Mais sûrement quelques secondes ou minutes de trop ! Ma montre affichait l’heure pile mais les chiffres digitaux excellaient dans leur paresse, une certaine lenteur de mise à jour et depuis un an que je m’en plaignais, je ne m’étais toujours pas décidé à changer l’appareil défectueux. Je m’équipai en un temps record et jetai par mégarde quelques dégaines au sol ainsi que mon sac de magnésie. La poudre s’en échappa en traînée blanche et toxique. Ma partenaire rigola. Elle avait vingt-cinq ans, l’étoffe d’un garçon manqué et beaucoup, beaucoup trop d’assurance.

    – Je ne suis pas en avance, désolé. On grimpe dans quoi ?

    Bien entendu, je parlai de la cotation de voie, pas de la surface à escalader. Bien que les poutres en métal rouillées du plafond m’attiraient plus que n’importe quel domaine ou site d’escalade reconnu ! Ma partenaire désigna un parcours fait de prises blanches et nous montâmes ainsi avec succès, toutes deux et progressivement envahies d’une lourde charge de lactique. La séance arriva à son terme. Les performances avaient suivies et désormais, les exploits n’étaient plus très loin. J’étais donc satisfaite sans vraiment me l’avouer, parce que j’avais cette pudeur, dureté implacable à l’effort, la volonté de garder mes progrès silencieux tout en ayant conscience de mes faiblesses. Ce bilan était utile pour progresser. Et je le dressai souvent. Le poids de l’effort se manifestait déjà et c’était pourtant maintenant que tout se jouerait : j’enchaînerai une dernière voie et capitulerai sur le final.

    – C’est reparti.

    Je dépose mes mains sur le mur et débute mon escalade. Mes réserves sont moindres et je clippe la troisième dégaine avec aisance sous le toit qui s’annonce rude. Mes bras tremblent, mes jambes avec et je souffle en réajustant ma posture sans grande finesse. Mes doigts blancs et crispés glissent fatalement sur la prise ronde et je chute dans un spectaculaire jeté.

    – Merde.

    Je rouspète encore un peu puis remarque que mon oncle attend au loin, les bras ballants et le regard vide. Il est sûrement pressé de rentrer. À la maison, il y fait bon vivre et cette gaieté me réchauffe le cœur. La cheminée crépite, les lampes éclairent chaudement les tapis de bêtes et la pendule frappe ses derniers coups en attendant le soir. Je m’installe dans un fauteuil en cuir rappé, un peu usé par les années et ferme les yeux. Un grincement. Des voix. La porte s’ouvre, ma tante rentre du travail et pose son sac, ses affaires trop lourdes pour elle. Dans la pénombre, j’aperçois son visage. Ses yeux ne sont pas maquillés comme à son habitude. Son rire ne résonne pas dans le hall. Et ses cheveux trempés ont été mouillés par la neige éparse et trop fondue qui s’abat encore fatalement sur le bitume d’Aix-en-Provence. La bonne femme me sourit et halète encore, en raison du froid mordant et des coups de vents qu’elle a du prendre en pleine face. Peut-être même qu’elle a courue, juste pour se réchauffer ou rentrer au domicile avant la tombée de la nuit. Je n’en serais pas surprise. Elle tourne la tête et demande :

    – Tes parents attendent des nouvelles. Écris une lettre pour l’Autriche.

    Je ne sais pas d’où lui vient cette idée. Je lève les yeux au ciel, hausse des épaules et toussote d’embarras. De toute façon, la Webcam est trop risquée. Les Webpowers ont piratés les ordinateurs de toute la ville et possèdent de nombreuses données. Seul le PC de mon cousin, crack en informatique, fonctionne encore librement.

    – Je n’aime pas écrire. J’emprunterai l’ordinateur de Melvin pour reprendre contact.

    Ma tante désapprouva.

    – Hannah ! Je sais que ces hommes sont des assassins ! Mais c’est aussi pour réveiller une génération naïve et bernée par le bonheur d’Internet. Une poignée d’hommes et de femmes conservent le silence parce qu’ils possèdent des moyens autres de protéger leur intimité. Mais depuis des années, tout a été fait pour nous diriger. La télévision ne diffuse plus que des feuilletons ineptes pour camoufler les véritables informations, les radios se sont recentrées uniquement sur la musique et les jeux adressés aux fans. Et dans les écoles, les tablettes tactiles et leçons numériques créent un réel buzz en apprenant aux enfants comment penser et que penser. Cet endoctrinement est nocif à la société et depuis des années, les hackers gèrent notre vie, qu’elle soit virtuelle ou réelle.

    Depuis le salon, Joeffrey observait religieusement la scène, le dos droit et l’œil suspicieux : Hannah, qui donnait toujours l’impression de découvrir le monde et moi, que ça agaçait prodigieusement. Pourtant, la révolte me tentait. Je voulais lutter, m’imposer. Affirmer mes choix, exprimer mon mécontentement. Faire valoir mes droits de citoyennes. Mais je laissai ce combat aux adultes expérimentés. Je m’endormis donc sur ces mots-là, ceux qui reflétaient avec amertume le quotidien d’une année 2038, bien morose et trop hivernale à mon goût…

    – Désolé pour le réveil matinal. J’ai besoin de ton téléphone portable.

    Lassée, je désignai la commode en bois brut au fond de la pièce. Il était tôt, je fermai les yeux. À croire que les efforts de la veille m’avaient fracassé. J’avais les bras en compote, le dos courbaturé et l’esprit noyé d’hormones qui à elles seules, me rendaient trop paradoxale ce matin-là. Joeffrey grogna quelques mots, ouvrit l’ensemble des tiroirs et trouva le précieux.

    – Ton portable était tracé, tes conversations enregistrées.

    Il avait sa tête des mauvais jours, un peu comme lorsqu’il revenait de ses séances hebdomadaires de plongées sous-marines au lac le plus proche et qu’il avait cruellement manqué de gravité, d’air pur et de joies terrestres. Il posa le téléphone au sol et sauta dessus.

    – Tu es ma nièce, marmonna-t-il. J’ai bien peur que ce détail ait de l’importance. Les Webpowers maudissent la liberté individuelle ou collective. Ils instaurent des stratégies de surveillance et de manipulation pour garder la main mise sur le peuple et sèment par ce biais une forme de terreur silencieuse, vicieuse, connue seulement de quelques minorités. Tout cela explosera d’ici peu au grand jour et ce sera le début d’une nouvelle ère. Une guerre numérique, civile et meurtrière. Mais j’oubliai… Ce soir, je ne serai probablement pas rentré. Tu récupéreras Loana.

    Le moral bas et le cerveau en ébullition, je descendis prendre mon petit déjeuner. Mon oncle fit couler deux cafés, s’habilla et sortit. Lorsque l’horloge frappa ses dix-neuf coups, je regagnai le hall d’entrée et m’habillai chaudement. Cette année, le mois de novembre était rude et les températures ne dépassaient pas les moins deux degrés. Je m’activai donc, tout en songeant aux remarques de mon ancienne institutrice sur les variations climatiques opérées ces derniers temps. Il faisait de plus en plus froid et le climat provençal avait malheureusement perdu de sa réputation. J’enfilai un pull marron et me munis d’un manteau épais. Une écharpe bleu foncé vint protéger mon cou, une paire de gants violets couvrir mes doigts et j’enfonçais frileuse, mes pieds dans de chaudes bottes de neige.

    – À ce soir, Melvin. Et au passage, c’est à toi de préparer le repas !

    – Pizza décongelée !

    Dehors, les trottoirs verglacés étaient glissants et je m’efforçai de conserver une attitude correcte. Correcte, parce que j’étais agacée. Agacée par tant de faits et tant d’angoisse. Agacée de croiser des passants apeurés par l’horreur, des enfants tremblant dans les bras de leurs mères, des visages marqués par la souffrance et l’inquiétude de chaque jours. J’enjambai des débris de verres dispersés au sol et rentrai dans un bâtiment. Quand soudain, ma vie bascula. L’alarme fût déclenchée : insupportable, répétitive et angoissante. Je tiquai. La radio, il fallait la radio ! Je connaissais la situation. Dehors, les gens se bousculent, les cris retentissent et les premières forces de police débarquent. On parle au porte-voix, on demande le calme et l’on commence même à évacuer. Mais soudain, le sol se soulève et tout devient noir. Noir comme dans un tunnel sans fin.

    À l’école de danse, Loana n’eût pas le temps d’écouter son professeur. Un bruit sourd retentit et les enfants se mirent à courir dans tous les sens. Elle-même effrayée se réfugia sous une table de bois. Ses petites mains plaquées sur ses cheveux blonds, l’enfant pleura. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, la lumière s’était éteinte, ne laissant pour éclairage que la lueur du ciel gris filtrant à travers les fenêtres fermées. Une porte s’ouvrit à la volée. Des uniformes apparurent. Des voix résonnèrent. Et des lampes torches éclairèrent sa frimousse. Elle ne comprit pas. Elle ne voulu pas comprendre. Sa cousine viendrait-elle la chercher ? Non, elle ne viendrait pas. Elle ne viendrait plus. Des bras solides l’a soulevèrent, un homme lui parla. On l’a mit dans un camion blindé auprès d’autres enfants et le moteur démarra.

    – Où c’est qu’on va ?

    L’un des soldats ôta son casque et ses joues creuses l’effrayèrent. Sous des cheveux noirs épais, un magnifique regard bleu l’a fixait et captivée, la petite le regarda encore, un malicieux sourire sur le bout de ses lèvres. Elle se perdit un instant dans les yeux de son sauveur. Mais c’était un regard vide. Vide de sens et vide de vie. Elle offrait de la reconnaissance à une machine de guerre, un individu programmé pour tuer. Innocence d’un esprit contre les démons d’une vie. Loana ne comprendrait pas tout ceci.

    Et c’était le 13 décembre. Un jour banal comme tant d’autres qu’un immeuble s’était effondré sur moi. Mes yeux s’étaient maintenant fermés et je laissai mon corps s’enfoncer dans les abysses d’un sommeil trouble. L’horizon clair se déchaînait sous mes paupières et je revivais les souvenirs heureux d’un passé lointain. Je dois lutter, me souvins-je. Ne pas céder à l’arnaque d’une mort grisante ! Je pleure, toujours muette. À ce corps figé dans les pointes acérées des débris, je lui crie de se relever, de se comporter en machine infaillible, plus puissante que ma simple volonté ! Mais je ris, parce que je suis vivante. J’ouvre des yeux collés de crasse, un liquide poisseux dégouline sur mon bras et l’on demande :

    – Il y a quelqu’un ?

    Je suis trop faible pour répondre, mes mots inaudibles et dans ce taudis poussiéreux, l’inertie, la douleur et la chaleur me sont insupportables. Je soulève un bloc de pierres puis un deuxième. Et là, comme si l’adrénaline avait vaincu le froid dans son anesthésie, comme si la fatigue rendait mon corps indolore, je poursuivais mon ouvrage au milieu des étagères fracassées, des échardes piquantes et des morceaux d’acier courbés. Puis seule et abandonnée de tous, je perdis la notion de temps comme d’espace, fatalement condamnée et allongée face au désespoir. Je posai mon regard sur lui, petit bout de ciel gris perçant l’horizon terne et sagement immobile derrière les montagnes de débris enchevêtrés. Il me paraissait si loin ! Je pris une bouffée d’air pur, plaisir dérisoire. Et les minutes, bientôt les heures défilèrent. Il était tôt ou il était tard. L’heure avait cessé de tourner. Et peut-être qu’au dehors, ce monde d’inégalités et de frayeur m’attendait. Mais c’était sûrement une humanité dépravée et sans intérêts.

    – Ah, enfin. Tu es là.

    L’homme de front et proche de la trentaine paraissait fatigué. Lorsqu’il décala le bloc de béton de quelques centimètres, il plaça un doigt sur sa bouche et me hissa à la lumière du jour. Le spectacle que j’y découvris était bouleversant car trop de ruines jonchaient le sol et trop de montagnes de ciments s’entassaient près des chars militaires.

    – Ne restons pas là.

    L’homme me porta et nous quittâmes les lambeaux urbains. L’air était froid, mordant et le vent levé laissait virevolter les feuilles marron au-dessus de nos têtes. Cette poussière soulevée des entrailles de la terre attaquait les pores de nos peaux et l’homme me déposa dans un coin de verdure au cœur d’un parc ravagé. Ici, les bancs n’étaient devenus que de vulgaires planches désaxées, entassées au sol et les magnifiques arrangements floraux avaient été soufflés, ne laissant à nu qu’un simple amas terreux.

    – L’état, devança-t-il. Il y a un centre de secours installé hors de la ville, regagne-le.

    À ces mots, l’homme disparu dans le brouillard.

    – Attendez ! L’appelai-je à bout de forces.

    Il fit volte-face. Sa silhouette dessinait de simples contours sur l’horizon brumeux et déstabilisant de charisme, il s’approcha. Il avait des yeux clairs de félins et un visage tiré, dissimulé sur le haut de cheveux foncés et lisses, mouillés de chaud. Il revint sur ses pas, lui qui puait la sueur et la crasse et je le suivis dans sa longue marche. Mon pied marron de sang coagulé laissait s’infiltrer en moi une douleur intense et pour ne rien arranger, des gargouillements gênants rompaient le silence blafard. L’homme s’arrêta près d’un arbre, disparu sous les restes d’un canapé en cuir et revint quelques instants plus tard, un paquet de gâteaux et une boîte de sardines cabossée en main. Je saisis la nourriture, affamée.

    – Rien de faillible en toi, épatant.

    – Je m’appelle Thaélis.

    Toute froideur conservée, l’homme hocha la tête, s’agenouilla et fixa mes yeux bleus. Son genou à terre trempait dans une marre de boue, son haut était délavé et le vent hérissait sa chaire à chaque bourrasque. Il porta une main chaude à mon front et murmura quelques mots apaisants de sa bouche fine qui couvrait ses dents magnifiquement blanches. Sa douceur était déconcertante, sa chaleur pénétrait mes entrailles et ma tête alourdie tomba fatalement sur l’avant, toutes défenses anéanties. Je déconnectai du réel sans y prendre garde, paupières closes et lentement fermées.

    – Dors bien.

    L’homme rattrapa la jeune femme dans ses bras et contempla les mèches de cheveux blondes qui ornaient son visage sale. Elle était belle. Une stature finement musclée, des bras joliment dessinés et de multiples tâches de rousseur sur un nez recouvert de terre grisâtre. Tout chez elle incarnait l’être fragile pourtant si fort et la jeune femme contradictoire que beaucoup ne comprenaient pas. Il passa un bras sous sa nuque écorchée, l’autre sous ses genoux et ramassa ce corps alourdi par le poids du sommeil. Durant de longues minutes et sous une pluie fine, il marcha. Désinvolte face aux atrocités enjambées, il poursuivit le cœur froid et l’œil sévère, la route qui le mènerait à son but. Il écrasa une masse inerte jonchée sur le sol et s’excusa face à la dépouille animale. Horreur de guerre, il s’était lassé de ce spectacle et plus loin, une maison attendait que l’on frappe à sa porte. Ce qu’il fit.

    – Que nous apportes-tu là ?

    L’individu était âgé et son visage marqué par le sourire froid des anciens combattants.

    – Une fille, une jeune fille. Elle est blessée.

    L’homme se redressa, fatalement agacé.

    – La dernière fois, commença-t-il, tu nous a rapporté une suicidaire. Deux mois plus tôt, un drogué poursuivit par la mafia. Maintenant, une adolescente couverte de sang et qui m’a franchement l’air bien morte. Sincèrement, mon grand. Tu confonds notre organisation mondiale avec les urgences.

    – Je vais m’en occuper puisque que c’est comme ça. Vous n’avez pas de cœur.

    Et c’est le lendemain à l’aube que je me réveillai, crevée, douloureuse et brûlante de fièvre. La sueur perlait sur mon front et roulait sur mon visage, attaquant ainsi les pores de ma peau et les quelques égratignures à vif. Je toussai, tentai de me redresser… mais l’effort était laborieux et au final, c’était un véritable supplice. J’agrippai le lit et ses barreaux métalliques, grognai quelques insultes et m’assis enfin. Je fermai les yeux saisie d’un vertige et sursautai lorsqu’une main autoritaire me plaqua sur le lit. Large et musclée, elle composait le corps d’un homme rustre.

    – Chut. Tout va bien.

    Sa voix m’était familière et je déposai ma tête sur l’oreiller. Un bandage enveloppait mes cotes, quelques pansements couvraient mon corps et au loin, je détaillai une silhouette athlétique : une femme aux cheveux noirs, à la peau clair et au visage dur. Elle n’avait d’ailleurs pas l’air très commode. Je toussai à nouveau et des milliers d’aiguilles transpercèrent ma cage thoracique, laissant un rictus amer se dessiner sur mes lèvres entrecoupées.

    – Bois.

    Je renversai le liquide sur la banquette.

    – Ce n’est rien.

    Au son de ces dernières paroles, le mal s’en était allé. L’homme détourna son regard du mien et je mastiquai avec difficulté le morceau de pain qu’il m’avait donné. L’inconnu s’éclipsa ensuite comme il était venu et je me rendormis. Le jour suivant, les volets furent ouverts de bonne heure et je clignai doucement des yeux. Lui, il était toujours là, immobile et silencieux. Il s’approcha doucement, posa sa main sur ma cheville et défit le bandage qui l’entourait. C’était un triste constat. Au creux d’un pansement amoché, une plaie large et sanguinolente fendait ma peau en deux morceaux distincts. Mais comme à son habitude, l’homme resta silencieux.

    – Où suis-je ?

    – En sécurité. Lèves-toi, coupa-t-il, peu enclin à la discussion.

    Alors, je suivis l’homme en cuisine. C’était une pièce sombre, éclairée par l’unique ampoule d’une lampe suspendue au plafond. Un intérieur vieux et moche, une cafetière posée dans un coin, des rideaux attachés aux fenêtres de bois… Rien de très décoratif. Quant à la table en métal rouillé, elle trônait au milieu de nulle part, dans ce centre de pièce vide. D’ailleurs, une femme s’était penchée au-dessus et me fixait.

    – Bienvenue à toi, Mac Davis. Tu es chez notre Commandant. Thé, café ?

    Son sourire des plus satisfaits me glaça le sang.

    – Nous sommes des gendarmes retraités, nous avons monté un réseau de résistance dont plusieurs camps d’entraînements tiennent lieu de base secrète et de point de ralliement, ici, comme à l’étranger, expliqua l’homme. Le gouvernement ne connaît en rien notre existence et seules quelques organisations secrètes possèdent des dossiers incomplets. C’est le cas du FBI et de la CIA.

    Je pris place sur une chaise.

    – Vous connaissez forcément Joeffrey.

    – Oui. Le nom de famille inscrit sur ta carte d’identité m’a mit la puce à l’oreille et j’ai de suite fait le rapprochement. Ton oncle vient d’être porté disparu tout comme sa femme et ses deux enfants.

    En disant ces mots, l’homme fit quelques pas lents et déposa ses mains sur mes épaules. Il avait l’air grave mais pour ma part, je n’étais pas inquiète. Mon oncle avait pris conscience de la gravité des événements et sans doute avaient-ils fuit. C’était une bonne chose.

    – Alec, conduis-là au camp.

    Le trentenaire approuva docilement et ouvrit la porte sur un chemin de terre séché par le gel. Au loin, les champs s’étendaient à perte de vue derrière le brouillard bas qui rendait l’horizon nuageux et le vent glacial s’engouffrait parfois dans la bâtisse pour venir gifler mon visage.

    – Nous allons traverser. Ça ira ?

    Sans se soucier de ma réponse, l’instructeur adopta un pas ample et long face aux vents cillant qui coupaient la région et marcha ainsi sans s’arrêter durant vingt bonnes minutes. Il marqua enfin un arrêt, bref instant de répit pour ma cheville gonflée et d’un signe de menton, il indiqua l’usine au loin.

    – C’est là-bas. On va là-bas.

    Alec n’avait pas grande conversation et reprit son rythme de croisière en traçant sa route sur les sentiers battus, à travers les champs, entre les rafales basses et les flaques gelées au sol, craquantes et traîtresses. J’inspirai une bouffée d’air frais et le regrettai aussitôt, sentant mes bronches et poumons s’enflammer. Ce qu’il pouvait faire froid, c’était diabolique.

    – Nous sommes arrivés.

    Je levai la tête. Le camp d’apparence désaffecté me stupéfiai et au cœur des bâtiments, au centre du domaine autrefois industriel, le jeu de camouflage était parfait, l’insonorisation bonne, la discrétion relative au projet et la périphérie laissée telle quelle contrastait avec le centre récemment rénové : un vide sidéral, un lieu désert et abandonné qui résonnait comme une aubaine pour la résistance.

    – Les sous terrains font notre force, clama Alec.

    Et contre toute attente, il m’entraîna dans ses pas sans tarder : une porte, deux portes, quelques tunnels et derrière l’entrée finale, une pièce lumineuse aux murs blancs, grande et belle salle de musculation moderne ! Au fond de celle-ci, des tapis mous juxtaposés servaient aux arts martiaux et dans chaque coin, différents appareils étaient disposés.

    – De quoi booster ses performances ! Fit-il.

    Mais aujourd’hui, les lieux étaient déserts.

    – Bien. Le sujet du jour est d’une importance capitale.

    Alec prit place sur une chaise.

    – Ce sont des mots de présentation. Nous sommes dans l’une des quarante pièces aménagée et c’est peu si l’on note le nombre de résistants qui s’activent aux entraînements. Nous avons une salle informatique pour tous nos génies du web et des laboratoires de recherche scientifique. Nous disposons aussi d’un mur d’escalade bien que ce dernier fût laborieux à installer, d’une piscine non-chauffée, d’un parcours d’entraînement, d’un self et de dortoirs. En te récupérant dans les gravats, je ne pensai pas t’amener ici. Tes origines m’ont fait changer d’avis car présentement, tu es orpheline. Tu es sous ma responsabilité.

    – Aidez-moi à retrouver ma famille, dis-je simplement, la voix cassée par le gel au dehors.

    – Nous ferons tout notre possible. Mais au fait, quel âge a ta cousine ?

    Je l’observai tendrement, elle, qui acceptait enfin de parler. J’étais son premier confident et ça se voyait. C’était perceptible. Ses yeux bleus rougissaient peu à peu, au fur et à mesure que ses entrailles brûlaient de haine et de colère. Ses lèvres tremblaient légèrement et ses mains froides se perdaient inlassablement dans sa tignasse blonde, comme si ce contact l’a rassurait. Je souris car m’occuper d’elle ne serait pas aisé. Armes en mains, sac commando en place, je devrai rassurer une fillette qui ignorait tout de la Mort.

    L’agence secrète

    Impassible face à la piscine, Alec attendait les bras croisés sur son torse. Sa largeur d’épaule dominait l’arrivée du bassin et l’œil avisé, il observait sa protégée, ses mouvements et sa détermination. Essoufflée plus que jamais et gobant l’air avec obsession, elle se hissa hors de l’eau. Objectif atteint ou presque.

    – Du nerf jeune fille !

    Trois mois avaient passés et presque autant d’heures en piscine. Alec savait qu’Adams pouvait progresser mais se taisait à ce sujet. Parce que la féliciter, il n’y pensait jamais. Il était comme ça, lui. Il n’y croyait pas, aux encouragements incessants.

    – Vas te doucher.

    J’obéis sans discuter et l’eau tiède perla sur mon corps. Ce cours de natation m’avait éreintée et pour cause, je n’étais pas totalement guérie. En effet, mon épaule restait fragile, même si pour le reste, j’avais retrouvé force et vigueur. J’attachai mes cheveux sous un épais bonnet de laine et passai devant l’accueil, salle constamment froide et toujours aussi vide. Là, j’observai pour la première fois cet écriteau de bois. Les Incognitos vous souhaite la Bienvenue « Vos règles sont les nôtres, toute proposition sera étudiée. » Veuillez réclamer votre fiche technique personnalisée au secrétariat. Il faudrait donc que j’éclaircisse le point obscur de la fiche technique. Une fois prête, je retrouvai Alec aux commandes de son pick-up, près des bâtiments désaffectés. Nous avions rendez-vous en ville avec Sam, sa femme, sur les coups de vingt et une heure et mon ventre criait famine. Je m’assis sur le siège passager avant et fixai l’étendue brumeuse.

    – Dis-moi, c’est quoi cette histoire de fiche technique ? Le panneau d’accueil est formel, je dois m’en procurer une. Tu sais sûrement comment m’obtenir un exemplaire.

    L’instructeur démarra.

    – C’est comme un carnet de notes, dessus seront inscrits tes progrès, tes points faibles et tes points forts. Tu pourras la consulter ou émettre des demandes pour suivre tel ou tel cours.

    Je fronçai un sourcil, inquiète.

    – Et toi, tu en as une ?

    – Un exemplaire dans ma poche, oui. Comme tous les instructeurs.

    Il tira une carte plastifiée de son pantalon beige, de ville, et me la tendit.

    ÉLITE INSTRUCTEUR

    Alec, 30 ans

    ° Leader né, intransigeant, stratège, grisé par le danger et sans attaches.

    ° Excelle en natation, en tir et sports automobiles.

    ° Vainqueur de la coupe du monde militaire de nage libre.

    J’ouvris de grands yeux admiratifs.

    – C’est le Commandant en personne qui les rédige. Tu lui soumettras ta requête.

    Arrivés en ville, l’instructeur se gara et désigna une place pavée depuis laquelle Sam nous faisait de grands signes. Habillée d’un pantalon gris taillé pour elle et d’une veste en cuir marron, elle s’approcha. Elle revenait d’une longue mission aux îles et son teint halé lui donnait un petit air de star. La chaussée était glissante lorsqu’elle traversa la rue et je relevai, sous ses lunettes noires, près de ses yeux encore et sûrement maquillés, une once d’appréhension. La femme fatale se distinguait des autres passants pourtant rares à cette heure-ci et me tendit la main en embrassant rapidement son copain. Nous nous installâmes dans un bar voisin, calme, vide et abandonné. L’heure était propice aux états désertiques que prenait la ville et je scrutai la carte du menu pour commander un steak frite. Mes voisins se décidèrent enfin et optèrent tout deux pour des entrecôtes grillées et une assiette de haricots verts.

    – Ah, de bons petits légumes. Une bière pour la miss ? Supposa Alec.

    J’acceptai volontiers sa proposition. L’ambiance se détendit et notre discussion s’orienta sur les faits

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